« Là elle abuse. »

La stupeur d'Oscar résonna dans la Grande Salle et pour une fois, c'était justifié. Il s'attira quelques regards mais en fit peu de cas, trop sonné qu'il était par le contenu du colis qui reposait devant lui.


Sa mère avait toujours eu des lectures bien à elle mais comment pouvait-elle s'imaginer que lui, qui n'était jamais parvenu à aller au bout de T'choupi fait du vélo, allait s'intéresser à ce colis ? Il se demanda même un instant si elle ne s'était pas trompée de destinataire, mais à qui d'autre pouvait-elle destiner ces ouvrages, Mona ? L'adresse indiquait bien Poudlard.

Il soupira face au coffret contenant les trois tomes volumineux d'histoire moldue, ne sachant trop quoi en faire. Il ne les lirait jamais, ne les ouvrirait pas, n'en ferait rien, il le savait et il s'étonnait que sa mère ne le sut pas. Ne pouvait-elle donc pas lui offrir des choses normales, comme son père ? Il lui envoyait chaque mois des sucreries, des petits cadeaux, parfois même à l'occasion un objet magique un peu cher, et à l'approche de ses treize ans, quoi ? Sa mère lui envoyait deux mille pages poussiéreuses d'un traité qu'on aurait dit consciencieusement choisi parmi ce qui était le moins susceptible de l'intéresser.

Qu'en faire ? Les garder inutilement dans son dortoir, au risque de s'attirer des questions embarrassantes sur leur provenance (rappelons qu'à ce jour, la seule phobie connue d'Oscar est qu'on apprenne qu'il a des parents qui l'aiment, car c'est vraiment trop la honte) ? Hors de question ! Alors quoi ? Les balancer dans la cheminée de la salle commune de Gryffondor et hop, on n'en parle plus ? Oscar était à deux doigts d'opter pour cette option simple et efficace puis il réalisa que c'était une idée stupide. Les laisser là, tout simplement ? Quelques élèves avaient déjà remarqué le coffret et risquaient d'y jeter un coup d'œil voire de tenter de le lui rendre et il ne voulait définitivement pas se voir offrir cette idiotie deux fois.

Dépité et encombré, il laissa ses pensées se plonger dans son cours d'Histoire de la magie de la veille. Bon sang, ce qu'on pouvait s'ennuyer dans cette classe, sans pouvoir sortir sa baguette magique et lancer des sorts, pris dans un débit de paroles barbantes, avec pour seule distraction la contemplation des murs, de son bureau, de la bibliothèque des élèves, de...

La bibliothèque des élèves !

Il se leva brusquement, renversa la tasse de lait qu'il avait négligemment déposée au bord de la table, remarqua à peine sa maladresse et fila au premier étage. Nous étions un samedi, la salle de cours était ouverte. Une seule personne s'y trouvait, une fille qu'Oscar n'avait jamais vue et à laquelle il ne prêta pas attention. Il fila vers la bibliothèque vide au fond de la salle, son imposant coffret en mains, et l'y déposa, soulagé. Sans un regard ni une formule de politesse pour la petite fille solitaire, il s'en alla.

Heureux et l'esprit vide de toute préoccupation, il s'apprêtait à déguerpir loin de cette classe de l'ennui quand il entendit du mouvement à l'intérieur. Il revint sur ses pas et jeta discrètement un œil à ce qui se traficotait là-dedans : la gamine fouillait dans le coffret qu'il venait de déposer, pas gênée. Il rit intérieurement à l'idée de la déception qu'elle s'apprêtait à vivre mais à la place de soupirer de déplaisir, elle sortit du coffret une petite main pleine... de bonbons ! Alors ça, non. C'était à lui ! Il ne les avait pas vus, il n'y avait pas fait attention, mais c'était à lui quand même !

Il courut bruyamment vers elle et lui ordonna, impérieux :

« Hé, donne-moi ça ! C'est à moi ! »

Les premières semaines à Poudlard avaient été source de nombreuses informations et nouveautés. Elin s'était beaucoup perdue en explorant le château au gré de ses envies et elle avait également fait de nombreuses activités.

Mais le mois de novembre était arrivé et avec lui la prise de conscience qu'elle se trouvait tout de même dans une école. Et qui disait école disait devoirs. La première année n'était pas bête, elle n'avait pas été répartie à Serdaigle pour rien. Mais elle avait un gros défaut : elle avait beaucoup de mal à rester calme et à écouter correctement ses cours, notamment les cours théoriques, ce qui pouvait lui causer des problèmes dans certains cas, notamment quand elle devait faire ses devoirs.

Le mardi, la petite fille avait eu son cours d'histoire de la magie et elle avait laissé toutes ses affaires dans la bibliothèque prévue à cet effet, y compris ses notes de cours et son manuel. N'ayant pas écouté une bonne partie de la fin du cours car elle n'arrivait pas à se concentrer pendant aussi longtemps, elle n'avait pas entendu qu'ils allaient avoir un examen de connaissances le mardi suivant. Or pour réviser, il était plus pratique d'avoir son manuel et ses notes de cours.

Mais avant qu'elle n'ait eu le temps de récupérer ses affaires, un élève qu'elle n'avait jamais vu entra en furie dans la pièce, la dépassa en la frôlant, se rua sur la bibliothèque, y déposant son paquet, comme si ses mains le brûlait et qu'il devait s'en débarrasser le plus rapidement possible et il s'en alla de la pièce.

L'autre défaut qu'Elin pouvait avoir était sa curiosité. Elle ne se posa même pas la question de savoir si quelqu'un pouvait la voir faire cela, Elle s'approcha de la bibliothèque et regarda instantanément ce qui avait été déposé. Il s'agissait d'un livre. Instantanément, la Serdaigle se demanda pour quelle raison un élève venait jusqu'ici pour déposer un livre de manière aussi pressée comme si l'objet lui brûlait les mains, c'était bizarre non ?

Intriguée, la petite fille prit le livre dans ses mains duquel tomba des bonbons. Il y avait une poignée eeeentière de bonbons Moldus. Avant même qu'elle n'ait eu le temps de réaliser ce qui se passait, elle entendit une voix lui demandant de lui rendre ses bonbons. L'Écossaise se retourna et aperçut le garçon qui était parti juste avant et à qui effectivement les bonbons appartenaient.

« T'es Moldu non ? fut la première chose à laquelle Elin pensa.»

Ce n'était pas méchant puisqu'elle était elle-même née Moldue. Simplement, elle n'avait pas vu de bonbons de cette marque depuis qu'elle était arrivée à Poudlard alors cela lui semblait évident.

« Ils sont piégés tes bonbons ? demanda-t-elle de manière suspicieuse avant d'ajouter Pourquoi t'as voulu te débarrasser de ce livre comme ça ? T'es bizarre, avant de se débarrasser d'un truc on l'ouvre. »

Cette dernière phrase avait été prononcée en toisant le garçon qu'Elin pouvait maintenant observer de plus près. Il était plus grand qu'elle mais elle s'en fichait, elle avait pas peur de lui.

Moldu ? J’ai l’air d’être moldu ?

« J’ai l’air d’être moldu ? »

Il avait l’air d’être moldu ? Il n'avait rien contre les moldus, que tout soit bien clair, mais il n'en était pas un et il était très fier de ne pas en être un. Il estimait que ses dons de magie étaient un cadeau du ciel dont il avait tous les droits de se targuer, et de toute façon que ferait-il à Poudlard s'il était moldu ? Il se doutait au fond que ce n'était qu'un abus de langage, que la petite fille avait simplement voulu lui demander s'il était né-moldu (ce qu'il n'était pas non plus !) mais il était tout de même idiotement vexé par la question. Elle lui avait aussi demandé si ses bonbons étaient piégés mais il répondit à cette question un peu moins impulsivement.

Ils n'étaient pas piégés et il le savait. Ils lui avaient été envoyés par sa mère, qui avait certes sa façon bien à elle de lui faire parvenir des friandises, mais qui ne les aurait jamais piégées. Cependant... cette question absurde n'était-elle pas l'occasion idéale d'éloigner définitivement la fillette de ses bonbons, de l'effrayer, et qu'on n'en parle plus ? S'il mentait sur la provenance du colis, il pourrait à la fois expliquer pourquoi il ne l'avait pas ouvert et lui faire croire qu'il y avait tous les dangers possibles et imaginables à envisager avant de goûter une de ses sucreries. Alors il mentit.

« Je sais pas d'où il vient, moi, ce colis. On me l'a envoyé ce matin et je sais pas de qui ça vient. J'ai pas fouillé dans la boîte car c'est évident ! Qui va lire ça ? »

Même s'il avait avoué que le cadeau (si ça pouvait porter ce nom...) lui avait été envoyé par sa mère, l'argument serait resté le même : franchement, qui va lire ça ?

« Peut-être qu'ils sont piégés... »

Il eut une idée soudaine et se pencha sur les friandises tombées par terre et attrapa un chocolat au hasard. Il l'examina : c'était un chocolat absolument classique. Malicieux, il le lui tendit, se disant qu'après tout il pouvait se permettre de perdre un chocolat (mais un seul), et lui dit, comme pour la tester :

« Tu veux essayer ? »

Visiblement Elin s'était un peu trompée car le garçon lui demanda s'il avait l'air Moldu. Il n'aurait probablement pas posé cette question si ce n'était pas le cas si ? Ou alors il était juste débile ce qui semblait être le cas étant donné la manière dont il agissait.

« Bah en tout cas t'as des bonbons Moldus alors tu dois bien avoir une partie de ta famille qui est Moldue. Mais c'est pas une tare hein, j'étais juste étonnée, c'est la première fois que je vois cette marque depuis que je suis arrivée à Poudlard. Pas besoin d'être autant sur la défensive hein. »

Elin avait beau avoir écouter les justifications du garçon, elle les trouvait un peu louches. Comment ça il savait pas d'où venait le colis. Les gens envoient un mot en général. Et puis elle voyait bien que c'était pas clair son histoire, il était beaucoup trop sur la défensive pour ça.

Lorsqu'il lui demanda qui pourrait bien lire un livre pareil, la petite fille le regarda d'un air dubitatif, il s'embourbait vraiment dans ses explications lui, il la prenait pour une débile ? Elle était bien plus intelligente que ça.

« Tu m'prends vraiment pour une débile ? J'suis pas à Serdaigle pour rien hein ça se voit que tu dis n'importe quoi. Je ne sais pas qui lirait un truc pareil, sûrement pas moi, mais mon père peut-être ceci dit. »

Le père de la famille Spark avait toujours été plutôt croyant. Enfin en tout cas il allait à la messe régulièrement et il aimait beaucoup lire des livre sur l'histoire. Alors peut-être que ce livre l'intéresserait ? Ceci dit, il n'avait pas forcément beaucoup le temps de lire alors il n'y avait aucune assurance qu'il lirait un livre aussi gros, ou alors il lui faudrait plusieurs années.

« Je doute que tu aies l'intelligence de faire une farce telle que mettre des bonbons piégés exprès dans un livre juste devant moi. Ceci dit si t'avais vraiment fait ça tu serais encore plus débile que ce que je pense parce que bon je vois pas qui mangerait des bonbons qui proviennent d'un livre comme ça. Alors ta farce serait tombée à l'eau. Enfin bon, même si j'te trouve débile, je sais reconnaître des bonbons qui viennent du monde Moldu et ils ont pas l'air d'avoir été trafiqués. »

La petite fille prit un des bonbons et l'ouvrir pour le fourrer dans sa bouche. Puis, elle piocha une poignée dans le tas et la mit dans sa poche. Après tout le Gryffondor n'avait pas donné le nombre qu'elle avait le droit de prendre, donc c'est qu'elle pouvait se servir non ?

Elle suçait le bonbon avec délectation, elle ne voulait pas le gâcher en mâchant, ce serait un peu dommage.

Désolée pour le retard

Vexés puis vexants, les deux enfants étaient embourbés dans un passe-passe colérique et immature qu'ils n'en finissaient pas d'empirer à grand renfort d'incompréhensions et d'attitudes de plus en plus défensives. Si Oscar ignora les présomptions (correctes) de la fillette concernant ses ascendances moldues (dont il n'avait pas particulièrement honte mais dont il n'aimait pas parler à l'école), comprenant que son interlocutrice avait elle aussi grandi dans un foyer au moins semi-moldu et que ses interrogations étaient moins accusatrices que froissées, il ne put en revanche se retenir de s'offusquer de ce qu'elle fit ensuite.

Quand elle l'informa qu'elle était à Serdaigle avec ce ton insupportablement suffisant qui faisait leur signature, Oscar peina à réfréner un sourire moqueur. Il l'aurait parié. Elle en profita pour l'insulter à plusieurs reprises, ce qui l'outragea mais moins que le fait qu'elle s'était servie dans ses bonbons avec gourmandise et provocation. Au fond, il se fichait bien de son petit discours condescendant sans queue ni tête qui visait à lui démontrer qu'elle valait mille fois mieux que lui, qu'elle était intelligente et qu'il était « débile », qu'elle savait raisonner et qu'il n'était qu'instincts primaires, bref qu'elle était Serdaigle et qu'il était Gryffondor ; qu'elle parle pour ne rien dire si ça l'amusait ! D'ailleurs son raisonnement sinueux avait rapidement perdu Oscar. Mais lui piquer ses bonbons, et avec cette audace !

« Hé ! Je t'ai proposé qu'un seul bonbon, c'est pas à toi, alors tu me les rends ! »

Il tendit précipitamment sa main vers la poche dans laquelle la petite fille avait fourré tous ses bonbons avec la ferme intention de récupérer ce qui lui appartenait et de s'en aller d'ici pour ne plus jamais recroiser cette peste.

Pour la plus grande joie de la petite fille, le bonbon ne semblait pas être piégé puisqu'il ne lui arriva rien. A moins que cela soit trop tôt pour qu'elle en ressente les effets, c'était une autre possibilité assez probable. Par contre, ce dont elle était sûre était qu'elle n'avait aucune envie que le garçon lui pique les bonbons qu'elle lui avait piqués. Et puis quoi encore ? Il avait qu'à pas s'en débarrasser en premier lieu s'il ne voulait pas qu'on lui pique.

En réalité, ses bonbons n'avaient rien d'extraordinaire, mais ils avaient le goût de l'interdit, le goût du mérite de les avoir piqués (si on pouvait appeler ça du mérite, ça restait à voir). Alors pour rien au monde la jeune Serdaigle n'avait envie de les lui rendre. Le Gryffondor, approcha dangereusement sa main de la poche de la petite fille, espérant sûrement reprendre son butin... Et pour le plus grand malheur de la sorcière, il réussit à récupérer environ les 2/3 de ses sucreries.

« Non mais tu te prends pour qui à fouiller dans ma poche ? T'as pas à fouiller dans MA poche comme ça et puis quoi encore. C'est vraiment quelque chose qui ne se fait pas, on t'a jamais appris ? T'es vraiment mal élevé comme gosse, déjà t'es ingrat parce que tu jettes sans pression un cadeau qu'on t'a fait et en plus tu viens te plaindre après sans même utiliser les mots magiques. Alors bon, je sais pas pour qui tu te prends à part pour un sale Gryffondor nul. »

Les insultes d'Elin n'étaient pas très poussées, mais elle espérait bien piquer à vif la fierté de son interlocuteur. Elle tenta de récupérer une partie de son butin, espérant que cela réussirait pour pouvoir finalement s'enfuir de cette salle avec ses bonbons et passer une bonne journée tranquillement et loin de ce garçon qu'elle détestait déjà.