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28 nov. 2022, 17:59
Cinq pas en arrière  Solo 
— Précédemment : 1 - 2


Du 7 août au 12 août 2047
Chemin de traverse — Londres
Vacances d'été entre la 6ème et 7ème année



Un transplanage maladroit, des images du vieux bar en tête et j’atterris un instant plus tard au Chaudron Baveur. Je m'accorde quelques secondes pour calmer mon souffle étriqué et essuyer mes yeux pleins de larmes. Je me sens encore tremblante de la colère qui m'a fait quitter la maison ; je ressens tout au fond de moi l'envie de frapper quelque chose, n'importe quoi tant que ça apaise légèrement le feu qui coule dans mes veines. Les poings contre les paupières, j'entreprends d'inspirer et d'expirer profondément. J'ignore les rares personnes qui passent près de moi : je sens leurs yeux inquisiteurs posés sur ma nuque baissée. J'ai peur de croiser leur regard et de ne pas résister à l'envie de leur crier dessus comme j'ai crié sur papa et maman. Ne pas penser à eux, surtout pas.

C'est Zikomo qui m'arrache finalement au trou béant de rage mêlé de tristesse dans lequel je suis en train de sombrer. Il me chuchote quelque chose dans l'oreille à propos du comptoir et d'une chambre. Il a raison, je dois me forcer à avancer. Demander une chambre pour avoir un endroit où me réfugier et mettre à plat ce qu'il vient de se passer.

Je m'approche du comptoir, Gallions en main, pour payer une chambre, peu importe laquelle. Pour combien de temps ? Six jours. Le prix m'est annoncé, je grimace — vivre est-il donc si cher ?! — et diminue ma demande. Trois, trois jours c'est bien. Oui, oui, pension complète s'il-vous-plaît, et non je ne veux pas qu'on rentre faire le ménage, laissez-moi tranquille. J'ai l'impression qu'est inscrit sur mon front ce que j'ai fait ce soir. Je suis une sorcière majeure mais pourtant je me sens comme une toute petite enfant qui vient de fuguer de chez ses parents. Je ne cesse de regarder dans mon dos, de peur de voir papa apparaître dans l'entrée ; me ramènerait-il au Domaine par la peau du cou ? L'envie de m'abriter dans ma chambre se fait alors urgente et c'est à peine si je remercie la personne qui me tend ma clé avant de m'enfuir dans les étages.

La chambre qui m'est confiée est aussi simple que j'aurais pu l'imaginer : un grand lit qui grince, des draps qui ne sont pas à mon goût et dont l'odeur m'est désagréable, le plancher qui couine sous mes pas et évidemment la fenêtre qui laisse entrer les rumeurs de la rue. Pourtant, elle me parait être le summum du confort lorsque je la compare à la maison et aux membres de ma famille étouffant qui s'y trouvent. Je viens de passer un mois de vacances épouvantable — par ma faute, peut-être serais-je capable de le reconnaître un jour — et mon refuge sommaire me donne une sensation de liberté comme je n'en ai pas connu depuis plusieurs semaines.

« Tu vas bien ? me demande Zikomo d'une petite voix lorsque je rends à ma valise sa taille normale.
Et toi ? »

Il me connait suffisamment pour savoir que si je réponds à une question par une question, cela signifie que je n'ai pas la moindre envie de parler. Tout comme il m'est assez familier pour que je comprenne qu'il ne va pas bien lorsqu'il plaque ses oreilles sur son crâne comme il le fait actuellement. Nous nous contentons donc de passer la soirée dans un silence pesant entrecoupé par mes simples occupations : vider ma valise et me préparer pour la nuit. Les minutes, les secondes et les heures sont pesantes. Le monde, mon monde, vient de se renverser et je ne sais pas bien si ce que je ressens s’apparente à de l'excitation, de l'horreur ou bien un savant mélange des deux.

29 nov. 2022, 18:23
Cinq pas en arrière  Solo 
C'est la première fois que je passe la nuit seule. Entendre par là que j'ai toujours dormi soit à Poudlard, soit à la maison ou en vacances avec ma famille, soit chez l'un de mes frères, soit chez de quelques très rares amis. Il y a certes Zikomo avec moi mais toute la nuit j'ai conscience des inconnus qui m'entourent et j'ai énormément de mal à trouver le sommeil. La nuit est épouvantable : et si quelqu'un pénètre dans la chambre ? et si papa écume l'Angleterre à ma recherche ? Évidemment, deviner ma destination n'est pas difficile, il n'existe pas mille endroits où se réfugier dans le Londres sorcier. Au final, je jette un sortilège sur la porte de ma chambre, réglant de ce fait l'un des problèmes mais étant toujours empêchée par l'autre de m'endormir. Lorsque je le fais, c'est pour sombrer dans un sommeil fragile entrecoupé de sursauts et de mauvais rêves.

Le lendemain, nous sommes réveillés à l'aube par les bruits du couloir et les allers-retours des clients. Je suis si fatiguée que je ne pense pas à me couper magiquement de tous ces sons dérangeants. Dehors, le ciel se couvre déjà du bleu clair de l'été — la journée s'annonce incroyablement belle et je n'ai aucune idée de ce que je vais en faire. Zikomo est de bonne humeur, il parle beaucoup, pour dire tout et n'importe quoi, preuve qu'il ne m'en veut pas le moins du monde de l'avoir embarqué dans cette affaire. Nous descendons prendre notre déjeuner dans salle commune de l'auberge — je suis trop angoissée à l'idée de voir apparaître papa pour en profiter pleinement.

C'est étrange d'être entourée d'inconnus, de manger mes œufs brouillés et de boire mon thé dans ce lieu non familier. D'écouter tous ces bruits auxquels je ne suis pas habituée. C'est en étant plongée dans ce drôle de quotidien que me vient enfin la sensation d'être vivante, une première depuis des semaines. Mon coeur palpite comme si j'étais heureuse alors que j'ai la tête rempli de brouillard ; mes yeux regardent de tous les côtés, avides de détails étonnants provenant des sorciers et sorcières qui mangent à mes côtés sans savoir qui je suis. Cette sensation est tout bonnement grisante et différente de tout ce que j'ai connu à Poudlard et dans ma vie. Je me sens libre et capable de décider de ce que je veux faire de ma vie et surtout de mes journées. Mon humeur se dégrise légèrement et je vois bien que c'est également le cas de Zikomo. Depuis trois ans qu'il vit à mes côtés, il n'a pas aperçu grand chose de l'Angleterre puisqu'il se cantonne à mon morne quotidien d'étudiante. Je lui découvre une curiosité sans borne pour le style des sorciers et des sorcières anglaises des années 40 qu'il critique avec beaucoup d'humour, ce qui nous permet de terminer notre déjeuner dans une ambiance plus sereine. Zikomo est un compagnon agréable qui sait passer outre mes humeurs sombres et crasseuses. Il n'a pas peur d'exprimer sa joie même quand je fronce les sourcils et il parvient mieux que personne à m'arracher quelques rares sourires même si cet été, l'idée même de sourire creuse un sillon dans mon coeur.

D'un accord commun, Zik et moi décidons de ne pas nous balader du côté sorcier pour le moment. Je déniche au fond de ma valise l'un de ces pantalons bleu que les moldus nomment jeans et une chemise tout ce qu'il y a de plus banal. Le reflet que me rend le miroir lorsque je me poste devant ainsi accoutrée est affreux : c'est celui d'une moldue un peu dépassée qui ne sait que faire de ses deux mains.

« Tu perds beaucoup en charisme ! » me chambre Zik.

Il se marre beaucoup moins lorsque je lui rappelle qu'il ne pourra pas sortir le moindre morceau de museau de mon sac s'il ne veut pas finir dans l'un de ses laboratoires moldus dans lesquels ils déchiquettent les animaux pour Merlin sait quelle raison.

Je glisse ma baguette entre mon jeans et mon ventre, et pour la première fois depuis des années, je sors dans le Londres moldu.

02 déc. 2022, 09:12
Cinq pas en arrière  Solo 
La dernière fois que je me suis baladée dans le Londres moldu, c'était lorsque j'étais chez Narym, quand il vivait encore ici. Cela remonte à quelques années. Je ne sais absolument pas dans quel quartier se trouve le Chaudron Baveur : en sortant dans la rue, je me prends en pleine face le bruit des moteurs, des sirènes et la frénésie hâtive des passants. Il me faut un instant pour dépasser cette confrontation avec l'inconnu et me mettre en marche. J'entreprends de cartographier mentalement les rues par lesquelles je passe pour ne pas me perdre. J'avance tout droit, toujours dans la même direction. Je ne bifurque de mon axe qu'en de rares occasions, lorsqu'une devanture m'attire l'oeil ou qu'une odeur me rend curieuse. Comme je n'ai pas d'argent moldu, je me résous à observer sans ne rien acheter, ce qui n'est pas plus mal puisque je sais que ce monde a moins à m'offrir que celui duquel je viens. Il y a de nombreux objets qui attisent malgré tout ma curiosité. Je n'en connait pas la plupart, les cours d'Étude des moldus n'étant pas suffisant pour que je sois à l'aise avec ce monde.

Le comportement de ces derniers m'intéresse suffisamment pour que je perde plusieurs heures à les observer avec Zikomo ; assise dans un parc, mon sac sur les genoux pour entendre plus facilement ses commentaires, je les regarde passer devant moi avec leur jeans et leur portable, tout en me demandant s'ils ont conscience de la malchance qu'ils ont d'être nés dans le mauvais monde. De loin, ils ressemblent aux sorciers. Ils sont bruyants, parfois amusants et même agaçants. Eux non plus ne s'écartent pas assez vite dans la rue, ils me bousculent s'ils me trouvent trop lente, râlent pour des choses de moindre importance et m'approchent même pour me poser des questions comme s'ils s'avisaient que j'avais envie de les renseigner.

Il y a eu ce jeune homme, aussi charmant qu'encombrant, qui m'a arrêtée avant que je ne pénètre dans le Lincoln's Inn Field pour me demander si l'Argyle se trouvait plutôt par ici ou plutôt par là. Peut-être devais-je avoir l'air d'une parfaite londonienne car il a semblé surpris lorsque je lui ai dit que je n'en savais rien — à vrai dire, je n'avais pas la moindre idée de ce dont il me parlait.

« Mais si, l'Argyle ! Le pub, vous savez ? Avec sa jolie façade noire ? »

Il avait un accent très marqué qui m'en a rappelé un autre mais aujourd'hui encore je suis incapable de deviner lequel — heureusement car cela m'aurait glacé le sang dans les veines de trouver un peu de Charlie dans la voix de ce moldu.

« Non, je ne vois pas. Je ne suis pas d'ici, » lui ai-je dit pour qu'il me laisse tranquille.

Je ne suis pas d'ici, je ne suis pas de ton monde.
J'ai rapidement compris, lorsqu'il m'a demandé d'où je venais, qu'il me fallait m'en débarrasser rapidement si je ne voulais pas me le coltiner pour la journée. J'ai pris congé en lui avouant sans détour ne pas avoir envie de discuter avec lui et il m'a laissé partir non sans me demander au préalable de lui donner mon numéro. Voulait-il parler de mon numéro de compte chez Gringotts ? Ce même numéro que je ne connais pas puisque même si j'y ai accès depuis mes dix-sept ans, il ne m'a jamais servi ? Ma foi, je n'en ai aucune idée mais ce jeune homme est repartit à la recherche de son pub sans ne rien avoir de moi.

Londres me met mal à l'aise : je ne suis pas habituée à me passer si longtemps de ma baguette magique et le bruit sans fin de leurs véhicules me donne mal à la tête. Où que je me trouve dans la ville, il y a un bus ou une voiture pour passer près de moi. J'ai passé la journée à avoir peur que l'une de ces grosses choses quitte la route pour me percuter : qu'est-ce qui les en empêchait, après tout ? Ces engins bruyants s'attirent mon antipathie déraisonnée, chose que je n'ai pas caché pas à Zikomo qui m'a avoué partager mes sentiments. Nous rentrons en début d'après-midi au Chaudron, épuisés et l'estomac sur les talons, mais je me sens riche d'un sentiment de liberté qui n'a d'égal que le détraqueur qui règne sur mon coeur depuis le début des vacances scolaires.

Je passe le reste de la journée à étudier grâce aux quelques livres que j'ai emportés et à mettre au propre les notes nées de mes réflexions quotidiennes à propos de la magie.

Quelle surprise de voir apparaître une fois la nuit tombé un Nyakane translucide ! Il traverse le mur de ma chambre comme s'il savait depuis le début que je me trouvais là. l se pose sur mon lit comme si de rien n'était, aussi noble qu'à son habitude.

« Ta famille est très inquiète. »

Cette phrase me fait oublier la culpabilité qui commençait à poindre le bout de son nez à l'idée de l'avoir purement et simplement oublié à la maison.

« C'est pour ça que t'es là, répliqué-je méchamment, toute ma mauvaise humeur retrouvée, pour me faire la morale ?
Non, répond-t-il sur le ton neutre qui est toujours le sien, mais je ne cautionne pas ton comportement immature. » Après un instant de silence, il ajoute : « C'est auprès de toi que j'ai envie d'être et que je dois être, alors me voici. Si cela te dérange, dis-le moi : tu sais bien que j'ai d'autres endroits où aller. »

Sa dureté et sa confiance me donnent envie de lui dire de dégager, juste parce que j'en ai le pouvoir et que je veux me convaincre que je peux me passer de sa présence et surtout de ses réflexions agaçantes sur mon comportement. Mais je croise le regard de Zikomo et devine à l'étincelle d'inquiétude que j'y trouve son envie de voir son ami rester. Surtout, je trouve dans son regard le reflet de ce qui sévit dans mon coeur : l'envie que rien d'autre ne change dans ma vie et donc que Nyakane reste près de nous. Je me suis habituée à ce qu'il soit là, je n'ai aucune envie de vivre un bouleversement de plus cet été.

« Reste. »

Ce simple mot est suffisant pour qu'il s'installe comme s'il n'avait pas passé les dernières vingt-quatre dernières heures loin de nous. Je ne lui demande rien à propos de ma famille et il n'aborde pas le sujet de lui-même, ce qui m'arrange. Je n'ai pas envie de songer à eux même si je sais qu'il me faudra bientôt le faire. Le prix exorbitant que me coûte la chambre et les repas me le prouve. Dans mon compte chez Gringott repose une somme plus que raisonnable qui me permettrait de vivre comme je le voudrais jusqu'à la rentrée et de ne pas faire une croix sur mes projets futurs sans que cela ne fasse diminuer de trop le pactole que m'ont mis de côté mes parents toutes ces années. Mais justement... Il s'agit de leur argent. Je préfère vivre sur ce que je considère comme "ma" fortune, c'est à dire le contenu de ma vieille tirelire que j'ai brisée sans état d'âme en quittant la maison. Et c'est là que réside le problème. J'ai beau ne pas être très dépensière, l'argent de poche amassé ces dernières années n'est guère élevé. Si je continue à vivre au Chaudron Baveur jusqu'à la fin du mois, durant trois bonnes semaines donc, tout en comptant mes fournitures scolaires que je devrais évidemment me payer, je peux faire une croix sur le voyage en Afrique que je veux m'offrir l'an prochain.

En ce deuxième jour de ce que j'appellerai par la suite mes "jours de liberté", je n'ai aucune envie de penser à tout cela et je ne le fais donc pas. Je préfère profiter du calme relatif du Chaudron Baveur et de la possibilité de faire ce que je veux de mes journées sans avoir à prévenir qui que ce soit de mes allers et venues ; c'est un luxe non négligeable dont j'ai envie de profiter sans limite.

03 déc. 2022, 14:17
Cinq pas en arrière  Solo 
Vivre seule me donne d'étranges idées. Il n'y a pas à dire, la famille prend énormément de place. Ce n'est qu'une fois loin d'eux que j'ai conscience de tout le temps qu'ils occupent dans ma journée. Rien que pour les repas, les discussions, les taches ménagères qu'ils m'obligent à faire... Désormais débarrassée de toutes ces corvées, je me retrouve avec un temps libre exponentiel qui me laisse certes la liberté de me promener de tout mon saoul sur le Chemin de Traverse ou dans le Londres moldu mais qui m'offre également de nombreuses heures vides que je remplis à ma plus grande horreur en cogitant sur des sujets auxquels je n'ai pas envie de penser. Être seule m'apporte un bonheur tout particulier qui s'oppose en tout point à la solitude que je ressens quotidiennement depuis plusieurs semaines.

Que je sois sur le Chemin ou dans les rues moldues, je me demande à chaque moment de la journée ce qu'elle fait, elle, la sorcière noire qui a très certainement quitté le pays depuis plusieurs semaines désormais. Je me demande ce qu'elle dirait si elle me savait libre de mes mouvements. Et ce qu'elle penserait de moi si je lui envoyais un hibou du type : « Je suis libre de mes mouvements, allons visiter le monde et ses limites ». Lorsque ces pensées me viennent, je m'en veux très fort. Je m'en veux de penser à elle et d'avoir envie d'avoir une preuve qu'elle pense également à moi qu'elle a abandonné avec tant de facilité. La colère revient alors aussi vive qu'autrefois et je me rappelle que je la déteste et que j'ai fait une croix sur elle. Je me le répète à tout bout de champ : elle n'existe plus. Sauf qu'elle existe de partout autour de moi, dans chaque femme à la coupe carrée que je croise, dans chaque sorcière portant sur le visage ce petit quelque chose de hautain et de puissant, dans chacune de mes recherches. Et à chaque moment de la journée, j'oscille un peu plus entre le bonheur fragile que je ressens et la colère noire qui est la mienne depuis des semaines et qui dévore tout sur son passage.

Comme si mes malheurs étaient liés, j'en viens toujours à penser à Elowen qui doit profiter de son été avec son innocence toute particulière sans penser à moi une seule seconde. J'ai mis un point d'honneur ces dernières semaine à ne pas songer à elle de peur que me prenne l'idée de ressentir de la tristesse de ne plus l'avoir dans ma vie. Aussi suis-je surprise de la trouver dans ma tête non pas avec colère mais avec une certaine forme de nostalgie : l'été dernier à la même période, j'étais chez elle. J'ai passé un weekend entier à Delnabo et bien que ce moment n'ait pas été aussi studieux que je l'aurais aimé, je mentirais si je disais que je n'avais pas apprécié mon séjour — Elowen et sa vie en général est d'une insouciance qui, à petite dose, est rafraîchissante. J'ai d'excellents souvenirs de mon séjour dans la famille Livingstone.

Un après-midi que je suis chez Fortarôme me prend l'envie de passer un moment en sa compagnie. Évidemment, je refrène du mieux que je peux cette pulsion puisque mon dernier échange avec la Serdaigle s'est plutôt mal terminé mais c'est plus fort que moi : j'y pense toute l'après-midi, si bien que lorsque la journée touche à sa fin mes pensées ont évolué jusqu'à ce que j'évoque l'idée de me présenter chez elle juste pour la voir. Juste parce que j'en ai le pouvoir, littéralement : ce n'est rien pour moi de transplaner en Écosse, de faire l'aller-retour dans la journée juste pour une parenthèse en compagnie de la rousse.

La dispute qui nous a séparé en début d'été est pour moi d'une immaturité incroyable, si bien que je peux l'effacer simplement et pardonner à Elowen de ne pas avoir cherché à me comprendre. Elle me pardonnera également de m'être montrée froide et distante, n'est-ce pas, puisqu'elle dit m'aimer et être attachée à moi ? Au fil des heures, je finis par m'en persuader et l'envie d'aller la voir se fait de plus en plus forte. Mais c'est une chose plus forte encore qui m'empêche de transplaner dans la seconde pour aller la rejoindre. Une peur irrationnelle qui ne veut pas me quitter : et si elle me pardonnait effectivement ? Et si elle revenait et si tout reprenait comme avant ? Que se passera-t-il alors ? Ce n'est qu'une question de semaines ou de mois pour qu'elle finisse, comme tous les autres, par me trahir, parce que les gens sont comme ça. J'ai du mal à penser à elle sans songer à ce que sera l'avenir. Et le futur me parait si sombre que lorsque je me tourne vers lui, je me confronte de nouveau à cette colère qui me donne envie de tout exploser, juste pour retrouver un semblant de paix.

04 déc. 2022, 09:50
Cinq pas en arrière  Solo 
Ces pensées contradictoires coïncident avec la réalité douloureuse qu'il va bientôt me falloir un nouvel abri. Ma bourse a effectivement diminuée de moitié et ces dépenses imprévues me mécontentent énormément. Je n'ai pas voulu considérer l'idée mais après avoir réservé deux nuitées de plus au détriment de nombreux Gallions, je me rends à l'évidence : il va me falloir demander asile à un proche si je veux continuer à vivre loin de mes parents sans pour autant dilapider mon pauvre pécule.

L'idée m'est très douloureuse parce qu'elle malmène purement et simplement ma fierté. J'ai conscience du fait que personne ne voudra m'accueillir après ce qu'il s'est passé avec les parents. Surtout que mes seuls proches, et c'est la première fois que je m'en rends réellement compte, sont mes frères. Je n'ai personne d'autre sur qui compter, personne.

Il n'y a aucun moyen pour que j'aille voir Zakary qui, de une, vit chez Lounis, et deux, s'empressera de me faire transplaner au Domaine dès qu'il mettra la main sur moi. Mes deux autres frères vivant à la même adresse que moi, ne reste plus que ce bon vieux Narym qui, il y a cinq ans maintenant, m'a déjà hébergé lorsque j'ai fugué de la maison. Mais aujourd'hui, ce n'est pas une fugue ! C'est plutôt un retrait mature et adulte afin de préserver ce qu'il reste de ma relation avec mes parents — c'est du moins ce que je compte dire à Narym. Je sais que mon grand frère ne sera pas le dernier à me faire la leçon mais il ne me refusera pas le gîte.

Le mercredi qui suit, cinq jours après mon arrivée, je prends la décision de quitter le Chaudron Baveur. Un double objectif m’encourage à faire mes valises ce matin-là : la prise de conscience douloureuse de ne pas avoir l’argent nécessaire pour rester plus longtemps et une envie aussi soudaine qu’urgente qui ne me quitte pas depuis quelques jours. D’abord pensée en arrière fond de mon esprit qui me chuchotait ses souhaits honteux, elle s’est fait plus concrète au fil des heures pour finalement se finaliser au réveil, après un rêve durant lequel Elowen m’a apparu plus clairement que jamais. Pas de grande silhouette sombre aux yeux de glace cette nuit, seulement le rire de la jeune femme et l’éclat rougeâtre de sa chevelure.

04 déc. 2022, 09:54
Cinq pas en arrière  Solo 
En ouvrant les yeux, j’ai été envahie par un terrible effroi : et si jamais je ne le revoyais ? Cette peur n’avait rien de cohérente mais elle était bel et bien réelle et refusait de me lâcher. Je me souvenais de notre quotidien ensemble, de nos quelques moments. Étrangement, j’ai eu du mal à invoquer un grand nombre d’images mais quelques souvenirs tournaient en boucle : une discussion à propos de la magie auprès du lac noir, l’un de ces moments durant lesquels aucune mauvaise chose n’est venue nous déranger ; et une fois à la bibliothèque, une fois parmi tant d’autres où je travaillais tandis qu’elle dessinait près de moi. À force de tourner en boucle dans mon esprit, j’ai fini par me demander pourquoi je m’infligeais une solitude que je ne souhaitais clairement pas à ce moment-là.

Tu sais transplaner, me suis-je dit, et tu sais également où elle habite. Qu’est-ce qui m’empêche d’aller la retrouver ? J’ai pris le temps de réfléchir à la question mais la réponse, elle, n’a pas été longue à arriver : rien. Rien ne m’empêche d’y aller si c’est ce que j’ai envie de faire. Nos derniers mots échangés ? Ils ne sont plus que brouillard dans ma mémoire ; ils n’ont guère de forme, guère d’intérêt. Elle pardonne tout, Elowen. Elle n’est pas du genre à s’apesantir sur ce genre de choses négatives. Ma colère était justifiée alors elle la comprendra, elle l’a sans doute déjà compris et elle attend désormais que je fasse le premier pas.

L’idée que tout cela soit vrai m’apporte un bonheur si grand, si agréable comparé à tout ce que je vis ces dernières semaines que je n’ai aucun mal à m’en persuader si fort que j’en viens à me moquer de moi-même d’être restée loin d’elle si longtemps. Et pourquoi ? Les raisons s’embrouillent dans mon esprit : il y a ce détraqueur qui avale toute ma joie depuis des semaines. Elowen représente dorénavant un futur qui m’apparaît bien plus clair et dénué de toute difficulté : aucune prise de tête avec elle et aucun risque de me retrouver seule puisque son corps cache un coeur déraisonnablement gros qu’elle semble prête à me donner. N’est-ce pas là une raison suffisante pour le faire, ce premier pas ? Histoire de sauvegarder ce minuscule bonheur qui occupe un coin de mon esprit ?

Je transplane dans la foulée, ma valise rapetissée dans ma poche et aussi seule qu’on peut l’être. Zikomo et Nyakane resterons ici le temps que je fasse ce que j’ai à faire. J’espère que je pourrais leur sourire lorsque je reviendrai.

Mais je sais déjà, si j’écoute la petite voix dans ma tête, que ce ne sera pas le cas.