Il avait dû casser un miroir en ouvrant un parapluie dans sa maison tout en croisant un chat noir sous une échelle, c'était obligé. Depuis plusieurs jours, Christopher ne cessait de chercher une cause à cette réputation de porte-la-poisse qu'il se traînait. Depuis qu'il avait appris qu'Irene avait été choisie par l'Urne Noire en fait. Il s'était persuadé que c'était de sa faute. Comme pour Alice qui avait affronté tant de drames tout durant leur relation, il était sûr qu'Irene avait été choisie parce qu'elle était proche de lui. Et maintenant qu'ils s'étaient mis ensemble, il avait encore plus peur de ce qui pourrait lui arriver, surtout dans le Dominion.

Il passait nuit et jour à se renseigner sur les sources de malchance et s'était attardé sur les malédictions jusqu'à se convaincre d'être atteint de l'une d'elles. Laquelle il ne savait pas, il y en avait tellement, mais il avait commencé à chercher un moyen de s'en défaire, de se défaire de n'importe laquelle des malédictions. Il avait découvert des formules, des artefacts, des potions. Il y avait de tout et pour tout, il en perdait la tête. Mais ce soir, il avait mis le doigt sur une phrase dans un livre miteux de la bibliothèque.

De toutes les sources de protections existantes depuis la naissance des étoiles, les sorciers scandinaves accordaient aux runes une attention toute particulière. Gravées sur leurs armes, boucliers, vêtements, ou même leur corps, elles leur procuraient force et protection, chassaient les démons et les guérissaient de leurs maux.

C'était ça ! C'était ce qu'il lui fallait, une protection runique ! Il s'était aussitôt levé de son fauteuil et précipité hors de la salle commune des Serdaigle. La nuit tombait, c'était bientôt l'heure du couvre-feu, mais il ne pouvait attendre, il s'élança vers la tour Nord.



Il arriva auprès de la salle d'études des runes et tapa à la porte en espérant que la professeur Taylor était là. La dernière fois, la seule fois même, où il avait eu affaire à elle, c'était pour lui parler de l'atrocité commise par Carry sur Alice, ce jour où elle avait gravé le mot "Traître" sur la joue de sa bien-aimée de l'époque. Ironie du sort, aujourd'hui il venait demander le même sort ou presque. La porte s'ouvrit et sans prendre le temps de vérifier qui était derrière, ni même de saluer sa professeure, il prit la parole dans une voix haletante, épuisé qu'il était d'avoir couru d'une tour à l'autre.

"- Miss miss! J'aurais besoin que vous me graviez des runes sur le corps !"

Mes excuses pour le retard, mon planning tout ça
(et aussi parce que j’vous aime pas)


Ce soir-là, Joanne était à son bureau, lunette de travail sur le nez, café dans la main, baguette qui tournait les pages de son épais grimoire sur lequel elle travaillait. Une soirée tranquille en perspective sans le moindre élève … la porte qui s’ouvre à la volée, Joanne qui sursaute, la baguette qui tombe, le café qui se déverse sur le grimoire … Et l’humeur apaisée de l’enseignante qui s’envole comme neige au soleil. Elle se lève, telle la déesse de la guerre, prête à remuer ciel et terre pour punir l’impénitent qui venait de saccager son grimoire vieux de … vieux de … autant d’année que son professeur de rune de l’époque !

« MARTIN ! Qu’est-ce que vous fichez ici ? » La colère gronde quand Joanne s’exprime.

Et puis, la prise de conscience. Des runes gravées sur le corps ? Hein ? Elle se rassoit aussitôt, toute colère envolée. « Qu’est-ce que vous me racontez ». Oui, bon, elle n’a pas le temps pour les politesses – de toute façon, il ne l’a pas pris lui non plus. « D’où vous est venue cette idée saugrenue ? » Parce que pour être étrange, cette idée l’était. Ok, en tant que férue des runes, Joanne savait qu’un cobaye humain qui acceptait volontairement de se faire graver des runes rendait leurs pouvoirs plus impressionnant. Mais il était hors de question pour elle de procéder à ce genre de chose. Ou plutôt, si elle devait le faire, elle l’aurait fait sur elle-même plutôt qu’en sacrifiant un gamin, fut-ce le gamin qui a, par sa simple présence, ruiné son livre préféré de rune.

La colère instantanée de la professeure calma quelque peu l'élan de l'aiglon sans pour autant mettre fin à son idée. Il fit une moue d'excuse et respira un peu. A la question de Miss Taylor, il sentit, serrée dans sa main, une boule de papier. Sans même s'en rendre compte, il avait arraché la page du livre en se levant. Il tenait dans son poing la raison de sa venue, alors il tendit le bout de papier à l'enseignante et expliqua pourquoi il venait la déranger.

"- Vous vous souvenez de ce qui est arrivé à Alice Sangblanc ? Depuis qu'elle me connaît, il ne lui est arrivé que des malheurs. Aujourd'hui je suis proche d'Irene Gates et la voilà sélectionnée par l'urne noire... J'ai l'impression de porter malchance, de pousser mes proches aux dangers, j'ai peur qu'il arrive quelque chose à Irene dans le Dominion..."

Il déglutit rien qu'en y pensant, la simple idée de penser au pire le mettait mal à l'aise.

"- J'ai l'impression qu'il y a une malédiction sur moi, je le ressens, j'ai eu des signes, des sortes de rêves prémonitoires autour d'Alice et là, j'ai un mauvais pressentiment. J'ai donc cherché et trouvé un moyen de m'en protéger. J'ai découvert que les runes pouvaient servir de protection si on se les gravait sur le corps... Alors je me disais, peut-être... Vous l'avez déjà fait ?"

Il prenait conscience que le livre parlait d'une époque lointaine, celle des Vikings, et évoquait un acte sûrement oublié et plus mis en pratique de nos jours. Son bonheur d'avoir trouvé la solution à toutes ses inquiétudes s'éteignait quelque peu, mais il fixait sa professeure avec gravité, elle était son dernier espoir.

Joanne écouta. Elle écouta longuement le jeune Martin qui lui donnait les raisons pour lesquelles il tenait absolument à se mutiler le corps. A chaque fois, Joanne arqua un sourcil, puis l’autre, puis carrément les deux, les yeux écarquillés. L’adolescent croyait-il vraiment être l’élément perturbateur dans les vies des jeunes filles concernées ?

Lorsqu’il eut fini sa tirade, Joanne souffla un coup. Qu’il était dur d’avoir à répondre à ce genre de demande. « Pour commencer, je ne pense pas que vous êtes le chat noir de vos amis ». Joanne ne trouva pas nécessaire de dire qu’elle aimait les chats noirs, non pour la superstition qu’ils représentaient mais plutôt pour la réputation qui leur collait à la peau. Pauvres chats dont le seul tort avait été de ne pas être né de la bonne couleur. Risible.

« Et puis, cette idée de vous graver sur le corps des runes c’est … » une bonne idée ? Non. Une mauvaise idée ? Eh bien pas vraiment non plus. Ce n’est pas l’idée à avoir, point. « ce n’est pas une idée concevable. Déjà pour la douleur que vous ressentirez, les runes perdront immédiatement en efficacité. Surtout pour le but que vous recherchez, peut-être faudrait-il étudier l’usage d’un talisman éventuellement ? ». La question resta en suspens.

Elle fit une pause, inclina la tête sur le côté comme pour réfléchir. « Vous parlez de prémonition, avez-vous consulté votre professeur de divination ? ». Après tout, Irene était sans doute la plus à même d’aider le jeune garçon dans son cas. Peut-être même pourrait-elle lui faire comprendre qu’il n’était pas responsable de tout cela ? D’ailleurs, Joanne ajouta : « Cessez de penser que vous êtes le problème de vos amis. Malheureusement, parfois, le destin, le hasard, ou plus simplement les gens très mal intentionnés, sont là, et veulent du mal. Peu importe sur qui ça tombe ». Joanne avait l’impression d’avoir un discours rassurant.

Bien évidemment, il n’attendait pas une compréhension et une acceptation immédiate. Il n’était pas étonné de voir Miss Taylor rationnelle, balayant d’une phrase ses idées de malédiction. Il allait devoir être persuasif, mais comment expliquer quelque chose qu’il ressentait sans même comprendre d’où cela lui venait ? Il y avait pléthore de faits en guise d’exemples, mais l’habitude des adultes de minimiser les craintes des enfants promettait de n’avoir comme réponse qu’un enchaînement répétitif du mot « Coïncidence » accompagné de « hasard ».

Il se contenta de hausser les épaules à l’évocation d’un talisman. Bien sûr qu’il y avait pensé, il avait lu de nombreux documents sur le sujet. Mais entre effet trop faible, rayon d’action limité, arnaque présumée ou encore légendes invraisemblables, il n’avait rien trouvé de concluant.

Voilà qu’elle le sortait déjà ce mot, hasard, il n’y avait pas de hasard dans ce qu’il avait traversé, le cumul était trop important. Il grimaça avant de répondre.

"- Comme par hasard, j’embrasse Alice et le lendemain Parkinson débarque et enferme son père à Azkaban, on vit notre première dispute et elle se fait attaquer et défigurer. Ce n’est que quand elle m’a quitté que sa vie s’est améliorée. Maintenant je me rapproche d’Irene, et voilà qu’elle est choisie pour aller dans le Dominion ! Ca fait beaucoup, il y a quelque chose j’en suis sûr. Et oui j’ai consulté Miss Field, j’avais fait un rêve où Alice se faisait brûler sur un bûcher, j’ai ressenti des choses, la veille où Parkinson a pris le pouvoir, j’ai évoqué qu’une telle personne soit à la tête de notre monde. J’ai hésité à suivre des cours de Divination, mais par manque de temps je n’ai pas pu. Et puis par peur aussi… Il avait gardé pour lui cette raison depuis tout ce temps, refusant de se l’admettre à lui-même, mais il craignait d’avoir un don de prémonition vu tout ce que cela pouvait impliquer. Le moindre rêve serait sujet à interprétation, même si celui fait sur Alice était particulier, comme si il avait un contrôle total de lui-même. Il respira un instant pour se calmer avant de reprendre. Oui j’ai pensé au talisman, mais ils ne sont pas efficace si je suis maudit. Oui il pourrait servir à protéger Irene, mais les autres… C’est moi, j’en suis sûr ! La douleur je l’ai déjà, m’inquiéter à chaque instant pour ceux que j’aime… Je n’ai pas peur de souffrir physiquement, j’ai déjà subi plusieurs coups de cognards…"

Il ne reculerait devant rien, pour Alice qui avait subit un tel supplice, pour Irene qu’il voulait protéger, pour sa famille qu’il aimait tant. Il pouvait bien supporter ça, si il était vraiment maudit, cela voulait dire qu’il était responsable de leurs malheurs et la culpabilité était plus dure à vivre qu’un coup de diffindo.

"- C’est pas à vous que je vais apprendre le pouvoir des runes ! Vous n’avez jamais eu envie de tester leur limite ? Je sais que ce n’est pas une chose qu’une professeure peut se permettre de faire, mais je vous le demande, je vous donne mon consentement et vous promet de garder ça pour moi. Il espérait la convaincre avec ces mots, puis une idée sournoise lui vient en tête. Et puis de toute façon, je finirai par essayer tout seul sinon. Ce serait mieux de procéder sous votre expertise."

Elle avait sorti ses meilleurs arguments, elle avait étayé avec un implacable non le refus qu’elle formulait. Même si l’idée pouvait être tentante – entre adultes majeurs et consentants, cela s’entend – il était hors de question que quelque chose du genre se fasse avec un élève. Joanne laissa l’élève lui présenter son laïus, tentant de ne pas en oublier en cours de route : c’est qu’il avait un sacré débit de parole le Martin !

Elle s’apprêtait à ouvrir la bouche pour répondre, mais voilà qu’il était reparti à enfoncer le clou sur sa demande. Joanne laissa un soupir de désapprobation sortir de sa bouche. C’est fou ce qu’on pouvait faire comprendre avec un soupir. « Hmmm, dites-moi si je me trompe mais, vous n’avez pas explicité demander à Harrison de graver votre amie ? ». Une pause. « Vous n’avez pas non plus forcé Miss Gates à mettre son nom dans la fameuse urne, n’est-ce pas ? ». Un sourire de chat se dessina sur les lèvres de l’enseignante. « Vous pouvez penser que vous avez une telle influence sur la vie de vos camarades, vous pouvez essayer ce que vous voulez, mais je ne participerai pas. Sinon, je vous donnerai raison ».

La directrice de Serpentard laissa un petit temps passé puis elle ajouta « Imaginez, j’accède à votre demande, la directrice s’en rend compte, je suis virée de Poudlard, je n’ai plus le droit d’enseigner. N’iriez-vous pas pensé que c’est de votre faute, une fois encore ? Est-ce vraiment l’avenir que vous me voulez ? ». Implacable comme argument.