21/12/2043
Ses bottes élimés claquaient étrangement sur le pavé du Chemin de Traverse. Sa main droite était tenue par une petite main dodue, celle de Amy, sa soeur. Celle-ci semblait plus qu'heureuse de venir ici, à en juger par son grand sourire, et par sa main mobile qui montrait tout du doigt en faisant des commentaires bien trop fort. Ce fut seulement au moment où elle désigna un homme enrobé en criant : "Regarde, on dirait Tonton Robert !", que sa mère la sermonna en lui disant qu'on ne montrait pas les gens du doigt. Julia leva les yeux au ciel. Sa mère ne savait pas faire la discipline, elle était trop conciliante, et la jeune n'avait pas autant de patience qu'elle. Mais d'après Helen, ce n'était pas son rôle de faire l'éducation de son frère et de sa soeur. Tant pis, elle perdait de l'énergie pour rien. Helen repartit un peu derrière, avec sa nouvelle amoureuse, Abigail. Cette femme était beaucoup trop belle, et du point de vue de Julia, elle ne pouvait qu'être un extraterrestre. Elle ne voyait pas d'autre solution. Un peu plus loin devant, se trouvait Adam, et... Solenn. Cette fille était trop ordinaire par rapport à sa mère, et cela troublait encore plus Julia. Les deux filles n'avaient pas encore eu le temps de parler, car Julia réussissait à échapper à toutes les réunions familiales, sauf celle-ci. Mais maintenant que les deux femmes avaient décidé d'emménager ensemble, elles se verraient constamment. Enfin, sauf lorsque Julia partait en expédition avec son meilleur ami, loin du Londres pollué. La Poufsouffle détestait la ville, et s'enfuyait pendant plusieurs jours avec Nelson, en camping sauvage aux alentours de la ville. Des moments que Julia adorait, et qu'elle regrettait alors qu'Adam éclatait de rire plus loin. Il fallait se l'avouer, Julia était jalouse. Sa relation avec Adam était compliqué, les deux ne se ressemblaient pas du tout. Et le voir s'amuser avec une inconnue, du moins pour elle, n'était pas très agréable. La famille recomposée arriva devant la librairie, et Julia se retourna vers sa mère, l'oeil brillant :

-J'avais des cadeaux à faire ici...

Sa mère fit la moue, démontrant son impatience à errer dans une librairie bondée. Abigail la regarda de ses magnifiques yeux, avec l'air de dire : Allez. Sois gentille. Aussi intelligente que belle, la brune avait vite compris que la relation entre les deux blondes étaient compliquée. Helen planta son regard vert dans les yeux de Julia, et lui dit :

-Très bien... J'ai une idée. Tu vas avec Solenn au magasin, et avec Abigail et ton frère et ta sœur, nous allons à la ménagerie.

Julia leva les yeux au ciel, tandis que les jumeaux s'extasiaient de pouvoir aller voir les hiboux. Heureusement, Solenn ne pouvait voir son signe de désapprobation. Julia se tourna vers la rousse, qui l'attendait devin la boutique, les yeux dans le vague. Depuis que la ballade avait commencé, la blonde avait pu se rendre compte de quelque chose. Par petits moments, Solenn perdait son petit sourire énervant, et devenait mélancolique. Non, plutôt triste. C'était déroutant. Et c'était toujours à ce moment-là que son boursouflet sur son épaule jetait des petits cris et se frottait contre elle. Sa mère lui en avait vaguement parlé, Solenn avait eu des problèmes l'année dernière à l'école. Mais Julia ne lui avait pas posé plus de questions, pas vraiment intéressé. Et si ces "problèmes" avaient été plus graves que ce qu'elle n'avait imaginé ? Alors, elle s'avança vers elle, et de sa voix un peu brute, elle l'invita à entrer dans la librairie. Julia était autiste, et avait du mal à parler aux gens. Certains ne l'appréciaient pas à cause de cela, mais heureusement, Nelson et Gabriel la comprenaient. Elle ne parlait pas seulement aux deux garçons, mais ses autres camarades de classe ou de maison n'étaient pas des amis. Ils étaient des camarades. Elle leur parlaient presque tous les jours, lorsqu'ils devaient travailler en groupe, ou encore pendant les heures d'étude, mais n'avait pas de réels sentiments pour eux. C'était bien pour cela qu'on avait inventé ce mot, non ?

Amy : #930C8E
Helen : #0b5394
Julia : #AF9D00

Julia vagabondait dans les différents rayons, laissant son regard glisser sur les centaines et peut-être milliers de livres dormant dans la boutique. L'endroit qu'elle préférait était le rayon des encyclopédies. Elle aimait toujours apprendre de nouvelles choses. Cela la rassurait et lui permettait d'oublier les différents problèmes qu'elle pouvait avoir au cours de sa vie. Levant les yeux, elle aperçut sa nouvelle demie-sœur, Solenn. Cette dernière était perdue dans une lecture, ses boucles rousses cachant presque complètement son visage. Julia fronça les sourcils, toujours indécise sur ce qu'elle pensait de cette fille. Solenn leva alors la tête, comme si elle avait senti que la blonde la fixait depuis plusieurs secondes. Leurs regards se croisèrent et la rousse sourit. Un tout petit sourire qui rendit Julia confuse. Pourquoi venait-elle de lui sourire ? Qu'est-ce que cela devait signifier ? Soucieuse de recevoir des réponses à ce geste, la Poufsouffle se dirigea vers cette mystérieuse fille, ses sourcils toujours froncés. Solenn la vit arriver, et lui demanda :

-Qu'est-ce qui se passe ? Y'a un problème ?

Se rappelant son éducation, Julia réalisa que les paroles qu'elle avait en tête étaient déplacés. Alors, elle resta quelques secondes, la bouche ouverte en suspens. Elle baissa les yeux et tomba sur le livre qu'elle avait à la main. Un livre sur les chenilles. Passionnant, enfin du point de Julia.

-Ça te plairait comme cadeau ? elle le porta à hauteur de son buste.

Solenn lâcha un petit rire, et prit plusieurs secondes pour réfléchir. Plutôt étrange, d'après Julia. Soit Solenn ne connaissait pas ses goûts, soit elle prenait du temps pour formuler sa réponse.

-Hum... Ce n'est pas ce que je lis d'habitude, mais pourquoi pas ?
-Tu n'aimes pas.

Julia l'avait dit sans réelle déception. Un sujet de discussion à retirer de sa liste, c'était seulement ça. Elle espéra ne pas être assise à côté d'elle pour le repas de Noël. Au moins sa grand-mère s'y intéressait, elle.

-Non, ce n'est pas ça, c'est juste que je ne connais rien sur les chenilles.
-Parfait, tu pourras tout découvrir alors !

Sur le visage de la blonde se trouvait maintenant un grand sourire. Elle s'imagina lui partager toutes ses connaissances sur les insectes. Elle se rappela alors la véritable raison de sa venue, et murmura :

-En vérité, je voulais te demander quelque chose.

Solenn ouvrit plus grand les yeux, montrant qu'elle écoutait. Julia hésita quelques instants, se demandant ce que sa mère dirait si elle apprenait le contenu de ses pensées.

-Qu'est-ce qui s'est passé pour que tu sois comme ça ? demanda-t-elle d'une traite

Solenn resta comme paralysée pendant ce qui semblait une éternité, puis son regard se voila de tristesse. Malheureusement, Julia ne pouvait pas le remarquer. Les joues de la rousse perdirent de leur rosé habituel.

-Hum... Je ne... veux pas en parler.

Sa voix était hachée et c'est lorsqu'elle baissa ses yeux océan que Julia réalisa qu'elle l'avait blessée.

-Je t'ai blessée, c'est ça ? Rolala, ma mère va me tuer...

Malgré la situation, Solenn lâcha un petit rire. Elle prit le bras de Julia doucement, et cette dernière décida de ne pas broncher malgré son aversion pour les contacts physiques.

-T'inquiète pas, je lui dirais rien.

Elle fit une légère pause, puis reprit :

-C'est juste... je ne suis pas prête à t'en parler, mais dès que j'y arriverai, je te le dirais.
-Ok. Et merci de ne rien dire, ma mère n'aime pas que je m'immisce dans la vie des autres. Elle dit que je suis égoïste, mais je pense qu'elle a un peu honte.
-Mais non...

Julia parlait rarement autant aux gens qu'elle ne considérait pas comme un ami ou quelqu'un de sa famille. Et même si Solenn faisait maintenant partie de cette famille, c'était beaucoup de changements pour qu'elle s'en sorte bien. Elle n'était pas douée pour cela, c'était sûr.

-Tu lâches mon bras ?



Elles sortaient seulement de la librairie lorsque le reste de la famille arriva. Helen aperçut le paquet enveloppé dans les bras de Julia, et lui demanda de sa voix douce :

-C'est pour qui ?
-Solenn.

Julia ne comprit pas le sourire et le regard que se partagèrent sa mère et Abigail, mais préféra ne pas savoir. Elle ne cherchait plus à comprendre les autres. Sauf Solenn. Parce que cette fille était maintenant sa nouvelle sœur, et elle se devait d'essayer de la comprendre.