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10 janv. 2024, 23:23
 Fanfiction  Narcisse Brando - La famille que l'on choisit
CHAPITRE NEUVIÈME
« ... et donc, si on arrive à anticiper le déplacement de l'adversaire, on aurait pu utiliser un autre sort, soit pour se replacer, soit pour contrer son arrivée.
Très intéressant, Ernest! Vraiment super comme idée, laisse-moi terminer de noter s'il te plaît... »

Le feu crépitait avec délicatesse et chaleur dans l'âtre de la cheminée. Les crissements du stylo quatre-couleurs de Narcisse s'accordaient avec les craquements des bûches, telle une symphonie rythmée, envahissant la pièce de sa douce mélodie. Autour d'une grande table ronde, six personnes occupaient les places à côtés du professeur, laissant les quatre autres places plus éloignées vides. L'ambiance intimiste et douillette de la salle du Club Prodigium contrastait avec l'énergie qui se dégageait de ses membres. La séance de reprise était l'équivalent du baptême du feu pour le jeune professeur, qui avait certes gagné le respect de l'école après le duel contre Emma, mais qui devait désormais s'imposer en tant que remplaçant de Julius.

Et il était évident que chacun des membres ici présent plaçait cet ancien professeur sur un piédestal, dont il n'allait pas être aisé de se démarquer. Si Emma, assise à la droite immédiate de Narcisse, avait commencé à s'adoucir à son égard, il n'en était rien des autres membres. L'homme termina une dernière lettre, avant de mettre le point final aux notes qu'il prenait suite aux prises de parole de ses élèves. D'un air fier et satisfait, il agrippa la feuille entre ses doigts pour se relire.

« Bien ! Je vous remercie pour vos réponses. Vraiment, j'comprends pourquoi Archibald vous a choisi, vous êtes tous et toutes super doués ! »

Ce compliment pourtant sincère ne sembla qu'exaspérer davantage les membres. L'un d'entre eux s'empara de la tasse de thé face à lui, et sirota dans un geste maniéré quelques gorgées. Il va de soi que son petit doigt était relevé. Si Narcisse avait été plus perspicace, voire même plus attentif, il aurait commencé à cerner les personnalités de certains. Ce n'était cependant pas ainsi qu'il procédait.

Ce soir, après un rapide tour de table pour se présenter, l'adulte avait donné comme exercice, suite à la suggestion d'Emma, d'analyser le duel de mardi dernier. Les esprits s'étaient bien calmés depuis lors. Ce fut toutefois avec une certaine appréhension qu'il ouvrit cette séance, mais il fut ravi de constater que la discussion était aisée. Tout du moins, de son point de vue. En réalité, certains membres gardaient encore une certaine distance. Manifestée par des bras croisés sur la poitrine, ou un dos trop raide. Pour autant, le sourire de Narcisse ne diminuait pas. Il sentit que les vendredis soirs allaient devenir ses soirs préférés.

« Si vous m'le permettez, j'aimerais faire un tour de table, pour revenir sur vos analyses. Vous êtes tous d'accord ? »

Aucun signe de désapprobation ne fut manifesté. Certains hochèrent la tête, d'autres se contentèrent de rester immobile. Narcisse se racla la gorge en rajustant ses lunettes, puis se tourna vers Emma, plongé dans la lecture de ses notes. Son pouce et son index frottaient négligemment son menton.

« Hrm. Donc. Emma. J'suis super content qu't'ai accepté d'revenir sur ce duel ! On sent que t'y as réfléchi, mais... »

Il secoua la tête en se frottant la nuque. Emma se redressa en fronçant les sourcils. Elle avait les mains croisées sur la table, et était légèrement inclinée vers l'avant. Son malaise était palpable, mais le professeur ne le releva pas, trop concentré sur son cours.

« Tu m'as donné une impression très différente pendant notre affrontement. T'étais inventive et maligne. Là... Tu m'as proposé, je cite : "Ouvrir avec un autre sort, peut-être Furocreatum, pour obstruer la vision et..." et là, tu vois, déjà, je trouve que ça va pas. »

Sa langue claqua, et durant un court instant, chaque élève présent vit l'homme comme un véritable professeur. L'allure sévère, l'air concentré, les yeux plissés, les sourcils préoccupés. Son ton s'accordait à sa voix, alignant les mots de manière naturelle et surtout, confiante.

« Ton ouverture était très bonne. Confringo est un sort qui a l'air d'te convenir parfaitement. J'ai bien ressenti l'impact, j'étais sincère que je disais que tu le maîtrisais à la perfection.
Ah oui ? »

La rousse ne put s'empêcher de se redresser, sentant ses joues chauffer malgré elle. Un camarade esquissa un sourire, elle lui lança un regard moribond. Narcisse n'y prêta pas attention, il était trop concentré sur la feuille.

« Vraiment, une très bonne idée. La fumée bouche la vue, et il faut se protéger du sort. Donc, t'occupes et la vision, et l'esprit de l'adversaire. Pour ce qui est de la parade à Aguamenti... Oui, je vois. »

Il déposa la feuille, pour la regarder. Elle sentit une grande couverture délicatement l'entourer, et sa poitrine chauffa agréablement. Son regard bienveillant et sa voix douce l'empêchaient de ressentir la moindre émotion négative.

« J'ai l'impression que tu t'es un peu bridée... Un simple Protego ? Vraiment ? »

Il secoua la tête d'un air perplexe.

« Tu te serais fait emporter par la vague. Vraiment, ton idée d'utiliser Partis Temporus était encore la bonne. C'est simplement à la troisième étape que tu aurais pu réagir. Il faut toujours partir du principe que ton adversaire est plus fort que toi, comme ça, tu peux tout anticiper. »

Ses doigts se levèrent au fur et à mesure qu'il énuméra.

« Tu aurais pu enchaîner directement après la première attaque. Puis, tu aurais dû immédiatement t'attendre à ce que toute cette eau qui t'obstrues la vue ne soit qu'une diversion. Enfin, pour contrer un adversaire derrière toi, je te recommande... »

Il fronça les sourcils, l'air soudainement confus. De son regard, il balaya l'assemblée.

« Vous avez appris les arts martiaux ? »

Ce fut au tour des Prodiges de se retrouver égarés. Ils se regardèrent les uns les autres, et le voisin d'Emma se racla la gorge d'un air peiné.

« Euh, non monsieur... Nous sommes des sorciers, pas des moldus. »

Narcisse demeura immobile. Une ombre passa sur son visage, un soupir évasa ses narines. Il conclut d'un air presque las, ce qui intrigua Emma.

« Dans ce cas, j'ajouterai cela à votre programme. Voyez-vous, un sorcier, c'est bien, mais lorsqu'on se retrouve pris au dépourvu par un adversaire plus rapide que vous, qui ne se repose pas que sur la magie... »

Il eut un petit sourire entendu.

« Il faut parfois ajouter quelques cordes à son arc. »

Puis, sans transition, il planta son regard dans celui de la rousse, qui manqua une respiration. L'air trop joyeux du professeur la déstabilisait profondément.

« Des questions ?
Euh... »

Elle hésita, cligna des yeux, pour enfin se rappeler de sa position de première du club.

« Hrm, et bien, pas des questions, mais des observations.
Oui ? »

Vraiment, il était tellement bourré de sollicitude, c'était vraiment anormal, elle n'était pas habituée. Elle balaya ces doutes en secouant la tête.

« Bah... Je... Non, sérieusement... Tout ce que tu dis, c'était pas valable pendant notre duel. »

Le visage d'Emma se renfrogna brusquement, et elle retrouva toute sa malice et sa ténacité. Son esprit stratégique brillant put enfin s'exprimer correctement, et Narcisse, ainsi que les autres, l'écoutaient attentivement.

« Toi, t'as même pas utilisé de sort. Enfin, sauf Aguamenti. Mais pour la défense, t'as... sérieux, je sais pas ce que t'as fait ! Mon sort ne te touchait pas, il t'a même pas effleuré. Et au passage, comment t'as réussi à arriver derrière moi ? J'ai pas entendu le bruit du transplanage.
Hm-hm...

Le professeur hochait la tête au fil de ses déclarations, avant de les noter une par une.

« Je te remercie ! Je te propose de répondre du mieux que je peux après avoir fait les retours aux autres, ça te va ? »

Après un instant d'hésitation, la rousse hocha la tête, pour de nouveau croiser les bras sur la table. Narcisse rajusta ses lunettes du pouce, et posa son stylo sur la feuille.

« Alors... Gérald, je reviens vers toi.
Oui, monsieur ?
S'il te plaît, tutoie-moi, je te l'ai déjà dit. »

Si l'adulte pouffait de rire, l'adolescent était de toute évidence très mal à l'aise. Ses yeux bleus virevoltaient entre Narcisse et la feuille, sa main passa dans ses cheveux noirs, mi-longs, pour rajuster quelques mèches. Le septième année était extrêmement guindé, d'une timidité maladive, mais d'une politesse et d'une gentillesse excessive. Et le comportement de Narcisse le désemparait, il n'était pas habitué à tant de familiarités avec un adulte. Le numéro deux du club réussit finalement à hocher la tête, les mains sur les genoux, les joues légèrement rouges.

« J'essaierai.
Je te remercie. Donc... Toi, tu as proposé d'ouvrir sur un Confundo ! Le sortilège de confusion, très intéressant ! T'es doué avec ces sorts ? »

Voir un adulte aussi excité, manifestant aussi explicitement sa joie, voilà qui était plus qu'assez pour faire perdre sa contenance à l'adolescent. Il entrouvrit les lèvres, cligna des yeux, puis se racla la gorge. Il ne put, malgré tous ses efforts, maintenir le contact visuel avec le professeur. Mais un sourire reconnaissant flottait sur ses lèvres.

« Euh... Oui, monsieur. J'apprécie particulièrement ce sortilège. Peu de gens s'attendent à ce qu'il soit utilisé durant un duel, et il est difficile de réagir à quelque chose d'inattendu.
Wah, vraiment, tu m'impressionnes Gérald ! Je suis très mauvais avec ce genre de sorts, j'espère que tu m'aideras !
Je... si vous, enfin, si tu veux, professeur. »

Le mélange du tutoiement et du professeur fit davantage rougir l'élève, qui fut obligé de supporter le coup de coude moquer d'Emma, un immense sourire aux lèvres. Narcisse reprit.

« Quant à la parade pour Aguamenti... Tu proposes Glacius ? C'est... Sapristi, c'est très original, je n'y aurais pas pensé ! Et pourquoi ce choix s'il te plaît ?
C'est assez simple : beaucoup s'attendraient à ce que l'on pare ou que l'on scinde le sort en deux, comme Vanderberg l'a fait. Mais peu s'attendraient à ce qu'on fige totalement le sort. J'aurais pu également utiliser Arresto Momentum, mais je ne le maîtrise pas suffisamment...
Ah, j'adore cette idée ! Et je note de te faire travailler Arresto... C'est... un sort tout particulier pour moi, je t'aiderai. »

Si quiconque avait remarqué la profonde émotion qui passa sur le visage du professeur, nul n'en pipa mot. Après avoir terminé d'écrire, il passa à la ligne suivante.

« Et pour réagir à l'attaque surprise... Mh, oui, j'me souviens, tu m'avais dit que tu n'aurais probablement pas pu faire quoi que ce soit.
Oui... Vraiment, je dois être honnête, cette attaque m'aurait totalement déstabilisé. Sans le son du transplanage, comme ma camarade l'a souligné, je ne me serais pas attendu un seul instant à ce que mon adversaire finisse derrière moi. Et il est difficile...
... de réagir à quelque chose d'inattendu, tout à fait. Mais imaginons que tu ai pu, comment tu aurais fait ? Vraiment, hésite pas, lâche-toi. »

Les hochements de tête encourageants du professeur finirent enfin par dérider l'élève, qui se laissa aller à un plus grand sourire. Il était toujours incapable de le regarder directement dans les yeux, mais sa voix se fit plus assurée.

« J'aurais probablement lancé un Fumos. Et... peut-être, j'aurais bondi en arrière ? J'ai l'impression que c'est pas bon...
Tutut ! T'inquiètes pas ! Aucune mauvaise réponse ici, je note... Fu... mos... C'est pas bête en soi, mais attention à ce sort, il peut se retourner contre le lanceur. Bien ! »

Il regarda avec un sourire reconnaissant le Serdaigle, avant de se tourner vers la brune assise à côté de lui, à sa gauche.

« Merci beaucoup Gérald ! Maintenant, Apolline... Alors... laisse-moi relire rapidement s'il te plaît.
Aucun problème ! »

Apolline Neetle, brune aux yeux marron en amande, lança un grand sourire au professeur en se redressant joyeusement. De toute la pièce, elle était bien la seule à sourire de cette manière. Dominant Gérald de quelques centimètres, la Gryffondor avait un regard déterminé. Même Narcisse avait compris dès le début que cette élève était probablement la plus assoiffée de savoir ici, et pour cela, elle avait déjà sa sympathie.

« Ah, oui ! J'ai essayé de synthétiser et de reprendre tout c'que tu m'as dit, t'as été très exhaustive !
Mieux vaut trop qu'pas assez, non ?
Je suppose que t'as raison. »

Il pouffa de rire en chœur avec Emma, ce qui le fit se sentir étonnamment léger.

« Alors... Pour l'ouverture, tu proposes : Acuo, le maléfice cuisant, Aguamenti, Ascendio, le sort de... Ok, bon, Apolline, est-ce que tu vois le problème dans la réponse que tu m'as donné ? »

Narcisse pencha son visage en avant, laissant apparaître ses yeux derrière ses lunettes. Il avait croisé ses mains devant son menton, les coudes posés sur la table, l'air préoccupé. La cinquième année blêmit, son regard s'égara dans le vide plusieurs longues secondes. Le professeur soupira doucement, Emma eut l'air compatissante, et Gérald baissa les yeux.

« Apolline... Si je te demande de choisir un sort pour m'attaquer, là, tout de suite, lequel tu prends, choisi vite.
Euh... Je...
Trois...
Je... euuuh...
Deux...
Je, je sais pas ! Je... peut-être...
Un... Et pouf, tu es morte. »

Narcisse avait levé doucement le bras, mais il exécuta son mouvement avec une vitesse qu'Emma ne réussissait toujours pas à analyser. L'adulte décocha une petite pichenette sur le front de la brune, qui glapit davantage de surprise que de douleur en posant ses mains sur son front. Après un instant, il se leva pour venir s'accroupir à côté d'elle, et déposer sa main sur son épaule. Quelques larmes s'étaient formées aux coins des yeux d'Apolline, et Narcisse lui frotta doucement l'épaule et le bras.

« Pardon... Je... Je sais pas...
Je comprends. Difficulté à prendre des décisions, hein ? »

Elle ne put que hocher la tête, reniflant aussi discrètement qu'elle le put. Narcisse lui tendit un mouchoir, qu'elle saisit sans hésiter pour se moucher. Il se frotta le menton, en plissant les yeux, avant de se rasseoir.

« Dis-moi... Comment je me suis retrouvé derrière Emma ? »

La question fit froncer les sourcils de Gérald et de la rousse, mais Apolline, après avoir respiré, sembla retrouver son calme en un éclair, et toute sa concentration, ainsi que sa détermination. Elle passa sa main dans ses cheveux courts.

« Aucune idée ! J'ai bien vu que vous avez disparu d'un seul coup, mais ce n'était ni du transplanage, ni de la course, c'était vraiment autre chose. Et puis, vous aviez plusieurs secondes pour contre-attaquer, mais vous avez attendu qu'elle vous regarde, alors que...
C'est bien ce que je pensais... »

Elle se figea, il lui souriait, et nota distraitement sur sa feuille, en hochant la tête.

« Tu observes et tu analyses trop. C'est indispensable, mais je dis que tu le fais trop, parce que ça bloque ton initiative. Je comprends. On va travailler sur ça, ça va aller, ok ?
O... ok ! Merci mon... euh, professeur ! »

Narcisse pouffa de rire et secoua la tête, en terminant ses notes. Plus la séance avançait, plus l'ambiance s'apaisait. Une bûche se fendit dans l'âtre, libérant une gerbe d'étincelles. Gérald se leva pour aller remettre une autre bûche, tandis que l'adulte tourna la page de son carnet pour regarder l'élève assise à la gauche d'Apolline.

« Félicia maintenant, alors... laisse-moi une seconde. »

Félicia Carnis, une Serpentard, leva ses yeux verts au ciel en croisant les bras sur sa poitrine. La quatrième année, benjamine du club, replaça une mèche de ses cheveux bruns derrière son oreille, avant de foudroyer Emma du regard. Cette dernière soupira en secouant la tête. Leur rivalité était connue de longue date, et l'entrée au club de la plus jeune n'augurait rien de bon pour la cordialité. Elle était certes petite, à peine le mètre cinquante-cinq, mais son caractère explosif n'était pas en reste.

Narcisse n'ayant, comme d'habitude, aucun apriori, il n'avait aucunement relevé ces traits de personnalité, et enchaîna comme pour les autres.

« Ah oui ! Tu avais proposé de directement ouvrir sur... sur Feudeymon ! Ah, moui, j'avais oublié ça.
Un problème, professeur ? »

Ce fut au tour d'Emma de foudroyer sa rivale auto-proclamée. Apolline n'osa pas le faire, mais elle n'en pensa pas moins, et Gérald était bien trop poli pour ne serait-ce que hausser un sourcil. Narcisse, quant à lui, ne se formalisa pas le moins du monde, et répondit comme si la question était dépourvue de tout sarcasme.

« Mh, disons que pour un duel, c'est trop dangereux. Et même dans un vrai combat, il reste bien trop puissant... T'as beaucoup trop de chance de tuer ton adversaire, si le sort touche.
Et c'est pas le but, peut-être ? »

Il soupira en rajustant ses lunettes, tout en cherchant ses mots. Emma était déconfite. Comment pouvait-il ne pas remarquer qu'elle se moquait de lui et le provoquait ?!

« Je dirais que non. Le but d'un combat n'est jamais de tuer quelqu'un, juste le mettre hors d'état de nuire. Et Feudeymon est...
Oh, vous voulez dire comme lorsque vous avez mis "hors d'état de nuire" Georges Tuséki, c'est ça ?
Félicia ! Ta gueule !
Carnis, je trouve que tu abuses, je trouve qu'une telle réflexion est extrêmement déplacée.
C'est ultra méchant ! Et j'sais pas quel journal t'as lu, mais c'est pas lui qui l'a tué, j'te rappelle ! C'est...
S'il vous plaît. »

L'index de Narcisse tapota doucement sur la table. Le bruit s'amplifia à l'infini, faisant écho au timbre profond et calme de sa voix, qui se diffusa dans les oreilles des élèves, jusqu'à faire vibrer leur crâne. Tous et toutes se figèrent, se turent, comme frappés par la foudre. Plusieurs secondes de pur silence s'écoulèrent, avant qu'Emma ne puisse se rasseoir, légèrement tremblante. Félicia croisa les bras sur sa poitrine, contenant sa respiration. Gérald et Apolline se regardèrent, impressionnés. Une voix douce et légère se fit entendre, à la gauche de Félicia.

« Merci, professeur. »

Tous les regards, sauf celui de Narcisse, qui reprit ses feuilles, se tournèrent vers le dernier membre du club. Un grand blond, discret, maigrelet, qui regardait dans le vide. Les mains délicatement croisées et posées sur la table, il semblait contempler les reliefs du bois. Il gardait les yeux clos. Félicia se racla la gorge, avant de lever le menton d'un air dédaigneux.

« Je t'en prie Ernest. Bien, où j'en étais, ah oui ! »

Comme si rien ne s'était passé, il reprit, aussi légèrement qu'il était humainement possible de le faire. Aucun n'eut envie de rebondir sur les mots de leur camarade, mais la Serpentard sentit des regards lourds peser sur elle. Cette dernière s'en régala de manière ostensible.

« Feudeymon c'est trop dangereux. Et en plus, comment tu avais prévu de réagir à la contre-attaque par-derrière : Déflagratum ? Tu sais que ce sort, bien utilisé, est encore plus dangereux que Feudeymon ?
Bien sûr, c'est le but, pas vrai ? Au moins, vous n'auriez pas pu me toucher. Vous auriez fini en cendres.
Pas faux, évidemment. »

Il souffla en se frottant l'arête du nez, avant de sourire en croisant ses mains gantées sur la table.

« Tu es du genre à ne pas vouloir utiliser d'autres sorts que ceux qui font du bruit et de la lumière, et tu as une grande habilité magique, je le sais.
Comment...
Je l'ai vu, c'est tout. Quoi qu'il en soit, je te conseille seulement une chose : Être douée ne fait pas tout, je peux te le garantir.
Mais...
S'il te plaît. J"te demande pas de me faire confiance tout de suite, mais au moins, est-ce que tu acceptes d'y penser, ne serait-ce qu'un peu ? »

La benjamine claqua de la langue en détournant le regard. La lumière du feu se refléta dans l'émeraude de ses yeux, avant qu'elle n'accepte en hochant la tête. Non sans pousser un soupir bien audible pour manifester son irritation. Narcisse, encore une fois, se contenta de lui sourire. C'est cette absence de réaction qui commença enfin à la déstabiliser, elle fronça les sourcils, sans plus.

« Ensuite... Ernest, tu as des choses à ajouter avant que je ne rebondisse ?
Aucune, professeur. »

Ernest Huntley se redressa, tournant imperceptiblement son visage en direction de l'adulte. La lumière des flammes scintilla au fond de ses yeux dépourvus de pupille et d'iris. Le Serpentard avait toujours été aveugle, d'aussi loin que ses souvenirs de bébé remontent. Du haut de son mètre soixante-quinze, il dominait placidement la table, dernier au classement du club, mais aucunement dépourvu de talent. Narcisse avait à peine remarqué son handicap, et s'en moquait bien.

« Excellent. De ton côté, tu proposais de commencer avec un Dilludere, le sortilège d'illusion. Tu arrives à lancer un sort pareil ?
Parfois, quand j'arrive à toucher. »

Narcisse éclata littéralement de rire, en tapant du plat de la main sur son genou. Les autres élèves eurent du mal à ne serait-ce que sourire. La pitié inconsciente avait bien du mal à céder le terrain à la considération normale que l'on accordait à quelqu'un qui ne souffrait d'aucun handicap. Apolline fut celle qui réussit le mieux à sourire. Le professeur reprit son souffle.

« Ha... ouh, merci pour ça. Mais plus sérieusement, c'est une bonne ouverture, je l'ai déjà dit, je suis incapable de lancer un sort pareil, alors c'est très impressionnant. Et ensuite, comment tu aurais réagi aux autres attaques ? »

Il avait totalement oublié ses notes, mais l'adolescent n'avait pas l'air de s'en soucier.

« Pour Aguamenti, je reconnais qu'à part un Protego Totalum, peu de choses me seraient venues. Mais au moins, j'aurais peut-être pu le maintenir pour contrer l'attaque de derrière. Et sinon, et bien, pouf, je serais mort.
Hm-hm, Protego Totalum, très bien ça, en sixième année, c'est impressionnant de réussir à le catalyser ! »

Le blond le remercia d'un hochement de tête, avant que Narcisse ne jette un dernier coup d'œil à ses feuilles. Mais il releva brusquement le regard, un sourire malicieux aux lèvres.

« Et comment t'aurais contre-attaqué ? »

Le visage du sixième année blêmit, il se redressa en se raclant la gorge.

« Je... peut-être, avec... Un Flipendo ? »

Félicia pouffa d'un rire mesquin. Narcisse la foudroya du regard.

« S'il te plaît Félicia, pas de ça. »

Elle baissa la tête, agrippant ses genoux, sentant son cœur manquer un battement. Emma lui fit discrètement un pied-de-nez. Le professeur retourna son attention sur le blond.

« C'est bien ce que je pensais, tu manques d'explosivité, et d'initiative. Les sorts offensifs, c'est pas ton fort, c'est ça ?
Et bien... Oui, comment l'avez-vous su ?
La passivité de ton flux magique est caractéristique. Tu es doué en protection, mais peu en attaque, parce que tu as peur de blesser l'autre. On va travailler sur ça, parfait ! Je note. »

Emma et Gérald s'échangèrent un regard intrigué. Depuis tout à l'heure, plusieurs questions carbonisaient les lèvres des élèves, et ils n'attendaient que la fin de ce tour de table pour pouvoir enfin les poser.

« Excellent ! Si vous avez des questions, c'est... »

Au moment où Narcisse redressa la tête, on toqua à la porte, interrompant l'élan impulsé par le professeur. Emma ne cacha pas sa déception, et espérait que ce n'était rien d'autre que le concierge.

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2A RP - 13 ans - 1m40
Avatar par Merinda Swart

13 janv. 2024, 00:07
 Fanfiction  Narcisse Brando - La famille que l'on choisit
CHAPITRE DIXIÈME
Lorsque Narcisse ouvrit la porte sans la moindre hésitation, sans même se poser la question de qui cela pouvait bien être, Emma sut d'avance que cette soirée était terminée. Le professeur s'était levé souplement et silencieusement, faisant une nouvelle fois preuve d'une discrétion insoupçonnée chez lui. Félicia leva les yeux au ciel, Gerald se redressa diligemment, et Apolline suivit du regard Narcisse, curieuse. Ernest demeura imperturbable, mais un imperceptible sourire se mit à flotter sur ses lèvres, et il dégaina sa baguette pour commencer à ranger ses affaires. Il semblait avoir deviné qui se tenait derrière la porte, au contraire de Narcisse qui se figea de surprise, les yeux écarquillés.

« Bonsoir, professeur.
Miss... Professeur Montmort, vous... Euh... »

Emma soupira en fermant les yeux, laissant ses épaules s'abaisser malgré elle. Son regard se posa sur la grande horloge de la pièce. 21h30, déjà. La rousse n'en revint pas. Jamais une séance du Club ne lui avait paru si courte. Et elle en ressentit par ailleurs une indicible culpabilité. Comment pouvait-elle autant apprécier la compagnie et les cours du professeur qui remplaçait l'homme qu'elle avait toujours admiré, et qu'elle considérait comme irremplaçable ?

Narcisse ne s'embarrassa pas de tant d'états d'âmes, bien trop perturbé par l'arrivée de la directrice pour se poser des questions. Il leva le poignet pour jeter un coup d'œil à sa montre, et manifesta une surprise non dissimulée.

« Sapristi ! J'avais pas vu l'heure, euh, vous êtes là pour les raccompagner ? C'est gentil d'votre part Miss, vraiment, mais j'peux tout à fait...
On est pas des bébés ! Et puis quoi encore ? »

Emma se dressa en rangeant furieusement ses affaires, pestant allègrement dans sa barbe inexistante, ignorant les regards inquisiteurs de ses camarades et du professeur. D'un pas rageur, elle emboîta le pas à Gérald, qui, toujours aussi rapide, avait réussi à préparer ses affaires en un temps record. Lorsque l'adolescente passa devant son professeur, elle lui lança un regard plein de frustration, mais teinté d'impatience. En cet instant, elle ressemblait bien davantage à une enfant qu'à l'image de la jeune adulte qu'elle tentait de renvoyer, et Narcisse sourit doucement.

« La semaine prochaine, tu réponds à nos questions, t'as intérêt.
C'est promis, j'peux même vous envoyer un compte-rendu par hibou dans la semaine, si vous préférez !
Vraiment, te donne pas cette peine ! C'est super gentil, mais j'pense qu'on préfère tous entendre ça d'vive voix, pas vrai ? »

Apolline, son sac sur l'épaule, alpagua ses camarades d'un air joyeux et souriant. Tous hochèrent la tête, se préparant à sortir. Sauf Félicia, qui passa sa main dans ses cheveux en soupirant, mais la présence d'Elina l'empêcha de faire quelconque commentaire. Narcisse jeta un regard pour cette dernière, lui demandant implicitement un petit temps, ce qu'elle lui accorda en se déplaçant sur le côté. Il soupira, et croisa ses bras sur sa poitrine.

« Bon... Et bien... C'était vraiment une belle soirée, j'ai trouvé ! J'ai adoré vous rencontrer, et j'ai hâte d'vous enseigner, j'vais vous concocter des p'tits programmes sympas. Faites-moi confiance, je ferai de mon mieux ! »

Lorsqu'il s'inclina humblement devant ses élèves, même la peste de Serpentard s'en retrouva décontenancée. Il n'y avait qu'Emma qui commençait à insensiblement s'habituer à cette cordialité et à cette proximité. Après cette ultime consigne, les élèves saluèrent leur professeur, et s'éclipsèrent. Narcisse ne put s'empêcher d'entrouvrir la bouche pour demander à Ernest s'il n'avait pas besoin d'aide, mais ce dernier l'anticipa en allumant la pointe de sa baguette. Les yeux de l'adulte perçurent le flot magique s'en échappant, ricochant contre les surfaces, avant de revenir aux oreilles de l'adolescent. Narcisse était véritablement impressionné.

« Je vous remercie de votre sollicitude, professeur, mais j'y verrai bien plus clair sans votre aide. Enfin, vous voyez ce que je veux dire. »

Le professeur ne put retenir un nouvel éclat de rire à la blague de son élève, qu'il appréciait décidément de plus en plus. Il avait toujours admiré ceux et celles capables d'un tel esprit. Lui-même était parfaitement inapte à faire un tel humour. Lorsqu'enfin les bruits de pas s'éloignèrent, après que les adolescents eurent également salué leur directrice, Narcisse pivota sur le côté pour lui laisser la place de pénétrer dans la pièce.

« Miss. »

Elle lui répondit d'un simple hochement de tête, et s'engouffra dans l'ouverture aussi prestement qu'un fantôme. Une fois la porte fermée, Narcisse prit enfin la peine de regarder de façon un peu plus appuyée son ancienne directrice.

Le reflet des flammes sur ses vêtements grisâtre, mais classieux, contrastaient avec l'élégance naturelle qui la caractérisait. Aimant se dresser sur ses quelques centimètres grâce à ses cuissardes à talons, elle demeurait cependant plus petite que Narcisse d'une bonne tête. Le blond platine de ses cheveux, désormais coiffés en un carré simple, rappelait des souvenirs au professeur. Elle n'avait rien perdu de sa prestance ni de sa puissance, qui irradiait toujours d'elle, comme une fournaise incandescente. Cependant, lorsqu'elle lui fit de nouveau face, dos aux flammes, l'homme ne put s'empêcher de ressentir comme une petite déception.

Avait-elle toujours eu l'air si petite et si fluette ? L'œil survivant de la directrice, d'un bleu profond, se planta dans le regard du professeur.

« Je constate que les choses ont l'air de plutôt bien se passer. Tes élèves ont l'air de t'apprécier, Narcisse. »

Ce dernier ne chercha même pas à dissimuler le sourire qui étira les coins de sa bouche. Il secoua la tête, avant de se rapprocher, pour se placer face à l'âtre, profitant des crépitements des braises en se frottant la paume de sa main du pouce. Il laisse s'écouler plusieurs secondes. S'il y avait bien quelque chose qu'il avait retenu de cette femme, c'était qu'aucune de ses conversations n'était anodine.

Et il avait toujours détesté cela, il n'était pas doué pour ce genre de chose. Aussi espéra-t-il que sa réponse seule suffirait.

« J'ose espérer qu'c'est l'cas... C'est assez difficile de remplacer un homme comme Archibald.
C'est compréhensible. Il faut dire qu'il savait s'imposer. Et c'est l'un des professeurs de Défense Contre les Forces du Mal qui est resté le plus longtemps. »

Quelque chose hameçonna l'esprit de Narcisse. Un petit picotement sous la peau de son crâne, pile sur sa tempe. Il cligna des yeux une seconde, avant de soupirer. C'était donc de cela qu'elle voulait parler. Non, vraiment, il n'aimait pas cette manière de faire. Ignorant que l'extrémité de sa veste manqua de toucher les flammes lorsqu'il se retourna lestement, il fit flotter une chaise jusqu'à la directrice, avant de lui-même s'asseoir sur la première qui se présenta. Il ne faisait pas face à son aînée, et déposa ses coudes sur la table ronde, avant de soupirer.

« C'est pas ça qui t'intéresse. Sérieux, même maintenant, tu peux pas juste me dire les choses ? »

Elle observa un battement de cœur de silence, avant d'agiter doucement sa main pour faire léviter sa chaise qu'elle remit à sa place pour en prendre une autre, laissant un siège d'écart entre lui et elle. Là où Narcisse était proprement avachi, presque plié en deux, les bras croisés sur le bois, elle était d'une droiture absolue. Malgré l'absence de son œil droit, manquant depuis son combat contre Georges, dissimulé derrière son cache-oeil, il sentit la pression de son regard sur lui.

« Les murs ont des oreilles. Même maintenant, comme tu dis, surtout maintenant, tu dois te montrer plus prudent que jamais. Je ne dis pas ça que pour toi. »

Narcisse serra les dents, puis expira, et se redressa lentement. Laissant une main sur la table, et glissant l'autre sur sa jambe en regardant dans le vide, il laissa son index tapoter nerveusement le bois. Il prit une inspiration avant de rendre son regard à Elina, fixant son œil braqué sur lui.

« Viens en aux faits, s'il te plaît. »

Tout en parlant, il remua nonchalamment sa main pour faire venir à lui une liasse de papier et son stylo. Il comptait bien mener cette discussion tout en commençant à concevoir le programme d'entraînement pour ses élèves. La directrice l'observa un instant, un drôle de sourire flottant sur ses lèvres. Elle inspira doucement, l'air apaisée, avant de reprendre l'air sérieux et imperturbable qui la caractérisait tant.

« Julius est toujours introuvable. »

Les mots tombèrent comme un couperet. Les doigts de Narcisse faiblirent une brève seconde, marquant la feuille d'une lettre plus tremblante que les autres. Il ferma les yeux. Inutile de continuer à essayer d'écrire, il n'avait décidément jamais été multitâche, pas pour ce genre de choses. Ses doigts s'entrecroisèrent sur les parchemins, il tourna la tête pour regarder Elina, le visage totalement dépourvu d'émotion.

« Le contraire m'aurait étonné.
Narcisse... »

La directrice se leva brusquement de son siège pour venir s'asseoir sur celui à côté du professeur. Elle perdit un court instant sa contenance en le regardant d'un air presque suppliant. Narcisse n'aimait pas la voir aussi inquiète, il détourna le regard, avant de rajuster ses lunettes du pouce.

« Écoute... Je ne te demanderai jamais ça si ce n'était pas capital. »

Ah, nous y voilà.

Elle serra ses poings sur la table, il décida de finalement soutenir son regard. Il ressentit une mystérieuse satisfaction à la voir blêmir légèrement lorsqu'il le fit.

« Aujourd'hui, tu as davantage de contacts que moi. Tous les Piliers actuellement en poste sont des amis à toi, au moins des connaissances proches. Harlez, Hartley... Je sais que tu les connais. »

Narcisse ne contint pas son rire, un petit rire nerveux et sarcastique. Il croisa les bras sur sa poitrine en s'adossant à sa chaise.

« Dire que Leann est une connaissance proche... »

C'était un euphémisme. Pareil pour Kimberly Harlez, il les considérait toutes les deux comme des amies proches. Il ne connaissait en revanche pas le troisième pilier, celui des Né-Moldus. C'était un véritable comble quand on y pensait, mais il s'était désintéressé de la politique depuis le premier jour. Aucune importance. Son regard se fit plus dur.

« Et donc ? Où tu veux en venir ? »

Il sentait bien qu'elle cherchait à obtenir quelque chose. Il sentait bien qu'elle serpentait autour de son esprit pour tenter de passer un pied dans la porte. Elle posait ses fondations, elle abattait doucement ses cartes, consolidant le terrain et le sondant avant de s'y aventurer. Mais Narcisse était incapable de voir où elle allait, encore moins ce qu'elle voulait. Elina eut un sourire sans joie, et baissa le regard, l'air presque embarrassée.

« Oui, ça m'aurait étonné que tu le comprennes. »

Narcisse pencha la tête sur le côté. Elle soupira, puis le regarda de nouveau. Une bûche éclata sous l'effet de la chaleur.

« S'il te plaît, essaye de leur demander de faire avancer les choses. Quelque chose bloque l'enquête, je le sens bien. On ne me donne aucune réponse, et les seules que j'arrive à arracher sont évasives au possible, et...
C'est non. »

La voix de l'homme fit vibrer l'air, et son dernier mot fut l'équivalent d'un coup de bélier dans la poitrine de la directrice, qui se redressa comme sous l'effet d'un choc. Le silence assourdissant qui suivit sa réponse catégorique dura plus que nécessaire. Narcisse refusait de reprendre la parole. Face à Elina, il savait qu'il devait se montrer ferme, ne pas céder le moindre pouce de terrain. Et pourtant, il voulait l'aider, il le voulait désespérément. Mais cette demande... C'était impossible, il s'y refusait. C'était incorrect et bas, fourbe et préférentiel, il ne ferait jamais une chose pareille.

Elle déglutit, puis expira, semblant balayer ce sujet comme s'il n'était qu'une légère discussion entre deux amis.

« Bien, je comprends. »

Narcisse sentit un soulagement l'envahir, et il put enfin se remettre à sourire.

« J'aimerais quand même que tu y réfléchisses. »

Sourire qui disparut aussi rapidement qu'il était venu. Il continuait de la jauger, tandis qu'elle tapotait du bout des doigts sur la table. Ses lèvres s'entrouvrirent, il voulut répondre l'exacte même chose, à la lettre près. Mais elle redressa soudainement et l'expression de son visage changea l'espace d'un battement de cils. Désespoir, supplications, inquiétude. L'expression d'une femme qui avait passé sa carrière à pouvoir tirer les ficelles et être au courant avant tout le monde, et qui désormais observait son influence lentement, mais inexorablement lui échapper.

Il soupira.

« Je... J'en parlerai avec Dianne, je comptais rentrer ce week-end, de toute manière.
C'est une sage décision. Transmets-lui mes sincères salutations.
Le mieux serait que je mène ma propre enquête, je m'arrangerai. »

Il hocha la tête, puis passa sa main dans ses cheveux, pour finalement venir se frotter la nuque. Elle avait l'air presque gênée. Inconfortable, stressée et oppressée. C'est alors qu'il le remarqua. De son index et de son majeur collé, il remonta ses lunettes, qui avaient glissé jusque sur le bout de son nez. La pression régnant dans la pièce s'effaça, Elina respira plus aisément.

« Désolé, j'ai pas fait attention. »

Elle pouffa de rire, soulagée, il sourit.

Durant plusieurs minutes, aucun des deux ne parla, chacun se contentant de plonger le regard dans le brasier éclairant légèrement le sol et l'espace environnant. Les ombres chatoyantes et mouvantes se confondaient les unes aux autres, l'agréable chaleur caressant le visage des deux adultes, Narcisse espérait que c'était tout ce qu'elle avait à dire.

Mais il savait que ce n'était pas le cas.

« Tu sais que j'ai été contacté par un certain Trevor Hing ? Ce nom te dit quelque chose ? »

Un jeu. C'était un jeu, et Narcisse n'avait pas les cartes. Et il n'avait aucune envie de les avoir, aussi répondit-il de but en blanc.

« Bien sûr que je le connais. C'est le sous-directeur du BSSHN. Pourquoi cette question ? »

Elina secoua doucement la tête en le regardant, un peu consternée, un sourire empathique aux lèvres. Elle croisa les doigts sur ses jambes.

« Il m'a demandé si j'accepterais d'être surveillée par le Bureau. »

Un silence. Il arqua un sourcil.

« Et ?
J'ai refusé, cela va de soi. »

Elle tourna la tête pour regarder le feu.

« Mais il m'a dit que si j'acceptais, je serais identifiée comme Bêta. »

Son regard glissa pour revenir sur lui, il ressentit un fourmillement dans sa nuque.

« Tu n'es pas sans savoir que Bêta est la deuxième lettre de l'alphabet grec. Ce n'est pas quelque chose qui me surprend qu'ils utilisent un tel système de classification. Toutefois... Tu ne trouves pas ça étrange, qu'après dix ans, il n'y ai toujours pas davantage de...
C'est moi. »

Il avait commencé à comprendre dès la deuxième phrase, mais il avait hésité quant à sa certitude. Ses doigts devinrent gourds. Il retira le gant de sa main gauche, pour laisser apparaître sa peau. De son autre main, il frotta sa paume et ses doigts, impeccablement manucurés, comme toujours. Encore aujourd'hui, cette main ne lui appartenait pas totalement. Donnée, puis volée à Kristen, désormais assimilée par son corps, ce bras lui paraissait cependant toujours comme étranger à lui-même, par moment. Il inspira, avant de soupirer, le regard toujours rivé sur sa main.

« C'est moi, Alpha. Je sais que personne d'autre a accepté de se faire surveiller. »

Cette fois-ci, Elina laissa sortir une véritable plainte d'exaspération, avant de se lever pour faire face au feu, les mains croisées sur sa poitrine. Elle perdait patience, sans que Narcisse ne comprenne véritablement pourquoi. Puis elle se retourna, son œil flamboyait de colère.

« Par pitié, dis-moi que tu ne leur facilites pas la tâche.
Mais c'est le but... Sérieux, Elina, c'est l'but de ce Bureau, c'est moi qui ai demandé à être surveillé. C'est important que quelqu'un... »

Le talon de la directrice claqua contre le sol lorsqu'elle fit un pas vers lui, laissant retomber ses bras le long de son corps, sa lèvre supérieure agitée par un tic de pur dégoût.

« Et il ne t'est pas venu à l'esprit que quelqu'un pourrait un jour être tenté de faire une mauvaise utilisation des informations que tu leur transmets ? Que peut-être, un jour, quelqu'un voudra s'en servir contre toi ?
C'est le but, bordel de merde ! »

La patience déjà érodée de Narcisse vola véritablement en éclats. Tout comme la table qu'il frappa brutalement du poing en se redressant. Sa voix tonnait comme un orage, fit trembler l'air autour de lui, des éclats de bois volèrent. L'immense vacarme étourdit la directrice, qui tira sa baguette par réflexe, se campant sur ses pieds, sentant son cœur exploser dans sa poitrine et sa tension grimper en flèche.

L'homme s'était figé, le poing serré, mais intact. Tremblant, la respiration lourde, laissant échapper quelques nuages de condensation sous la puissante émotion s'étant soudainement emparée de lui. Le silence revint, seulement troublé par les inspirations suivies des expirations des deux adultes. Narcisse trouva enfin la force de desserrer le poing, et ses épaules se courbèrent. Les yeux dissimulés par ses lunettes, sa voix continuait malgré tout de résonner puissamment aux oreilles d'Elina.

« Elina, si jamais, un jour, je venais à perdre la raison. Qui m'arrêterait ? »

Il fit un pas vers elle.

« Si jamais, un jour, je décidai de me comporter comme Georges, qui m'arrêterait ? »

Un autre pas. La directrice maintint ses positions. Elle avait trouvé le courage d'abaisser sa baguette, mais l'écrasante présence de Narcisse rendait la tâche de rester calme bien difficile.

« Si jamais, un jour, on arrivait à me lancer le sortilège de l'imperium, qui m'arrêterait ? »

Un dernier pas. Il se trouvait désormais face à elle, la dominant de toute sa hauteur, de toute sa taille. Son regard plongea dans celui d'Elina, qui le soutint tant bien que mal. Il pencha la tête sur le côté.

« Toi, peut-être ? »

Sa main se leva lentement en direction de son visage. Le cœur de la directrice manqua un battement, elle détourna le visage, sentant une goutte de sueur glacée lui rouler sur la tempe. Les doigts de Narcisse saisirent la branche de ses lunettes.

« Regarde-moi, Elina. »

Elle ne le voulait pas, elle sentait la terreur lui retourner l'estomac. Elle entendit le glissement du métal sur la peau alors que le professeur retirait ses lunettes. Et au moment où elle trouva enfin la force de le regarder, elle crut que son cœur allait lâcher.

Un geyser. Un brasier. Un volcan. Une explosion constante et surpuissante. Un déferlement de puissance absolue émana soudainement du corps de Narcisse, menaçant de carboniser tout ce qui se trouvait un peu trop proche de lui. Puis il ouvrit les yeux. Elina vit flou, son front se trempa de sueur. Elle maintint le contact visuel, autant par courage que par impossibilité de faire le moindre mouvement.

Elle connaissait bien les yeux noirs de Narcisse. Mais aujourd'hui, ses pupilles s'étaient teintées de blanc, tel du métal en fusion glissant insidieusement dans ses yeux, menaçant à tout instant de bondir hors de lui. Ces yeux qui, par leur seule existence, suffisaient à pousser Narcisse à porter ces verres sur son nez. Le mystère qui avait fasciné Kristen, et qui avait finalement causé sa perte.

« C'est bien ce que je pensais. »

Il remit ses lunettes, tout s'effaça. L'air redevint respirable. Le monde retrouva des couleurs, et enfin, Elina réussit à ressentir autre chose que la terreur. Elle comprit. Elle sut que si, Narcisse et elle venaient à s'affronter, la directrice ne pourrait lui opposer qu'une résistance dérisoire.

Respirer, bon sang, il fallait respirer, elle avait oublié comment on faisait. La main de Narcisse tapota son épaule, la faisant tressaillir.

« Tu comprends c'que je veux dire, je le sais. Tu sais que je porte pas ces lunettes pour le plaisir. »

Il se détourna, avant de lever sa main gauche à côté de sa tête.

« Accio. »

Elina fronça les sourcils en observant une concentration de magie qu'elle n'aurait pas pensé possible. On aurait dit qu'il commandait aux molécules d'air de se rassembler dans le creux de sa main. Elle regretta de ne plus avoir son œil droit, qui aurait été bien utile en cet instant.

« Glacius. »

Dans un bruit de verre crissant sous une pierre, une dague de glace apparut entre les doigts de l'homme. La curiosité de la directrice prit le dessus, et elle veilla à observer un silence religieux. Narcisse l'observa en la faisant passer devant son visage, puis il tendit l'autre bras.

Et brusquement, aussi vif que l'éclair, il abattit la dague de glace sur sa peau.

Il est étonnant d'entendre comme le son de la glace qui se brise ressemble à celui du verre par moment. Des centaines d'éclats gelés giclèrent de part et d'autre du bras de Narcisse, certains sifflèrent en touchant le feu. Mais, comme toujours, l'homme n'avait aucune marque. Il serra les poings en laissant ses mains retomber le long de son corps.

« J'ai essayé, Elina... J'ai vraiment essayé. J'arrive pas à me débarrasser d'cette saloperie de bouclier. »

Il fit tournoyer sa main, et répara la table qu'il avait brisée. Ses jambes cédèrent pour le laisser s'asseoir sur sa chaise.

« J'ai jamais voulu ce truc... Je déteste ce pouvoir. Je peux même pas serrer Ella ou Dianne contre moi sans avoir peur qu'il se réactive et qu'il leur fasse du mal. »

Ses coudes se posèrent sur ses genoux, et il regarda ses mains d'un air consterné, et attristé. Sa voix avait perdu beaucoup de puissance. La solitude qui accompagne le plus fort. On peut admirer une fleur en floraison, mais personne ne pouvait lui demander de nous comprendre. Elina dut se rapprocher pour mieux l'entendre, il la laissa faire.

« Il faut qu'ils sachent. Il faut qu'on puisse me vaincre, si jamais ça tourne mal. Et peut-être qu'ils arriveront à trouver un moyen... Juste... j'sais pas, un truc pour passer au travers. Ou le contrôler, j'en sais rien.
Je pense que tu te sous-estimes... Il m'est difficile d'imaginer quelqu'un pouvant te battre aujourd'hui, même en communiquant tes secrets. Ce n'est pas en te mettant en danger que tu protégeras les autres. Beaucoup comptent sur toi, désormais. »

Narcisse passa sa main sur sa nuque en pouffant d'un rire sarcastique. Un soupir s'échappa de ses lèvres.

« C'était tout ce que t'avais à me dire ? Je me sens fatigué, je suis désolé... »

Elle leva la main, elle voulut la poser sur l'épaule de son ancien élève. Puis elle se ravisa. Sa voix était douce, mais elle était incapable de le toucher.

« Non, ce sera tout. Je te remercie. Et... Poudlard sera toujours ta maison, tu sais ? »

Il hocha la tête, elle prit la direction de la porte. Au moment où elle posa ses doigts sur la poignée, elle se tourna vers lui pour le regarder.

« Tu fais leurs missions, tu leur obéis, tu les sers... Et tu leur transmets toutes les informations qu'il leur faut pour te mettre à bas si jamais un jour l'envie leur prend. »

Un silence, ils se regardèrent tous les deux. Elle se détourna.

« Croise les doigts pour que personne au Bureau n'ait un compte à régler avec toi. Tu ne voudrais pas que s'ajoute aux attaques de mercenaires et de mages noirs des agents un peu trop informés. »

La directrice savait la nature des missions de l'homme. Elle savait, car il l'avait prévenu. Elle savait qu'à tout instant, il pourrait avoir à quitter Poudlard, mandaté par le gouvernement. Et elle savait qu'à tout instant, sa simple présence pourrait suffire à attirer un mage noir un peu trop confiant, et nostalgique de l'ancienne époque. Mais qu'importe pour elle. Le bruit de ses talons résonna dans le couloir. Juste avant qu'elle ne referme la porte, Narcisse redressa la tête, et se releva à son tour, pour remettre son gant. L'air autour de lui ondulait. Sa voix gronda comme le flot d'un torrent.

« Qu'ils viennent, je les attends. »

Le soir même, Narcisse décida de transplaner dans l'enceinte de l'école pour rentrer chez Dianne. Simplement pour rappeler à Elina qu'il pouvait le faire, et qu'il ne voulait pas qu'on prenne la menace qu'il pouvait potentiellement devenir à la légère.

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2A RP - 13 ans - 1m40
Avatar par Merinda Swart

15 janv. 2024, 22:38
 Fanfiction  Narcisse Brando - La famille que l'on choisit
CHAPITRE ONZIÈME

Ô comme Phillips haïssait Narcisse.

Comme il l'exécrait, comme il l'abhorrait, comme il le craignait. De tout son être, de toute son âme, de toute son existence. Aujourd'hui, le vieil homme n'avait plus que ce ressentiment. Cette amertume qui le rongeait et le grignotait, qui l'obsédait, chaque heure, chaque minute, chaque seconde qu'il passait éveillé. Car aussi fort qu'il haïssait l'homme qu'il estimait responsable de la destruction de sa vie, Phillips était incapable de l'oublier. Et pourtant, il l'aurait voulu. Il avait essayé. Farouchement, avec désespoir, tentant dans un effort vain et futile de ne ressentir pour Narcisse qu'une haine froide et pure. Il avait essayé, noyé dans son orgueil qui l'aveuglait, d'effacer la crainte brûlante qui le prenait aux tripes à chaque fois qu'il repensait à cet homme.

Dix ans. Phillips avait passé plus de dix ans à comploter. À échafauder un plan, n'importe lequel, dans le but de faire souffrir Narcisse autant que lui l'avait fait souffrir.

Le patriarche serra les doigts autour de la cuve de sa Pensine, ses dents crissèrent les unes contre les autres. Un tremblement agita ses avant-bras.

« Ma Fanny... »

Un sanglot secoua sa poitrine, il se plia en deux en laissant sa tête basculer en avant, fermant les yeux à s'en déchirer les paupières. Pleurer était un acte de faiblesse. Pensé par les faibles, accompli par les faibles. Phillips refusait de se considérer comme tel. Il était puissant. Oh que oui, il l'était. Il était riche. Il était intelligent, sournois, rusé. Et il n'avait plus rien à perdre.

Sans sa petite-fille, Tiffanie, sans cet ultime espoir, ce sempiternel projet, il ne savait plus à quoi se raccrocher. On la lui avait enlevée. On lui avait pris. Sa précieuse petite-fille avait été tuée, assassinée, de la manière la plus barbare qui soit, par l'espèce la plus abjecte qui soit. Par une moldue. Une sale moldue, une femme de surcroît. Et elle portait le nom de Brando. Brando. Cet immonde sang-pourri, cette raclure infâme et de basse naissance, il osait porter le nom de la femme qui avait tué sa petite. Il avait détruit tout ce qu'il avait bâti, tout ce qu'il s'était échiné à construire, tout ce pourquoi Georges s'était battu. Pour poser les fondations d'un monde nouveau. Et pour cela, il devait payer. Ses ongles rayèrent le marbre auquel ils se raccrochaient, ses épaules palpitèrent, il accepta enfin de rouvrir les yeux.

Brando n'avait pas sauvé sa petite-fille.

Phillips était un vieil homme. Il avait vécu, et il avait bien vécu. Son regard se porta sur ses mains squelettiques, blanches et translucides, dont les veines serpentaient autour de ses articulations rigides et endolories. Le bleu contrastait effrayamment sur ce blanc presque immaculé. Il frotta doucement le bout de son index contre son pouce, contemplant la faiblesse pitoyable de son corps. Punition accablante et insensible du temps qui passe, de l'horloge qui tique, implacablement. Phillips était faible, asthénique. Il claqua des doigts.

« Fritzy, ma potion.
Tout de suite, maître. »

L'elfe disparut dans un claquement de fouet. Phillips ne fit même pas attention à la créature qui lui tendit par la suite la fiole contenant le précieux liquide, qu'il but d'une traite, ignorant la brûlure qui déchira sa gorge.

« Immonde.
Mille excuses, maître.
Tsk. »

Un coup de pied mal placé, trop fatigué pour réellement porter. Malgré le fait que cette potion, obtenue au prix de sa fortune, était la seule chose qui le maintenant dans un état à peu près acceptable, il refusait de montrer la moindre reconnaissance pour cette forme de vie inférieure. L'horloge tiquait. Dans la grande pièce souterraine de son manoir, insonorisée et isolée, protégée de tout sortilège imaginable, il régnait en maître absolu. Aussi immense qu'un homme pouvait l'imaginer, les murs étaient recouvert d'étagères, d'armoires, dans lesquelles fioles et éprouvettes s'entassaient. À l'intérieur de celles-ci, des filaments argentés s'agitaient et sinuaient lentement.

Les souvenirs.

Phillips dégaina sa baguette, et fit venir à lui une fiole dépourvue de toute poussière. Elle était utilisée presque tous les jours. Ce souvenir était l'un de ses plus précieux. Arraché par l'un de ses mercenaires au prix d'un effort colossal, le sbire avait été bien utile, juste avant de mourir. Le patriarche connaissait le souvenir par cœur. Il s'agissait d'une partie de la mémoire d'un soldat de Tuséki. Une réminiscence incomparable, inestimable, puisqu'elle avait permis à Phillips de comprendre le mécanisme du bouclier de Narcisse.

Ses doigts gourds firent tournoyer la fiole. L'étiquette, dont l'écriture était presque effacée, manqua de se déchirer. Il la replaça d'un geste du pouce. S'y replonger, ou ne pas s'y replonger. Telle était la question. L'horloge tiqua, le bruit résonna dans toute la pièce. D'un grognement rageur, il se redressa en regardant l'heure.

« Que fout cet incapable... »

Enfin, après plusieurs heures d'attente et d'errance, comme invoqués par la menace invisible de son maître, des bruits de pas se firent entendre. Descendant maladroitement les escaliers de pierre froide, Cédric fit son apparition. Autre âme vieillie et aigrie, serviteur plus qu'acolyte, l'homme aux cheveux blancs était à bout de souffle. Phillips ne le prit aucunement en pitié.

« Enfin ! C'est maintenant vous arrivez ?
Par... pardonnez-moi... Le... l'homme n'est jamais venu, j'ai dû aller le chercher moi-même...
Venez. »

Le ton froid et tranchant du roux fit vibrer l'air, tandis que Cédric s'approchait péniblement de lui, pour lui tendre un petit paquet, soigneusement emballé dans du papier kraft. Phillips s'en empara avec autant de soin qu'il le put, et passa sa main sur le papier, les yeux fascinés. Il ignora copieusement les plaintes essoufflées de son espion, et déchira le paquet d'un coup de baguette. Une éprouvette scellée par un bouchon de cire, à l'intérieur de laquelle dansait insensiblement un énième filament grisâtre. Une lueur effrayante s'alluma au fond des iris gris du patriarche.

« Bien... Très bien... »

Cédric s'assit sur l'une des rares chaises de la pièce, s'essuyant le front de son mouchoir, sans se soucier de sa position. Phillips n'y prête pas non plus attention, il était en train de déboucher la fiole, en s'approchant de sa Pensine.

« Voyons cela. »

Du bout des doigts, il versa précautionneusement le souvenir dans l'alcôve, qui se fondit dans le liquide blanchâtre tournoyant inlassablement. L'homme y plongea la tête, se mêlant aux plaintes macabres émanant du récipient.

Le petit vieux expira lentement, profitant de ces quelques minutes de calme et d'apaisement. Il observa l'homme qui était devenu, au fil des années, son maître. Bien malgré lui. L'emprise qu'il avait désormais sur lui était absolue. Sa vie ne tenait plus qu'au fil de ses accomplissements et à la rigidité de son obéissance inconditionnelle. Il se redressa doucement. Peut-être... Peut-être que s'il le tuait maintenant... Après tout, personne n'en saurait jamais rien, pas vrai ? Il frémit, il prit une grande inspiration, il se leva. Sa main tremblotait, en se dirigeant vers la poche qui contenait sa baguette.

Il se mordit l'intérieur des joues, détourna le regard en fermant les yeux, les battements de son cœur écrasant sa poitrine. Sa respiration se fit lourde, la sueur glacée se condensa dans son dos, sa peau fourmilla. La peur l'abattait. Il était trop lâche, bien trop lâche. Dans un soupir, ses épaules s'abaissèrent, tandis que Phillips se redressait, le visage gravé dans la pierre.

« Ferlet, venez ici. »

Cédric frissonna.

Qu'avait-il fait ? Il savait reconnaître la voix de Phillips quand celui-ci perdait son sang-froid. Il déglutit avec difficulté, demeurant immobile un court instant, tandis que le roux récupérait avec un calme infini le souvenir pour le ranger dans l'éprouvette. Un bruit de pas. Cédric se rapprocha.

Lorsqu'il fut suffisamment proche, l'air sembla s'immobiliser autour de lui. Un vent froid souffla sur sa joue, qui devint brûlante, l'instant d'après. L'homme n'avait rien vu venir. Dans un fracas de verre brisé, Phillips avait pivoté sur lui-même pour fracasser la fiole contre le visage de Cédric, dans une gifle dont le son fit écho au hurlement de douleur de l'espion. Le sang se confondit avec les éclats de verre, le fracas d'un corps qui s'effondre sur la pierre dure, les hoquètements de douleur et de confusion, tout se mélangea dans une poignée de secondes de torture abominable.

« Ce souvenir est bidon ! Ferlet, vous êtes un incapable ! Vous mériteriez que je vous abatte, sur-le-champ !
Je... je ne comprends pas... »

Phillips s'avança vers lui, le laissant ramper au sol, se lamentant dans sa douleur. Le patriarche ne ressentait pas la moindre pitié pour cet homme, qui le dégoûtait au plus haut point. Le verre crissa sous les bottes du roux. Un bruit de crachat, un coup de talon dans les côtes, Cédric roula sur le côté, le souffle coupé par le coup. Les zébrures de souffrance aveuglaient tout le côté gauche de son visage, des décharges électriques élançait sa cage thoracique à chaque respiration convulsive. La voix de Phillips retentit de nouveau.

« 2000 gallions partis en fumée. J'espère que vous êtes satisfait de vous, infâme sang-mêlé.
Pardonnez-moi... Pardonnez-moi... je ne comprends pas... C'est impossible... Le... il était... il m'avait affirmé que...
Ferlet, si les prochains mots qui sortent de votre bouche ne sont pas là pour porter une bonne nouvelle, cette faute envers moi sera la dernière. »

Le silence tomba entre les deux hommes. La main gauche de Cédric pressait en tremblotant sa joue déchiquetée, la droite maintenant son flanc. Il peinait à respirer, déglutissait en déchirant son œsophage asséché. Son regard croisa celui de Phillips. Une terreur abyssale lui retourna l'estomac, des griffes sombres lacérèrent son poitrail, aiguillonnant ses os et sa peau. Il devait trouver quelque chose. Vite.

« Je... je... »

Phillips glissa sa main dans sa poche, sa baguette apparut. L'homme affalé leva brusquement le bras, implorant, suppliant de sa voix, les yeux écarquillés, ignorant les flots de douleur le submergeant au moindre mouvement.

« Jourov a accepté l'acompte ! Elle... Elle attend les ordres, elle dit qu'elle tentera une première approche dès que possible, elle...
Excusez-moi ? »

Cédric glapit de frayeur. Phillips abaissa sa baguette d'un mouvement brusque. Les tremblements dans sa voix n'étaient en rien dû à une hypothétique joie, mais à une fureur sans borne. Des veines rougirent le blanc des yeux du patriarche, un tic agita sa paupière inférieure. Il braqua calmement son catalyseur en direction du visage de son espion.

« Êtes-vous en train de me dire, pour sauver votre peau, que vous avez engagé cette femme alors que je vous avais expressément demandé de ne plus rien tenter ?
Mais... »

La gorge du vieil homme se serra, ses doigts tremblèrent, sa voix se brisa. Il secoua la tête, interdit, ébranlé.

« Mais... Vous, vous aviez demandé de me montrer plus prudent, pas vrai ? C'est, c'est bien ce que vous avez dit ? "Vous savez ce qu'il vous reste à faire." Je... je m'en souviens, j'ai pris mes précautions, j'ai utilisé davantage d'intermédiaires, davantage de...
Pauvre IDIOT ! »

La baguette du patriarche fendit l'air, découpant un lambeau de peau dans le poitrail de Cédric, qui ne put même pas se cambrer sous la douleur. Car dans le même geste, Phillips le fit se relever.

« Impero. »

Comme animé par des mains invisibles tirant sur des fils enchaînés aux articulations de Cédric, ce dernier se redressa en gémissant. Sa gorge croassa, son visage se retrouva en quelques secondes au niveau de celui de son ravisseur. Les traits en ébullition, la respiration lourde et régulière, du fond de ses yeux transparaissait une haine et un mépris d'une insondable profondeur. Cédric était incapable de ne serait-ce qu'implorer grâce. Phillips leva bien haut sa baguette, une lumière verte illumina la pénombre, la terreur grandit chez l'homme immobile.

« Je vous avais dit que nous devions cesser les attaques tant que la cible se trouve à Poudlard ! J'en ai plus qu'assez de vous. Ava... »

Les yeux du patriarche s'écarquillèrent. Sa magie s'estompa, sa victime s'effondra au sol, dans un bruit de verre et d'os cassés. Un nouveau gémissement s'éleva d'à ses pieds, qu'il ignora copieusement. Le roux contemplait le vide, sa baguette à la main qu'il abaissa doucement. Son index tapotait machinalement sur le bois. Cédric roulait sur lui-même, cherchant à s'éloigner en rampant, pitoyablement, s'écorchant les mains et laissant une grande traînée de sang.

La langue de Phillips claqua, et il exécuta une gestuelle de sa baguette. Dans un bruit sec, les plaies de son espion se refermèrent brutalement, lui arrachant un hurlement qui fut couvert d'un autre geste de catalyseur.

« Vous êtes trop bruyant. Je réfléchis. »

Cédric se mordit la joue pour se contraindre au silence, respirant péniblement, à même la pierre, anesthésié par le soudain silence de son système nerveux. Plusieurs longues secondes s'écoulèrent, une immobilité absolue. Phillips pencha la tête sur le côté en amenant la chaise à lui pour s'asseoir.

« Comment avez-vous contacté Jourov ? »

L'homme à terre respira brusquement, levant un regard paniqué en direction de son employeur. Ce dernier claqua de la langue.

« Répondez, vite.
Elle... J'ai utilisé un double système de hiboux, avec des intermédiaires neutres. Et...
Elle a répondu ?
Oui. »

Un bruit de déglutition, Phillips désigna la marche de l'escalier derrière Cédric du doigt, ce dernier s'y assit, manquant de chuter.

« Elle... C'est elle qui m'a trouvé. Il y a trois jours. Elle m'a remercié pour l'acompte, et je lui ai dit d'attendre que vous lui fournissiez le plan. Comme d'habitude monsieur, je vous le promets.
Vous dites qu'elle vous a trouvé ? »

Un sourcil arqué, une vibration dans la voix. L'homme aux cheveux blancs leva des mains tremblantes, la sueur au front.

« Je vous le jure ! Je vous le jure ! Elle... elle a débarqué comme ça ! Sans prévenir ! Personne ne l'a vu, ni entendu. Oh... monsieur, si vous l'aviez vu... J'étais terrifié, proprement terrifié. J'ai cru qu'elle allait me tuer... Juste... comme ça.
Mh... »

Phillips le fit taire d'un geste de l'index. Il s'adossa à sa chaise, croisant les bras sur sa poitrine, ignorant son elfe qui s'approcha pour nettoyer le verre et le sang d'un claquement de doigts. Son pouce frottait doucement sa joue, il ferma les yeux. Cédric en profita pour tirer sa baguette, afin de réparer ses vêtements et ses lunettes brisées. Le silence s'éternisa. Puis, Phillips laissa apparaître un sourire scélérat en rouvrant les yeux.

« Vous êtes un imbécile, mais vous savez jauger les gens. Est-elle puissante ?
Oui monsieur, incroyablement. Elle a dû m'arracher les mots de la bouche, tant sa présence était écrasante...
Davantage qu'Alpha ?
Je... »

Il ouvrit la bouche, puis la referma. Son regard se fit distant, il ramena ses genoux jusqu'à sa poitrine en grimaçant de douleur, ses doigts frottèrent sa tempe. Phillips le fixait, sa baguette tapotant sur sa cuisse. Cédric secoua doucement la tête. Il avait déjà rencontré Narcisse, l'homme qu'il surveillait chaque jour qui passait depuis qu'il était au ministère. Et contrairement à l'immense majorité de ceux qui le rencontraient pour la première fois, le vieil homme ne s'était pas laissé abuser.

La puissance de Narcisse était proprement inhumaine, et il ne l'avait croisé qu'au détour de couloirs.

« Je ne sais pas. J'ai... Peut-être. Impossible de dire, pas avec si peu d'informations. Cette femme est un vrai fantôme, je n'ai pu obtenir aucune source, rien du tout, pas une histoire ni une rumeur. »

Phillips hocha doucement la tête, ses doigts passèrent dans ses cheveux magiquement réimplantés. Il soupira.

« 30.000 gallions... Merlin. »

Sa main frotta son front, son index et son pouce massèrent ses tempes. Cédric n'osa pas faire le moindre mouvement. Peut-être. Vraiment, peut-être. Phillips sentit son cœur s'agiter d'une manière qu'il n'avait pas ressentie depuis des années.

« Comment peut-on la contacter ?
Euh... C'est assez difficile, il faut...
Parlez vite.
Euh, oui. Je peux la contacter en deux jours, il faut deux jours de battement, quoi qu'il arrive, c'est son système de protection.
Je vois... »

Le roux inspira, puis se leva prudemment, son regard virevoltait sous ses paupières, ses pas déambulèrent dans la pièce, avant de s'arrêter à la Pensine. Sans regarder son homme de main, il reprit.

« Amenez-la ici.
Mais...
Vous n'en avez pas assez fait ?! J'ai dit : Amenez-la ici ! »

Pivotant sa tête pour plonger son regard gris dans celui de Cédric, Phillips laissa éclater toute sa colère et toute son impatience. Il s'efforçait de ne pas faire attention aux tremblements qui agitaient sa main. L'espion blêmit, déglutit, et enfin, se redressa à son tour, avant de prendre le chemin de la sortie. Encore une fois, il voulut fuir, le plus loin possible, le plus vite possible. Mais la voix de son employeur résonna derrière lui.

« Et le corps du professeur ? Qu'en avez-vous fait ? »

Il inspira, et répondit sans se retourner, contenant les frissons de son dos.

« Il n'a pas bougé, monsieur. Il est toujours là-bas.
Bien. Très bien. »

Cédric n'attendit pas la moindre réaction et déguerpit aussi rapidement que ses jambes affaiblies par la peur et la perte de sang le lui permirent. Tandis qu'il s'enfuyait en grimpant les escaliers quatre à quatre, le visage pâle, ses pensées tournaient en boucle.

Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir.

0131b4
2A RP - 13 ans - 1m40
Avatar par Merinda Swart

28 janv. 2024, 20:26
 Fanfiction  Narcisse Brando - La famille que l'on choisit
CHAPITRE DOUZIÈME
Reducio
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21 novembre 2053, La Rochelle

Aude Luneau avait beau avoir atteint la cinquantaine, nul ne la connaissant hors de son travail n'aurait pu lui donner cet âge. Au final, plus personne, excepté la détentrice de la bague qu'elle portait à son annulaire gauche, ne la connaissait vraiment. Depuis combien de temps n'avait-elle pas revu son épouse, déjà ? Cinq, six ans ? Les années se confondaient, les mois se mélangeaient. Les jours ruisselaient, se répétant les uns les autres, s'assemblant et se ressemblant douloureusement, balayant de leur vent salé les attentes de la sorcière. Ses espoirs ne s'étaient cependant jamais taris. Le fait que cette alliance scintille toujours de la même lueur après tout ce temps le prouvait bien.

Son regard se porta à sa fenêtre, trempée par la pluie et les hautes vagues éclaboussant les récifs non loin. Un soupir s'échappa d'elle.

« Quelle tempête. »

Dégainant doucement sa baguette, elle exécuta d'un geste tout aussi souple un tourniquet du poignet, claquant les volets pour étouffer le bruit incessant de la pluie et de la mer. La sorcière avait choisi de venir se réfugier sur une bicoque parfaitement isolée, non loin de Besselue, il y a de ça... oh, environ cinq ou six ans. Son sourire était aussi amer que son regard était doux. L'horloge tiqua onze heures, un éclair zébra le ciel noir, perçant l'obscurité de la nuit. Aude ne sursauta pas, et ferma les yeux en se laissant envahir par le doux grondement de l'orage qui retentit quelques secondes après.

« Ah, la voilà qui se rapproche. »

La tempête était bientôt sur elle. Il était plus que temps de délaisser son livre, qu'elle déposa sur sa table, à côté de sa chaise. La couverture refléta les flammes de sa cheminée, ployant sous les quelques courants d'air réussissant à s'insinuer dans l'âtre, sifflant et soufflant de manière inquiétante. Cela faisait longtemps que l'ancienne directrice de Beauxbâtons ne craignait plus les tempêtes. Dans un doux bruissement de soie, sa robe de chambre frotta contre le siège quand elle se leva, tenant les pans au niveau de sa poitrine pour se protéger d'un vent inexistant.

C'est en enfilant ses chaussons qu'un claquement de fouet perça le grondement du tonnerre et des vagues. Aude se figea, son regard planté sur sa porte. Les cheveux de sa nuque picotèrent, un frisson descendit jusqu'au bas de son dos. En un éclair, sa baguette se retrouva entre ses doigts, et elle avança lentement vers l'entrée. La pluie battante sur son toit ne dissimula cependant pas le son d'un poing toquant doucement sur le bois. Trois coups. Simples, doux, légèrement traînants. La blonde rajusta une mèche derrière son oreille, avant de se camper devant sa porte. Elle ferma les yeux, sourit, et glissa sa baguette dans sa manche.

L'influence de Kristen la rendait parfois méfiante. La clé tourna dans la serrure, le loquet claqua et la porte s'ouvrit d'un mouvement, Aude fit un pas en arrière.

« Bonsoir, puis-je... »

Elle écarquilla les yeux, son souffle se coupa, son cœur manqua un battement. Son corps tout entier se raidit sous le choc indescriptible qui frappa la sorcière à la vue qui s'offrit à elle.

La dépassant d'une demi-tête, sa veste trempée claquant sous les bourrasques de vent, un homme se tenait face à elle. Elle ne lui donnait pas plus que la vingtaine. Ses yeux noirs, dissimulés sous ses cheveux ébouriffés, tirés par des cernes profonds, la regardaient sans vraiment la voir. Le premier choc passé, l'ancienne médicomage reprit ses réflexes d'observatrice et laissa glisser son regard sur lui. Sa main se leva pour venir se poser sur ses lèvres, une sensation glacée enserrant son cœur de ses griffes froides.

Le jeune homme était couvert de blessures. Ses vêtements étaient déchirés, brûlés par endroits, son visage et son bras gauche étaient recouverts de sang séché. Lorsqu'il se frotta l'index de son pouce, les bras le long du corps, elle vit ses ongles encroûtés de terre, qui commençait à être doucement lavée par la pluie. Des marques de doigts ornaient sa gorge, des écorchures à en perdre le compte, du sang avait coulé de ses lèvres, et à sa posture, elle savait qu'il avait plusieurs côtes fracturées. Elle sentit l'extrémité de ses doigts trembler imperceptiblement.

« Aude... Luneau ? C'est ça ? »

La bouche de l'inconnu s'était agitée sans que le reste des traits de son visage n'arrive à se mouvoir. On aurait cru voir un masque de pierre parler, essayant d'imiter la voix d'un être humain. Si Aude n'avait pas autant d'expérience, elle douterait d'avoir en face d'elle autre chose qu'une coquille vide.

Un petit choc électrique la fit se redresser. Elle s'écarta du chemin, reprenant ses habitudes et se maudissant de ne pas avoir agi plus poliment.

« C'est moi. Mais entrez, je vous en prie, vous allez geler. »

De son accent français dont elle n'avait jamais réussi à totalement se défaire, elle enveloppa l'inconnu de la chaleur de sa voix, un sourire doux et lumineux aux lèvres. Ce dernier blêmit, redressa la tête. Son visage s'éclaira un bref instant, la commissure de ses lèvres frissonna. Aude observa des larmes se mélanger à la pluie, avant d'être balayées par le vent. Puis, l'inconnu s'éteignit de nouveau, respirant par à-coups, serrant son poing gauche en tremblant. Une voix prit au dépourvu l'ancienne directrice.

« Il est un peu secoué, si vous voulez réellement qu'il rentre, vous allez devoir vous imposer. »

Comme sorti de nulle part, se matérialisant sur l'épaule de l'adolescent, un petit renard bleu fixait Aude de ses yeux dorés. Sa voix suave et délicate perçait le vacarme de la tempête sans difficulté. Mais malgré tout, la femme sentait bien qu'en temps normal, cette voix aurait été bien plus enjouée. Par Morgane, à qui avait-elle donc ouvert la porte ? Elle secoua la tête, aucune importance. D'un mouvement doux, mais ferme, elle leva la main pour agripper le poignet de l'adolescent.

« NON ! »

Elle ne sut si l'injonction s'adressait véritablement à elle, ou si le petit renard avait supplié son compagnon, mais en un éclair, elle vit l'inconnu brusquement reculer. Dérapant sur les roches trempés, tremblant, chancelant comme pris d'un soudain accès de faiblesse, son regard terrifié disparaissait derrière ses cheveux sous les coups de sa profonde respiration. Le renard s'était interposé entre lui et elle, campé sur ses positions, comme prêt à bondir.

Malgré ses doutes, Aude ne faiblit pas. Elle ignora la pluie, et continua de tendre sa main ouverte en direction de l'adolescent, avant de déposer sur lui un regard empli de tendresse et de patience.

« Tu vas attraper la mort. S'il te plaît, rentre. Tu es le bienvenu. Et ton ami aussi. »

La respiration rauque continua encore plusieurs secondes. Déglutissant avec difficulté, l'adolescent, regardait d'un air paniqué l'adulte, se mordant l'intérieur des joues, serrant son poing sur sa poitrine, tremblant. Mais elle ne baissa pas le regard, et ne recula pas, ignorant la pluie qui trempa sa robe de chambre, la plongeant des affres de froid indescriptibles. Ce fut cet élément, qui, aux yeux de la femme, fit basculer la résolution du jeune homme. Son regard changea, il la parcourut des yeux. Il eut l'air profondément désolé, ses épaules se voûtèrent, il céda.

« Je... je vous remercie, pardonnez-moi. »

Nul mot ne fut nécessaire, elle se déplaça pour le laisser entrer à sa suite. Malgré toutes les convenances, elle se doutait qu'il ne valait mieux pas passer derrière lui. Le petit renard sautilla à l'intérieur avant d'aller se réfugier auprès du feu pour ébrouer son pelage.

L'entrée communiquant directement avec la salle à manger était d'une ambiance chaleureuse. Les meubles d'un goût simple et discret s'emboîtaient parfaitement avec les murs dépourvus de toute décoration inutiles. Les quelques tapis de couleur pourpre parsemaient le sol avec suffisamment de remplissage pour ne pas donner l'impression que la pièce était nue. Au centre de la pièce trônait une grande table, entourée de chaises. Et non loin de là, à côté de la cheminée, une paire de fauteuils, l'un face à l'autre, n'attendaient que leurs occupants.

Aude frissonna en levant la main pour dégainer sa baguette et se sécher prestement. L'inconnu fut plus rapide.

L'ancienne directrice sentit une chaleur incroyablement bienfaisante l'envahir, elle se retrouva entourée de vapeur d'eau, alors que le froid s'échappait d'elle. Son regard se tourna vers l'entrée, pour trouver l'inconnu la main levée, paumée tournée vers elle. Son visage demeurait toujours aussi inexpressif. Et son corps demeurait toujours aussi immobile. Elle se dressa de toute sa hauteur, insinuant davantage d'autorité dans sa voix. Sa main désigna le fauteuil face au sien.

« Assieds-toi, je t'en prie. »

D'un air malicieux, elle agita sa baguette pour sécher son invité, qui baigna à son tour dans une vapeur d'eau qui disparut en un battement de cils. Il expira malgré lui de soulagement. Comme frappé par la foudre, il se raidit, avant d'ôter ses bottes pour les disposer à l'entrée, sans même défaire ses lacets. S'agrippant à sa veste, il marcha lentement jusqu'au fauteuil pour le regarder, se tenant les bras ballants face à lui. On aurait cru voir un fantôme revenant sur les lieux de son ancienne vie.

Une lourde impression étouffa la poitrine d'Aude.

« En temps normal, je ne laisse pas d'inconnu pénétrer chez moi. »

Elle alla s'asseoir, jetant un regard curieux au petit renard qui se grattait derrière l'oreille. Le grincement du fauteuil sembla frapper de plein fouet l'inconnu, qui se tourna vers elle, l'air confus, puis embarrassé. De multiples ombres passaient continuellement sur son visage, ses yeux étaient boursouflés à force d'avoir pleuré. Maintenant qu'il se tenait dans la lumière, elle put constater à quel point il était mal en point. Il puait le sang, la sueur, la mort et la tristesse. Elle en fut profondément secouée. On aurait cru voir un animal acculé.

« Je... Narcisse. Je m'appelle Narcisse. Brando. »

Elle entendit la gorge de Narcisse se serrer à ce dernier mot. Elle entendit sa voix se briser, et pour la première fois, une émotion passage brièvement sur son visage. L'émotion d'une indicible infliction. C'en fut trop pour celle qui avait passé sa vie à soigner les gens. Aude se leva brusquement.

« Assieds-toi, je vais...
S'il vous plaît. »

Quelque chose dans la voix de Narcisse força Aude à totalement s'immobiliser. Une supplication, désespérée et pitoyable, il n'osait même pas la regarder. Il serrait les poings à s'enfoncer les ongles dans les paumes, en tremblant, ses dents crissaient les unes contre les autres. Malgré tout, l'ancienne directrice fit un pas dans sa direction, posant sur lui un regard emprunt d'inquiétude et de bienveillance. Il s'en détourna, comme dégoûté, révulsé.

« Je... »

Il leva son bras gauche, encroûté de sang jusqu'à l'épaule, le poing tremblant. Son visage était fermé, et fixait l'autre direction. Aude ne sut pourquoi, mais un abominable et glacial frisson fendilla sa colonne vertébrale avant même qu'il n'ouvre le poing.

« Je... je veux- je dois, vous la rapporter... Pardon... »

Les jambes d'Aude manquèrent de céder. Sa main se posa d'elle-même sur sa poitrine, cherchant désespérément à relancer son cœur, ou à reprendre, ne serait-ce qu'une respiration. Mais son regard ne pouvait se détacher de la bague qui trônait au creux de la main de l'adolescent. Une alliance, jumelle à la sienne. Mais ternie par le manque de soin, et salie par le sang et la terre.

Zikomo se contentait d'observer la scène, dans un parfait silence, sa queue entourant ses pattes.

Le silence se prolongea de longues, très longues minutes, dans une immobilité absolue. Ce fut Narcisse qui bougea le premier. Son bras se mit à trembler, ses jambes plièrent, sa main libre appuya sur son genou pour le soutenir. Il était à bout de souffle, son visage était blanc comme un linge, mais il refusait d'abaisser son bras, tendant toujours avec supplication la bague en direction d'Aude. Un sanglot l'agita, il secoua la tête. L'ancienne directrice inspira profondément, n'osant prendre l'alliance. Elle serra sa main dans son poing, collé à sa poitrine.

« Elle est morte, n'est-ce pas ? »

Narcisse ouvrit la bouche pour parler, mais seul un croassement de souffrance s'en échappa. Il hocha alors la tête, plongeant son visage ruisselant de larmes dans son coude, tentant vainement d'échapper au regard suppliant d'Aude. Elle s'approcha de lui. Ses mains tremblantes se levèrent. L'une d'entre elles voulut agripper le poignet de Narcisse.

« Je ne le toucherais pas, si j'étais vous. »

Zikomo s'était redressé, et s'était approché. Sa voix avait brusquement fait reculer les mains d'Aude. Elle tourna son regard vers lui, dubitative. Il secoua la tête, clignant lentement des yeux. Ce n'était pas à lui d'expliquer. Il n'aurait de toute manière pas su quoi dire. Narcisse secoua à son tour la tête en reniflant, avant de lui-même s'approcher d'Aude.

« Je... ça va aller, je- je dois vous la donner. »

Il avait replié son bras contre sa poitrine, en s'approchant d'elle, chancelant au plus petit pas. L'instant d'après, il basculait sur le côté, sa jambe cédant sous son poids.

« Eh là. Doucement. »

Les mains d'Aude se posèrent sur son bras et son épaule, le soutenant avec fermeté, mais tendresse. Narcisse s'agrippa à elle de sa main libre, respirant avec difficulté. Il tremblait comme une feuille. D'un geste apaisant, elle tapota son épaule, et le guida jusqu'au fauteuil, dans lequel elle le laissa s'effondrer. Elle s'accroupit face à lui, ses mains tenant délicatement son poignet. Il continuait de tendre en tremblant l'alliance de Kristen, sa voix se brisant sous les larmes.

« Pardon... pardon, pardon... J'ai pas voulu...
Eh. Tout va bien, calme-toi. Respire. »

Aude glissa sa main pour l'apposer sur la joue de Narcisse. Il frémit à ce contact, se redressa, sursauta. Mais il était bien trop faible pour ne faire davantage que cela, et la seconde d'après, il s'était de nouveau effondré dans le fauteuil. Il l'écouta, elle continua de parler. Chaque mot qu'elle prononça l'aida un peu davantage à se calmer. Elle en profita pour le regarder avec un peu plus d'attention, tandis que son pouce frotta le haut de sa joue pour la nettoyer du sang.

Il était si jeune. Elle ne comprenait rien. Elle avait toujours pensé que si quelque chose arrivait à Kristen, c'aurait probablement été Aelle qui l'en informerait. Aude la connaissait peu, mais sa défunte épouse n'avait jamais manqué une occasion de parler d'elle. Enfin... Avant. Avant, elle le faisait. Elle soupira, essayant de toutes ses forces d'ignorer la poignante douleur lui lacérant le cœur.

Narcisse leva les yeux, et plongea son regard dans le sien. Il la suppliait silencieusement. Après un instant d'immobilité, elle hocha la tête. Sa main quitta sa joue, son index et son pouce attrapèrent avec délicatesse l'alliance de son ancienne compagne. Ce fut comme si l'on ôtait un poids incommensurable à l'adolescent, qui s'effondra de nouveau sur lui-même, en laissant échapper un profond soupir.

« Pardon... »

Elle regardait la bague, la faisant tourner doucement entre ses doigts. Les larmes embuaient son regard, la tristesse et la peine enserraient sa gorge, le doute et l'incrédulité cognaient puissamment aux portes de son inconscient. Elle se refusa au déni. Ses paupières battirent, des larmes roulèrent sur ses joues. Ses jambes cédèrent, elle s'assit à même le sol, à genou face à Narcisse, qui avait le regard rivé au plafond, incapable de continuer à soutenir le poids de sa propre tête.

Lorsqu'Aude s'essuya les joues, une traînée de sang s'y accrocha.

« S'il te plaît... Je sais que ce doit être difficile pour toi, mais... »

Elle déglutit en se redressant légèrement, son visage cessant enfin de se tordre sous la douleur.

« J'ai besoin de savoir... comment elle est morte. »

Une immobilité absolue résonna dans la pièce. Zikomo détourna le regard, se faisant encore plus petit qu'il ne l'était. Narcisse inspira profondément, l'extrémité de ses doigts s'agita. Une ombre passa sur le visage d'Aude. Son visage, devenu presque apaisé, se fronça sous le doute. Une idée épouvantable se forma dans son esprit, mais c'était impossible. Pourquoi s'excusait-il autant ?..

Le vent et la pluie redoublèrent d'intensité. La pièce fut brièvement éclairée par un éclair, suivi presque instantanément par un puissant grondement qui secoua les vitres. La voix de Narcisse retentit alors. Faible, craquante, raclant sa gorge sèche et brisée, étouffée par le sanglot qui montait.

« C'est moi. Je... c'est moi qui l'ai tué. »

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29 janv. 2024, 18:22
 Fanfiction  Narcisse Brando - La famille que l'on choisit
CHAPITRE TREIZIÈME
La tempête balayait rageusement l'extérieur de la maison. Le vent soufflait avec puissance, tournoyant et sifflant contre les murs et les rochers, portant les vagues qui se brisaient contre les récifs avec violence. La pluie inondait le toit avant de ruisseler jusqu'à se mélanger à l'eau salée de la mer agitée. Les éléments se déchaînaient avec violence, mais aucune force naturelle n'aurait pu égaler le maelström qui venait d'éclater dans la poitrine d'Aude suite aux mots de Narcisse. Si elle n'avait pas déjà été accroupie, un genou à terre, elle se serait proprement effondrée. Si elle n'avait pas été de nature si placide, elle se serait probablement abandonnée aux émois cuisants de son âme. Mais non. Non, elle se contenta de se tenir immobile, serrant entre ses doigts tremblants l'alliance de sa défunte Kristen. Quels avaient été leurs derniers mots échangés, déjà ? Elle peinait à se les remémorer... Elle ne voulait pas qu'il s'agisse d'une énième dispute, elle ne le voulait pas. Sa gorge se contracta, ses yeux s'embuèrent de larmes.

« J'ai... j'ai pas voulu... Vraiment, je... je sais pas quoi dire. Tout est allé tellement- tellement vite... »

La voix de Narcisse la ramena à la réalité. La réalité froide et abjecte, cruelle et impitoyable. L'adolescent s'était recroquevillé sur lui-même, le regard tourné vers le sol, agrippant son bras gauche en le grattant nerveusement. Du sang s'accumulait sous ses ongles, se détachant de ses vêtements. Respire. Il fallait respirer, c'est ça. C'est ça qu'il fallait faire. Aude se redressa souplement, tenant toujours l'alliance dans son poing, contre sa poitrine. Son visage s'était adouci, un sourire sans vie flottant sur ses lèvres roses, qui contrastaient avec la blancheur de son visage dépourvu d'émotions. Narcisse leva par réflexe le regard vers elle, l'air proprement écroulé. Elle prit une nouvelle inspiration, avant de glisser l'anneau à son annulaire gauche, jusqu'à ce que sa propre bague entre en contact avec l'autre, dans un tintement de mort. Son regard paterne, mais sévère, se planta dans celui de l'adolescent.

« Avant toute chose, il est hors de question que tu ne restes assis là une seconde de plus sans que je ne fasse quelque chose. »

Elle dégaina sa baguette, ignorant le regard de pure terreur qui passa au fond des yeux de l'adolescent. Zikomo se campa sur ses pattes, l'index de Narcisse se leva par réflexe. Mais nul sort ne vint. Nul affrontement ne se fit.

« Accio. »

Une simple sacoche vola au-travers de la pièce, s'échappant d'une grande armoire disposée contre le mur opposé à eux. En cuir marron sombre, elle atterrit entre les doigts de l'ancienne directrice. Narcisse demeura un instant figé, avant de soupirer discrètement, agrippant sa main gauche comme pour l'empêcher de brusquement se dresser. Un autre mouvement de baguette, une chaise fut attirée jusqu'aux genoux d'Aude, qui s'assit dessus gracilement.

L'adolescent continuait de l'observer avec confusion et curiosité. Les pieds de la chaise crissèrent contre le plancher lorsqu'elle se rapprocha de lui, ignorant le mouvement de recul qu'il fit.

« Je...
Chut, ne parle pas. »

Aude avait repris ses habitudes d'ancienne directrice d'hôpital. Professionnelle et méthodique, elle tira de sa sacoche un ensemble de potions diverses, des tissus propres, des bandages, et d'autres choses que Narcisse aurait bien été incapable d'identifier. Le petit renard vint se poster sur l'accoudoir du fauteuil, observant la scène d'un regard neutre. L'adolescent le parcourut du regard un court instant, avant de se redresser nerveusement lorsqu'Aude approcha de son visage un tissu imbibé de potion.

« Détends-toi. Tu as le visage couvert de sang. »

De sang, et de terre, de cheveux, d'éclats, de brûlures. Entre autres. Elle maintint le tissu à quelques centimètres de son visage, déposant sa main libre sur l'accoudoir du canapé, non loin de celle de Narcisse. Ce dernier se tenait toujours aussi raide qu'une branche morte, respirant difficilement, tentant de se faire aussi petit que possible, déglutissant avec peine. Son regard paniqué alternait entre le tissu et le visage de la femme. Elle en fut tellement peinée, son cœur se serait brisé s'il n'avait pas déjà été en morceaux.

Mais on ne soigne pas un animal blessé en s'imposant, Aude le savait mieux que quiconque. Aussi, elle demeura encore plus immobile, que lui, sans pour autant reculer. L'oreille de Zikomo s'agita imperceptiblement. La respiration de Narcisse ralentit, il leva le regard, détournant la tête.

« Vous... vous avez entendu ce que j'ai dit ?.. J'ai... pourquoi vous...
Laisse-moi m'occuper de toi, en premier lieu. Pour le reste, nous verrons plus tard. Tu es aussi pâle qu'un Pitiponk. »

L'air d'incrédulité cruellement sincère qui passa sur le visage de l'adolescent noua une boule dans la gorge d'Aude. Ce garçon était-il si peu habitué à ce que l'on s'occupe de lui ? Que pouvait-il avoir vécu pour être à ce point marqué ? Non. Ce n'était pas le moment. Pour l'instant, elle devait profiter du relâchement qu'elle observa chez lui. Ses épaules qui se détendirent, son corps concéda enfin l'idée de ne pas se braquer à la moindre approche d'une personne étrangère. Elle sourit tendrement, laissant sa main libre se lever pour venir délicatement se déposer sur sa joue droite.

« C'est bien. Détends-toi. »

Il respira brusquement lorsque le tissu entra en contact avec sa joue gauche. Noircie par le sang coagulé et les brûlures, Aude aurait juré la voir fumer alors qu'elle nettoyait avec douceur sa peau. Plusieurs minutes s'écoulèrent dans un silence religieux. Et plus les moments passaient, plus l'adolescent réussissait à se tranquilliser, semblant se relâcher progressivement sous les gestes experts de l'ancienne directrice. En un rien de temps, le nombre de Tergeo catalysés pour nettoyer les tissus et les vêtements de Narcisse dépassa celui qu'Aude pouvait lancer durant une journée à l'époque où elle travaillait à l'hôpital de campagne.

Elle secoua la tête, arrivant enfin au bout des doigts de la main gauche de Narcisse pour nettoyer ses ongles. Un effroyable pressentiment l'envahit, elle déglutit. Ses doigts tremblèrent.

« Tout ce sang... Comment... Est-il...
Non. »

Ce fut au tour de Narcisse de se redresser. Ce fut à son tour de venir poser sa main sur celle d'Aude. Maintenant que l'adolescent s'était un peu détendu et que le feu l'avait séché et réchauffé, l'adulte réalisa à quel point il était jeune. Bien davantage que sa fille. Mais surtout, ce qui la frappa, ce fut à quel point il était fatigué et frêle. La pâleur de sa peau n'avait pas disparu. Elle sentit également toutes les aspérités de la main de Narcisse contre la sienne, à quel point elle était rêche et sèche, couturée de griffures, d'écorchures, et de brûlures.

Elle leva les yeux pour les plonger dans ceux de l'adolescent. Ce dernier la regardait avec toute la candeur dont il était capable. Elle trembla, il affermit sa prise sur sa main, avant de secouer la tête.

« C'est... Non. Il est pas à elle. »

Un fantôme aurait parlé avec davantage d'émotion. Elle n'avait plus vu autant de fuite en avant depuis Kristen. Peu importe ce qui avait pu arriver, le jour où le garçon l'accepterait et l'affronterait, il n'allait certainement pas en ressortir indemne. Mais pour le moment, ce n'était pas à elle de le faire sortir de sa torpeur. Elle inversa la prise de sa main pour ensuite déposer le tissu sur les ongles de Narcisse. Son regard s'y porta, elle termina sa tâche, avant de réussir à parler de nouveau.

Une profonde inspiration, une larme roula le long de sa joue.

« Comment m'as-tu trouvé ? »

Une question plus simple à poser que beaucoup d'autres. Et il était probable que la réponse soit certainement moins douloureuse pour l'adolescent. Du moins le pensait-elle. Aude observa Narcisse se raidir. Les plis de ses lèvres s'amincirent, ses yeux s'étrécirent. Sa main droite se leva pour venir frotter nerveusement son bras gauche, au niveau du biceps. L'adulte ne le pressa pas, elle se contenta de tirer plusieurs potions de sa sacoche, pour commencer à les mélanger avec des gestes adroits.

Et le silence dura autant que nécessaire, mais Aude ne manqua pas de remarque que même le petit renard avait détourné le regard. Narcisse soupira, son âme s'enterra un peu davantage derrière le paravent de la fuite et du déni. Elle pouvait bien lui laisser ce refuge et ce réconfort, elle ne pouvait pas lui demander d'affronter les choses comme elle le faisait.

« Je... je crois que je le savais. Où vous étiez, que vous existiez... »

Plusieurs choses interloquèrent l'ancienne directrice. Elle releva la tête, les yeux écarquillés. Premièrement, elle n'était pas certaine qu'il allait se mettre à parler, peut-être l'avait-elle mal jaugé après tout. Deuxièmement, le ton qu'il employa en prononçant cette phrase l'interpella. Il y avait vraiment quelque chose qui ne tournait pas rond dans cette histoire. Il avait l'air d'en savoir beaucoup pour un si jeune garçon, son regard n'était absolument pas normal pour quelqu'un de son âge. Et troisièmement, un autre élément qui aurait dû la frapper plus tôt : comment un gamin comme lui avait-il pu tuer Kristen ? Quelle horrible vérité pouvait être pire que ce qu'il lui avait déjà dit ?

Elle était à court de mots, elle ne put que le regarder d'un air incrédule, presque tendre et tolérant, comme si elle regardait un jeune enfant déclamant un discours trop délirant pour être pris au sérieux, mais dont le propriétaire était trop fragile pour être contredit. Narcisse inspira profondément, en plongeant son regard dans celui d'Aude.

« Je... je sais pas comment vous expliquer. »

Il baissa la tête, après l'avoir doucement secoué, ses épaules se voûtèrent davantage. Elle agrippa sa main fermement. Ce faisant, une étrange sensation remonta le long de ses bras. À quand pouvait bien remonter la dernière fois où elle avait ressenti de telles émotions en prenant la main de quelqu'un ?.. Elle fronça les sourcils, voulant réfléchir, avant d'être interrompue par l'adolescent.

« Je regrette... Je, vraiment, tellement, j'ai pas voulu... »

Le haut du corps de Narcisse ploya vers l'avant, soudainement étouffé par une vague de brusques sanglots. Aude ne sut trop pourquoi elle réagit ainsi, mais elle tendit ses mains dans le même geste pour venir saisir le visage de l'adolescent entre ses doigts. Ses pouces sur son menton pressèrent doucement sa peau, le forçant à relever la tête. Elle glissa ensuite la paume de ses mains sur ses joues, essuyant ses larmes. Narcisse inspira abruptement, puis croisa le regard d'Aude.

Un frisson parcourut l'adulte, sa vision se brouilla. Elle sentit les mains de l'adolescent venir saisir les siennes, doucement. Elle sentit son cœur s'accélérer, son estomac se nouer, sa nuque picoter. Il... Comment... Depuis quand quelqu'un l'avait-elle regardé de cette manière ? Avec ces yeux-là ? Était-elle en train de rêver, ou bien les pupilles du garçon s'étaient-elles parées d'un bleu océan, un très court instant ?

Un rocher plongea dans l'estomac de l'ancienne directrice. Elle inspira difficilement, elle se mit à trembler. Narcisse tendit à son tour ses mains pour lui saisir le visage, passant ses mains dans ses cheveux, tout aussi tremblant qu'elle. Sa voix se mélangea avec une autre, que l'adulte était certaine de reconnaître.

C'était impossible.

Aucun mot ne fut nécessaire. Narcisse n'était en aucun cas Légilimens, il ne le serait d'ailleurs jamais. Mais Kristen l'était. Ô que oui, elle l'était. Une puissante et vicieuse Légilimens, qui aimait jouer avec son esprit et celui des autres. Et comme animé par une dernière volonté renaissante, l'adolescent, utilisa le point de contact de ses mains sur le visage d'Aude pour y déverser ses souvenirs.

« ... »

Ses lèvres s’entrouvrirent, ses yeux s'écarquillèrent. Elle ne put que se raccrocher désespérément aux bras de Narcisse, qui l'empêchait de perdre pied. Elle ne le vit plus, elle ne voyait plus rien. En l'espace d'une poignée de secondes, elle vit tout. Elle comprit tout. Elle vit Kristen, elle la vit faire boire à Narcisse des potions. Elle la vit se découper le bras, elle la vit, dans sa tête, plus jeune qu'elle ne l'avait jamais connu. Elle la vit transpercer la poitrine de l'adolescent, et elle le vit prendre le dessus sur elle, pour s'emparer d'elle à tout jamais...

Jamais Narcisse n'aurait réussi à dire les choses comme il lui montrait en cet instant. Et surtout, il n'aurait jamais pu lui dire exactement à quel point il se sentait coupable. Culpabilité et honte. Regret et remords.

La culpabilité le rongeait, le hantait. Elle le dévorait, le pourrissait de l'intérieur et raclait ses côtes comme de grandes serres spectrales cherchant à se frayer un chemin hors de sa cage thoracique.

« Kris... »

Une dernière vision s'offrit à Aude. Elle vit sa défunte épouse. Elle la vit là où s'asseyait Narcisse, et elle tendit les bras, au milieu du vacarme des souvenirs rampant dans sa tête, pour tenter de la saisir.

« Tu en as mis du temps. »

Ce fut à l'instant où elle prononça ces derniers mots que tout s'arrêta. L'odeur de la pluie et de l'iode frappa ses narines, elle sentit la poigne de l'adolescent brusquement faiblir pour la lâcher, elle entendit son hurlement guttural alors qu'il se recroquevilla précipitamment sur lui-même. Elle avait vu. L'espace d'un instant, elle avait vu cette femme. Cette grande femme aux cheveux noirs. Comme elle ressemblait à Narcisse. Elle la vit, se tenant face à lui, un immense trou dans la poitrine.

Aucun mot n'approchait l'état mental dans lequel ces visions la plongèrent.

Mais Aude étant qui elle était, elle prit une grande inspiration, reprenant contenance, et rassemblant ses cheveux en un petit chignon accolé à sa nuque. Ce simple geste, ce réflexe qu'elle avait adopté, lorsqu'elle s'occupait des patients, suffit à l'ancrer dans la réalité. L'adolescent chancelait, en position fœtale sur le fauteuil, se balançant d'avant en arrière, les yeux exorbités, le visage translucide, tremblant et sanglotant, incapable de reprendre correctement sa respiration. Zikomo s'était blotti dans le creux de son épaule, en vain.

« Pardon, pardon, pardon... Pardon... C'est... j'ai pas voulu, pardon, pardon... J'aurais pas dû... »

Tandis qu'Aude pressa sur son genou pour se redresser en tremblant, le petit renard leva les yeux vers elle, l'air implorant.

« Pardonnez-lui. Il ne voulait pas vous écraser de tous ces souvenirs de cette manière. »

Un instant de silence. La femme décrispa son poing.

« Je sais. »

Elle s'avança d'un pas. Sa main se leva, avant de se déposer avec douceur sur l'épaule de Narcisse. Il blêmit, sa respiration se bloqua, il s'immobilisa. Ce ne fut que lorsqu'il sentit les bras d'Aude l'enlacer qu'il réussit enfin à reprendre son souffle, en s'agrippant avec l'énergie du désespoir à elle.

« Je sais... »

Oh que oui, elle savait. Elle savait bien davantage qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Les larmes de Narcisse ouvrirent les vannes de l'ancienne directrice, et elle perdit pied à son tour. Elle ne hurla pas sa douleur contrairement à l'adolescent qui s'effondrait un peu davantage chaque seconde qu'il passait dans ses bras. Mais elle pleura. Elle pleura plus longuement que depuis des années. La douleur du jeune garçon permettant à la sienne de librement s'exprimer, de librement s'échapper pour mieux se dissoudre dans l'air salé, emporté par les bourrasques de la tempête qui faisait désormais pâle figure à côté de leur peine.

*
*---*
Narcisse ouvre les yeux en atterrissant brusquement au milieu de la neige glacée.

Un frisson qui n'avait rien à voir avec la température parcourt sa colonne vertébrale. Le vent d'hiver fait ployer les arbres dépourvus de feuilles entourant la cour de la maison de Dianne. Une magnifique maison, il l'avait toujours pensé. Avec des fondations en pierre, un toit simple laissant dépasser une cheminée fumante, dont les fenêtres éclairaient la nuit tels des phares au bord de la côte.

Un soupir s'échappe de lui. La vapeur d'eau se matérialisant devant sa bouche est emportée par un léger souffle de vent. Sans y penser, il avance, écoutant le craquement de la neige sous ses bottes.

Il n'est plus certain de comment cette discussion avec Aude s'est terminée. Il n'en garde que des souvenirs flous, et lointains, comme étouffés par une brume de souffrance et d'abrutissement impénétrable. Mais il sait qu'elle et lui ont passés plusieurs jours à parler. Il se souvient du contact de ses mains sur ses épaules, de sa voix douce et calme. Encore aujourd'hui, il s'en veut de la manière dont il a géré les choses, de comment il a annoncé à cette femme des plus incroyables la mort de son épouse... Et cela, il ne pourrait jamais le rattraper.

Ce ne sera jamais qu'une pierre de plus ajoutée à l'édifice de sa culpabilité. De sa forteresse, haute et froide, sombre et lugubre, dont les couloirs sont désormais parcourus par les spectres de ses regrets. Si certains s'apaisent avec le temps, aux sommet des plus hautes tours, se tiennent encore des résurgences qu'il ne peut nommer. Des réminiscences dont il ne peut se remémorer l'existence qu'avec une affliction indescriptible.

« C'est moi, je suis rentré. »

Et puis, lorsqu'il passe la porte de la maison dans laquelle il a toujours pu trouver refuge depuis des années, son esprit s'éclaire. Malgré l'heure tardive et la pénombre, une lumière chaleureuse et une odeur embaumante règnent dans la pièce. En tapotant sa veste avant de la déposer sur le portemanteau, il sent l'influence de cette sinistre forteresse s'éloigner. Peut-être que jamais elle ne pourra être prise d'assaut, mais peut-être bien que ce n'était pas nécessaire pour autant.

Peut-être, mais seulement peut-être, que pour l'instant, il avait le droit de prendre une nouvelle respiration sans que les ongles crochus de son passé ne s'agrippent à lui. La porte claqua doucement lorsqu'il la ferma derrière lui.

Ce soir, Dianne avait fait la cuisine. Et malgré toutes les supplications de Narcisse de ne plus le faire, ce n'était pas la première fois qu'elle veillait en l'attendant, simplement pour passer un moment avec lui. Il protesta, bien évidemment, mais au fond de lui, il lui était profondément reconnaissant de ne pas l'avoir écouté, encore une fois.

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2A RP - 13 ans - 1m40
Avatar par Merinda Swart

01 févr. 2024, 17:50
 Fanfiction  Narcisse Brando - La famille que l'on choisit
CHAPITRE QUATORZIÈME
Les lits des dortoirs de Poufsouffle ont toujours été réputés pour leur confort. Bien évidemment, personne n'avait jamais pu comparer les lits des différents dortoirs, étant donné que personne n'avait pu explorer les différentes Maisons. Cependant, à force d'écoute et d'expériences, les élèves avaient fini par reconnaître, à contrecœur pour beaucoup, la supériorité de la literie des jaunes. Difficile de faire concurrence à la fierté des Serpentard, mais depuis quelques années, les autres Maisons avaient décidé de s'y mettre également, dans une bonne ambiance conviviale, qui avait grandement contribué à apaiser beaucoup de tensions entre élèves. Il allait de soi que comme le chauvinisme des Poufsouffles ne connaissait pas de limites, cette information était à prendre avec des pincettes.

Mais que cette histoire de supériorité de lits des Poufsouffles soit véridique ou non, ces derniers avaient toujours parfaitement convenu à Ella.

Oh, ils n'égalaient pas le confort de chez sa mère, certes, mais de toute manière, rien au monde ne pouvait ne serait-ce qu'approcher l'inégalable sensation de réconfort qu'offrait le lit de Dianne. Assurément, cette information n'était valable qu'entre les 6 et 11 ans de la blonde... Dormir dans le lit de sa maman après cet âge, même en cas de terrible cauchemar... La honte quoi. Mais le lit de sa propre chambre n'avait rien à lui envier, sa mère y avait veillé.

Elle se retourna dans les draps, tentant par tous les moyens d'étouffer le bruissement du tissu contre son pyjama. L'un des coins du drap s'était détaché du matelas, et désormais, c'était à peine s'il restait tendu. Une véritable plaie, mais Ella n'aurait pour rien au monde quitté la chaleur de ses couvertures et de son édredon. Quelle heure pouvait-il bien être ? Deux, trois heures ? Du matin, évidemment, sinon ça n'aurait pas été drôle.

Un esclaffement dépité s'échappa de sa gorge, secouant sa poitrine, tandis qu'elle se retournait sur le dos en passant ses mains sur son visage. Les secondes, les minutes s'écoulaient comme le cours d'une rivière, inarrêtable et impitoyable. Elle voulait juste dormir...

Son cœur manqua un battement. Elle écarquilla de grands yeux en se redressant brusquement. Un bruit de pas. Elle s'en retrouva pétrifiée, la peur au ventre, des sueurs froides lui coulant dans le dos, des frissons sur sa nuque. Ses mains tirèrent la couverture jusqu'à son menton, dans laquelle elle étouffa sa respiration paniquée, son visage braqué dans la direction du bruit.

Elle ouvrit les lèvres, prête à hurler, quand une main bondit en un éclair pour couvrir sa bouche. Son cri silencieux, avalé par la paume de cette main inconnue, résonna à ses propres oreilles, son cœur explosa dans sa poitrine, ses mains se dressèrent en tentant d'agripper celle de son agresseur.

« Shh ! Fais pas ton bébé, tu vas nous faire cramer ! »

Emma.

La blonde leva les yeux au ciel en plaquant ses mains sur sa poitrine, après avoir retiré vivement celle de sa compagne de sa bouche. Elle se tourna vers elle, les yeux plein de rage, outrée et encore sous le choc, son visage trahissant toute son émotion.

« Putain, mais t'es infernale ! Tu sais que j'déteste quand tu m'prends par surprise comme ça, tu m'as... »

Le contact des lèvres de son amante sur les siennes la fit taire. D'un air malicieux, Emma avait saisi le visage d'Ella entre ses mains avant de poser un genou sur son lit pour l'embrasser.

La blonde se raidit en un battement de cils, ses doigts agrippant les draps, son visage se carbonisant sous la rougeur envahissant brusquement ses joues. Les yeux marron de la rousse luisaient sous les quelques braises qui achevaient de se consumer dans l'âtre de la cheminée. Un frisson galopa sur sa peau, partant de ses lèvres et remontant jusqu'à sa poitrine, lui faisant détourner le regard et se racler la gorge.

« Crois pas qu'ça va suffire... Tu m'as fait peur.
Oooh, le gros bébé fait son caprice ? Il va pleurer peut-être ? »

Emma pouffa de rire en venant la prendre dans ses bras, recouvrant la tête de sa compagne de bisous rapides et répétitifs. Ella tenta de s'en défaire, grognonne aux premiers contacts, puis de plus en plus hilare, essayant finalement de toutes ses forces de ne pas éclater de rire. Dans un dernier effort désespéré, elle repoussa enfin la rousse de ses deux mains, l'agrippant aux épaules pour se redresser, en se mordant la lèvre pour ne pas faire trop de bruit.

« Tu m'embêtes ! J'suis pas un bébé ! C'est toi le bébé, à pas dormir là... »

Elle cligna des yeux, avant de pencher la tête sur le côté. Sa bouche resta entrouverte une courte seconde, tandis qu'Emma la regardait d'un air fripon, la laissant se questionner. C'est vrai ça, comment se faisait-il que la rousse ne dorme pas ? Elle qui ne jurait que par le fait de se coucher tôt, pour se lever aux aurores, et qu'une bonne nuit de sommeil était la base d'une bonne journée. Ella fronça les sourcils en se reculant légèrement. Mais... maintenant qu'elle y faisait attention... Quelque chose la frappa.

« Pourquoi t'es habillée ? »

Emma sourit, puis tournoya sur elle-même, d'un air précieux, avant de coller sa baguette sur son menton en tirant la langue, un œil clos. Sa robe de sorcière se souleva en accompagnant ses mouvements, pour ensuite à nouveau recouvrir ses jambes dans un chuintement de tissu. Ella se contenta d'arquer un sourcil, tournant la tête nerveusement. Un bruit. Elles se figèrent.

L'une de leur camarade s'était retournée dans son sommeil. Toutes deux retenaient leur souffle, une main sur les lèvres. Plusieurs secondes d'une intense tension s'écoulèrent, durant lesquelles les deux amantes virent leur vie défiler sous leurs yeux.

Les ronflements de leur camarade leur arrachèrent un soupir de soulagement. Ella éclata de rire derrière ses mains, pour étouffer le bruit, Emma se mordit la langue en se pliant en deux sous l'hilarité. Sa tête atterrit sur l'épaule de sa compagne, et elle en profita pour déposer un baiser sur sa joue. La blonde reprit son souffle, ses bras enlacèrent tendrement Emma, et son visage alla se blottir dans le creux de sa clavicule. La plus âgée caressa quelques instants les cheveux de l'autre, avant de se redresser brusquement, un sourire malicieux aux lèvres.

« Allez, debout la marmotte !
Mais...
Tsk ! Pas de mais ! Allez ! »

D'un geste de baguette, Emma fit voler la robe d'Ella jusqu'au lit, avant de se diriger prestement vers la sortie du dortoir. Elle entrouvrit la porte pour jeter des regards furtifs dans toutes les directions. La blonde demeura figée, sa robe entre les doigts, levant les mains vers Emma, totalement confuse et désabusée. Mais sa compagne ne lui laissa pas le temps de réfléchir, et s'éclipsant à moitié derrière le battant de la porte, elle l'incita à la rejoindre à grands mouvements de main.

La sixième année jeta un regard à sa table de chevet. La petite cage dorée de Klee laissait échapper les touts aussi petits ronflement de sa boule de poils. Bon... Elle haussa les épaules, rejetant toute raison, enfilant sa robe de sorcier directement par-dessus son pyjama. Au diable la raison ! Une sortie en amoureuses au milieu de la nuit ? Morgane qu'elle aimait cette femme.

D'un pas aussi léger qu'elle put, retenant un bâillement derrière la paume de sa main, elle rejoignit Emma, qui l'attendait derrière la porte, jetant toujours des regards aux alentours. Un sourire entendu déforma les lèvres de la blonde, qui agrippa le bras de sa compagne pour se blottir contre elle, pendant que l'autre refermait la porte.

« Aloooors... où tu m'emmènes ce soir ? Oh, on n'a pas encore testé la salle sur demande... »

Son index glissa sous le menton de la rousse, qui frissonna en souriant, avant de se tourner vers elle pour la regarder, attrapant son visage entre ses mains. Ella soupira de bonheur en fermant les yeux, inclinant son visage sur le côté, se préparant à l'embrasser en posant ses mains sur les hanches d'Emma.

« Ce soir, on va dans la Réserve ! »

Consternation, choc. Déception, ahurissement. Ella ouvrit de grands yeux écarquillés, clignant des paupières d'un air confus. Emma la regardait avec le sourire jusqu'aux oreilles, trépignant d'impatience, c'était à peine si elle ne sautillait pas sur place. La sixième année se redressa, une moue de déception sur les lèvres.

« C'est pas l'idée que j'me faisais d'un rendez-vous galant...
Roooh, le bébé va bouder ! Tu vas voir, ça va être trop chouette ! »

La rousse bondit agilement pour embrasser la joue de son amante, avant de la prendre par la main pour la guider avec force au travers de la salle commune. Elle tenta d'opposer une résistance au début, par principe. Après tout, elle avait trahi ses espoirs et ses rêves, non ? Mais le baiser faisant encore son effet, sa main libre vint se déposer sur son visage, tandis qu'elle souriait idiotement.

« J'ai des recherches à faire, et je t'emmène avec moi ! »

Ah... alors dans ce cas... l'attention était déjà suffisante en soi, après tout... Peut-être qu'Ella avait tiré quelques conclusions hâtives, Emma avait toujours eu de si bonnes idées pour leurs rendez-vous par le passé. Pourquoi ne lui ferait-elle pas confiance aujourd'hui encore ?

« Y'a Apolline qui nous attend dans le couloir, on t'expliquera en chemin ! »

Dans un fracassement de cristal brisé, Ella se dit qu'elle devait halluciner, c'était certain. Comment ça, elles ne seraient pas que toutes les deux ?! Au moment où la blonde ouvrit la bouche pour protester, Emma la tira de plus belle par le bras, sautillant avec joie en franchissant la porte de la salle commune. Un petit cri lui échappa, elle plaqua sa main sur sa bouche. Apolline ?? Mais qu'est-ce qu'elle venait foutre là celle-la ? Une vive et saine colère s'empara de la plus jeune, mais Emma était décidément trop rapide pour elle. Avant même d'avoir pu concevoir une bonne pique à lui projeter au visage, elle se retrouva catapultée dans le couloir, face à celle qui lui volait sans vergogne son moment privilégié avec son amoureuse !

« Coucou Ella ! Oh, j'suis trop contente de te voir ! Emma a réussi à te convaincre ? »

Eeet en un éclair, pendant que la rousse verrouillait la porte derrière elle, Ella oublia toute sa hargne. Un soleil en pleine nuit, voilà la personne qui lui faisait face en cet instant.

La brune aux cheveux courts lui souriait de toutes ses dents, et elle lui bondit dans les bras pour lui faire un câlin. Comment en vouloir à Apolline, cette grande boule d'énergie, de gentillesse et de joie, lorsqu'elle vous prenait dans ses bras en trépignant de bonheur, rien qu'à cause du plaisir de vous voir ? Impossible. Et pourtant, Ella avait préparé une belle jérémiade de réparties à lui projeter au visage. Aucune ne put ne serait-ce que dépasser le stade de simple pensée. Et de toute manière, ce n'était pas dans la nature d'Ella d'être véritablement méchante. Même pour rire, les mots qu'elle avait préparé semblaient désormais bien trop vils.

Elle secoua la tête en se redressant, après avoir tapoté le dos de la brune. Personnellement, Ella ne se sentait pas particulièrement proche d'elle. Enfin, disons qu'elle avait eu peu d'occasions de la côtoyer. Mais les amies d'Emma ne peuvent être que ses amies, pas vrai ? Un immense sourire finit par illuminer son visage.

« Convaincre ? Tu plaisantes ? J'ai rien eu l'temps d'dire ! J'sais même pas ce qu'on va faire ! »

D'un air mélodramatique, la blonde agrippa les épaules de la brune, exagérant son air attristé.

« Apo', j'me suis faite kidnappeeeeer ! Aide-moi ! Va chercher du secours !
Ouin-ouin. Allez, gros bébé, arrête de chouiner, on a pas que ça à faire ! En route ! »

Lorsqu'Emma empoigna sa compagne par le col, Apolline bifurqua de la sincère inquiétude en voyant Ella se plaindre, au candide amusement en voyant les deux amantes se chamailler comme des enfants. C'est la raison pour laquelle elle se contenta de dissimuler son éclat de rire derrière sa main en emboîtant le pas à leur suite, incapable de lâcher le moindre mot.

Le bruit de leur course discrète résonnait dans les couloirs vides et silencieux. Plongées dans la pénombre, les trois adolescentes exultaient sous l'adrénaline de leur bêtise. Quoi de plus palpitant pour de jeunes élèves que de défier un règlement d'un internat national magique ? L'interdit avait toujours un goût délicieux, pour la majorité des gens de cet âge, et explorer un gigantesque château magique ne sera jamais une activité qu'un élève pourrait rejeter. Les interdictions connues de tous de sortir pendant le couvre-feu, et celle, toute aussi célèbre de pénétrer dans la Réserve sans autorisation, et encore moins durant la nuit, ne faisaient que contribuer à accroître l'hilarité des délinquantes.

Elle ayant enfin récupéré sa contenance, elle marchait désormais aux côtés d'Emma, et au détour d'un couloir, son chuchotement perça le silence.

« Bon, tu vas m'dire ce qu'on fait maintenant ? Non mais, parce que, ok, c'est rigolo de sortir comme ça au milieu de la nuit, braver le couvre-feu tout ça. Mais pourquoi la Réserve ? »

Apolline tourna son regard vers Emma, les sourcils arqués d'une préoccupation sincère. La rousse fit une moue innocente en détournant les yeux, avant de bondir en avant pour parcourir un couloir. La brune s'esclaffa en la suivant, Ella sur ses talons.

« Tu lui as vraiment rien dit ?! Vander' t'abuses !
Chuuuut ! Roh, moins fort là ! »

Descendant les escaliers quatre à quatre, comme pour échapper à la discussion, Ella passa brusquement à côté d'Apolline pour la dépasser.

« Emma ? On va faire quoi à la Réserve. »

Un petit silence embarrassant flotta plusieurs longues secondes, laissant simplement les bruits de pas errer aux oreilles des trois amies. Un raclement de gorge, un nouveau tournant, Emma dégaina sa baguette pour faire un peu de lumière, sans pour autant s'arrêter. Elle soupira, son regard se porta ensuite sur sa compagne, avant de lui répondre dans un haussement d'épaules.

« On va chercher des infos sur quelqu'un. Et on a besoin de ton expertise ! »

Ses sourcils firent une petite vague, elle s'avança vers sa compagne pour déposer un petit baiser sur ses lèvres, avant de bondir sur le côté pour poser sa main sur la poignée de la bibliothèque. Apolline se tenait en retrait et faisait le guet, la main en casquette sur son front, l'air de prendre sa mission très au sérieux. Ella lâcha un petit raclement de gorge de lassitude.

« Roh, t'aurais pu m'le dire avant ! Tu sais que j'déteste les ragots sérieux.
- Rien à voir avec des ragots ! On va déterrer... la vérité. Mouhahaha ! »

Dans un rire lugubre, la rousse pénétra dans la bibliothèque, après s'être assurée qu'elle était effectivement déserte. Elle fit volontairement voleter les pans de sa robe de sorcière, pour se donner un cachet, elle adorait faire ça.

« Allez, on bouge !
Non mais attends ! Tu racontes quoi, j'comprends rien ! »

Apolline posa sa main sur l'épaule d'Ella en avançant à ses côtés, lui lançant un regard affectueux. Puis elle glissa en avant, dégainant à son tour sa baguette pour la braquer sur la serrure de la porte de la Réserve, à quelques mètres de l'entrée. Ce fut elle qui parla la première.

« On va faire des recherches sur le nouveau prof de Défense ! On est trop curieux au Club, on a trooop de questions, et on veut pas attendre vendredi prochain !
Mais ouais, la directrice nous a interrompu avant qu'on puisse lui poser nos questions, c'était trop frustrant ! Du coup, on va direct à la source. On est des génies ou pas ? »

Les deux comparses se tapèrent le poing d'un air entendu, en hochant la tête, avant de toutes deux lancer leur sort sur la serrure.

Ella ne les entendit pas. Elle eut l'impression de manquer une marche dans le noir, la marche d'un très haut escalier, duquel on ne voit pas la fin. Une lourde pression enserra brusquement sa poitrine. Elle fit un pas en avant, les poings serrés, proprement hors d'elle. L'idée même que l'on puisse fouiller dans l'histoire de Narcisse, dans l'histoire de l'homme qu'elle tenait en si haute considération, qu'elle aimait de tout son cœur et de toute son âme, lui apparaissait comme la pire des insultes. Mais ce qui lui fit le plus mal, et de très loin, ce fut de constater que celle à l'initiative de cette épouvantable trahison n'était autre que sa compagne... C'est malgré tout cet élément qui l'empêcha de la saisir par le col pour lui exiger des explications.

Ses narines s'évasèrent sous sa respiration.

« Vous allez...
Bah, c'est bizarre... »

Même si Ella n'avait pas perdu le moindre lambeau de sa colère, la préoccupation d'Emma l'interrompit un bref instant. Toutes trois s'immobilisèrent. La plus âgée enclencha délicatement le loquet, dans un bruit métallique. La porte s'entrouvrit. Sa bouche se déforma en un mystérieux sourire, avant qu'elle ne regarde sa compagne et sa camarade.

« Elle est pas fermée... »

Le frisson de l'aventure reprit le dessus un court instant, et Ella lança un regard entendu à Apolline. Malgré ses réticences, cette situation l'excitait tout particulièrement, et elle sentit son cœur battre agréablement dans sa poitrine. Elles hochèrent la tête en se regardant, laissant Emma ouvrir complètement la porte, avant de s'y infiltrer doucement, l'une après l'autre, en gloussant de rire comme des gamines. Ce ne fut qu'une fois la porte refermée qu'Ella cligna des yeux, se remémorant sa colère et sa révolte.

Elle bondit en avant pour agripper Emma par l'épaule, si elle n'agissait pas vite, elle savait que la rousse allait trop s'éloigner.

« J'ai pas terminé ! Emma, j'aime pas du tout, mais pas du tout l'idée d'fouiller dans l'passé de Narc... c'est pas bien. »

Apolline marqua une petite distance, demeurant à côté de l'entrée, les bras derrière le dos, l'air embarrassée. Ses yeux fixaient le sol, elle se mordillait la lèvre inférieure. Emma leva les yeux au ciel, avant de prendre Ella par les mains pour la regarder, un sourire conciliant sur les lèvres.

« Ok, de quoi t'as peur ?
Hein ? Mais, de rien, juste je...
Tu me dis qu'il te raconte toujours tout, qu'il t'a toujours dit la vérité sans rien te cacher. Alors qu'est-ce que t'as peur de découvrir ? »

Ella ouvrit de grands yeux écarquillés, bouche bée, se murant dans une immobilité et un silence total. Ses ongles s'enfoncèrent dans sa paume tandis qu'elle serrait les poings, la tempête de la confusion et de la fureur explosant en elle. Ce fut avec horreur et dégoût qu'elle réalisa que les mots de sa compagne résonnèrent beaucoup trop en elle. Elle faisait confiance à Narcisse, de toutes ses forces, et n'avait jamais douté de lui. Mais parfois, elle se posait des questions... Des questions auxquelles ni lui ni sa mère n'avaient jamais pu répondre. Le poison du doute put enfin circuler librement dans ses veines.

Sa poitrine se souleva plusieurs fois, des larmes commencèrent à se former aux coins de ses yeux, elle reprit brusquement son souffle en détournant le regard. Emma la prit dans ses bras, en lui caressant le dos, laissant le silence s'installer plusieurs longues secondes. Ella renifla en se redressant, après avoir tapoté les mains d'Emma d'un air doux.

« Vous auriez pu juste m'demander... Ou à lui, il vous aurait répondu... Pas b'soin d'fouiller comme ça.
Ouaiiis, mais c'est moins fun ! T'as pas hâte de découvrir des ragots croustillants ?
Et peut-être qu'on pourra enfin apprendre son rang de promotion !
Mais oui ! Bien vu Apo' ! »

Apolline et Emma étaient de nouveau reparties dans leur délire. Leurs yeux brillaient d'une lueur folle, leurs mots firent écho les uns aux autres dans le naturel le plus évident. Ella ressentit un pincement au cœur. Elle ne voulait pas se sentir exclue. Elle ne voulait pas que son comportement créé une distance avec les gens qu'elle aimait. Il en faut parfois peu pour faire vaciller la résolution morale d'une adolescente en quête de soi et d'acceptation. Elle soupira en secouant la tête.

Lorsqu'elle se tourna vers ses camarades, toutes deux étaient en train de la regarder, le sourire aux lèvres, les yeux brillants d'espoir, malicieuses et n'attendant que son approbation. Après tout, Narcisse lui aurait certainement dit que c'était ok... "Rien à cacher, demande-moi tout c'que tu veux !" Disait-il toujours. Un nouveau soupir.

« J'suis sûre que j'apprendrai rien de nouveau... Mais bon... Allez.
Youhou ! Ah, tu vas voir, ça va être marrant, on va... »

Un bruissement de papier.

Encore une fois, les trois âmes s'immobilisèrent en un éclair, Emma interrompit son mouvement, Apolline plaqua ses mains sur sa bouche, les épaules d'Ella se voûtèrent. Ce fut la rousse qui réagit la première. Elle dégaina sa baguette, avant de faire passer Ella et Apolline derrière elle, avançant lentement, le regard acéré.

Comment n'avaient-elles pas pu remarquer la fine lueur qui provenait d'un rayonnage ? Comment n'avaient-elles pas pu entendre le léger fredonnement d'une voix légère ? Ella se fit toute petite, Apolline dégaina sa baguette à son tour, Emma se prépara à bondir. Si c'était un professeur, elles profiteraient de la surprise pour le Stupéfixier, si c'était un élève, il subirait le même sort. Un plan parfait, évidemment.

Emma communiqua avec des gestes de mains, levant le poing à côté de son visage, laissant sa camarade de Club passer de l'autre côté de l'étage remplie de livres, pour prendre l'intruse en sandwich. Malgré la situation, Elle ne put s'empêcher de les trouver culottées. Après tout, elles-mêmes n'avaient rien à faire ici. Mais bon, elle savait aussi qu'il était parfaitement inutile de vouloir discuter avec sa compagne-tête-de-pioche. Elle ferma les yeux en se bouchant les oreilles, et attendit que ça se termine.

Emma abaissa le poing. Tout alla très vite. Elle et Apolline bondirent en brandissant leur baguette, poussant un cri de bataille, dans l'espoir de prendre par une surprise totale l'inconnu, et lui faire perdre ses moyens.

« Stupéfix ! »

Une brusque lumière. Le bruit d'un corps qui chute, les pages d'un livre qui se feuillettent sous la bourrasque du sort, et le silence. Ella sentait son cœur battre douloureusement dans sa poitrine. Des images et des sons lui revinrent en mémoire, elle dut serrer les dents pour ne pas se laisser envahir.

Ce n'était qu'un jeu, ce n'était qu'un jeu entre élèves, tout allait bien, Emma n'avait pas vraiment fait de mal à quelqu'un. Tout allait bien. Elle respirait rapidement, se tenant la tête entre les mains, lorsque la voix de sa compagne lui parvint aux oreilles.

« Euh... oups ? Ça va ?
Oh... Emma, ta chérie va nous tuer. »

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2A RP - 13 ans - 1m40
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08 févr. 2024, 12:45
 Fanfiction  Narcisse Brando - La famille que l'on choisit
CHAPITRE QUINZIÈME
« Narcisse ? »

Dianne avait rapidement adopté l'habitude de signaler sa présence en pénétrant dans la même pièce que Narcisse. Et ce, depuis des années, désormais. Que ce soit en arrivant dans son dos, avant de le toucher, ou même de s'approcher, par ailleurs. Elle gardait un vif souvenir de leur première rencontre véritable, il y a déjà plus de dix ans. Cet affreux soir, cette affreuse nuit, et cette affreuse journée où le jeune homme avait transplané chez elle, portant le cadavre de sa fille aînée dans ses bras, avec sa petite Ella cramponnée à lui. Recouvert de sang et de blessures, un bras en moins, éteint, presque mort à l'intérieur.

Sa main vint doucement agripper son poignet droit, où Narcisse l'avait violemment saisi ce lendemain, réaction causée par la peur panique, et par un traumatisme qu'elle ne pouvait mesurer. Et ce, encore aujourd'hui. Elle inspira, revenant au présent, sentant le bois de la colonne contre laquelle elle s'appuyait sous ses doigts.

Elle prit également soin, en s'avançant lentement dans la pénombre de la nuit, de prévenir qu'elle était là en marchant volontairement sur une latte grinçante de son parquet. Celle juste au pied de l'escalier menant au salon, latte que Narcisse et elle s'étaient promis d'un jour réparer. Ils ne l'avaient au final jamais fait.

Le jeune homme sursauta. Assis dans un fauteuil tourné face au feu ronflant dans la grande cheminée, les ombres sur son visage se peignaient dansantes au fond de ses yeux, reflétées par les flammes discrètes. Il était dos à elle, avant que son regard ne pivote brusquement pour la regarder. Le temps d'un battement de cœur, celui de Dianne en manqua un, sous la pression de son regard nu.

« Dianne ? Tu... Oh, excuse-moi. »

L'instant suivant ce battement, il ferma les yeux, et toute la pression pesant sur les épaules de la rousse s'évapora. Sa main vint frotter l'arête de son nez, et dans un cliquettement métallique, il remit ses lunettes prestement. Elle soupira, ses doigts se posèrent sur sa poitrine, pour ensuite rajuster sa robe de chambre. Malgré la qualité du tissu et toute la chaleur qu'il lui renvoyait, il était difficile de ne pas frissonner de froid, à cette heure. Narcisse se redressa en s'étirant, un bruit de tissu accompagna les pas de Dianne lorsqu'elle se rapprocha de lui.

Ses pupilles se dilatèrent pour mieux percer l'obscurité nocturne, ses oreilles se turent pour mieux percevoir l'obscur silence du cœur de la nuit. Une bûche se fendilla sous la chaleur, avant de s'effondrer dans les braises, éclairant davantage les alentours dans une gerbe d'étincelles. Narcisse s'adossa de nouveau au fauteuil, soutenant sa tête en appuyant son front contre ses doigts, son pouce et son annulaire frottant doucement ses paupières closes.

« Tu dors pas ?
De toute évidence...
Il est tard, tu devrais t'reposer.
Culotté de la part de celui qui n'a même pas pris la peine d'aller au lit. »

Tous deux pouffèrent de rire au moment où Dianne arriva à côté de lui, déposant sa main sur le haut du dossier de la chaise, son regard baissé pour le regarder. Cette petite litanie nocturne, depuis combien d'années, désormais, la ressortaient-ils ? Combien de discussions nocturnes s'étaient ouvertes sur cet échange, d'un itératif qui était tout, sauf lassant pour eux ?

Les insomnies étaient plus que monnaie courante dans cette maison. Pour tous les occupants. Les terreurs nocturnes d'Ella n'en étaient qu'un rappel trop criant. Le silence envahissant la maison lors de ses absences formait à la fois un soulagement et un manque indicible, pervers et vicieux, un manque dont personne ne voulait, mais qui s'imposait malgré tout. Pas une nuit ne s'écoulait sans que les souvenirs n'assiègent Dianne, sans que la moitié vide et glacée de son lit ne lui rappelle la cruelle absence de William. Une partie d'elle avait fait le deuil de son défunt mari, mais elle savait qu'une autre ne le ferait jamais. Et elle ne le demandait pas, par ailleurs, elle ne voulait pas oublier.

Mais c'est éprouvant, parfois, de ne pas oublier, pas vrai ?

Et la rousse savait qu'il en allait de même pour Narcisse. Elle plongea son regard dans les flammes, accompagnant celui du jeune homme qui fixait les braises. Rien ne perturba le silence qui s'installa durant un temps qu'aucun d'eux n'aurait pu décompter. Aucun d'eux n'essaye, pour être honnête.

« Quelle heure il est ? »

Narcisse fut le premier à parler en se redressant, puis il leva la main pour faire léviter une bûche jusqu'au feu, la laissant tomber dans l'âtre dans un bouquet d'étincelles rouges. Dianne haussa les épaules avant de le regarder dans un sourire, se couvrant les yeux de sa main, aveuglée par la soudaine lueur.

« Aucune idée. Deux, peut-être trois heures du matin. »

Il prit une grande inspiration, avant de tourner le visage vers la table à manger, non loin de là, pour effectuer une douce rotation du poignet en agitant la main. Lentement, une des chaises lévita jusqu'à se retrouver derrière Dianne, sur laquelle elle prit place dans un bruissement de soie, à côté de lui. Le menton de Narcisse appuya sur la paume de sa main, dont il utilisait le coude pour soutenir le poids de sa tête. La rousse ne put s'empêcher de remarquer ses traits tirés, et les cernes sous ses yeux.

« Narcisse... Est-ce que tu as dormi la nuit précédente ?.. »

Le silence fut tellement éloquent qu'il en devint presque comique. Mais là où Narcisse sourit en détournant les yeux, Dianne ne ressentit qu'une profonde détresse, qui se mélangea à son inquiétude pour ramper sournoisement dans ses veines. Elle secoua la tête en posant sa main sur l'accoudoir du fauteuil, non loin du coude de Narcisse.

« Et la nuit d'avant ?..
Un peu. J'ai fini par m'écrouler de fatigue sur mon bureau. Et toi ? »

Il coula un regard vide vers elle, un pâle sourire ornant ses lèvres, qui força un rictus mi-figue mi-raison à déformer son visage.

« Vérité qui inquiète, ou mensonge qui rassure ? »

Narcisse pouffa de rire en même temps qu'elle. Il posa sa main sur sa poitrine pour accompagner ses soubresauts, avant d'à nouveau regarder le feu, se murant dans un mutisme impénétrable. La lumière orangée des flammes se reflétait sur ses lunettes, ne laissant filtrer qu'une lumière blanchâtre sur ses yeux. Nul n'eut besoin de répondre à la question de Dianne, qui regarda aux alentours.

« Zikomo n'est pas là ?
C'est l'heure de la chasse pour lui. Je crois qu'il est parti vers l'ouest, dans ces environs, à quatre ou cinq kilomètres. Enfin... euh, je dis ça comme ça…
Rien n'échappe à ta vigilance, dis-moi... »

Il ferma les yeux en retenant son souffle un court instant. La voix de la rousse aurait été lourde de reproches, si son visage n'avait pas été autant déformé par l'inquiétude. Elle se tourna presque entièrement vers lui, maintenant le contact visuel. Sa main se posa d'elle-même dans le creux du coude de Narcisse, tandis qu'il rouvrit les yeux en soupirant, sa main venant frotter sa nuque.

« Narcisse... Pourquoi tu fais encore ça ? »

Il déglutit avec difficulté, avant de s'agiter sur son fauteuil, en se contorsionnant doucement d'un air embarrassé. Un raclement de gorge, un soupir, il s'inclina en avant, Dianne relâcha son bras, pour le laisser enfouir son visage dans ses mains, et soupirer de nouveau très longuement. Elle l'observa en rajustant son châle sur ses épaules, un énième frisson s'emparant d'elle. Le feu crépita, laissant le soin à Narcisse de rebondir sur le silence qu'il venait de créer. Son regard se fit lointain, braqué sur les braises flamboyantes, sa voix résonna contre les paumes de ses mains sur lesquelles il appuyait sa tête.

« Je veux pas qu'il t'arrive quelque chose... »

Dianne expira douloureusement, en se penchant vers lui. Sa main se déposa sur le dos de Narcisse, pour venir le frotter avec délicatesse. Il ne réagit pas, elle douta même qu'il réalise sa présence, tant la pression qu'elle exerçait sur ses vêtements était légère. Elle avait arrêté de compter le nombre de fois où ils avaient eu cette discussion, le nombre de nuits blanches qu'il avait passé éveillé, à simplement surveiller, guetter. Il restait en alerte, chaque instant qu'il demeurait dans cette maison, étendant sa magie et la laissant s'éparpiller aux alentours. Elle approcha sa tête de son épaule.

« Tu crois vraiment qu'il pourrait arriver quoi que ce soit ? Narcisse... Il n'est plus là, le gouvernement est différent, tout est différent désormais. Tout va bien, tu...
Et si quelqu’un te faisait du mal ? Ou à Ella ? Et si... Y'avait pas que lui, Dianne, y'a pas que Georges. Il... il... »

La respiration de Narcisse accéléra, elle sentit son cœur battre au-travers de son dos de plus en plus fort. Ses mains vinrent serrer compulsivement ses bras alors qu'il se courba sur lui-même, se balançant lentement d'avant en arrière, secouant insensiblement sa tête. Sous les doigts de Dianne, elle le sentit frémir et trembler. Sans même laisser s'écouler un instant, elle se rapprocha de lui pour l'étreindre contre elle, oubliant toute prudence, rejetant toute considération. Doucement au début, pour ne pas risquer d'activer par mégarde son bouclier naturel, puis de plus en plus tendrement, au fil des secondes qui s'écoulaient. Elle se permit même la folie de lui caresser les cheveux en le laissant se balancer nerveusement contre elle.

Dans un réflexe suffocant, il s'accrocha au bras de Dianne.

« J'ai pu sauver personne... Dianne... J'ai pu sauver personne. Je suis désolé.
Narcisse. Arrête de parler. »

Le ton dans la voix de la rousse figea totalement Narcisse. Il s'immobilisa entièrement, cessant de se balancer, oubliant même de respirer. Ses yeux écarquillés desquels ruisselaient quelques larmes fixaient le plancher éclairé par le feu. Les émotions et les souvenirs, les regrets et les remords l'assaillaient toujours, mais la douceur et la fermeté de Dianne l'apaisèrent. Sa voix l'apaisait toujours avec une déconcertante facilité. Il ne comprenait pas pourquoi, pas exactement. Il ne réfléchissait pas, il ne voulait pas le faire. Il ne voulait pas prendre le risque de perdre la seule chose qui l'apaisait simplement en y pensant trop...

Lorsque Dianne vint s'accroupir devant lui, il se rendit compte qu'il ne l'avait même pas vu se déplacer. Elle le fixa d'un air déterminé et sévère. Ses yeux marrons scintillaient sous la lumière dansante des flammes, son visage était dur. Il rougit brusquement, et voulut détourner le regard lorsqu'il sentit son cœur exploser dans sa poitrine.

« Je vais poser mes mains sur ton visage. »

Le fait qu'elle ne demande pas, mais qu'elle annonce, empêcha l'instinct de survie de Narcisse de s'activer inopinément. Au contraire, il put ainsi pleinement confier toute sa confiance à Dianne, et la laisser lever les mains vers lui pour les déposer sur ses joues. Elles étaient douces et chaudes, pressant légèrement sur sa peau, appuyant suffisamment pour l'ancrer dans la réalité, mais pas trop pour ne pas l'oppresser. Il oublia comment respirer, et leva ses mains pour venir saisir celles de la rousse, sans détacher son regard du sien.

« Eh... Respire. Tu vas t'étouffer, idiot. »

Lorsqu'il expira brusquement en pouffant de rire, fermant les yeux pour se laisser aller, Dianne sentit l'air de son souffle parcourir le haut de sa poitrine. Un frisson l'électrisa brusquement, une chaleur remonta jusqu'à ses joues sans prévenir. Elle contempla longuement son visage dans la semi-obscurité, se mettant à sourire à son tour. Ses pouces caressèrent doucement les joues de Narcisse lorsqu'il caressa le dos de ses mains avec les siens. Elle entrouvrit les lèvres pour lui faire la morale, comme à son habitude, avant de secouer la tête, perdant ses mots, qui avaient décidé de venir se nicher au fond de sa gorge. Il pouffa de rire.

« Je sais encore comment respirer, quand même ! »

Il fronça les sourcils en regardant le visage de la rousse. Aussi vif qu'un serpent, il tendit sa main pour en déposer le dos sur son front.

« Merde, t’es brûlante, ça va ?
L- langage ! Qui est la médicomage ici, hein ? Et ne change pas de sujet ! »

Sans le sourire qui étirait les lèvres de la rousse jusqu'à ses oreilles, Narcisse aurait certainement ressenti la réprimande qui se tapissait au fond de la voix de Dianne. En l'occurrence, il ne put que s'esclaffer en fermant les yeux, levant les mains innocemment en regardant en l'air. Puis, brusquement, un éclair de pensée lui traversa l'esprit, et il se leva brusquement en tenant les mains de Dianne. Il soupira en secouant la tête, elle voulut parler, visiblement confuse.

« Attends, ça va pas... »

Une vive inquiétude parcourut le dos de Dianne dans un frisson. Mais si elle avait commencé à s'imaginer toutes sortes de possibilités, elle n'avait clairement pas anticipé celle où Narcisse la prit par la taille pour la faire asseoir dans le fauteuil où il se tenait, il y a encore un instant. Ce fut l'équivalent d'un feu d'artifice dans sa poitrine, et d'un brasier enflammant brusquement ses joues. Mais qu'est-ce qui lui prenait ?! Le contact de sa main sur sa hanche la fit se tendre soudainement, et elle dut retenir un petit cri de surprise lorsqu'il l'installa dans le fauteuil, avant de souplement s'asseoir à même le sol, face à elle, avec un sourire tellement satisfait qu'il en devint insolent. Mille piques vinrent à l'esprit de la rousse, et elle aurait adoré les projeter toutes à la figure de l'impertinent. Mais il sourit, et se frotta l'arrière de la tête en rigolant.

« Ah, beaucoup mieux. T'as pas idée, à ton âge, de t'asseoir par terre ?
Oh ! »

Elle se dressa brusquement, bouche bée sous l'outrage qu'elle ressentit, la main sur la poitrine, profondément choquée, ou du moins en apparence. Dianne dut faire appel à toutes les ressources de sa volonté pour ne pas éclater de rire et continuer d'afficher cet air outré, détournant la tête en faisant danser les mèches de cheveux échappés de son chignon.

Le rire de Narcisse se stoppa un court instant lorsque le parfum de Dianne lui frappa les narines après s'être installé à sa place, et il prit une grande inspiration pour reprendre sa contenance. Il se tenait le ventre en rigolant doucement, essayant d'ignorer la tentative de bouderie de la plus âgée, qui, en cet instant, n'avait plus l'air si âgée. De son index, il essuya une larme qui s'était formée dans le coin de son œil.

« Oh, sapristi... Désolé, ouh... Mais... Aïe ! »

Il se figea soudainement, ses deux mains vinrent se plaquer sur son front, là où le point rouge de douleur venait de se former sous la pichenette qui se voulait brutale et sanglante de Dianne. Avec son air satisfait, elle se redressa ensuite, avant de laisser échapper un petit "Hm !" de contentement mesquin, croisant les bras sur sa poitrine. Plusieurs secondes d'immobilité absolue s'écoulèrent. Narcisse hésitait entre éclater de rire ou simplement apprécier la petite chaleur douloureuse sur son front, symbole du rare contact physique qu'il était capable d'avoir. Dianne continuait de le regarder du coin de l'œil, impuissante à dissimuler son sourire.

Elle soupira enfin, avant de reposer les mains sur ses genoux. Malgré tout le bonheur qu'elle ressentait, elle se força à le mettre de côté un instant, elle ne pouvait pas laisser ce qu'elle voulait dire flotter dans l'air. Narcisse le ressentit, et son sourire faiblit imperceptiblement.

« Je conçois que ce soit important pour toi... Mais tu t'épuises, à faire ça. Ce n'est pas nécessaire, je ne risque rien, tu n'as pas besoin de constamment étendre ta magie pour surveiller la maison et les alentours.
J't'ai déjà dit que j'aurais pas à faire ça si tu m'laissais protéger la maison avec des sorts...
Et je t'ai déjà dit que ça, c'était hors de question. Notre maison ne deviendra pas une forteresse, Narcisse.
Dianne...
Non. Le sujet est clos. Une nouvelle fois. Je ne peux t'empêcher de monter la garde, ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais je t'interdis formellement de lancer le moindre sort sur cette maison. »

Le ton de la femme était inflexible. Sa voix tomba tel un couperet, implacable, et n'accepterait aucune objection. Leurs regards se soutenaient, silencieusement. Narcisse s'était installé en tailleur, juste en face de Dianne, les yeux levés vers elle. Elle s'était inclinée vers lui, son regard se fondant dans le sien, en souriant doucement. Puis son visage se renferma. Narcisse fronça les sourcils en se redressant.

« Tout va bien ? »

Elle ouvrit la bouche, puis la referma, avant de doucement, très doucement, sans le quitter du regard, lever les mains vers son visage.

« Je peux ?.. »

Peut quoi ? Elle peut quoi ? Il fronça davantage les sourcils en s'immobilisant, le dos droit, tournant doucement le regard pour observer ces mains se rapprochant de lui. C'est alors qu'il comprit. En un éclair, ses mains se dressèrent pour agripper celles de Dianne, les arrêtant à quelques centimètres de ses lunettes. Elle sourit, il secoua la tête, une boule d'angoisse nouant sa gorge.

« Attends, Dianne, tu peux pas... C'est dangereux.
Mais non. Tout va bien. »

Un instant d'hésitation, de flottement, un regard réticent, il serra les dents, ses mains tremblèrent imperceptiblement. Il inspira profondément, fixant son regard sur celui de Dianne, qui souriait toujours calmement. Lui aussi voulait se débarrasser de cet accessoire, qui lui pesait. Lui aussi n'appréciait guère de porter constamment cet objet, de constamment sentir sa magie étriquée contre elles, se reflétant à l'infini dans les verres pour revenir finalement au fond de ses yeux. Il déglutit douloureusement, avant de hocher la tête. Le sourire de la rousse s'agrandit.

« Je sais que tu peux la contrôler. Tu y arrivais avant, tu peux encore réussir.
C'était différent avant...
Tu en es capable, j’en suis certaine. »

Il frémit en sentant l'extrémité des doigts de Dianne effleurer ses tempes. Il ferma les yeux lorsque les branches de ses lunettes frottèrent ses oreilles et ses cheveux en se retirant. Plusieurs secondes s'écoulèrent, durant lesquelles il continua de fermer les yeux, s'immobilisant comme un enfant qui ne voudrait pas être vu. Dans un cliquettement métallique, Dianne récupéra son trophée dans une main, et avec l'autre, elle attrapa le menton de Narcisse.

« Quelle est l'utilité de les retirer si tu n'ouvres même pas les yeux ?
Dianne... Je pense pas que ce soit une bonne idée...
Fais-moi confiance. »

Une longue, très longue expiration vida la poitrine du jeune homme. Une déglutition pénible, un nouveau soupir, et enfin, il ouvrit prudemment ses paupières.

Le silence était assourdissant, il bourdonnait aux oreilles de Narcisse et de Dianne, qui se fixaient chacun dans une immobilité absolue. Elle souriait, il hésita, il trembla, elle sourit davantage. Il voulut parler, il s'inquiéta en se redressant, pour attraper la main de la rousse avec la sienne. Elle secoua la tête doucement, frissonnante. Ses yeux se fermèrent un instant, elle expira prudemment, avant de le regarder de nouveau, l'air satisfaite.

« Tu vois ? Ce n'est pas si horrible…
C'est pas moi l'problème, ça va toi ?
Mh-mh. »

Elle hocha la tête, les lèvres pincées. Narcisse refusa à sa magie la liberté de jaillir librement hors de lui, et pourtant, Merlin savait qu'elle le voulait. Elle tempêtait en lui, hurlant et battant contre ses remparts, s'échinant à s'échapper hors de son corps pour envahir tout ce qui l'entourait. Mais pas contre Dianne. Jamais. Il s'y refusait catégoriquement. Il aurait préféré mourir que lui infliger une telle chose. Une chaleur diffuse se répandit indiciblement sous les joues de Narcisse, qui ne pouvait, malgré ses efforts, détacher son regard de celui de Dianne. Le marron de ses pupilles se propageait dans le noir des siennes, et les traits de son visage dansaient doucement en se dessinant sous la lumière du feu.

Elle ferma soudainement les yeux en expirant, plaquant ses mains sur sa poitrine, semblant perdre l'équilibre. Narcisse se redressa en silence, avec efficacité et célérité, pour la rattraper par l'épaule. Il toucha son front de la main. Sa peau était chaude.

« Dianne... C'est pas bon pour toi... »

Elle secoua la tête, butée, se refusant à admettre que les émanations magiques du jeune homme la faisait souffrir. Narcisse sentit son cœur se serrer, piqué de mille aiguilles. Ses yeux piquèrent à leur tour, une humidité parasite et malvenue inondant le coin de ses paupières.

« Dianne. S'il te plaît. »

Il glissa avec délicatesse ses doigts entre ceux de la rousse, qui serrait en tremblant la paire de lunettes contre sa poitrine. Son autre main refusa de lâcher son épaule, tandis qu'il caressait sa robe de chambre de son pouce. Au prix d'un effort qui lui apparut comme incommensurable, il réussit à délier les doigts de Dianne pour récupérer ses lunettes. Non sans au passage avoir frémi en l'effleurant. Un genou à terre face à elle, il remit ses protections oculaires sur son nez, et le bourdonnement infernal cessa. L'air cessa de vibrer et la pression écrasant la poitrine de Dianne disparut.

L'amer goût de la culpabilité força Narcisse à détourner son regard d'elle, il se rassit lourdement sur le sol, laissant échapper une expiration de dépit. La rousse se redressa, il fixait le sol, après avoir remonté ses lunettes du pouce. Elle se mordillait l'intérieur de la lèvre, la poitrine laminée par l'accablement, une myriade de moustiques bourdonnant à l'entrée de ses oreilles, une envolée d'épines poinçonnant sans merci ses côtes. Elle aurait tellement voulu pouvoir supporter ce qui se dégageait de lui.

Sans prévenir, il se releva dans un chuintement de tissus, un infime craquement émana du plancher sur lequel il se tenait.

« Pardon...
Non, c'est moi. Je voulais... J'aurais voulu que tu n'ai pas à les porter ici. »

Il fit un pas de côté, en direction de la porte, son regard transperçant la fenêtre, son index tapotant nerveusement son pouce. Un soupir, elle leva les yeux vers lui.

« Moi aussi. C'est pas grave. »

La veste recouvrant ses épaules se leva légèrement lorsqu'il pivota sur lui-même pour doucement saisir la nuque de Dianne, avant de l'attirer vers lui tendrement. Dans un mouvement fluide et naturel, il déposa ses lèvres sur le front de la rousse, qu'il laissa plusieurs secondes sans même oser respirer. Dianne non plus, ne respirait plus, mais son cœur battait à tout rompre.

Narcisse sourit en se redressant, laissant sa main caresser les cheveux de Dianne, avant de soupirer. Il rajusta ses lunettes du pouce.

« Essaye d'aller dormir, je vais aller faire un tour. »

En temps normal, la rousse aurait protesté avec véhémence. Elle se serait insurgée, aurait tempêté pour lui interdire de sortir par un froid pareil, et encore moins à cette heure. Qu'est-ce qui lui passait par la tête, à vouloir sortir maintenant, dans le noir, dans cet état de fatigue ?

Mais aucun mot ne put franchir ses lèvres. Les mains pressées sur sa poitrine, son regard plongé dans le feu, les yeux écarquillés et le souffle court, elle sentait tout le haut de son visage brûler d'une chaleur glissante et sinuante. Un petit point diffusait des décharges électriques sous sa peau à l'endroit où les lèvres de Narcisse l'avaient touché. Son cœur résonnait dans tout son corps, et la chaleur fila en direction de ses oreilles, la laissant s'affaisser dans le fauteuil. Si Narcisse l'avait regardé, il l'aurait vu aussi rouge qu’une tomate. Mais en l'occurrence, le seul son qui provint de lui fut celui de la poignée de porte qu'on enclenche.

Mais le bruit de la porte que l'on ouvre ne suivit pas. Dianne fronça les sourcils, intriguée, pivotant son regard. Narcisse s'était tourné vers elle, et la regardait avec un sourire énigmatique. Il avait l'air nerveux, et gigotait doucement sur place. Plusieurs secondes de silence s'écoulèrent, avant qu'il n'ose la regarder véritablement, pour ensuite enfiler ses gants.

« Tu... tu veux venir ? Y'a pas beaucoup d'vent, il fait moins froid que tout à l'heure. »

En jetant un coup d’œil à l'agréable feu réchauffant la pièce, Dianne fit semblant d'hésiter. L'instant d'après, son corps s'était mû de lui-même. Elle enfilait déjà ses chaussures pendant que Narcisse l'attendait sur le pas de la porte, observant l'extérieur, comme s'il cherchait à percer la pénombre de sa simple vision. Après tout, peut-être le pouvait-il. Elle n'était pas certaine de la limite de ses pouvoirs. Non pas qu'il n'en parle pas, mais il ne se mettait jamais en avant. Aussi, les occasions pour faire la démonstration de ses capacités étaient rares.

« Tu en profiteras pour ramener du bois, jeune homme.
Oui m'dame, bien m'dame, autre chose, m'dame ? »

L'éclat de rire de la rousse se perdit dans un écho lointain au milieu des arbres recouverts de neige. Le sourire qui étira les commissures des lèvres de Narcisse ne fut pas remarqué par Dianne, autrement, elle n'aurait pas manqué de le taquiner à ce sujet. Dans un délicat cliquetis, la propriétaire des lieux verrouilla la porte avant de glisser la clé dans la poche de son manteau, grelottante, mais déjà impatiente de pouvoir se changer les idées et se dégourdir les jambes.

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