C'était un mercredi d'Octobre, à l'éclairage tiède, sans que l'on sût vraiment si le ciel donnait sa préférence au soleil ou aux averses, qui se donnaient mollement l'assaut. On voyait, derrière les fenêtres du château, se découper la cime des arbres de la forêt Interdite, agités par une brise fraîche, et le lac Noir parsemé de quelques vaguelettes ondoyant paisiblement.

Cilblanc sortait de la Grande Salle, dont le plafond maussade boudait les hauteurs célestes, après avoir pris un rapide déjeuner. La jeune Serdaigle n'avait ni l'envie ni le besoin immédiat de se rendre dans la Tour Ouest, où se localisait la salle commune des Serdaigle, car elle n'avait nullement l'intention de rencontrer ses camarades de maison ; elle n'était pas spécialement d'humeur à voir quiconque, et accordait sa préférence à un abri tranquille loin du brouhaha permanent du château, de préférence un fauteuil confortable depuis lequel elle pourrait regarder l'extérieur au travers d'une fenêtre.

Cependant ce genre d'abri idéal n'existait pas, à sa connaissance, dans le château, et il lui fallut prendre un court temps de réflexion pour jeter son dévolu sur une salle sans doute vide à cette heure. Il se pouvait bien que le maître de Chœur n'y soit même pas...
Elle escalada en quelques minutes les quatre étages qui la séparaient de la salle de répétition, et pénétra dans le lieu où elle espérait pouvoir être seule, être tranquille, être libre ; enfin...

La jeune rousse respira un grand coup, comme le musicien redoutant le moment de sa prestation mais se sentant libéré de l'attente insoutenable, et se dirigea, à droite, vers le piano à queue qui trônait sur la scène. Cilblanc hésita, les mains au-dessus du clavier. Que pouvait-elle jouer ? Katherina connaissait de très beaux morceaux, mais elle, saurait-elle les reproduire ?

Sans comprendre pourquoi, une grande tristesse l'envahit, et elle se surprit à soupirer.
Ce fut à ce moment que lui vînt l'idée de jouer un air gai, quelque chose de joyeux qui lui permettrait d'éloigner ses tracas. Du jazz, peut-être ? Elle connaissait quelques morceaux qui feraient l'affaire. Mais il ne fallait pas quelque chose de trop simple. Elle devait avoir besoin de se concentrer sur la musique pour ne pas s'éloigner du présent.

Elle jeta finalement son dévolu sur The Entertainer, un morceau de Scott Joplin, qui provoquait toujours en elle une nuance de nostalgie et de gaité à la fois. Si elle avait perdu l'habitude de jouer le morceau, sa dextérité naturelle additionnée avec celle accumulée au fil du temps, lui permit de retrouver bien vite son aisance sur le clavier. Elle reprit le morceau depuis le début, après une entrée légèrement dissonante qui lui servit d'échauffement.