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09 mars 2024, 19:00
 Solo  La rivalité aux deux visages
RUBY, 14 ans
1er septembre 2047
Quai de la voie 93/4, gare de King's Cross, Londres


[roads]

•••

Comment faire lorsque l'on est privé d'échappatoire ? Un voile obscur s'est posé sur mon horizon et je peine à ne pas perdre espoir. Je me sens cernée, comme assiégée ; parce que cette année, je n'irai pas seule à Poudlard. Merlin, la simple idée de devoir partager ce refuge, ces murs entre lesquels je grandis, ces pierres qui recèlent tant de souvenirs et qui me sont si chères, ah, cette idée me donne la nausée. Sans le vouloir, je m'assène en boucle les mêmes pensées depuis des jours.
Il y a bien longtemps que je ne me sens plus chez moi à Primrose Hill, au cœur de Londres. Même ma chambre, ma compagne depuis ma tendre enfance, n'est désormais pour moi qu'un assemblage de quatre murs que rien ne distingue d'une prison. Mon dortoir, en revanche, c'est mon sanctuaire, mon port d'attache, celui qui sait m'abriter et me protéger, celui qui me regarde mûrir tandis que passent les années. Mais voilà que celle qui m'a tout pris, y compris l'amour de mes parents, me prend désormais ma quiétude et mon havre de paix. Elle s'apprête à arpenter les mêmes couloirs que moi, à traverser le parc comme je l'ai fait tant de fois et à étudier là où j'ai déjà rédigé un nombre incalculable de lignes de parchemin. Elle envahit ma vie, comme elle l'a toujours fait depuis le jour de sa naissance.
Alors, inévitablement, je me sens désorientée. Dépourvue d'issues de secours, je ne peux plus avancer vers un avenir serein mais je ne peux pas davantage faire marche arrière. Ce serait renier ce pour quoi j'ai tant travaillé, ce en quoi je crois, ce futur qui m'attend à Poudlard.

« Dépêche-toi Ruby, s'il te plaît. Il ne faudrait pas manquer le train. »

Je lève les yeux vers Amelia, qui s'est retournée vers moi l'espace d'un instant pour m'adresser ces mots, et la fusille du regard, le visage fermé. Sa fausse amabilité me donne envie de vomir. Elle se croit importante, elle pense que cette journée est la sienne, oh, rien qu'à elle, alors qu'elle n'est qu'une petite chose insignifiante, une copie conforme d'élève de Première Année comme il en existe tant d'autres, une donnée négligeable parmi la foule qui se presse vers le train aujourd'hui. Si maman ne se trouvait pas auprès de ma sœur, le bras passé autour de sa taille, je l'aurais sûrement faite taire, d'une de ces phrases sèches et sans cœur que j'aime prodigieusement lui sortir lorsque l'occasion se présente. À la place, je pousse un soupir agacé et poursuis ma route sans daigner hâter le pas.

Une pensée m'obsède encore, rien qu'une seule. Et si le fossé qui me séparait de ma sœur ne pouvait plus être comblé, désormais ? La réconciliation qui nous guettait aurait-elle fini par s'effacer sous le poids de nos déchirures et de nos rancunes respectives ? Malgré les liens du sang qui nous unissent, moi je ne suis pas prête à l'aimer avec sincérité, et puis je n'en ai pas la moindre envie. Et si Amelia en vient un jour à me faire détester Poudlard, à me dresser contre ce lieu que je chéris tant, je crains de ne pas pouvoir lui laisser le choix : je sais que je lui tournerai définitivement le dos.

these violent delights have violent ends