Occuper une place de choix à la table des Serpentard, c'était comme jouer des coudes. J'avais mis deux bonnes semaines pour comprendre cela, presqu'autant pour mettre au point quelques ruses mais aujourd'hui, enfin, je siégeais sur le banc des troisième année, alors même que j'en connaissais aucun. Quel intérêt pouvais je y trouver ? Aucun si ce n'était par goût du défi et une certaine propension à la provocation. J'étais curieux de voir ce que mon intrusion parmi des élèves plus âgés recevrait comme accueil. Et, en attendant, je tirais une certaine fierté à me trouver là, moi le petit nouveau, inconnus de tous, et cela suffisait à me rendre ce moment savoureux alors que je n'avais pas encore goûter une miette du festin qui se trônait sur la table.

Encadré par deux garçons qui engloutissaient, eux, leur nourriture sans un mot, j'observais les élèves qui me faisaient face et tout particulièrement une fille à la frange brune juste en face de moi. Elle ne semblait pas encore avoir remarqué ma présence au milieu de ses pairs et se contentait d'observer l'air sensiblement dégouté le contenu d'un grand plat en argent, tout en triturant nerveusement le pendentif d'argent et d'améthyste qui pendait à son cou.

"Manifestement, cela ne t'inspire pas."

La dernière heure de la semaine se termine enfin, à mon plus grand bonheur. Non pas que je n'apprécie pas les cours de Soin aux créatures magiques, au contraire, mais cette semaine a été des plus éprouvantes et un weekend de répit serait loin d'être déplaisant. D'habitude, je ne souffre pas d'insomnies et je n'avais aucun mal à m'endormir. Trouver le sommeil est toutefois devenu une tâche longue et pénible ces temps-ci, mon cerveau ayant du mal à se défaire de toutes ces pensées intrusives qui l'envahissaient.

Si autrefois j'avais coutume de me lever tôt, à présent je sautais le petit-déjeuner dans l'espoir de dormir ne serait-ce que quelques minutes de plus. Mon estomac, habitué à mes trois repas par jour, criait famine et n'hésitait pas à me le rappeler par ses gargouillements monstrueux durant les cours du matin. Leurs bruits étaient si forts que si l'on m'avait dit qu'un troupeau d'Éruptifs enragés avaient élu domicile dans mon ventre, j'y aurais cru ; leurs agitations n'ont cessé de m'embarrasser pendant le cours de Potions d'hier, teintant mes joues d'un rouge prononcé qui traduisait aisément mon malaise.

Prenant place à la table des Verts comme à mon habitude, je jette un coup d'œil au menu du jour, servi dans un plat en argent. Une légère moue dégoûtée prend place sur mon visage pendant quelques instants en voyant les crevettes et les moules dont se compose le plat. Inconsciemment, ma main se porte sur la pierre d'améthyste qui orne la chaine en argent mon pouce caresse la surface lisse d'un mouvement nerveux. Je m'empresse de reprendre une expression normale tout en songeant intérieurement à omettre à nouveau le repas.

Si depuis toute petite j'ai développé une fascination par les eaux aquatiques et les êtres qui y habitent, paradoxalement je ne supporte pas leur goût une fois dans mon assiette. Aucun rapport avec mon intérêt pour eux ; simplement, leurs saveurs iodées et leur consistance pour la plupart caoutchouteuse m'écœuraient pour une raison obscure. Si les poissons ne me posaient pas particulièrement de soucis, j'avais du mal avec les fruits de mer.

Le dégoût sur mon visage devait être flagrant, en tout cas aux yeux d'un de mes voisins de table : il ne manque pas de le remarquer à voix haute, attirant mon regard sur lui. Tiens, je ne l'avais pas remarqué.

— Perspicace, le Sherlock junior.

Si ces quelques mots avaient été prononcés avec mon habituel sarcasme, ils sont dénués de toute méchanceté : le mince sourire qui étire mes lèvres devrait le témoigner. J'en profite pour le dévisager. Il est à Serpentard et pourtant je ne le reconnais pas, il ne doit donc pas être de mon année.
Si par son visage je lui aurais donné onze ou douze ans tout au plus, je perçois cette lueur de maturité tapie au fond de ses yeux verts, que l'on retrouve dans peu de personnes de son âge et qui même chez certains de mes camarades de promotion était absente. Je peux bien entendu me tromper : la vivacité d'esprit n'est pas quelque chose qui se discerne en un regard.

— Et toi, tu n'es pas en troisième année. Deuxième, peut-être ?

Sherlock junior... Cette référence moldue était assez singulière pour ne pas être remarquable. La tenir ouvertement à la table des Serpentard était audacieux. Je ne connaissais pas encore le nom de la quatrième année mais je savais déjà j'avais déjà à faire soit à une intrépide soit à une sournoise.

"Première année. Je voulais voir ce que ça faisait de se trouver à cet endroit de la table."

J'accompagnais ma courte réponse d'un regard soutenu vers la Serpentard et m'abstenais de sourire bêtement. Je me savais pas à ma place, ce n'était pas non plus la peine de se montrer navré. Je me servais dans les plats en évitant celui qui manifestement gênait ma voisine. Les fruits de mers ne m'avaient jamais déplu mais, par simple politesse, j'estimais préférable de poursuivre en ignorant ce plat. Je me présentais :

"Je m'appelle Ezra, Ezra Waite. J'espère qu'un Napoléon du crime ne se trouve ici parmi nous."

Allait elle relever à son tour l'allusion holmésienne ? J'étais prêt à mettre ma main au feu que oui. Si la plupart des Serpentard vouait une certaine méfiance envers les moldus, à défaut d'une haine, quelques esprits ouverts peuplaient également ces bancs. Sa première allusion était peut être un piège, une manière de me jauger, de me ranger dans un camp et, dans ce cas, je lui signifiais clairement avoir compris son insinuation.

@Ava Meywood à mon tour de m'excuser.

Le Serpentard affirme être en première année, ce à quoi je réponds sobrement par un hochement de tête. La phrase qui suit en revanche me fait arquer un sourcil, amusée ; il se trouvait parmi ses aînés pour « voir ce que ça faisait ». Il était assez courant d'observer cette curiosité chez les élèves fraîchement arrivés au château, moi-même ayant souvent eu envie d'imiter ou de m'intégrer parmi les élèves des années supérieures. Cependant, contrairement à mon cadet, je ne me souviens pas avoir eu le courage d'aller jusqu'au bout de mes idées.

Je le vois se servir, et remarque qu'il évite le mets que j'avais contemplé avec une légère grimace quelques secondes plus tôt. L'avais-je dégoûté ? Je pince les lèvres, regrettant mon impertinence. J'entrouvre la bouche, m’apprêtant à balbutier quelques excuses ; heureusement, le Serpentard s’avère plus rapide que moi et me devance, enchaînant la conversation avec une présentation en bonne et due forme, chose que l'on avait omis de faire, en effet. Il la ponctue d'une référence holmésienne qui ne manque pas de le faire monter dans mon estime : il avait donc compris mon allusion tout à l'heure. Un petit sourire ne manque pas de fleurir sur mes lèvres, pas peu contente de constater qu'il existe encore des personnes de bon goût dans le château.

— Ava Meywood, en troisième année. Je l’espère également, mais je suppose que nous n'avons rien à craindre avec le mini-Sherlock avec nous. Rassure-moi, tu as un Watson pour t'accompagner dans tes enquêtes ?