Selah avait décidé de suivre les traces de ses propres professeurs de métamorphoses, lorsqu'elle était élève à Poudlard. De ce fait, sa méthode d'apprentissage en était très fortement inspirée. Elle commençait tout d'abord par présenter la métamorphose étudiée du jour, ses effets, la création du sort avec un bref historique et dans quel cadre celle-ci était utilisée. C'était généralement le moment où le silence était le plus total, car toutes les plumes grattaient rapidement les parchemins et carnets sur les tables. Elle emmenait ensuite les élèves autour de la grande table, et faisait une démonstration de la métamorphose.

Son moment préféré était bien évidemment la démonstration, lorsque Selah lançait le sortilège pour la première fois devant la classe, et les diverses observations qui découlaient de celles-ci. Les élèves émettaient des hypothèses, proposaient des façons de mieux visualiser, ou tout simplement reproduisaient le geste, espérant réussir du premier coup. La sorcière était impressionnée par la curiosité de certains, ou le sens du détail pour d'autre. Chaque observation était répertoriée sur le tableau noir, et la craie magique s'agitait dans tous les sens pour tout noter.

Selah n'avait pas entendu les petits coups sur la porte, jusqu'à ce qu'elle aperçoive le cerf empaillé secouer la tête d'un air insistant. Elle reconnut un élève de deuxième année, particulièrement pâle et mal à l'aise, et l'autorisa à faire sortir une élève de la même maison. L'échange ne dura que quelques minutes avant que celle-ci ne rentre à nouveau en classe, pendant que les élèves se répartissaient par groupe pour se mettre à la pratique.

L'agitation n'était pas semblable à ce que Selah avait déjà pu vivre durant le début de l'année. Cependant, cela ne lui rappelait que trop bien l'attaque du fantôme, le mois dernier. Quelque chose se tramait. Et elle eut rapidement raison lorsqu'Elisabeth Willis se mit à pied joint sur l'une des tables pour scander quelque chose de bien curieux.

- Miss Willis, je vais vous demander de descendre de cette table immédiatement, dit-elle poliment, les bras croisés.

Les discussions fusaient dans tous les sens. Selah pinça les lèvres, agacée.

- Ce sont des allégations très graves que vous faites là, miss Willis. Lancer une rumeur est une atteinte à la vie privée qui peut engendrer de lourdes conséquences.

La craie s'arrêta dans les airs, alors qu'elle écrivait en boucle sur le tableau "Lancer une rumeur est une atteinte à la vie privée qui peut engendrer de lourdes conséquences", puis retomba sur le sol dans un silence de mort.

- Vous êtes dans un environnement sécurisé, ici à Poudlard, avec des professeurs et une équipe éducative qui veille sur vous. continua-t-elle d'un ton calme. Expliquez-nous comment vous avez tiré cette conclusion, très chère.

Selah ne s'attendait pas à faire un exercice sur les relations humaines, ce jour-là, mais il semblait que c'était plus-que-nécessaire.

Miss Crane nous explique qu'on va passer à la pratique. Qu'il faudra qu'on se mette par groupe.
Avant même que Miss Crane procède à sa démonstration - ce qu'elle faisait toujours après la phase théorique - je fus surprise de voir Eli s'agiter de nouveau. Un des exemplaires qu'elle envoyait magiquement partout était devant elle. Mais le regard de la brune était défait, angoissé. Pourquoi, qu'est-c'qu'elle a ? Elle regrette ? Me dis pas qu'tu commences à douter Eli, parc'que j't'ai aidé. On va pas avoir d'ennui hein ?

Et là, c'est le drame. A ma plus grande stupéfaction, je la vois se lever de nouveau d'un coup sec, comme si des punaises métalliques venaient de sortir du bois de son siège. Hein ? Eli ! Rassied-toi, rassied-toi !
Les yeux écarquillés, le teint pâlissant, je la supplie du regard de se rasseoir mais Eli ne me voit plus. Elle regarde notre petite assemblée d'élèves et commence à parler d'une voix forte.
Oh mon Dieu.
J'entends sa voix et mes doigts se crispent sur le rebord du pupitre. J'ai envie de disparaître. Ma voisine qui debout s'adresse à la cantonade, attire tous les regards sur nous. Les yeux baissés, je me prends à espérer que sitôt son petit discours terminé, qu'elle se rassiera et que Miss Crane ne sera pas trop sévère. Bon, en même temps, là, elle abuse un peu. Ca devait être discret Eli, discret !

Alors que je pensais ne plus pouvoir être davantage surprise, Eli expire sèchement et... et... monte sur la table ?!
Oh par Merlin, Par tous les dieux nouveaux et anciens !
Là, ça va barder. Ouuh ça sent pas bon.

Elle a beau être sûre d'elle-même, scandant et appuyant sur cette preuve, ce qu'elle dit, tout ça, devant la prof, c'est grave en fait. A-t-elle au moins vu la preuve ?

C'est vrai, j'ai confiance en elle mais j'aurais pas cru qu'elle pourrait s'enflammer de cette manière. Et pour quelle raison, d'ailleurs ?
Alors que la voix de Miss Crane lui demande calmement de descendre, que Eli se rassoit, je chipe le message qui était à sa place.
Je le lis et... Ah. Okay. C'est donc pour ça.

Brièvement, je me demande qui a pu modifier le mot qu'elle avait écrit et transmis. Je scanne du regard nos camarades lorsque mon regard se fige. Erin.

Sa façon si ferme, si solennelle de m'interpeler comme ça devant toute la classe, comme si sa logique était imparable me glace. Je peine à soutenir son regard et je me sens rosir. Erin, Erin, Erin...
Une partie de moi avait envie de crier que oui, cette nouvelle était choquante mais que j'avais totalement confiance en mon amie tandis que le doute essayait de reprendre le contrôle de mon esprit. Tel un serpent vicieux.

Mais en même temps, quel était le rapport entre la cérémonie de Samain et cette vérité ? Lorsqu'on était une mauvaise personne, on restait une personne avant tout. Avec ses amis, ses émotions. Puis, ça s'trouve, c'était une sorte de couverture.
Non, ça mon esprit se le refusait, il semblait vraiment sincère et puis les autres fois où j'avais été en interactions avec lui, notamment avec l'affaire des affiches placardées, il avait été bienveillant.

Ouuuuh, je me sens en étau dans ma propre tête et j'ai qu'une envie : me jeter face contre pupitre, la tête dans les bras. Que tout ceci ne soit qu'un malentendu et déjà oublié.

Mais je ne peux pas faire ça. Et alors que j'ouvre la bouche pour essayer de rétorquer quelque chose, Miss Crane reprend la parole d'une voix ferme et qu'on ne coupe pas. Elle parle de rumeur, de conséquences. Bien qu'elle parle à Eli, je me sens comme rapetisser et une petite boule se forme dans ma gorge. Oui mais si c'était vrai Miss Crane ? S'il y avait bien une preuve ?

J'avais zappé sa craie enchantée et le bruit mat qui claque sur le sol dans un silence de plomb me ramène à la réalité. Je papillonne des yeux et jette un regard au tableau, avisant sans peine la phrase écrite encore et encore.

Alors que Miss Crane parle toujours d'une voix égale, ferme, elle insiste sur le fait qu'on est en sécurité ici à Poudlard. J'ai envie de dire oui et non à la fois. Oui, Poudlard est protégé de l'extérieur, mais qu'en est-il de l'intérieur ? On a bien vu par le passé, encore tout proche, que la sécurité ne devait pas seulement couvrir l'intégrité physique d'une personne mais aussi mentale. Or, toutes ces histoires de sang-purs, de nés-moldus, d'affiches, d'incitation à la haine... on ne l'avait pas imaginé. Alors, si maintenant on apprenait que le concierge était un mage noir, est ce que c'était si peu plausible ?
Choquant, certes, difficilement croyable, oui. Mais possible ? J'ai bien peur que oui.

Elle avait beau avoir bien progressé sur la gestion de son stress avec Miss Vermillon depuis l'année dernière, l'attitude fermée et agacée de sa professeur lui imposant de s'asseoir, couplé aux remarques négatives et suspicieuses de ses camarades, commencées à oppresser la jeune fille.

Elle avait toujours eu l'impression d'appartenir à un groupe soudé, dans cette promo avec qui elle s'entendait plutôt bien, mais d'entendre certaines camarades parler de son meilleur ami comme ça, lui fit mal au cœur. Elles ne le connaissaient même pas, ou juste vite fait, comment pouvait-elle juger ! En lançant un regard vers Constance qui venait d'être prise à partie par Erin, elle y chercha le soutien qui lui manquait cruellement à cet instant. Son cœur bâtait bien trop fort, et elle avait presque envie de se cacher sous son pupitre tant les regards braqués vers elle la rendait nerveuse, presque coupable de n'avoir pourtant rien fait d'autre que d'informer ses camarades pour leur sécurité.

La gorge sèche, la Poufsouffle ne pouvait pas non plus nier, Onyx et Erin n'avaient pas complètement tord sur un point. Elle n'avait pas vu de ses yeux la preuve en question, et même si sa confiance en Lukas rendait la chose inutile pour elle, visiblement l'information serait difficile à être entendue dans ces conditions. Devait-elle leur mentir, et leur avoué avec certitude l'avoir vu ?

Ses doigts s'entremêlant nerveusement sous son bureau, la nuque tendue, Éli commençait à ressentir le battement désagréable dans ses tempes, cette sensation pénible qu'elle connaissait si bien, et qui montrait avec certitude que la situation n'était plus totalement sous son contrôle. Elle était en train de se laisser envahir par son stress, et la voix de Miss Crane retentissant de nouveau, n'y arrangea rien.

" très graves... atteinte à la vie privée... lourdes conséquences."

Les mots lui parvenaient par bribes, seules les informations importantes passaient la barrière invisible qu'elle venait d'ériger devant elle pour se protéger de la tempête en approche, la plaçant en spectatrice de sa propre scène. Mais la douleur s'imposa rapidement, parcourant l'arrière de son crâne, renforçant la crispation d'entendre les derniers mots de sa professeur résonner dans sa tête.

"Vous êtes dans un environnement sécurisé"

- c'est pas vrai !Les souvenirs de l'attaque du Poudlard express, de la matérialisation du corbeau, des menaces dans la grande salle, le traumatisme qu'ils avaient tous vécu pendant leur première année, tout lui remontait d'un coup, fronçant un peu plus le front sous la douleur qui s'intensifiait à mesure que les images lui revenaient....on est pas toujours en sécurité ici. Fermant les yeux une seconde pour essayer d'atténuerla crise en approche, cherchant par la même occasion la meilleure façon de se tirer de cette catastrophe prévisible, elle rouvrit les yeux, et les planta dans ceux de sa professeur dans une profonde respiration. j'peux tout vous expliquer...mais pas ici.

Erin défend également le concierge, en parlant de la cérémonie qu'avait organisé l'adulte pour Samain. Je n'ai aucune idée de ce qu'il s'y est passé, puisque pour ma part, j'étais au second autel, et n'ai donc rien vu des événements du premier. Le deuxième année aurait fait des siennes à cette occasion ? Je laisse flotter quelques secondes un regard interrogateur sur Erin, avant de tourner la tête vers la professeure qui prend la parole. Des allégations, c'est ça, c'est ce que je viens de dire. J'avoue être un peu fière d'avoir sorti un mot compliqué et d'avoir tenu un discours qui résonne avec celui de Miss Crane, même si je ne pense pas qu'elle m'ait écouté. Comme quoi, je n'ai pas tort. La craie écrit les derniers mots de l'enseignante sur le tableau avant de tomber... et heureusement qu'elle n'écrit pas la suite. Parce-que bon, cette histoire d'environnement sécurisé, je n'y crois pas vraiment, c'est à mes yeux un argument vide qu'on utilise pour rassurer les enfants... ou une affirmation dans laquelle les adultes se confortent. Et Eli le fait bien remarquer ; cette fois, je lui donne raison. Je ne suis pas sûre que l'on puisse qualifier de "sécurisé" un endroit où une mage noire de fumée peut débarquer à son gré et faire disparaître une élève, mais soit. Enfin, je l'accorde, l'élève en question n'était peut-être pas le gallion le plus brillant de la bourse : quand on agit stupidement, ça nous retombe forcément dessus. Un peu comme Eli à qui l'on demande à présent de se justifier.

Finalement, mon attention se repose sur mon parchemin : j'ai dit ce que j'avais à dire. De toute façon, la Poufsouffle ne semble pas vouloir s'exprimer devant tout le monde... chose qui m'irrite un peu, d'ailleurs : elle nous prend tous à parti pour fuir lorsqu'il s'agit de nous donner des explications. Mais je n'en rajoute pas et me tais, je n'ai pas envie de me mettre à dos Miss Crane ni de paraître impolie, et préfère à la place noter sur mon parchemin quelques hypothèses sur la métamorphose que l'on étudie - ou plutôt, que l'on étudiait.

Le silence était retombé, et pourtant, d'ici, Selah pouvait entendre les élèves bouillonner de l'intérieur, dans leur propre tête, et faire leurs suppositions et hypothèses sur ce qu'il venait de se passer en classe. Certains évitaient le regard de la professeure, d'autres s'étaient remis à travailler comme si rien ne s'était passé, et bien évidemment beaucoup d'élèves fixaient la scène avec un intérêt jamais vu jusqu'à présent en salle de métamorphoses.

Selah se mordit la lèvre inférieure, lorsque sa jeune élève s'exclama, et desserra un peu les dents.

- Que voulez-vous dire par là ? dit-elle simplement.

Son élève semblait vraiment paniquée, ce qui, malgré ses allégations très peu flatteuses envers le concierge, alerta la professeure. Selah n'avait aucune envie de rentrer dans des histoires d'adolescents, mais il semblait que cela soit suffisamment important aux yeux de la jeune fille pour en alerter toute la classe. Elle fit le tour des tables et lui fit un signe de tête à la Poufsouffle, pour que celle-ci la suive vers la porte qui menait au couloir du cinquième étage.

- Un bruit, et le cerf vous mange tout cru, lança-t-elle au reste de la classe. Vous me ferez des démonstrations de vos métamorphoses juste après. Suivez-moi Miss Willis.

Dans le couloir, l'air y était étrangement plus frais. Selah eut un frisson et ne put s'empêcher de chasser la chair de poule qui apparaissait sur ses avant-bras.

- Dois-je lancer un sort d'Impassibilité, ou sommes-nous suffisamment en sécurité pour que vous m'expliquiez ce que vous et votre camarade qui vous a rendu visite pensez avoir vu ou compris ? Cette conversation restera entre nous, si vous me faites confiance et êtes honnête avec moi.

Les mots de Miss Crane vinrent amplifier encore un peu son stress, et son geste lui signalant de la suivre en dehors de la classe venait marquer le point de non-retour. La jeune fille ne pouvait plus reculer cette fois. Elle devrait tout dire, mais au moins sa professeur lui donnait l'occasion de le faire en privé. Si ses camarades ne semblaient pas la croire, il fallait que sa professeur la crois, elle !!! Suivant Miss Crane jusqu'au couloir, la Poufsouffle n'en menée pas large, malgré l'aplomb qu'elle avait plus ou moins maintenu devant la classe. Cette fois c'était à son tour de convaincre, il fallait que ça fonctionne, même si sa migraine ne l'aidait pas à garder son esprit clair. Malgré tout, la dernière phrase de l'adulte la conforta un peu dans son envie de parler.

- un sort d'Impassibilité ? Non, non, pas besoin professeur, je sais que vous n'allez pas vouloir me croire, mais j'vous promets que j'vous dis la vérité. Ont est pas du tout en sécurité ici. Mister Kholer, c'est un mage noir, j'peux pas vous apporter la preuve...pas maintenant, mais elle existe, j'vous jure !!! Ça m'fait pas plaisir d'avoir toute la classe sur mon dos, pourquoi j'f'rais ça sinon ? Il faut m'croire madame... il faut l'dire à Miss Montmort... Il faut qu'elle fasse quelque chose, on est pas en sécurité...

La jeune fille avait prononcé ces mots presque en apnée, et la douleur n'avait fait que s'amplifier à mesure qu'elle essayait de convaincre sa professeur, avec toute la conviction qu'elle arrivait à mettre dans ses mots, dans son intonation, dans ses émotions qui passaient sûrement bien plus que ses paroles.

Les contours du couloir devenaient flous, vacillants, elle savait ce que cette sensation annonçait, et elle ne voulait pas y céder. Tenant le mur d'une main pour se stabiliser avant même que le symptôme ne la submerge, elle voulait convaincre sa professeur avant tout, elle ne voulait pas lâcher l'affaire avant d'avoir lu dans les yeux de Miss Crane qu'elle la croyait.

- Vous allez faire quelque chose pas vraie ? Vous allez ... Vous allez le dire ? Il faut... Mais toute sa volonté etait faible à coté de la puissance de son stress, Calme toi , respire, 5, 4, 3, 2 , 1 .... Cette fois, même ses exercices de gestion n'y feraient rien. Le couloir vacilla un peu plus encore, et sa vision se réduisit sous cette douleur lancinante. Elle n'avait pas eu de crise comme ça depuis...plus de six mois, et elle sentait que l'issue allait être sensiblement la même, celle qui l'avait mené à l'infirmerie dans les bras de Narcisse.

Le couloir n'était plus qu'une ombre jusqu'à ce qu'il ne soit plus rien du tout, laissant son corps inconscient lâcher prise.