Alix descendait presque à l'aveugle les escaliers, son regard collé au carnet qu'il tenait à la main. Il notait à toute vitesse quelques idées d'histoires qui venaient de lui passer à l'esprit. Ne rien oublier... Surtout ne rien oublier. Si ça venait qu'à arriver ça allait lui torturer l'esprit toute la journée.
Le jeune serdaigle faillit rater la dernière marche mais à l'aide d'une merveilleuse pirouette, il réattérit sur ses deux jambes, le nez toujours dans ses notes.
Dépassant sans réfléchir des dizaines de couloirs et plusieurs bandes d'élèves, Alix se dirigeait sans même se rendre compte vers le parc.
Et...protagoniste restant dans l'ombre de son égal, point.
Le garçon s'arrêta et observa son travail. La page de son carnet était remplie de note, parfois presque illisibles mais il en était fier. C'est son carnet à idées.
D'une humeur enjouée, Alix décida de poursuivre son bonhomme de chemin sans vraiment savoir où il était. Seule indication : une porte devant menait vers l'extérieur. Peut-être pour aller au lac ?
Sans y réfléchir d'avantage, il sortit.
Etonnement, il reconnu immédiatement où il se trouvait. On pouvait apercevoir ces grands dômes de verre depuis le dortoir. Mais malgré tout, le jeune sorcier n'avait encore jamais mit les pieds dans les serres.
Alix ralentit le pas et rangea son carnet dans son sac pour être libre de ses mouvements. C'était un endroit assez particulier avec ces espaces spécialement dédiés à certaines choses en particulier. En fait, ce n'était pas vraiment les serres en elles-mêmes qui laissaient Alix presque sans voix, mais plutôt le calme et l'atmosphère presque feutrée qui en dégageait.
Le jeune garçon pénétra dans une des serres, ne sachant pas vraiment si il avait le droit d'être là. Penchée vers un bassin, il remarqua une silhouette assez petite. S'attendant tout d'abord à voir un professeur, il sursauta presque en remarquant qu'il s'agissait d'un élève -qui de plus semblait de la même année que lui- qui observait quelque chose dans l'eau. S'approchant sur la pointe des pieds, Alix vient se placer silencieusement à côté du garçon et remarqua une grenouille.

"- Depuis combien de temps tu l'observes ?"

La question sortit bruyamment, brisant le calme et faisant grimacer Alix qui voulait chuchoter.

"- Désolé, il répéta sa question dans un murmure. Depuis combien de temps t'es là ?"

Immobile, accroupi, près d'un bassin, Brynn observait les grenouilles. La plupart se tenaient sur le rebord, ou perchées sur un des végétaux aquatiques présents dans cette petite retenue d'eau, mais l'une d'entre elle se tenait au milieu de rien, les quatre membre écartés, comme une étoile qui n'aurait que quatre branches. Elle flottait là, les pattes arrières légèrement plus profondes que le reste, l'air totalement bien, dans son bassin. Absorbé par les petits batraciens, le jeune Poufsouffle se sentait captivé par leurs yeux. C'était beau, des yeux de grenouille.

Comme les grenouilles, d'ailleurs, le petit garçon se sentait parfaitement bien. L'ambiance chaude et humide de la serre où il se trouvait l'englobait, et il y avait un petit je-ne-sais-quoi dans l'air qui satisfaisait ses narines. Le clapotis bruyant de la cascade et les petites gouttes brumeuses que cette dernière provoquait venaient s'ajouter au tableau, remplissant ses sens. Ne restaient alors que ses yeux, qui s'enivraient de grenouilles.

Autour du petit Poufsouffle, il y avait pourtant foule d'autre choses à observer, à commencer par un arbre à chocolat et des plantes qui avaient l'étrange capacité de bouger, de leur propre volonté. Après tout, Brynn n'avait jamais été dans une forêt tropicale et les serres de sa famille n'étaient pas aussi sophistiquées que celles-ci, alors il n'y avait que des choses à découvrir, autour de lui. Cependant, l'heure était aux grenouilles. Le reste viendrait plus tard : après tout, il avait le temps.

Absorbé par son observation et les oreilles remplies de clapotis, Brynn n'entendit pas les petits sons qui auraient pu trahir le fait qu'il n'était plus seul, dans la serre tropicale. Le seul signe avant coureur fut pour lui la disparition soudaine de la grenouille-étoile de mer. Il ne comprit cependant pas ce qui avait motivé sa fuite avant d'entendre une voix humaine rompre brusquement le silence :

« Depuis combien de temps tu l'observes ? »

Une sorte de piaillement aigu s'échappa du petit garçon, qui sursauta, tandis que trois grenouilles sautaient à l'eau dans un plop sonore. Le cœur un peu trop rapide, Brynn entendit vaguement le nouveau venu s'excuser en chuchotant et il se tourna vers lui, contrarié que son moment de paix soit rompu et que les grenouilles soient retournées dans l'eau.

« Tu leur as fait peur ! » s'indigna quelque peu le Poufsouffle, un reproche dans la voix.

Le garçon qui venait de le rejoindre était plutôt grand. La peau mâte, des cheveux noirs un peu fouillis, il le regardait avec un air d'excuse. Pour le regarder dans les yeux, Brynn devait quelque peu tordre son cou, alors il décida de se lever, mettant au passage un petit peu de distance entre lui et le garçon. Il n'avait pas peur de lui, mais il préférait ne pas le regarder depuis le sol ou parler à sa cravate.

« J'ai pas compté l'heure, mais un peu de temps, le temps qu'elles soient rassurées, les grenouilles. » ajouta t-il en haussant légèrement les épaules.

Sa surprise retombée, Brynn s'était radouci, mais sa voix contenait encore un soupçon de « Faut pas arriver comme t'as fait, donc ».