Cette nuit, événements oblige, Suileabhan n'avait pas réussi à dormir. Soucieux cependant de se maintenir en forme, il avait fait exception à son emploi du temps réglé au poil de Niffleur et s'était décidé à avancer son footing matinal de plusieurs heures. Comme à son habitude, il était donc descendu dans le parc avant de commencer son premier tour du château, d'abord à petites foulées pour bien s'échauffer. Il ne fallut qu'un tour pour que malgré la fraîcheur de l'aube écossaise, le concierge commence à bien réchauffer son corps. Au point qu'au début du second, il se permette de faire disparaitre son manteau pour le moment.

Alors qu'il repartait bien plus rapidement, l'irlandais tomba sur une silhouette qu'il connaissait bien, bien qu'il n'avait certes pas l'habitude de la voir se dessiner au loin lors de ses séances habituelles. Et si Suileabhan n'était pas forcément d'humeur pour la camaraderie, il lui revint en tête qu'il avait depuis un moment déjà une idée qui trottait. Réchauffé par l'adrénaline, il ne réfléchit pas plus longtemps.

- Bonjour Sigmund. Laisse donc tes plantes pour aujourd'hui, et viens me rejoindre dans ma marche matinale.

Même boosté par son échauffement, le concierge avait encore les idées bien assez claires pour se douter que le professeur n'allait peut-être pas se sentir de le suivre comme ça, d'un coup.

- On va faire en sorte que tu puisses rattraper tes élèves sans problème.

Suileabhan avait plutôt en tête qu'il puisse ainsi leur courir après en cas de bêtises mais, si Sigmund imaginait autre chose, cela fonctionnerait encore mieux.


J'espère que ça te convient !

Tout en sifflotant comme un jeune coq à l'aube, Sigmund arrosait à la moldue les quelques plantes en dehors des serres. Il aimait beaucoup les lundi, c'était toujours la meilleure journée de la semaine. En somme, il était de très bonne humeur, et sautillait gaiement entre deux plants d'Arbrisseaux Autofertilisants, son arrosoir à main.

Il fut interrompu dans ses tâches par une vision idyllique : une silhouette forte et musclée - Sigmund imaginait d'ici l'odeur musquée et virile de l'individu - le rejoignait avec une hâte évidente. « Diarmad ? » se dit-il alors que la brume matinale lui faisait paraître bien flou le concierge.

Suileabhan arrivait près de lui, une idée en tête. Ce fut presque si le botaniste ne lâcha pas son arrosoir de surprise tant il ne s'attendait pas à une pareille proposition.

« Ça alors, Suileabhan ! Tes cernes arrivent presque aux genoux, tu as dormi ? Tu es sûr que tu ne veux pas plutôt un câlin ? »

L'idée d'un entraînement lui plaisait bien - il n'y avait pas que sa capacité à rattraper ses élèves quand ils jouaient à Chat qui le questionnait. Le quinquagénaire devait aussi garder la forme pour ses Drag Show. Il baissa un instant le regard vers ses grandes bottes terreuses. S'il était capable de danser avec des talons de douze centimètres, courir avec des bottes de jardinier ne devrait pas poser problème.

« Allons-y ! » fit-il joyeusement en lâchant son arrosoir. L'objet s'écrasa au sol en répandant son eau sur les pieds des deux hommes. Heureusement pour Sigmund, il portait des bottes. Il échauffa grossièrement ses jambes en les étirant puis leva les bras en l'air, faisant craquer ses épaules. « Prêt, chef ! »

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- Apprends mon cher que l'entraînement est le meilleur remède et répit aux insomnies, c'est moi qui te le dis.

Un instant, Suileabhan fut presque étonné de l'enthousiasme de Sigmund - avant de se souvenir que Sigmund était Sigmund, l'enthousiasme toujours au rendez-vous.

- Bien, c'est le bon esprit ! Commençons.

Pour éviter de semer tout de suite le professeur de botanique, le concierge reparti sur son chemin habituel à la même vitesse qu'avant de croiser Sigmund, l'invitant régulièrement à rester à son niveau. À mi-parcours, estimant s'être suffisamment échauffé et bien décidé à ne pas y aller de main morte avec celui qu'il avait choisi de remettre en forme, Suileabhan s'arrêta le temps de passer aux choses sérieuses. En un ou deux mouvements, il fit disparaître dans la fraiche matinée chemise et cravate d'où pointait la sueur de l'échauffement. L'instant d'après il incitait Sigmund à le suivre à nouveau alors qu'il partait cette fois sur un vrai petit pas de course. Il ne l'avait jamais connue ainsi, ayant trop tardivement dans sa vie débuté ses entraînements physiques, mais la brise écossaise qui glissait sur son torse rappelait à l'irlandais de vieux souvenirs de la campagne Turque où il avait fait brûler ses poumons pour la première fois. Oh. Il ne devait pas laisser son esprit vagabonder aussi loin, pas question de perdre son "invité" aussi vite. Ce premier tour terminé, Suileabhan tourna le cou en direction de là où devait se trouver Sigmund. Où en était le professeur ?

« Ah bon ! Tu sais, ça pourra te paraître étrange, mais sache que moi, je n'ai aucun problème de sommeil. Je tombe toujours comme une masse et me réveille au petit matin frais comme un gardon. C'est curieux quand même, la vie. »

Si Suileabhan était capable de se reposer et soigner à l'aide d'un entraînement, alors Sigmund travaillerait dur pour que celui-ci soit le plus revigorant possible pour le sorcier. Il était hors de question de laisser le pauvre concierge dans cet état ! C'était désormais la mission du botaniste, de prendre soin de son collègue.

Il n'eut pas besoin de se le faire répéter deux fois pour s'élancer à la suite de Suileabhan. Ses bottes pesaient lourdement sur ses pieds tandis qu'il trottinait à côté de l'autre sorcier, profitant du paysage défilant autour d'eux pour nommer les plantes des alentours. « Ça, c'est un hortensia ! » ; « Et ça, c'est un frêne. » ; « Regarde, une ortie ! » ; « Ça, je ne sais pas, tu demanderas à Archibald. » Une bonne trotte plus tard, le botaniste fut confronté à sa première difficulté : une douleur lancinante le touchait sur le flanc. Le souffle court, il dut se résoudre à se taire, réalisant soudainement qu'il était complexe de respirer et parler en même temps, tout en maintenant la course.

Suileabhan avait probablement ses propres soucis, puisqu'il avait commencé à se désaper. Peut-être que pour lui, songeait Sigmund, il était difficile de porter des vêtements et courir en même temps, tout comme le botaniste avait du mal à maintenir la conversation en pleine course. C'était drôle, à chaque sorcier ses problèmes ! Lui qui veillait à garder une proximité étroite avec le quinquagénaire ne manqua pas de remarquer les lignes marquées d'un torse bien sculpté et la délicieuse sueur qui rafraîchissait ce corps parfait. Ce plaisir des yeux éloigna un bref instant la douleur et il hâta davantage le pas pour ne pas perdre vue sur la neuvième merveille du monde (la huitième étant son époux) « Ah ! » C'était trop : il devait s'arrêter. Il abandonna tout effort et s'immobilisa net, mains sur les genoux pour souffler un bon coup. Tous ces abdos, ça l'avait rendu bien rouge et essoufflé ! « Su.. Sui... » haleta-t-il en tendant une main dans le vide, cherchant appui sur l'autre sorcier s'il se trouvait toujours à proximité.

Si Suileabhan ne put masquer sa surprise de retrouver son aîné - de quelques mois - si près, sentant au passage sa main sur son bras, il fut moins étonné presque accroupi d'essoufflement. Il fallait dire que les dernières minutes avaient achevé de confirmer au concierge que Sigmund n'avait pas vraiment couru depuis trop longtemps déjà. Car s'il avait d'abord fait mine de ne pas relever les réflexions du professeur sur sa propre capacité à dormir - non, personne au monde n'aurait trouvé curieux que Sigmund Charleston dorme comme un bébé - il avait quand même parfaitement entendu chacune des petites descriptions botaniques, les ponctuant d'ailleurs d'un soupir caché dans ses expirations sportives.

Finalement d'ailleurs, le professeur s'était tû. En habitué de l'exercice, et de Sigmund, Suileabhan ne doutait pas une seconde du fait que ce n'était pas de son fait mais plutôt de la découverte amère que son compère avait sans doute faite : parler en courant est une très mauvaise idée. Surtout lorsqu'on manque de travail sur son souffle. L'irlandais appréciait cependant ces signes que son aîné prenait en fait l'exercice au sérieux, continuant ainsi jusqu'à ne plus réussir ou presque à respirer. Sigmund était parfois.. souvent.. toujours exubérant, mais il était presque rassurant de voir que certaines choses ne changeaient pas. Il était resté quelqu'un de bien. Une bonne raison de plus pour ne pas en rester là !

- Du nerf mon vieux ! Nous ne sommes pas allés très vite, il nous reste encore un petit tour complet pour aujourd'hui.

Sourcils froncés, bras croisés sur son torse découvert, Suileabhan ne se sentait pas encore refroidit par le vent écossais, mais cela ne saurait tarder s'ils ne se remettaient pas vite en mouvement. Avec un soupir, le concierge joua de sa baguette pour faire apparaître une outre remplie avant de la tendre à Sigmund.

- Bois un peu, et reprenons.

Il ne put cependant pas réprimer son sourire quant à la pensée qu'il venait d'avoir : n'allait-il pas ainsi abreuver le professeur de botanique, arroser l'arroseur ?

« Un... un tour complet ?! » Au bord de la panique, Sigmund s'accrochait désespérément au bras de Suileabhan. Il y avait eu un gros quiproquo entre les deux hommes : jamais il n'avait été mentionné que leur séance de sport devait se poursuivre sur plusieurs tours. Parcourir le parc une seule fois n'était-il pas amplement suffisant ? D'une main, il serrait avec force le bras de son collègue, tandis que de l'autre, il s'évertuait à faire disparaître la douleur en exerçant une pression sur son point de côté. Ça ne fonctionnait pas vraiment, et la courte pause ne lui donnait que l'impression d'un mal accru et grandissant encore, comme si l'arrêt jouait en sa défaveur en lui criant toute la douleur de ses muscles.

Mais Suileabhan ne semblait pas décidé à s'arrêter. Le concierge lui tendit simplement une gourde d'eau qui fut bien rapidement vidée de moitié par le botaniste. « Merci. » grommela-t-il dans sa moustache. Même s'il lui semblait ne pas avoir bu depuis trois jours - l'exercice avait été éreintant et bien trop intensif, il était hors de question de mettre à mal Suileabhan en le privant d'un rafraîchissement. « Bois, avant de te faner sur place. » recommanda-t-il en rendant la gourde à son propriétaire.

Sigmund avait tout sauf envie de continuer. Il voulait rentrer dans ses serres, retrouver le confort de son peignoir et boire un thé chaud. Pourquoi s'infliger telle souffrance dès le matin ? Mais le concierge allait mal - d'après le nez fouineur de Sigmund, il se passait quelque chose d'absolument terrible dans sa vie. Il était tout simplement hors de question de laisser un ami dans le besoin, alors que tous les outils pour lui venir en aide se trouvaient juste sous sa moustache. « Reprenons... deux tours complets. » négocia-t-il en fronçant les sourcils. Il allait voir ce qu'il allait voir, Suileabhan ! Parole de moustachu, le concierge repartirait avec la patate.

L'espace d'un instant, Suileabhan se demanda s'il n'aurait pas mieux fait d'en rester là avec le professeur de botanique au bord de l'épuisement le plus total. Bien assez vite cependant, la poigne de son aîné le ramena à des pensées plus sereines. Même s'il ne le savait pas encore, il avait encore bien de l'énergie à revendre, des forces qu'il convenait d'exploiter comme il le fallait. Exactement ce que le concierge avait l'intention de faire, en somme.

L'Irlandais laissa Sigmund boire un bon coup, avant d'écouter ses recommandations. C'était ce qu'il avait prévu, de toute manière, l'eau étant bien malheureusement mieux adaptée à la pratique du sport que ses breuvages favoris et autres thés de sa terre natale. Soudain, le concierge haussa le sourcil devant un Sigmund étonnamment ragaillardi. Était-ce l'eau qui lui faisait cet effet là ? À force de côtoyer des plantes, en devenait il une lui-même ? Peu de chance que la vérité se trouve ici, mais la réflexion avait au moins le mérite d'être amusante. Pour autant, cela n'allait pas suffir à distraire Suileabhan de ses projets.

- Un tour suffira mon vieux, même si ton attitude fait plaisir à voir, ça c'est le sport ! Mais n'ayons pas les yeux plus gros que le ventre. Après tout, j'ai encore une journée à passer derrière quelques garnements, je dois m'en garder en réserve aussi.

En vérité, il aurait pu en faire encore trois de plus pour le plaisir, mais il n'avait pas vraiment envie de perdre du temps à expliquer à Diarmuid pourquoi il lui emmenait le professeur de botanique à une heure pareille. Et l'objectif n'était pas non plus de dégoûter Sigmund du sport à tout jamais, bien au contraire. Alors, une fois reposés quelques instants de plus, Suileabhan donna le signal du nouveau départ, filant en tête, torse au vent dans la matinée d'Écosse. Cette fois, il prit soin de ne pas oublier son aîné dans son plaisir, se retournant régulièrement pour vérifier qu'il tenait toujours la route. Enfin, bien plus tard que d'habitude mais un peu plus tôt que ce qu'il avait craint au départ, le tour fut terminé. Et dès qu'il aurait vérifié que Sigmund allait reprendre son souffle, il reprendrait enfin la route du château, ayant refait le plein d'énergie. Les bêtises des enfants n'attendaient pas.

Sauf surprise, je pense que c'est la fin pour moi ! J'ai adoré pousser l'idée jusqu'au bout, à très bientôt mon cher Sigmund !

« Ah, bon d'accord » répondit Sigmund avec une fausse déception. Suileabhan semblait avoir de l'énergie à revendre. Le moustachu ne pouvait décemment pas le croire au bout de ses limites. Après tout, lui-même... non, il n'y avait pas à dire et mentir : il n'en pouvait tout simplement plus. Ses propres réserves avaient été épuisées depuis quelques centaines de mètres et il traînait de la patte. Le signal de départ avait sonné bien plus tôt qu'espéré et il avait fallu assumer l'enthousiasme soudain dont il avait fait preuve pendant la pause.

Pendant le reste du tour, ni fleur ni arbre ne fut commentée, ni même appréciée du regard tant le botaniste gardait sa totale attention sur ses efforts. Ce fut une fin de parcours tout en silence. Progressivement, Sigmund avait aussi réalisé un point essentiel : il était moins douloureux de courir la bouche close qu'ouverte à parler cuisine et paysage.

De retour près des serres, c'était un cadavre ambulant qui suivait le fringant concierge. Traîné comme un boulet derrière lui, Sigmund attendit symboliquement d'avoir franchi le point d'où ils étaient partis pour se rétamer totalement au sol, face contre terre. L'arrêt brutal de la course sans décélération progressive lui provoqua une nette douleur dans les jambes et le laissa le souffle court. Couché au sol, il resta un instant immobile avant de lever une main tremblante vers le concierge. Loin d'être là pour chercher appui, la main esquissa simplement un cercle formé du pouce et de l'index, les autres doigts relevés. Un symbole simple et bien connu qui signifiait, si Suileabhan voulait bien y croire, « tout va bien merci, ne t'en fais pas. » Quand il retrouva un peu de souffle, il leva la tête et grogna un « On r'met ça la semaine prochaine... » peu convaincu mais ferme. Si le concierge avait besoin de s'occuper le corps et l'esprit, Sigmund serait son homme... pour toute tâche qu'il lui plairait.

Fin pour moi aussi ! Go courir toutes les semaines ! Merci d'avoir remis mon gars au sport !