Comme à son habitude, Arya profita du week-end pour sortir du château et se prêter à son entraînement quotidien d'escrime. Rien qu'une heure ou deux, simplement le temps de se défouler, de libérer tous les sentiments qu'elle gardait en elle. Juste le temps de repousser les fantômes. Juste le temps nécessaire pour garder les pieds sur terre. Le temps de se canaliser. Elle avait si peur de ce qui pouvait se passer si elle se passait de ces entraînements. Elle avait si peur de perdre le contrôle et de faire des choses qu'elle regretterait par la suite.

Elle était donc sortie de sa salle commune avec sa branche à la main, la fameuse branche qu'elle utilisait toujours pour s'entraîner à l'escrime, puisqu'elle ne possédait pas de véritable fleuret, épée, ou sabre. Les gens qu'elle avait croisé dans les couloirs lui avaient jeté des regards en coin, certainement étonnés de la voir se promener avec une épaisse branche en main. Elle ne leur avait pas accordé son attention, même si elle sentait leurs yeux peser sur elle, comme s'ils lui lançaient des pierres invisibles. Elle n'aimait pas attirer les regards, mais ne cherchait pas non plus à les fuir.

Quand elle arriva au parc, le soleil semblait déjà en été. Il projetait ses rayons éclatants sur le paysage d’Écosse, offrant au passage une température élevée. Arya se félicita d'avoir pensé à mettre un tee-shirt. Elle parcourut le parc, à la recherche d'un coin tranquille à l'ombre pour s'entraîner. Mais malheureusement, si lorsqu'elle s'entraînait en hiver, elle avait toute la place qui lui fallait, maintenant que le beau temps était revenu, les élèves pullulaient dans le parc et occupaient le moindre centimètre carré d'ombre.

La Gryffondor fit le tour du parc, ratissant chaque recoin à la recherche la perle rare. La prochaine fois, elle viendrait s'entraîner plus tôt, lorsque tout le monde dormirait. À cette heure-ci, il y avait bien trop de monde. Elle ne s'avoua pas vaincue pour autant ; ce n'était pas ce petit contretemps qui l'empêcherait de s'entraîner. Dans le pire des cas, elle choisirait un coin exposé au soleil, tant pis si elle avait chaud. Mais en attendant, têtue comme une mule, elle ne voulait pas abandonner ses recherches. Elle faisait le tour des arbres dès qu'elle en croisait, et finissait toujours par trouver au moins un élève à l'ombre des branches.

Elle jouait nerveusement avec sa branche, la faisant tournoyer alors qu'elle passait d'arbre en arbre, surprenant toujours les élèves qui s'y étaient installés. Et dire qu'elle était de bonne humeur en se levant ce matin ! Si elle se retrouvait obligée à s'entraîner sous le soleil cuisant, son humeur connaîtrait à coup sûr une chute libre. Il ne manquerait plus qu'elle prenne un coup de soleil.

Elle venait de faire le tour du parc sans rien trouver. Elle décida de refaire le tour une nouvelle fois, au cas où un carré d'ombre se serait libéré entre-temps.

Le verre de la fenêtre était légèrement sale, et l'une des tâches ressemblait à un dragon. Les ailes tendues, la mâchoire ouverte, il semblait prêt à faire feu. Solenn l'observait depuis près d'une minute, le menton posé dans une de ses mains et le regard rêveur. Le silence dans la Bibliothèque rendait l'air lourd, et donnait envie aux élèves de s'échapper. Solenn était de plus en plus oppressée par cette quasi absence de bruit. Elle avait réussi à travailler efficacement aujourd'hui, ayant fini ses deux devoirs restants à la lumière de l'éclair. Elle venait sûrement de briser un record personnel, et même si elle n'aurait osé l'avouer à personne, elle était plutôt fière d'elle. Une situation pareille n'arrivait pas souvent, et cela l'avait mis de plutôt bonne humeur. Elle se demanda ce que faisait Violet à cette heure-ci. Peut-être pourrait-elle la trouver et passer du temps avec des humains. La compagnie de manuels n'était pas des plus agréable. Alors qu'elle se décidait enfin à détacher son regard de la fenêtre, une silhouette progressant à grands pas dans l'herbe du Parc l'interpella. Elle se concentra un peu plus sur cette personne, et reconnut plutôt facilement une certaine Gryffondor *Arya...* Solenn l'avait déjà remarqué plusieurs semaines auparavant. Elle l'avait alors choisi comme nouveau modèle. Elle ne comptait plus le nombre d'élèves qu'elle avait dessiné, même sans connaître leurs noms. Mais Arya était l'une des rares que Solenn avait dessiné plusieurs fois. Cette fille l'intriguait. Elle semblait différente. Différentes des autres. La Serpentard ne pouvait deviner en quoi elle n'était pas comme les autres. Il y avait d'autres élèves comme elle, que Solenn remarquait, comme Charlie Rengan par exemple. Et ces élèves-là, différents, finissaient constamment dans son carnet de dessins.
Une idée effleura Solenn. Pourquoi ne pas sortir ? Il faisait beau, elle pourrait aller s'asseoir et dessiner. Peut-être même aller plus près d'Arya, pour trouver une nouvelle idée... Elle s'entraînait depuis peu à dessiner plusieurs fois les mêmes personnages dans des situations différentes. C'était un travail qui n'était jamais parfait, et qui la fascinait.
Solenn remballa ses affaires rapidement, et s'en alla au pas de course, dévalant les escaliers. Elle sortit alors pour apprécier la température de ce jour de juin. Elle aperçut très vite Arya, et comprit que la jeune fille faisait le tour du Parc, un long bâton à la main. Solenn fronça les sourcils, sans vraiment comprendre. Que faisait-elle avec ce bout de bois ? Avait-elle décidé de frapper des gens ? Refoulant cette idée stupide, elle commença à suivre Arya le plus discrètement possible. De toute façon, elle ne voulait plus travailler de la journée. C'était sûrement une perte de temps, mais là rousse ne s'en souciait pas.

Décidément, les élèves de tout Poudlard semblaient s'être ligués contre elle pour chiper le moindre carré d'ombre et la laisser s'entraîner au soleil sans aucune pitié. Elle commençait à se demander si elle n'essaierait pas d'aller à la salle sur demande pour s'exercer. Habituellement, elle préférait être au grand air, près des arbres, pas enfermée entre quatre murs. Mais entre transpirer à l'ombre des murs de pierre et fondre sous le soleil cuisant, son choix était vite fait. Cependant, elle n'allait pas s'avouer vaincue aussi facilement. Et ce n'étaient pas ces élèves bien trop friands d'ombre qui la feraient fléchir sa détermination.

Elle continua donc son petit manège en grattant un peu l'écorce de sa branche, priant chaque fois qu'elle faisait le tour d'un arbre pour vérifier si son ombre était occupé. Malheureusement, son vœu ne semblait pas vouloir s'exaucer et elle commençait déjà à s’apitoyer sur son sort de devoir rentrer pour s'éviter une insolation. Mais sa volonté ne faiblissant pas – et son déni non plus, certainement – elle fit tout de même un nouveau tour, plus rapide cette fois-ci.

C'est alors qu'elle se rendit compte de la sensation désagréable qui parcourait son dos. Ce n'était certainement pas dû au froid, puisqu'elle avait de plus en plus chaud. Elle continua de marcher à travers le parc un petit moment, juste pour vérifier si la sensation allait s'estomper. Mais elle ne semblait pas partir, alors Arya supposa que quelqu'un devait la regarder. Pas étonnant, avec un peu de recul. Elle avait bien fait une dizaine fois le tour du parc, une branche à la main, elle devait paraître suspecte. Ou bien complètement folle, voire psychopathe. Sans compter les regards noirs qu'elle offrait chaque fois qu'elle croisait des élèves assoupis à l'ombre d'un arbre. Ne pouvaient-ils pas s'assoupir ailleurs ?

La sensation commençait à démanger la Gryffondor, qui, finalement ne put se retenir de se retourner. Elle ne vit personne à première vue, mais n'abandonna pas là son inspection. Elle fit quelques pas, et finit par tomber sur une rousse, devant qui elle s'arrêta immédiatement. C'était elle qui la fixait, elle en était quasiment persuadée.

Le visage de l'Inconnue lui disait vaguement quelque chose, mais elle ne parvenait pas à savoir où elle l'avait déjà vu. Peut-être l'avait-elle simplement croisé dans un couloir. Mais il fallait dire qu'Arya avait une très mauvaise mémoire des gens si elle ne leur parlait pas en face.

« C'est toi qui m'suis ? »

Elle avait adopté un ton cassant. Elle détestait être suivie, comme si elle se sentait espionnée, alors qu'il n'y avait pas de quoi se mettre en colère. Elle avait trop l'habitude de se fondre dans le décor pour apprécier être le centre de l'attention ne serait-ce que d'une seule personne.

La brune continuait de marcher, ses pas étaient toujours pressés et son emprise sur le bâton toujours plus inquiétante. Solenn ne se souciait pas en réalité du caractère dangereux de la plus jeune. Non, elle ne faisait que la suivre pour obtenir un regard, une expression, une situation pouvant être intéressants pour son travail. C'était légèrement égoïste, elle devait bien se l'avouer. Mais elle passait toujours du temps à s'inquiéter pour les autres, dès qu'elle rencontrait quelqu'un dans le besoin ou seulement en pensant à sa famille qu'elle avait décidé qu'elle méritait une pause. L'altruisme était fatiguant et surtout rendait chaque minute de sa vie plus anxieuse qu'elle ne l'était déjà.
Elle sursauta légèrement lorsque l'autre se retourna, mais ne laissa rien paraître. Peut-être qu'elle ne venait pas lui demander d'arrêter, peut-être qu'elle avait décidé de changer d'itinéraire ? Alors, elle continua de marcher plus doucement, faisant comme si elle se baladait dans cette belle journée de juin sans aucune idée ridicule dans un coin de sa tête.
La voix était froide, énervée, et Solenn haussa sans s'en rendre compte un sourcil. Elle ne répondit pas en premier lieu, car une question la taraudait. Devait-elle nier toute accusation, dire qu'Arya était parano et que Solenn était seulement venue ici pour profiter du Parc et du soleil ? Ou devait-elle avouer qu'elle la suivait depuis quelques temps, au risque que la brune ne se mette vraiment en colère...

-Je voulais m'assurer que tu n'allais blesser personne avec ce bâton...

La rousse avait dit ça dans un haussement d'épaule, faussement calme. Elle avait opté pour avouer mais avait préféré garder un soupçon de mensonge. Vu le regard de la Gryffondor, il valait mieux ne pas expliquer qu'elle souhaitait une nouvelle idée pour un modèle. Mais maintenant qu'il était trop tard et que la phrase était sortie, elle redoutait que l'accusation n'énerve pas plus l'autre. *mince*
La Serpentard gardait son regard océan planter dans celui de la jeune, espérant que sa fausse assurance ne dissuade Arya de continuer plus longtemps de parler. La quatrième année n'avait vraiment aucune envie de devoir argumenter là-dessus, surtout que s'enfoncer de plus en plus dans un mensonge n'était jamais une bonne chose. Elle ne pouvait pas déraper et devait contrôler ses paroles. A cette pensée, Solenn ne put s'empêcher de ricaner intérieurement. Elle n'avait jamais été douée pour contrôler son flux de pensées et pour contrôler ce qui sortait de sa bouche. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait regretté d'avoir dit quelque chose en particulier. Cela avait déjà blessé sa p'tite Lune, et peut-être même plusieurs fois. Et sûrement d'autres personnes. Solenn ne savait rien contrôler.

Pendant un moment, la Gryffondor crut que l'Inconnue n'allait pas lui répondre, qu'elle allait se contenter de continuer de la fixer ainsi avant de détaler comme si de rien n'était. Dans ce cas-là, elle aurait peut-être pu reprendre son inspection du parc tranquillement, mais la sensation d'avoir été observé ne se dissiperait pas aussi facilement.

Les épaules d'Arya se détendirent quelque peu devant l'explication de la rousse. Au moins, son intention première n'était pas de l'embêter ou de la déranger, c'était déjà ça. De plus, elle avait conscience que se promener avec une branche en main tout en parcourant le parc de fond en comble n'était pas le comportement le plus sain que l'on puisse trouver à Poudlard. En y réfléchissant, il était même étonnant qu'elle soit la seule à l'avoir suivie discrètement pour tenter de comprendre ce qu'il se passait dans sa tête. À cette pensée, Arya jeta un rapide coup d’œil derrière l'Inconnue, juste au cas où. Mais non, personne d'autre. Bon, il lui suffisait donc simplement d'expliquer à celle-là pourquoi elle se baladait avec une branche et la convaincre qu'elle n'avait aucune intention de blesser quelqu'un. De toute manière, chaque fois qu'elle avait le malheur de frapper quelqu'un, elle n'en avait pas l'intention... Son esprit se repassa la scène avec Alexei, puis Tess, mais elle chassa ces souvenirs en fronçant imperceptiblement les sourcils.

Elle passa sa main dans ses cheveux, les ébouriffant encore plus qu'ils ne l'étaient déjà, puis désigna sa branche en déclarant :

« C'est pas pour blesser quelqu'un. Je l'utilise comme un fleuret. »

Elle aurait très bien pu s'arrêter là, faire volte-face et planter l'Inconnue ici. L'explication lui semblait suffisante, la rousse était très certainement capable d'en déduire ce qu'elle allait faire sans problème. Mais elle n'était pas sûre que cela l'empêche de la suivre ensuite pour vérifier ses dires.

« Je fais de l'escrime, continua-t-elle donc, même si elle n'avait pas très envie de déballer ainsi sa vie à une Inconnue. Je m'entraîne dans le parc, pour pas perdre la main. Et comme j'ai rien à ma disposition, j'utilise une branche pour combler mon manque de moyen. »

Deux possibilités s'offraient à elle, à présent. Soit elle la croyait et la laissait tranquille, soit elle la prenait pour une folle, et ainsi abandonnerait de tenter de la comprendre et la laisserai aussi tranquille. Dans tous les cas, la Gryffondor devrait pouvoir continuer à chercher un petit carré d'ombre pour s'entraîner.

Elle toisa la réaction de la rousse, guettant la confirmation de ses pensées. D'un côté, elle avait envie de la planter là, mais d'un autre, elle voulait savoir également ce qui l'avait poussé à la suivre. Elle resta donc immobile, tout en serrant sa branche dans sa main gauche.

Solenn resta impassible à la réponse de la brune, malgré son ignorance du mot "fleuret". Que pouvait-être un fleuret ? Un bâton de combat ? Pas très rassurant. Solenn aurait-elle vu juste dans l'attitude de la Gryffondor ? Il valait mieux pour la fille que ce ne fut pas ça.
Heureusement, elle continua son explication. Solenn hocha légèrement la tête, appréciant de voir la situation se clarifier. Pourtant, elle ne put s'empêcher de lui demander sans vraiment réfléchir aux conséquences :

-Et donc c'est pour ça que tu fais 20 fois le tour du Parc ? Je crois pas que c'est de l'escrime ça...

De suspicieuse elle devenait désagréable. *m*rde* Solenn n'arrivait pas à comprendre ce qui l'avait poussé à dire cela, mais il était trop tard maintenant. Avec un air gêné, elle rectifia ses paroles tout en passant la main dans ses cheveux :

-Enfin je veux dire que t'as l'air de galérer à trouver un endroit...

On ne pouvait faire plus évident, mais la quatrième année espéra que cela suffirait à se faire pardonner. Elle mit ses mains dans son dos, attendant avec appréhension la réponse de la fille. Elle se reconnaissait bien dans ce manque visible de tact, et cela l'énervait. Ne pouvait-elle pas réfléchir, tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ? Cela lui serait utile, lui éviterait de se détester tout le temps.

Désolé pour le retard...

Quand l'Inconnue lui fit remarquer qu'elle avait fait au moins une bonne vingtaine de fois le tour du parc, Arya se rendit compte à quel point elle devait avoir l'air bête, si elle était observée depuis le début. Puis elle laissa échapper un petit rire, spontanément, plus nerveux qu'autre chose, sûrement pour se garder un semblant de dignité. Non, en effet, l'escrime ne consistait pas à faire des tours de parcs en rond encore et encore. Elle venait seulement de réaliser à quel point elle avait perdu son temps. Peut-être ferait-elle mieux de rentrer au château, à l'ombre, put-être devrait-elle s'avouer vaincu pour aujourd'hui. En plus, elle avait au moins trois devoirs à faire pour la semaine prochaine, dont elle n'avait même pas encore lu les sujets. Elle pourrait se montrer plus sérieuse et aller à la bibliothèque pour travailler et espérer avoir des notes plus correctes que d'habitude. Mais il faisait si beau, ce n'était pas un temps à rester enfermé à travailler... Et elle avait vraiment envie de s'entraîner.

« Non en effet, mais on peut toujours considérer ça comme de l’échauffement , fit-elle en haussant les épaules. »

De l'échauffement, c'était le cas de le dire. À force de faire des tours du parc, elle avait autant transpiré que si elle avait fait une heure d'escrime en plein été. Peut-être qu'elle pouvait considérer ça comme un équivalent d'entraînement, finalement.

L'Inconnue – il fallait vraiment qu'elle s'arrange pour connaître son prénom, à un moment donné – sembla se rattraper, même si Arya ne s'était pas vraiment senti agressée.

« Oui, j'galère, c'est le cas de le dire. J'comprends pas pourquoi tout le monde a soudainement décidé de profiter de la vitamine D. D'habitude je trouve au moins un p'tit coin tranquille où j'embête personne et où personne m'embête. »

D'un geste machinal, elle creusa un petit trou avec sa branche dans la terre, à travers deux brins d'herbes. Communiquer avait toujours été un peu délicat pour elle, alors discuter avec une quasi inconnue n'était pas l'activité la plus relaxante. Elle sentait le besoin de faire quelque chose de ses mains, et se réjouit d'avoir quelque chose sur elle pour jouer avec pendant la conversation.

« J'aimerais croire qu'il y aura moins de monde cette après-midi, mais ça m'étonnerait, continua-t-elle en fronçant le nez et en crispant les lèvres. »

Elle examina de plus près l'Inconnue. Elle semblait plus vieille qu'elle, et maintenant qu'elle se concentrait un peu, elle était quasi persuadée que si elle l'avait déjà croisé, ce n'était pas dans une de ses classes. Finalement, elle prit son courage à deux mains et demanda :

« Au fait, tu t'appelles comment ? J'arrive pas à poser un nom sur ton visage, pardon... »


Vraiment pardon pour le retard !

Heureusement, la brune ne semblait pas vexée du ton de la Serpentard. La Gryffondor se plaignit alors du monde, et Solenn essaya de trouver une raison en haussant vaguement les épaules tout en jetant quelques regards à droite et à gauche :

-C'est bientôt la fin de l'année, les gens doivent avoir du mal à se concentrer...

Le Parc bondé résonnait des voix des élèves, de leurs rires, de leurs cris. Solenn aurait aimé arrêter le temps, pour pouvoir se balader entre les groupes d'enfants, et juste les observer. Rien de bizarre dans sa pensée, elle aimait puiser des nouvelles expressions, des nouvelles idées pour dessiner. Et de plus, si elle laissait le dessin de côté, elle avait toujours aimé regarder les autres. Elle n'était pas une grande oratrice, la rousse était plus du genre à écouter les autres en silence. Elle ne savait jamais trop quoi dire, les mots ne venaient pas si facilement que ça, et étrangement elle tirait un certain sentiment de paix lorsqu'elle était dans un groupe sans y participer.
Si elle était un fantôme, les gens l'oublieraient sûrement sans problème. Elle glisserait sur le sol, slalomerait entre les humains - ou mieux, resterait enfermée dans une tour -, sans qu'on ne la remarque. Elle le faisait déjà bien avec sa forme matérielle. Il y avait juste son corps rond et ses cheveux ébouriffés qui attiraient quelquefois le regard.

Ses yeux se portèrent machinalement sur le trou qu'Arya creusait avec son bâton. Solenn avait aussi une tendance à jouer avec quelque chose pendant les conversations. Souvent, elle prenait un bout de son vêtement, un bouton de son gilet. En ce moment même, ses doigts dans son dos se tortillaient furieusement. La remarque d'Arya lui fit relever la tête, et dans une grimace, elle donna son avis :

-Ca m'étonnerait aussi. Il va sûrement faire encore plus beau cet après-m'...

Il n'y avait presque pas de nuage dans le ciel, et de toute façon ils étaient bien blancs. Ce n'était pas les nuages gris d'ordinaire.
Alors, Arya lui demanda son prénom. Solenn hocha la tête de gauche à droite pour montrer qu'elle ne le prenait pas mal. Elle était même plutôt habituée à ce qu'on ne se rappelle pas de son prénom, mais elle n'allait pas le mentionner là. C'était trop pathétique.

-T'inquiètes. C'est Solenn.

Devait-elle faire semblant de ne pas connaître son prénom ? Ou alors prendre le risque qu'Arya pense qu'elle était une sorte de folle obsédée ? Solenn savait qu'elle imaginait sûrement n'importe quoi, et que la brune ne penserait probablement pas ça, mais elle ne savait pas si elle avait envie de courir le risque.
Alors, elle enchaîna :

-Et toi c'est quoi ?

Voilà ! Ni vu ni connu.
Alors, elle se souvint du début de leur conversation, et dans une petite grimace d'embarras, elle dit :

-Au fait, désolée si je t'ai dérangée. J'étais juste curieuse.

désolée désolée du retard