C'était le dernier jour de la première année de la jeune Tally Jenkins à Poudlard. La fillette rayonnait. La vie lui souriait aussi facilement que le tournesol suit l'ascendance du soleil. Il y a moins d'une année, elle avait découvert qu'elle était spéciale, qu'elle était une Sorcière de part le sang de son père, John Howard Jenkins. C'était incroyable, hors-du-commun et, pourtant, la fillette s'était rapidement faite à son statut de magicienne.
Elle avait suivi avec assiduité l'ensemble des cours dispensés à Poudlard. En une année scolaire, elle avait avalé son retard en Histoire de la Magie et elle avait égalé sans problème ses camarades en terme de Sortilège. Portée par une jovialité à toute épreuve et une curiosité qui l'étranglait presque, la Serdaigle s'était même retrouvée dans l'équipe de Quidditch de sa maison, une batte à la main. C'était un peu par hasard qu'elle était arrivée là. Mais c'était par un certain talent qu'il y a quelques semaines à peine, elle était devenue Capitaine de l'équipe. C'était beaucoup de nouvelles choses d'un coup mais Tally semblait les assimiler avec une efficacité presque inhumaine. Quand on nous dit que les gamins sont des éponges, ce terme correspond parfaitement à la dernière Jenkins.

Beaucoup de nouvelles choses tourbillonnaient dans le crâne de la rouge. Il s'agissait désormais de les remettre en ordre et de revenir à sa vie normale. Après tout, sa mère l'attendait, Rugby aussi et Tally savait qu'elle avait hâte de revoir sa fille. Évidemment, la petite sorcière partageait ce sentiment même si elle avait quitté Poudlard à regret. Avant de retrouver sa mère à Londres, Tally n'avait pas d'autre choix que de faire un crochet au Chemin de Traverse et plus précisément à la Ménagerie Magique. Elle avait un problème auquel elle n'avait pas eu le temps de penser avant de quitter le château. Face à ses résultats optimaux lors de la dernière épreuve appliquée de Défense contre les Forces du Mal, Tally avait eu droit de garder un Boursouflet. Son Boursouflet. Une magnifique boule de poil jaune vif dont la racine des poils tiraient vers le vert menthe. Dès qu'elle avait croisé son regard dans la cage, Tally l'avait adoré. Depuis, elle ne s'en séparait que rarement mais elle devait retourner dans le monde Moldu et cette bestiole ne pouvait pas vraiment s'y fondre. Il lui restait donc une solution, demander conseils à au magasin du Chemin de Traverse, en espérant qu'ils puissent faire quelque chose pour elle.

L'allée commerçante était relativement animée mais bien loin de l’effervescence des veilles de rentrées. Tally n'eut aucun mal à parcourir les quelques centaines de mètres qui la séparait de l'entrée de la boutique. Elle poussa la porte et eut l'agréable surprise de voir qu'il n'y avait pas trop de monde. La plupart des personnes devaient avoir approximativement son âge, preuve que les vacances seraient bientôt là. Elle serra les poils jaune vif contre son torse et se présenta devant le comptoir.

« _ Bonjour jeune fille, avez-vous besoin d'aide ? Puis, elle remarqua le Boursouflet contre sa poitrine. Oh ! Comment s'appelle cette boule de poils ? Et son sourire s'élargit pour mettre en confiance la Première Année timide. »

Jenkins baissa ses yeux vers le petit corps tout tremblant. Il était relativement obéissant mais, aujourd'hui, il semblait comprendre que quelque chose n'allait pas. La fillette leva les yeux et répondit par un sourire timide. La vendeuse commençait à attendre sa réponse et l'encouragea d'un nouveau sourire.

« _ Ben... en fait... il a pas d'nom... Tally se sentit rougir jusqu'aux oreilles. Son regard se dirigea automatiquement vers la pointe de ses chaussures. La pauvre vendeuse ne savait plus vraiment quoi faire et elle finit par contourner le comptoir pour venir se mettre à la hauteur de Tally.
_ Alors, jeune fille, que se passe-t-il avec votre Boursouflet ? Elle fronça les sourcils, soudainement inquiète.
_ Il va très bien... madame... juste que... ben... Je dois rentrer chez ma maman.
_ Et … ? Insista-elle, comprenant qu'il y avait anguille sous roche.
_ Elle est Moldue... »

Un silence tomba sur leur conversation. La femme semblait comprendre la situation et lui proposa d'attendre le temps qu'elle trouve une solution. Tally, les yeux embués de larmes se mit à déambuler dans le magasin, espérant se changer les idées et priant pour qu'on lui trouve une solution. Son Boursouflet était toujours tremblant entre ses bras.

La petite bébête se mit à gigoter dans les bras de Tally, elle parvint même à s’échapper pour grimper le long de son bras. Arrivée en haut de son membre, la boule jaune se frotta contre son cou comme si le petit animal cherchait à la rassurer par ses poils douillets. Et, en effet, cela arracha un petit sourire à la Serdaigle ce qui fit également rouler une larme le long de sa joue. Et si la femme ne trouvait aucune solution pour elle ? Et si elle était obligée d’abandonner son nouvel ami à peine celui-ci gagné ? Mais aussi, aurait-elle les moyens de payer un pension à cet animal magique ? Tally n’en avait bien aucune idée, c’était probablement aussi pour cela que la tristesse la rattrapait.

Ou alors, ce n’était qu’une excuse. Tally accusait le coup. Cette année avait été tellement intense que revenir à cette vie-là c’était comme ralentir d’un coup, d’un seul. En vérité, elle appréhendait ses retrouvailles avec sa mère. Tout ça à cause de Sara Jenkins. Ou bien était-ce à cause de son père ? La jeune fille n’en savait trop rien. Tout ce dont elle était persuadée était qu’elle ne pouvait rien dire à sa mère… non. C’était hors de question. Comment avouer à sa mère que son ancien mari était tombé dans les bras d’une autre… ? Alors que sa fille venait de la quitter pour un nouveau monde inatteignable pour elle. Comment lui préciser que cette nouvelle femme attendait un enfant de lui ? Alors que Tally lui avait fait la promesse de réussir à le ramener à elle. C'était injuste.

Une nouvelle larme roula sur sa joue. Le Boursouflet grimpa sur son crâne puis redescendit par l’autre bras pour venir se plaquer contre son torse. Tally continuait son chemin, plongée dans ses pensées. Elle ne fit pas attention une seconde au vieil homme qui la surveillait du coin de l’œil. Ça non. Elle préférait garder les yeux dans le vague en passant devant les chats dormant sur leur perchoir. Sans s’en rendre compte non plus, Tally se dirigea vers l’entrée, c’était simplement la continuité de son bout de chemin de somnambule. Mais quelqu’un se présenta devant elle comme pour lui bloquer la route. Le cœur de la Capitaine rata un battement, c’était forcément la tenancière, prête à lui annoncer une nouvelle qu’elle espérait bonne. Tally ferma un instant les yeux en priant tous les dieux, autant sorciers que moldus. Néanmoins, sa prière fut interrompue par une voix qui n’avait strictement aucun rapport avec un ton féminin.

La mâchoire de Tally faillit se décrocher tellement sa bouche s’ouvrit dans un grand « O » d’incompréhension totale. Derrière ses larmes, il était difficile de vraiment distinguer le visage du vieil homme. La jeune fille se mit à faire le poisson, ouvrant et fermant la bouche machinalement. Aucun son ne semblait vouloir sortir d’entre ses lèvres. L’accusation était trop forte, trop violente, elle ne pouvait simplement pas répondre. La répartie n’était clairement pas son fort. La seule chose qu’elle parvint à faire ce fut de reculer d’un petit pas, pour tenter d’échapper à cet homme bizarre. Ses bras se resserrèrent instinctivement sur le petit Boursouflet jaune qui laissa échapper un piaulement anéanti.

Tally avait beau chercher dans ses entrailles, il n’y avait pas la moindre trace de courage par ici. Qu’était-elle censée faire ? Finalement, son corps se mit à réagir pour elle. Ses yeux débordèrent d’eau salée qui se mit à couler tel un véritable fleuve le long de ses pommettes. Le sillon était maintenant bien trop creusé pour pouvoir l’arrêter. La fillette sanglotait de plus en plus fort au milieu de la boutique, face à ce vieux au visage dur. Pour elle, il était tout bonnement impossible de s’arrêter. Sa mâchoire s’était crispée, elle sentait ses tendons se fatiguer mais les pleurs étaient bien trop forts face à sa petite volonté.

C’était certain, toute seule, elle ne pourrait s’en sortir.

Tally Jenkins était tétanisée. Pire que ça, elle n’arrivait pas à détacher ses yeux du sourire malsain du vieillard. Si ses bras soutenaient cette immobilité, il était certain qu’elle ne mettrait plus que quelques minutes à broyer les pauvres petits os du Boursouflet. Celui-ci avait d’ailleurs cessé toute activité comme s’il ressentait la peur de sa nouvelle maîtresse mais, surtout, comment s’il comprenait qu’il était le centre de cette attention soudaine. Le vieux monsieur s’approcha encore un peu de la pauvre Tally dont les larmes continuaient leur flot incessant. Puis, tel un couperet vengeur, quatre mots sortirent de sa bouche.
Nom. Prénom. Âge. Mobile.

Les yeux écarquillés, la fillette n’arrivait rien d’autre à faire que bouger mollement sa bouche tendue jusqu’à laisser la morve de son nez atteindre ses lèvres. Elle était tellement apeurée qu’aucun son ne pourrait sortir de sa bouche avant un long moment. Son corps ne réagissait plus que sous l’impulsion de sa seule survie. Plus l’homme approchait son visage cireux du sien, plus Tally tentait d’y échapper avec un nouveau pas vers l’arrière. Pire que tout cela, si c’était possible, elle sentait les regards des autres acheteurs de la boutique diverger sur sa petite personne. Ils semblaient penser pour la plupart qu’elle était véritablement une voleuse. Tally aurait voulu crier. Hurler en disant qu’ils n’avaient qu’à demander à Miss Holloway pour savoir si elle mentait ! Elle ne voulait pas être traitée de voleuse mais était loin de pouvoir mettre des mots pour défendre sa personne.

Heureusement, parfois, quand tout espoir semble perdu, des choses magiques font leur apparition. C’est exactement ce qui se déroula sous les yeux remplis de larmes de la jeune Jenkins. Au moment où tout espoir semblait vain, une drôle de dame entra avec fracas dans la boutique, elle semblait parfaitement savoir de quoi il en retournait et s’attaqua sans vergogne au vieux qui faisait peur. Celui-ci se courba dans un ultime espoir mais sa position de gymnaste eu raison de lui et il s’écroula comme une pierre sous les yeux de Tally, médusée. Le capharnaüm retentissant à cause de la chute et de divers fracas d’objets alerta la marchande qui s’empressa de s'enquérir de la situation. Après un échange saisissant, elle retourna vaquer à ses occupation alors que la nouvelle femme reportait son attention sur Tally.

Les pleurs effrayés de la jeune fille laissèrent rapidement place à des reniflements exagérés. Il faut dire que l’écoulement de son nez avait largement atteint sa robe de sorcière. Elle s’empressa d’ailleurs d’essuyer son visage du revers de sa manche, gardant toujours le petit Boursouflet dans son autre main. Lorsque la nouvelle arrivée lui adressa la parole, Tally se força à lui répondre par un sourire qui avait largement l’air d’une grimace à cause de ses joues ravagées par le sel. Elle renifla à nouveau et croassa.

« _ Merci… m’dame… »

Parce qu’elle ne savait pas où elle en serait si cette bonne femme n’était pas intervenue au moment où le vioque se rapprochait de plus en plus d’elle. Tally ne put s’empêcher d’avoir un peu de peine pour le vieille homme qui semblait avoir un mal fou à se remettre debout. Puis, elle secoua la tête. Non ! Il venait de lui faire la peur de sa vie, hors de question de le pardonner si facilement. Elle fronça donc les sourcils pour se donner un air de fausse dure à cuire. Elle frotta ses yeux qui la piquait et répondit à sa sauveuse.

«_ Vous… vous savez… j’ai rien volé moi ! Je l’ai gagné ! Elle tendit triomphalement la petite boule jaune à bout de bras. C’est Madame Holloway qui me l’a donné. Parce que j’ai des bonnes notes. Mais… Elle sentit les larmes couler à nouveau. A force de salinité, cela lui piquait atrocement les joues. J’p… j’peux pas l’garder… je dois retourner chez ma… ma… ma maman Moldue… »

Alors qu’elle venait de raconter l’histoire pour la seconde fois, la tenancière fit à nouveau son apparition. Cela eut pour don de calmer les nouveaux pleurs de Tally. Néanmoins, son air était bien trop soucieux pour qu’elle apporte de bonnes nouvelles. Elle s’approcha de la fillette et se baissa à son niveau, l’air compatissant.

«_ Bon… j’ai vu avec ma supérieure… Malheureusement, nous ne pouvons pas garder d’animaux pendant la pause estivale… Elle détourna le regard, ne voulant pas trop s'appesantir sur la réaction tragique de la jeune fille. Mais… mais… tu sais… il faut juste faire attention et tu pourras le cacher dans le monde Moldu. Il faut simplement être très vigilante… Même elle ne semblait pas convaincue par ses propres paroles. Et, soudainement, un éclair traversa ses yeux. Et vous ? Ne pourriez-vous pas garder cette pauvre bête pour vous faire pardonner ? »

Les yeux de Tally étaient secs. Plus rien ne voulait couler malgré la triste nouvelle annoncée par la vendeuse. Il n’y avait donc aucune solution à son problème… à moins que… Le regard de la Serdaigle se raviva aussitôt la proposition lancée. C’était la solution idéale ! Et puis… le papy lui devait bien ça !

Ça y est, tous les regards de la boutique étaient sans aucun doute tournés vers ce quatuor improbable. Une jeune fille dont les larmes séchées avaient laissé un sillon rougeâtre sur ses joues, une vendeuse aux sourcils froncés mais profondément touchée par l'histoire de la petite, une femme mûre au regard mauvais envers son frère mais également attendrie par la fillette et son Boursouflet et, enfin, un vieillard chevrotant qui avait même du mal à se rétablir sur sa canne. On pouvait même le définir comme terriblement soupçonneux envers tout le monde mais aussi de quelqu'un d'un peu... aigri.

Tally Jenkins ne savait pas trop comment considérer le vieil homme. Certes, il l'avait prise pour une voleuse mais il devait bien avoir ses raisons, non ? Si la femme ne l'avait pas sauvé, elle aurait sans aucun doute pensé autrement mais maintenant, sa naïveté la forçait à penser qu'il devait bien avoir un bon fond en lui, quelque part. Et puis, il paraissait tellement inoffensif face à cette femme au caractère de feu. Comment réellement en vouloir à cet homme... ?

A vrai dire, Tally avait déjà presque oublié la violence dont il avait fait preuve, elle était maintenant concentrée sur la petite lueur d'espoir qu'il représentait. Elle ne voyait plus que ça, c'était bien la seule solution non ? Que cet homme qui l'avait presque traumatisé se repend en gardant durant l'été son nouveau protégé ? Oui, définitivement, il n'y avait rien d'autre. C'était la seule échappatoire. Tally gardait donc ses yeux brillants collés au vieillard dont le regard venait également de s'illuminer. Il semblait se rappeler de son propre enseignement et parla à voix basse du sortilège Gonflus. Le sourire de Tally étira ses joues collées. Oui ! C'était bien un sort auquel elle avait dû faire face lors de cette dernière épreuve qui lui avait permis de remporter la petite bête. Elle eut à peine le temps d’acquiescer qu'à nouveau la femme tirait les oreilles du vieux qui se soumit aussitôt. La Serdaigle en fut ébahie. Comment, d'un seul geste, pouvait-on faire reculer ce vieux alors que cinq minutes avant il avait la prestance d'un véritable Auror ?

Pourtant, c'était déjà ce qu'elle avait fait à deux reprises maintenant. Alors que le l'homme ridé répondait fermement non, qu'il ne pouvait pas garder cet animal, que c'était hors-de-question et que les larmes de Tally lui piquaient à nouveau les yeux, elle le fit plier une troisième fois. Si, il le garderait qu'elle disait. Tally se mit à sautiller sur place et à brandir le Boursouflet au dessus de sa tête. Oubliant toute la scène qui venait de se dérouler, la joie la submergea.

«_ Youhouuuuuuuu ! Merci madaaaame ! Merci monsieuuuuuur. Puis, elle reprit un ton sérieux, son air de petite première de la classe. Vous savez, c'est vraiment pas compliqué de s'occuper d'un Boursouflet. Il suffit de le nourrir de petites graines une fois par jour puis de le brosser une fois par semaine. Il ne faut pas non plus oublier de lui laisser de l'eau. Sinon, les poils perdent de leur couleur. Je me suis beaucoup renseignée sur comment m'occuper de lui. Je ne voudrais pas qu'il lui arrive des choses alors que je ne suis pas là. Je peux compter sur vous, hein ? »

Les yeux de la petite étaient remplis d'espoir. Elle venait de sortir son catalogue d'une manière très scolaire mais c'était pour le bien de la petite chose. Comment cela devait se passer maintenant ? Instinctivement, elle caressa le haut du crâne de la petite bête et s'avança vers le vieil homme, un peu timide.

« _ Je viens de lui trouver un nom, il s'appelle Qirn. T'en penses quoi ? »

Et elle se mit à sourire au vieux qui semblait imperturbable jusqu'ici.