La plume légèrement tremblante et hésitante, je me convaincs enfin de franchir le pas et d'écrire à celle rencontrée dans l'obscurité d'un couloir, à celle qui répond aux questions les plus imprononçables, à celle qui ne balaye jamais la curiosité de quelqu'un. J'écris adossé aux barrières tachées par les hiboux, refroidi par le vent d'hiver et les flocons qui viennent geler ma main nue. Tant pis pour le froid, tant pis pour les larmes qui ne réchauffent même plus mes joues.

Aelle Bristyle
AESM
Pays de Galles

Chère Aelle,

J'espère que la lettre est arrivée jusqu'à toi, étant donné que je n'avais pas plus d'informations à donner au petit hibou noir que tu as reçu. Et si c'est bien le cas, je ne te ferai pas plus attendre et écrirai directement ce que j'attends de toi.

En écrivant ces derniers mots, je relève la tête et réfléchis. Pas sûr qu'elle apprécie. Je hausse les épaules. Tant pis. Je reprends.

Aelle Bristyle
AESM
Pays de Galles

Chère Aelle,

J'espère que la lettre est arrivée jusqu'à toi, étant donné que je n'avais pas plus d'informations à donner au petit hibou noir que tu as reçu. Et si c'est bien le cas, je ne te ferai pas plus attendre et écrirai directement ce que j'attends de toi.

Il y a deux semaines, j'ai découvert dans le carnet secret de Valerion deux informations qui me font t'écrire aujourd'hui. La première mentionne un collier que tu ne porterais pas. De quoi parle-t-elle ? Je vous ai rarement vues ensemble l'année dernière, alors je doute que ce collier soit un simple collier, n'est-ce pas ?

Ensuite, j'ai aussi découvert que notre nouveau concierge était un mage noir. J'ai cru que toute l'école devait être au courant, mais personne n'a pris l'information au sérieux. Mais moi, je peux t'assurer qu'elle est bien vraie ! Valerion me l'a encore confirmé hier ! Je lui ai d'ailleurs promis que je n'en parlerai plus, mais si tu savais comme cela m'énerve ! Si je ne peux rien dire, je veux au moins savoir comment m'en protéger. Et toi, Aelle, toi qui connais tous les livres par cœur, qu'as-tu à me dire sur les mages noirs ? De quoi sont-ils capables ? Est-ce que Valerion peut être en danger ? Tu crois que je devrais en parler à quelqu'un ? Même si j'ai promis..

J'espère que tu pourras me répondre
L'école te plait ? Tu apprends des sorts mieux qu'ici ?

Lukas

Élucubrations d'un innocent < RÉCEPTION DU COURRIER

Sharp,

Bravo, tu as rompu ta promesse. Plusieurs fois, si j'en crois tes mots. Rappelle-moi de ne pas te faire confiance si un jour tu me soutiens que jamais jamais jamais tu ne parleras d'une chose que je t'ai confiée. Heureusement, je ne compte rien te confier.

Pourquoi es-tu si énervé ? T'es-tu renseigné sur la magie noire avant d'affirmer que c'est une pratique qui fait de ceux qui s'y adonnent des gens dont tu dois te protéger ? Tu me poses des questions bêtes. Me demander ce dont sont capables les mages noirs revient à me demander de quoi sont capables les Poufsouffle. Une personne idiote à l'esprit étroit te dirait : certainement pas de rompre ses promesses, pas les Poufsouffle, si loyaux ! Mais tu sais comme moi que c'est un mensonge, qu'il existe des Poufsouffle qui ne sont pas loyaux et d'autres qui ne sont pas les parfaits exemplaires de l'élève gentil et attentionné que décrit le Choixpeau chaque début d'année.

Le seul danger que tu cours, actuellement, c'est celui de rester coincé dans ton esprit étriqué. Trouve la sortie, Sharp, ou tu deviendras un sorcier comme il en existe par millier : qui ne sait pas réfléchir par lui-même.

Pose-moi des questions pertinentes et peut-être que je consentirais à y répondre.

AB

La lettre est décachetée à vive allure, presque déchirée et je ne m’en soucis pas. Je n’ai qu’une hâte : découvrir ce qu’Aelle m’écrit et ce qu’elle m’apprend. Mon sourire s’efface à peine avoir lu sa première phrase. Ne peut-elle pas cesser son petit jeu cinq minutes ? Et la dernière phrase de son paragraphe me fait souffler tout l’air que je retenais bloqué. Pourquoi ai-je cru qu’elle me confierait quelque chose ?

Aelle !

Pourquoi je suis énervé ? Je n’ai pas eu besoin de me renseigner sur la magie noire puisque Valerion disait toujours que ce n’était pas quelque chose de bon. J’ai lu ses mots, sa haine, son dégoût quand elle a su. Et je ne sais pas ce que sa famille lui a fait, mais je suis sûr qu’il y en avait des mages noirs près d’elle ! Mes questions ne sont pas bêtes, mais tes remarques, oui ! Je n’ai pas non plus l’esprit étriqué, Bristyle !

Je tente de calmer mon agacement, mais pas avant qu’elle l’ait ressenti. Tant pis si je passe pour un gamin à ses yeux, ma fierté est touchée. D’autant plus que des questions pertinentes, je croyais en avoir posé. Je tortille ma plume dans tous les sens. J’ai envie de lui reposer la même question, mais je prendrais le risque qu’elle ne me réponde plus.

Aelle, dis-moi ce qu’un mage noir fait de plus qu’un sorcier comme toi et moi ?

La recrudescence des points d'exclamation et le ton immature colérique de la lettre de Sharp accentue l'image que m'a laissé de lui sa dernière missive : ce n'est qu'un gamin influencé par ce qu'on lui a raconté et qui brusque les autres quand il n'a pas la réponse à ses questions. Cela aurait pu m'amuser si je n'étais pas victime de cette tendance. Je n'aime pas le ton qu'il emploie avec moi. Ce qui est dommage, parce que je ne refuserai jamais de parler avec une personne intéressée d'une magie que tout le monde s'empresse de traîner dans la boue, ne serait-ce que pour élargir l'esprit de ceux qui l'ont suffisamment ouvert pour me poser une question sur la magie noire. Mais Lukas Sharp est présomptueux, arrogant et insolent. Et il m'a agacé. Rien que pour cela, je n'ai aucune envie de répondre à ses questions.

Sharp,

Et tu continues d'écrire à une personne dont tu trouves les remarques bêtes ? C'est ta façon à toi de m'encourager à répondre à tes questions ? Si c'est le cas, sache que ça ne fonctionne pas. Si tu veux avoir des réponses, essaie d'abord de ne pas te montrer insolent avec la personne que tu questionnes.

J'entends que tu as des préjugés sur la magie noire parce que Valerion t'a mis ça en tête. La plupart des sorciers te diront la même chose qu'elle. Je pensais que tu étais davantage du genre à te faire ton propre avis sur les choses, tout comme tu es le type de garçon qui traverse les couloirs la nuit pour aller voler des ingrédients afin de réaliser une potion qui n'est pas de son année. Je me suis certainement trompée.

Je ne répondrai à aucune question d'un enfant trop en colère pour accepter, comprendre ou seulement entendre les réponses que je lui donnerai.

AB

Je suis prête à parier qu'il ne comprendra même pas que je lui laisse l'occasion de se rattraper. Je connais les petits enfants en colère, j'en ai été une. Et je n'ai aucune envie de parler avec un garçon qui braille dès qu'il n'est pas content. S'il fait amende honorable et s'il me prouve qu'il n'a pas des œillères aussi épaisses qu'il veut me le faire croire, alors je consentirais à discuter avec lui. À sa place je me braquerais et je préférerais encore trouver mes réponses seule. Mais lui a pris la peine de m'écrire, ce que je n'aurais jamais fait à sa place... S'il est déterminé, il me répondra. Sinon, c'est lui qui sera perdant, pas moi.

Après la lecture de sa lettre, il me faut du temps pour ne plus en vouloir. La colère prend du temps à redescendre. Je lui en veux de ne pas s'alarmer aussi vite que moi, je lui en veux de chercher à scruter chaque mot que j'emploie lorsque je voudrais une simple réponse. Son ton m'a vexé. Est-ce que je suis celui qu'elle décrit ? Celui qui se fait son avis seul ou celui qui suit l'avis de Valerion ? Mes lèvres pincées à chaque seconde me montre que cette incapacité à savoir m'agace.

J'ai laissé sa lettre sur ma table de chevet du lundi au mercredi. Je l'ai vue être bousculée et tomber par terre. Je me suis entendu penser que sa lettre ne méritait pas une réponse, mais croiser le concierge me pousse à reprendre cet échange. Je reprends alors chacune de ses lettres et les relis pour chercher ce que j'aurais pu manquer. Je ne sais pas comment lui écrire, mais je sais qu'elle a tort sur un point : Valerion ne m'a rien mis en tête.

Aelle,

Je ne sais pas de quels préjugés tu parles, mais je veux bien entendre ta version. Pourquoi cette magie n'est pas enseignée à Poudlard si elle n'est pas dangereuse ? Pourquoi est-ce que les livres n'en parlent que vaguement ? Pourquoi une couleur si sombre si elle n'a rien d'obscur ?

Est-ce que c'est le sorcier qui rend la magie noire ? Est-ce que le concierge a changé sa magie parce qu'il n'est pas une bonne personne ? Pourtant Valerion semblait, à mon grand étonnement, l'apprécier. Alors qu'est-ce qui fait que l'on devienne un mage noir ?

Si mes lettres ne traduisent pas mon calme, peut-être que je pourrais venir te voir durant les vacances de Noël et te le montrer.

Lukas

Je reçois sa réponse le vendredi 18, dans le courant de la journée. Je la lis juste avant de me rendre à mon dernier examen du semestre, en un coup de vent. Je me souviens de l'impression que m'a laissé son dernier courrier et surtout du ton brusque de ma réponse. Voir arriver une lettre de sa part m'étonne donc et je le suis davantage encore en découvrant ses lignes soigneusement rédigées et exemptes de la colère toute enfantine qui a motivé les précédents courriers de sa part que j'ai reçus.

Après avoir rangé le parchemin, trop concentrée sur mon épreuve pour penser à un gamin de Poudlard à la curiosité teintée de préjugés, j'ai oublié son existence. Le soir même, je me suis rendue à une soirée au Pitiponk qui m'a laissé la tête entravée dans un étau de fer dû à l'alcool. Quant au lendemain... Tout s'est enchaîné. L'aveu d'Aodren, ma colère, ma dispute avec Narym, mon absence à Noël, mon affligeante fin de soirée avec Rockfield et l'horrible gueule de bois du lendemain. Ce n'est qu'en recevant la lettre de mon grand frère que je me rappelle celle de Sharp.

Nous sommes le lundi 28 décembre et la seconde semaine de vacances est entamée. À la fin de celle-ci, l'école reprendra, que ce soit à l'Académie ou à Poudlard. À la fin de celle-ci, il retournera s'enfermer dans son château. Toute prise par mes problèmes et les tensions qui m'opposent à ma famille, je suis tentée de passer outre sa proposition de rendez-vous : pourquoi perdre du temps avec un tout petit enfant soumis à ses émotions, qu'est-ce que cela m'apportera, pourquoi ne pas le laisser de côté et me concentrer sur ce qui m'intéresse réellement ? Je me questionne sincèrement, à peu près certaine que ne pas répondre à Sharp m'évitera une difficile discussion à propos d'une branche de la magie qui s'oppose en tout point à ses valeurs de gamin bien éduqué. Mais c'est exactement pour cela que je prends le temps de voir plus loin que mes propres envies.

Combien de petits sorciers bien éduqués demandent des précisions sur la magie noire ? Combien acceptent la simple idée d'écouter un point de vue différent de ce que la société, qu'elle soit moldue ou sorcière, leur a inculqué ? Comme il le dit si bien, c'est une magie à laquelle on a donné le nom de la teinte la plus sombre qui existe dans notre vocabulaire ; pourquoi prendre la peine de se pencher sur une telle branche de la magie, pourquoi accepter d'imaginer que cette magie puisse être différente de tout ce que l'on raconte à son propos ? En m'écrivant, et surtout en me renvoyant un courrier après avoir reçu ma dernière lettre qui le remettait clairement à sa place, Lukas Sharp fait preuve d'une détermination et surtout d'un intérêt pour la magie noire auquel je n'ai jamais été confronté et qui me fait penser à celui que j'ai moi-même vécu quand j'avais son âge. Oh, je ne pense pas que ce tout petit bout de sorcier puisse plonger au coeur de cette magie, pas avec le discours qu'il tient, mais sa curiosité est là. Curiosité qui sera bafouée s'il ose poser la question à la mauvaise personne, curiosité qui ne rencontrera que frustration s'il espère trouver ses réponses à la bibliothèque du château et surtout, curiosité qui deviendra avidité et intérêt malsain si personne ne prend la peine de répondre sincèrement à ses questions.

Qui d'autre que moi peut lui parler de ça ? Valérion ? Et bien, je doute que cette femme accepte de lui en dire le moindre mot positif ou éducatif, si j'en crois les aveux de Sharp. Non, je ne vois personne d'autre qui pourrait remplir ce rôle. Évidemment, je n'oublie pas que Sharp est un enfant, qu'il est crédule, que c'est dangereux d'instruire à un tel sujet une personne non préparée, mais je n'ai aucune intention de lui apprendre la magie noire, doux Merlin, surtout pas. Seulement de lui parler de cette branche de la magie et lui expliquer clairement, qu'il comprenne sa dangerosité mais aussi qu'il sache ce dont il s'agit exactement. Moi, je n'ai jamais eu droit à une discussion comme celle-ci. Papa répondait à mes questions, mais il était toujours réticent et refusait d'approfondir le sujet ; ce n'est que très tard qu'il a accepté que j'en sache davantage. Sinon, je n'ai jamais parlé de la magie noire avec qui que ce soit. N'est-ce pas ? Je n'en ai jamais parlé, non ? Je me souviens vaguement d'un bureau, d'une discussion, d'une... Non, non, je n'ai jamais pu échanger en toute confiance avec quelqu'un à propos de la magie noire.

À ce point-là des vacances, à moins d'une semaine de la rentrée, il n'est pas question d'y aller par quatre chemins. Pourquoi s'encombrer d'un échange de courriers qui me fera perdre de l'argent et accentue le risque de voir mes explications mal comprises alors que je peux rencontrer le gosse en personne ? Et puis je n'aime guère l'idée de parler de ce sujet à l'écrit : qui sait ce que Sharp pourrait faire de mes lettres, à qui il pourrait les montrer, qui pourrait tomber dessus ? Non, je ne prendrai pas ce risque.

Sharp,

Donne-moi une date, une heure et une adresse précise à laquelle te retrouver cette semaine. Donne ta réponse à la chouette avant qu'elle s'en aille.

AB

L'écriture de mon prénom sur la petite enveloppe m'étonne. Je la reconnais pour l'avoir longtemps observée avec mépris. Ma dernière lettre lui étant destinée doit dater d'il y a quinze jours environ, et tant de choses se sont passées entre temps. Mon estomac se sert à la simple évocation mentale de son départ, de sa lettre. Puis, l'idée insupportable qu'Aelle soit déjà au courant, qu'elle l'ait su avant moi ou qu'elle ait reçu plus d'informations me fait déchirer l'enveloppe à toute vitesse.

Une rencontre. Celle proposée presque sans aucun espoir il y a deux semaines est acceptée. Aucune mention de Valerion. Peut-être que la dureté de la nouvelle l'affecte et que l'écrire lui est tout aussi dur.. Je relève la tête, me traitant d'idiot à la simple mention de difficulté pour Aelle. Bien sûr que non. Rien ne l'affecte, si ce n'est des questions idiotes.

Je fonce voir ma mère pour lui demander l'autorisation, qu'elle donne le jour, le lieu et l'heure précise, car je ne connais que très peu de lieux où Aelle pourrait se rendre. Après quelques propositions, ma mère se souvient qu'elle doit faire un détour à son travail, alors ce sera Godric's.

Je prends ma plume et un vieux bout de parchemin et griffonne au plus vite, avant que la chouette ne s'en aille, retenue par le miamhibou de ma mère.

Aelle,

Samedi 02 janvier. 15h. Café du Rosier.

LS

La nouvelle me réjouit, à tel point que je m'amuse à signer comme elle, par mes initiales.