C'était un demi refus mais cette réponse me convenait. Je me sentais néanmoins irrité par le choix de ses mots. Lui accorder mon amitié de la sorte était peut être une bêtise. La livrer sans concession de sa part, pouvait lui donner le sentiment de garder le choix des armes. Mais pour qui me prenait elle ? Je n'imaginais pas qu'elle se livrerait sans réserve mais ma proposition n'avait rien de stupide. D'ailleurs, ne l'avait elle pas accepté ?

Je la fixais un temps, considérant la portée des mots que je m'apprêtais à prononcer puis me levais d'un bond. Je crachais dans ma paume droite avant de lui offrir ma poignée de main.

"Ca me va. Je ne m'attendais pas à ce que tu dises oui. Je suis patient et si je dois faire des compromis, je les ferai. Mais pour que tout cela ait un sens, tu dois cracher dans ta main et serrer la mienne. Si tu ne le fais pas, cela voudra dire que cette conversation n'avait pas de valeur pour toi."

Chez nous autres tziganes, la parole donnée était sacrée. Ne pas la respecter, faisait de toi un gou djarro*. Personne ne respectait les menteurs. Mon amitié, elle l'emporterait dans sa tombe. Qu'elle soit réciproque ou pas, cela n'avait aucune espèce d'importance. Je n'étais peut être pas encore son ami mais elle, d'ores et déjà la mienne.

*un menteur en tzigane

Lavinia regarda Ezra bondir comme un lutin hors de sa cage avec surprise. Ses yeux s’agrandirent un peu plus et elle réprima un frisson de dégoût alors que le garçon cracha dans sa main et la lui présenta. Avait-il perdu la tête ? Ou bien la patience ? Était-ce à présent le mépris et l'insulte que Lavinia récoltait, à être trop sincère et réservée ? Heureusement pour eux deux, Erzra eut l'intelligence d'esprit d'expliquer son geste.

- Tu plaisantes ? C'est dégoutant !

La petite vipère regarda la main souillée de son camarade avec effarement. Était-ce un équivalent du serment inviolable, façon moldu ? Pourtant, elle était persuadée qu'Ezra avait tout d'un né-sorcier ! Relevant les yeux vers ce dernier, elle fut frappée par le sérieux de son visage. Il n'avait sans doute pas apprécié sa première réaction, mais ne réagit pas immédiatement. Il était sérieux, mortellement sérieux. Lavinia aurait bien aimé refuser, lui rire au nez, mais la dernière phrase du garçon raisonnait dans ses oreilles. Cette conversation était étrange, désagréable par moment, encourageante par d'autres... Et le fait même qu'elle prenne autant de couleurs lui donnait de la valeur, y compris aux yeux de la petite Campbell. Mais quoi, s'attendait-il vraiment qu'elle le suive dans ce rituel répugnant sans se poser de question ?...

- Bon.

Lavinia prit une grande inspiration, en pestant contre elle-même, et regrettant déjà ce qu'elle s'apprêtait à faire. Elle monta lentement sa paume vers ses lèvres et en couvrit sa bouche. Avec répugnance, elle frôla sa peau d'un boût de sa langue, juste assez pour y déposer un minuscule cercle humide de bave. Elle espérait qu'il ne fallait pas vraiment cracher dans sa main. Elle n'en était pas capable, et de toute manière, il ne pouvait pas vérifier...

- Très bien, dit-elle avec un ton un peu solennel et en lui tendant sa paume.

Lavinia sentit tout son corps se tendre et un immense frisson de dégoût la traversée alors qu'elle serait la main humide de bave du serpent qui lui faisait face. Sa mâchoire se serra, ses poils se hérissèrent et elle plissa les yeux, luttant contre son instinct de princesse. Surtout, ne rien montrer. Surtout, ne pas retirer ta main tout de suite. S'essuyer sur un tissu propre plus tard. Courage, Lavinia.

- J'accepte le fait que tu m'offres ton amitié. Et que je sois ouverte à la possibilité de t'offrir la mienne, en apprenant à te connaître. Cette conversation, et ton offre, ont de la valeur pour moi.