Les mots de Rafael ne suffirent pas cette fois-ci. À plusieurs reprises, il avait réussi à rassurer et calmer sa collègue mais ce soir-là ce n’était pas suffisant. Tout dans la manière d’agir de Joanne faisait comprendre à Rafael qu’il ne pouvait rien faire. Il comprit alors que quoi qu’il ferait ce soir-là, ça n’irait pas. Elle avait trop souffert, elle avait vu trop de choses horribles pour pouvoir avoir un raisonnement clair. Il lui fallait du temps. Il avait compris ça avant même qu’elle ne lui réponde. Et lorsqu’elle le fit, cela confirma ce qu’il avait imaginé.

Elle se mit alors à hurler dans son bureau, surprenant au passage l’infirmier qui ne s’était pas attendu à une réaction aussi violente. Elle lui donna une nouvelle fois l’ordre de partir et cette fois-ci Rafael ne pouvait rien faire. Une infime part de lui voulait l’aider et prendre sur lui mais il commençait à atteindre ses limites. Elle était une personne qu’il affectionnait énormément et il était prêt à beaucoup de choses pour elle mais elle lui en demandait trop. Avant qu’il ne prenne une décision, elle hurla un nouvelle fois et cela permit à Rafael de savoir ce qu’il devait faire.

C’en était trop, il voulait l’aider et s’assurer de son bien-être mais elle ne daignait pas lui laisser la chance de le faire. Énervé, l’infirmier sortit de la pièce et claqua la porte derrière lui. Il n’était pas venu pour qu’elle lui hurle dessus toute la soirée, il comprenait tout à fait qu’elle n’allait pas bien mais il ne passerait pas son temps à se faire crier dessus. Sans se retourner une seule fois, il prit la direction des escaliers pour se rendre dans le Parc, il avait besoin de prendre l’air.

Mes excuses, mes excuses

Les entrailles serrées par l’angoisse, la peur, la colère, la rancune. Le besoin de vengeance. Et tout ceci qui s’entremêle pour ne former qu’un amas de sentiment sans contours. Anxiogène. La porte claque derrière Rafael mais la trentenaire ne bouge pas. Elle aurait voulu fuir avec lui, loin de tout ça. Fuir l’horreur de la situation. S’en aller avec lui quelque part. Refaire leurs vies. Elle pensait, oh comme elle se trompait, elle pensait qu’ils iraient ensemble. Quelque part où ils ne seraient pas en danger. Où elle n’aurait pas à craindre de le perdre, de se perdre dans l’abîme de folie qui semblait la guetter.

Elle respira bruyamment, ses larmes échouant sur son bureau en bois. Pas de gestes rageurs, pas de mouchoir. De la tristesse à en revendre, de l’amertume. Rien qui ne vaille à Joanne l’espoir d’y voir clair ce soir. Quel dommage. Peut-être aurait-elle pu comprendre les arguments de Rafael ? Son point de vue si équilibré qu’elle ne veut pas respecter ? Ressassant sa soirée d’horreur, Joanne finit par s’endormir, les cadavres de la soirée hantant ses cauchemar jusqu’aux confins du petit matin. Lorsqu’il sera l’heure de son premier cours, elle ira, comme si rien ne s’était passé. Elle enseignera aux élèves comment sont les runes, à quoi elles servent, pourquoi elles existent. Mais au fond d’elle-même, elle le sent : rien ne va plus. Rien ne sera plus comme avant.