Le grand loto des sorciers (image supprimée dès le 22/09)





Aujourd'hui, Agatha avait rangé son bureau. Les feuilles parfois négligemment étalées étaient soigneusement empilées, et pas une trace de chat ne subsistait. Le tout faisait très ordonné, et la gérante ressentait la grande satisfaction que procure un rangement rapide qui parait efficace. Tout était prêt pour recevoir Sigmund, ami avec lequel elle allait cette fois faire affaire. Elle n'avait pas oublié la soirée du Nouvel An, et le mois des fiertés l'avait poussé à demander au détour d'un hibou si la grande Muna Cha Cha consentirait à se produire au Chaudron Baveur. Secrètement, Agatha considérait son bar un peu plus haut dans l'échelle de respectabilité que le sulfureux pub de l'allée des embrumes de la dernière prestation.

Même si la rencontre etait pour organiser l'évenement, Agatha en profiterait évidemment pour papoter avec le professeur, qu'elle n'avait pas vu depuis longtemps. Lorsqu'elle avait découvert que son vieil ami, Sigmund Charleston, quiquagennaire bien installé entre ses plantes et son petit fils, se produisait en tant que drag queen, l'ancienne detective privée avait été surprise. Ca, elle ne l'avait pas vu venir.

Enfin bon, il semblait être assez doué -pour le peu de show qu'Agatha avait déjà vu- et elle était ravie de pouvoir aider le botaniste a arrondir ses fins de mois. Un marché gagnant gagnant, en somme.

L'ayant attendu derrière le bar, Agatha amena Sigmund à son arrivée directement à son bureau. Elle servit deux tasses de thé, et sourit.

- Alors, raconte, comment vas tu ces derniers temps ? Qu'est-ce que tu prévoierais pour cette fameuse soirée ?

Se produire au Chaudron Baveur, c'était une opportunité rare pour un petit artiste familier des bars sombres et douteux de l'allée des embrumes. Sigmund avait le trac : il ne faisait nul doute qu'Agatha, en souvenir de leur bonne amitié, lui avait fait une fleur. Maintenant, il avait la lourde tâche de se montrer à la hauteur de ses attentes : il était hors de question de décevoir son amie et cliente de quelques jours. Il portait l'habit élégant de l'entretien précédant une prestation. La masculinité était discrète et camouflée pour coller au personnage qu'il incarnerait, mais ses vêtements étaient suffisamment passe-partout pour ne pas attirer les regards. Seule sa moustache se démarquait réellement, teintée de paillettes pour l'occasion.

Malgré la familiarité d'Agatha, il devait montrer un certain professionnalisme. Qu'il laissa tout de même tomber l'espace de quelques secondes, le temps de la serrer très chaleureusement dans ses bras.

« Merci pour ton invitation, Agatha. Ton bureau est tout cosy, c'est incroyable ! »

Sur son invitation, il prit place dans un fauteuil et accepta avec plaisir le thé offert.

« J'ai l'impression que les lieux ont encore changé depuis mon dernier passage. On dirait que tout se passe bien pour toi. » commença-t-il en portant la tasse à ses lèvres. Il souffla sur le breuvage chaud. « Si tu savais comme une pause est bienvenue. Les périodes d'examens sont rudes à Poudlard, nous devons assurer leur bon déroulement tout en gérant en même temps les corrections des copies. Ces dix derniers jours ont été intenses. »

Il reposa sa tasse après avoir bu une gorgée de thé et saisit sa sacoche, à la recherche d'un classeur qui ne tarda pas à rejoindre la petite table face à lui. Il glissa ses lunettes sur son nez en prévision de la petite lecture qui s'annonçait.

« Pour la soirée, ça dépend des prestations que tu souhaites. Comme je t'expliquais dans notre correspondance, je peux faire du lip-synching et de la danse, de la comédie, des imitations et je peux aussi faire des animations. L'organisation est différente si tu prévoies plusieurs artistes ou si tu veux que j'anime la soirée seul. En général dans ce cas, je pars sur une prestation d'1h30, découpée en deux créneaux de 45 minutes avec une pause entre temps. »

Il poussa quelques feuilles vers elle. « Je t'ai préparé plusieurs devis. »

Visiblement, Sigmund avait fourni un effort vestimentaire particulier. Secrètement amusée par la moustache désormais pailleté, Agatha put faire passer son sourire durant l'étreinte, et accepta avec plaisir le compliment sur sa pièce de travail.

- Merci, contente qu'il te plaise !

Imaginer Sigmund faire passer des examens était fort amusant. Pour Agatha, c'était plus le genre d'adulte à se plier en quatre pour la réussite des élèves, quitte à les aider plus qu'il ne l'aurait La gérante voyait bien un Mr Charleston apportant des petits gateaux aux élèves entre les épreuves, voir soufflant une réponse à une élève en évidente difficulté. Le genre de prof de botanique qu'elle aurait, elle, en son temps, apprécié. D'ailleurs, il n'était pas exclut que cela ne se soit pas passé, mais la tenancière de l'auberge préféra ne pas risquer de s'aventurer sur ce sujet en posant plus de questions.

- Pauvres élèves.

Elle repris son sérieux lorsque Muna Cha Cha sortit ses devis de son sac. Les affaires reprennaient. Elle apprécia le professionnalisme de Sigmund et la préparation des différents devis. Tentée de sortir elle même ses lunettes de ''lecture'' par mimétisme, elle opta pour survoler du regard chaque feuille.

- Tu serais seul à animer. Le format de deux fois quarante cinq minutes me paraît parfait. Mon objectif est de te permettre de performer tout en gardant le show accessible aux familles. Je ne veux pas dissuader des parents avec enfants plutôt jeunes à passer par ici, et au contraire, de leur permettre de découvrir l'expérience sans devoir se soucier de garder les enfants autre part.

La gérante disposa les feuilles sur son bureau de manière à avoir une vue globale sur l'ensemble, attendant de voir les propositions de son ami.

Sigmund tiqua légèrement quand son amie et employeuse mentionna sa volonté d'accessibilité aux familles. L'indication le renvoyait à certains propos tenus par des sorcières et sorciers qui considéraient le drag (et c'était sous-jacent, les problématiques LGBTQI+ associées) comme quelque chose de honteux et réprimable qu'il fallait à tout prix dissimuler aux enfants. S'il ne connaissait pas Agatha un peu plus, il se serait probablement braqué, mais elle était son amie et il la savait dénuée de toute mauvaise intention. Sur le moment, il ne fit simplement pas le lien avec le fait que sa remarque pouvait être liée aux lieux dans lesquels il performait habituellement.

Pour Sigmund, l'accessibilité de ses spectacles allait de soi. Les seules choses qu'il modérait selon son public étaient le vocabulaire employé et les messages politiques camouflés. Considérant les profils très variés fréquentant le Chaudron Baveur, il devait faire sa politique bien plus discrète pour ne pas bousculer le public et trahir la confiance d'Agatha. Il ne ferait passer qu'un message global de tolérance et d'acceptation des autres -y compris concernant les statuts de sang, il ne pouvait faire autrement.

« Ne te fais aucun souci. Et j'ai l'habitude de faire du spectacle devant les enfants, tu ne sais pas ça ? » plaisanta-t-il en référence aux cours qu'il donnait en tant que professeur. Considérant l'énergie qu'il fallait parfois déployer pour intéresser certains élèves à ses cours, cela relevait également de la performance.

« Pour le format d'une heure trente, c'est un peu plus de préparation de mon côté. Ça sera plutôt ce devis-là. » indiqua-t-il en poussant légèrement l'une des feuilles vers son amie. Il avait eu du mal à fixer ses prix, tiraillé entre la volonté de respecter son propre travail en s'offrant une rémunération à la hauteur des efforts fournis, et celle de faire un prix d'amis à celle qui l'avait si chaleureusement accompagné pendant sa scolarité. Il avait finalement fixé une sorte d'entre deux et bien que la somme demandée était plutôt rondelette, il n'avouerait pas qu'elle était tout de même inférieure à ce qu'il avait requis dans d'autres établissements. (à partir du moment où il avait commencé à être un peu reconnu dans le milieu, parce qu'au début, il n'était payé qu'avec deux ou trois pourboires et des propositions déplacées de quelques vieils hommes ivres...)

Agatha n'avait jamais jamais su régir à quelque chose qu'elle trouvait drôle, sans que cela en soit à éclater de rire. Elle aurait aimé pouvoir produire ce petit rire élégant traduisant cette sensation, mais à la place, elle en était réduite à sourire.

- C'est vrai que je serais très curieuse de pouvoir assister à un de tes cours de botanique.

Elle avait beau essayer, Sigmund et la profession d'enseignant de botanique lui semblait difficilement concevable. Certes il était adorable avec les enfants, mais Sigmund avait tendance à donner de trop de crédit à tous. En l'imaginant faire la discipline, elle souriait sans s'en apercevoir. Retrouvant son sérieux, elle examina la feuille que Muna Cha Cha lui tendait. Le prix était certes une petite somme, mais elle s'attendait à plus. Sentait qu'il lui faisait déjà une fleur, il était hors de question pour Agatha de négocier. Le devis lui convenait, elle n'avait pas besoin de plus se compliquer la vie. Stéphanie, les factures, la paperasse, la politique du Conseil de Sorcier et Izel lui suffisaient amplement.

- C'est généreux de ta part, ton devis me semble parfait. Si tu es partant, on peut opter pour celui ci.

Et si quelques grincheux du Conseil débarquaient ? Agatha ne les redoutait pas, et avait bien l'intention de ne pas les laisser gagner au Chaudron, mais c'était une perspective de problèmes supplémentaires. Les gens sont pénibles, et Herbert n'est plus là pour adoucir le tableau.

« On peut intégrer un peu de botanique dans mon show, si tu veux ! » lança-t-il sur le ton de la plaisanterie alors qu'Agatha manifestait l'envie d'assister à un de ses cours. En réalité, maintenant qu'il enseignait depuis plusieurs mois à Poudlard, il se devait d'être un peu plus discret pour ne pas être reconnu... non pas que ses activités annexes soient honteuses, mais il faisait ça pour ajouter du beurre dans les épinards ! Déjà que Poudlard semblait avoir du mal à garder ses enseignants sur le long terme, il ne fallait pas que la rumeur d'un piètre salaire se diffuse dans la société sorcière, pardi ! (Bon aussi, Sigmund dépensait sans compter...)

La lecture du premier devis semblait convenir à Agatha. C'était que le papier faisait bien sérieux ; Sigmund pouvait compter sur Diarmad ou Evelyn pour mettre en forme ces formalités administratives. En général, le professeur de botanique n'avait plus qu'à s'habiller, monter sur scène et s'amuser ! Bon, les devis, c'était récent aussi... au début, il performait gratuitement. De nombreux bars assuraient que le payer « avec un peu de pub et un verre gratuit au comptoir » étaient amplement suffisants ; mais depuis quelques temps, ses clients se montraient plus sérieux au fur et à mesure qu'il se faisait un petit nom dans le domaine. Les gallions allaient ruisseler quand il serait la plus grande drag queen sorcière de Grande-Bretagne ! (spoiler : non). « Tout est parfait, alors. Vous avez des loges, un endroit où je pourrais me changer et me maquiller ? » demanda-t-il avec enthousiasme.