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11 nov. 2021, 15:29
Profanation
Du maquillage, et puis quoi encore ? Tu ouvrais la bouche comme pour lui lancer une de tes répliques cinglantes à la tronche, avant de te raviser face à quelques souvenirs. Ils fusaient dans ton esprit sans que tu ne puisses les arrêter, emplissant ton crâne jusqu'à ce qu'il ne reste plus un espace de libre. Tu ne savais pas vraiment quoi en penser, ressentant chaque sensation comme si tu y étais de nouveau, mais à une vitesse quasi vertigineuse.

Ta mère était une femme charismatique, de celle qu'on a du mal à oublier une fois qu'on a croisé leur route. Elle s'évertuait à plaire en société, pouvant passer des heures à s'habiller, se coiffer ou se maquiller dans l'espoir de recevoir les flatteries de ses compères, toutes aussi superficielles et mesquines qu'elle. C'était sans doute comme cela qu'elle avait conquit le cœur de ton défunt père et de cet idiot de Walter Reynold. Un sourire barbouillé de rouge à lèvre pétant, quelques battements de cils tellement chargés de fard à paupières que dès qu'elle clignait des yeux, un nuage de poudre venait se répandre dans les airs, et la peau si recouverte de fond de teint qu'on en distinguait plus la véritable couleur. Si ce n'avait été que pour être méchante, tu l'aurais sans doute traité de clown, mais personne ne pouvait le nier ; ce masque illusoire ne la rendait pas moins belle.
Ça lui convenait d'ailleurs si bien qu'il t'était venu plus d'une fois le désir de faire de même, emprunter les pinceaux et les palettes pour tenter de devenir aussi belle que ta mère. Peut-être te disais-tu qu'en faisant comme elle, qu'en tentant à tout prix de devenir Elle, elle t'en voudrait moins d'exister et de prendre autant de place dans sa vie. Terrible avait été sa colère lorsqu'elle t’eut découverte, le visage peinturluré de mille couleurs, les doigts aussi noir que le regard qu'elle te lançait.
Tu n'avais plus jamais réessayé, redoutant plus que tout ces éclats de colère, toujours douloureux. Et lorsque ta grand-mère t'avait un jour proposé de t'en acheter pour te faire un peu coquette, tu lui avais déclaré la boule au ventre être allergique au maquillage, la crainte au fond du regard que ta mère découvre la boite. Elle n'avait pas insisté.

Tu l'observes se relever sans vraiment le voir, regardant la main tendue vers toi, t'invitant à la prendre. Un geste ma foi assez anodin, bien que tu perçus dans cet élan de générosité une gratitude qui te fit lever les yeux. Tu finis tout de même par l'attraper, te redressant face à lui. «Y a pas d'quoi.» t'empresses-tu de répondre, le regardant repartir au loin, avant de toi-même tourner le dos et te diriger vers le château.

Go away chicken ! Alison M.
Éloge à la Charogne.