Ce matin, tel un linceul de laine, la neige recouvre le parc du château. La nuit durant, de gros flocons se sont répandus, autour des murs, pour créer un décor blanc à la sonorité duveteuse.

Je me suis levé tôt avec l'idée de profiter de ce spectacle. Marcher sur cette poudre immaculée et découvrir comment elle redessine les environs, les arbres et les pierres, les rives du lac et les monts au loin. Sous mes pas, la croûte fraîche crisse en émettant une plainte sourde et plaisante à l'oreille. C'est la première fois que je foule la neige. De là où je viens, dans les marais plus au sud, le climat est trop maritime pour que les chutes rares et éparses aient le temps de blanchir les terres.

Sur le chemin qui descend vers le Cromlech, je marche lentement m'appliquant à maintenir mon équilibre sur ce sol fuyant. Par endroit, des groupes d'élèves matinaux s'aventurent eux aussi. Certains se roulent dans la poudreuse, d'autres échanges quelques jets de boule de neige. Je les laisse à leur jeu et m'éloigne plus encore vers un autre point du parc plus calme. La silhouette de pierres dressées se révèle doucement. Prise dans la neige et sous une coiffe blanche, elle semble encore plus énigmatique. Je la rejoins et pénètre son cercle avant de m'arrêter brusquement. Devant moi, dans la neige, au centre du monument, git le corps sans vie d'un animal à la robe rousse.

Ce matin-là, Cheryl fut réveillée par Dami, son chat. Cela ne voulait dire qu'une chose, et la rouquine osait espérer que ce n'était pas le cas. Mais il semblait bien que sa petite boule de poils voulait d'une virée matinale dans le parc.

— On a déjà fait une promenade hier Dami, fit la jeune fille d'une voix encore endormie.

La volonté du chat surpassait tout, et voilà que la Serpentard commença à se lever et à se préparer. Après s'être habillée, coiffée et brossée les dents, elle se vêtit de son gros manteau et de son écharpe verte et argent avant d'ouvrir la porte de sa chambre et de se rendre au parc.

Hier, Dami s'était faite attaquée par le chat d'une Serdaigle dans le parc, et elle voulait y retourner ? Décidément, rien ne pouvait faire haïr les promenades à son chat. Le froid et la neige ne changeait pas vraiment d'hier et marcher dans la neige épaisse demandait un certain effort. La rouquine ne faisait que suivre son animal de compagnie qui avançait à une telle vitesse qu'on pouvait se demander si elle ne ressentait pas le froid.

Après de longues minutes de marche en direction du Cromlech, elle fut surprise de tomber sur quelqu'un ici. Une personne aux cheveux châtains foncés se trouvait de dos. Sûrement un garçon. Cheryl ne comptait pas particulièrement s'approcher de cette silhouette mais comme à son habitude, son chat se précipita vers le jeune homme en question. Elle avait toujours cette habitude d'aller voir les autres celle-ci.

La troisième année n'eut d'autres choix que de s'approcher à son tour mais son corps se raidit lorsqu'elle vit ce qui se trouvait à terre. Un renard sans vie était allongé là. C'était donc ça que regardait l'élève posté là. En s'approchant davantage, elle reconnut Ezra Waite, un élève de sa maison.

— Ezra ! T'as tué un renard ? fit la jeune sorcière d'une voix presque tremblante.

Je me retourne surpris. A quelques pas derrière moi, près de l'entrée du Cromlech, je reconnais immédiatement les traits de la capitaine des Crocheers. Son regard horrifié et ses lèvres figées témoignent d'une vive agitation qu'il me semble déjà avoir perçue dans sa voix. Je m'apprête à réagir, un peu déconcertée par son arrivée, quand un frottement doux tout contre ma jambe attire mon attention. Un chat, au pelage blanc et gris, se presse contre le bas de mon pantalon, passant et repassant, frottant à chacun de ses passages son long corps, de la tête jusqu'à la queue, un air satisfait.

"Bonjour, toi."

Me penchant pour le prendre dans mes bras, je m'empare de la bête et commence à lui gratter le menton. L'animal docile a le poil soyeux et épais. Il semble apprécier et appuie sa tête contre mes doigts comme pour réclamer davantage. Je poursuis mes caresses tout en détachant mon regard pour revenir vers Cheryl toujours interloquée. La Serpentard, pas très grande alors qu'elle se trouve en troisième année, portant toujours du rouge, est une de ces filles rousses que j'ai pu remarquées depuis mon arrivée à Poudlard. Rousse, la même couleur que Daphné, Astrid, Eileen ou Orlaith...

La même couleur que ce pauvre renard qui git sur le sol derrière moi.

"C'est ton chat, comment s'appelle t'il ?"

Je lui souris.

@Cheryl Styles

La petite boule de poils de Cheryl était en train de se frotter contre le potentiel meurtrier. Et pire encore, ce dernier avait saisi Dami pour la caresser... ou faire d'elle sa prochaine victime ? Peut-être allait-elle trop loin. Quoi qu'il en soit, elle ne devait absolument pas laisser transparaître une once de peur. La grande Cheryl Styles ne pouvait pas se permettre de se montrer apeurée face à quelqu'un d'autre, encore moins un élève plus jeune qu'elle. Mais la non-réponse du jeune homme à la question de la Serpentard et son sourire donnait l'impression de se retrouver face à l'un de ces psychopathes que l'on pouvait trouver dans les séries.

— Dami ! Reviens là ! s'écria la rouquine peu sereine.

Soit Ezra avait un don pour caresser les animaux, soit il l'avait ensorcelée, mais son animal de compagnie restait là où il était, dans les bras du deuxième année. Par Merlin, il manquait plus que ça. Et puis cela avait juste démontré que Cheryl n'avait aucune autorité sur son chat, la honte. La jeune fille souffla un coup. C'était que son imagination. Ezra n'avait pas tué un renard, c'était une idée stupide.

— Et oui, c'est MON chat, répondit-elle bien après en accentuant sur le "mon". Autrement dit, elle voulait simplement dire "c'est MON chat donc moi seule peut la prendre dans mes bras".

Le "MON" très appuyé ne m'étonne qu'à moitié. Les propriétaires d'animaux n'apprécient pas en général que leur compagnon s'attache à des inconnus. Manque de bol pour Cheryl, la bestiole semble m'adorer. Je peux sentir la petite vibration dans son poitrail. Son ronronnement est encore discret. Je gage qu'il s'amplifiera bientôt mais n'ayant rien à gagner en me fâchant avec la troisième année, je m'approche d'elle pour lui rendre son animal et m'écarte pour la laisser voir le corps.

"Excuse moi, j'aurais dû te demander avant de le prendre. L'odeur a dû l'attirer jusqu'ici mais je ne voulais pas qu'il s'approche de la dépouille. On ne sait jamais. Le renard était peut être malade."

L'animal git sur le flanc comme s'il avait été déposé là. Le roux de son pelage se détache vivement sur le manteau neigeux. Pas de sang, aucunes traces de pas, hormis les miennes, rien qui indique comment l'animal a pu arriver jusqu'ici. C'est un mystère et pour Cheryl et moi, une vision effroyable. Peut être la raison pour laquelle elle a cru que j'avais pu tuer cette pauvre bête ?

A la différence de son compagnon, la troisième année est méfiante. Sa suspicion ne m'a guère échappé. J'aurai tué ce renard. Franchement, elle me prend pour un éleveur de poules ?

"C'est triste. Un si bel animal. Je ne savais pas qu'il y en avait dans le parc."

@Cheryl Styles

La peur que ressentait la jeune fille commençait peu à peu s'estomper, bien qu'elle restait méfiante. Si ce n'était pas Ezra qui avait assassiné ce pauvre animal, son assaillant pouvait toujours être dans le coin. Et si le meurtrier avait quelque chose contre les animaux en particulier ? Cheryl récupéra rapidement Dami et la serra fort contre elle. Si quelqu'un — ou quelque chose — voulait s'en prendre à elle, il aurait affaire à la troisième année.

La Serpentard s'approcha alors de la dépouille du renard qu'elle n'avait pas assez bien vu de là où elle était. C'était horrifiant à voir. Horrifiant, mais aussi triste. Qu'avait-il fait pour mériter ça ? La rouquine n'avait aucune compassion envers les autres êtres humains mais concernant les animaux, c'était bien différent. Si elle le pouvait, elle les adopterait tous.

— Si c'est pas toi qui l'a tué, ça doit être un sorcier, non ? Y'a pas de sang, fit la jeune sorcière tout en réfléchissant à la cause de la mort de l'animal.

Il était peut-être malade, comme l'avait évoqué le deuxième année. Dans ce cas, Mister Dawson aurait peut-être pu le sauver.

— Ou alors t'as raison et il était juste malade. Quoi qu'il en soit faudrait le débarrasser de là, tu crois pas ?

Loin d'elle l'envie de toucher au cadavre d'un animal, il ne fallait pas qu'il reste indéfiniment ici.

La troisième année insistait. Cela aurait pu m'agacer si cela ne m'avait pas tant intrigué. Pourquoi diable pensait elle que j'aurais pu faire du mal à cet animal. La bête était manifestement morte de cause naturelle, maladie ou vieillesse. Chercher une autre raison, un acte de malveillance d'un sorcier, bien que possible, semblait fafelu. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi certaines personnes préféraient les explications les plus tordues, quand l'évidence leur saute aux yeux.

Cheryl s'approcha enfin de la dépouille. J'en fis de même en m'agenouillant. La troisième année avait raison, aucune trace de sang mais des petites empreintes de pattes dans la neige indiquaient que l'animal était arrivé jusqu'ici par ses propres moyens. C'était comme s'il avait souhaité rejoindre le cœur de cercle de pierre avant de rendre son dernier souffle. Un comportement peu ordinaire si on admettait que d'ordinaire la plupart des animaux se cachaient soigneusement avant de mourir. Je tournais mon visage vers elle pour lui répondre :

"Pourquoi penses tu que j'aurais pu tuer ce renard ? Cette pauvre bête est venue mourir ici pour je ne sais quelle raison. En sentant sa mort venir, elle a choisi cet endroit. Elle était surement malade ou trop vieille. Ce lieu devait avoir un sens pour elle. Nous ne devons pas la déplacer."

Je me redressais avant d'ajoutant le plus sérieusement du monde :

"Il nous faut l'enterrer ici, sur place."

@Cheryl Styles merci pour ta patience.

— Le premier venu sur le lieu du crime est toujours suspect, lâcha Cheryl en esquissant un sourire.

Sourire qui s'estompa rapidement lorsque son regard se posa de nouveau sur le renard sans vie. Elle ne pouvait s'empêcher de se dire que les choses aurait pu être différentes pour ce pauvre animal. En réalité, l'hypothèse que Ezra soit le meurtrier avait effleuré l'esprit de la troisième année uniquement durant plusieurs secondes. Il était évident qu'il n'avait pas fait ça. La seule raison valable étant une légitime défense, mais les renards n'attaquaient pas les humains à sa connaissance.

Soudain, Dami se mit à se débattre dans les bras de Cheryl qui laissa tomber son chat. Cette dernière se mit à courir vers l'autre bout du parc. Est-ce que l'odeur du cadavre du renard commençait à sentir un peu trop fort pour elle ?

— Oui enfin, quand je disais la débarrasser de là, ça voulait dire l'enterrer, oui, fit la jeune fille en haussant les sourcils tout en croisant les bras.

Bon, effectivement, la Serpentard faisait plutôt allusion à déplacer le corps pour le poser dans un endroit plus discret puis l'enterrer. Mais hors de question qu'un élève plus jeune qu'elle ait croie avoir eu une meilleure idée que la rouquine.

— Tu connais un sortilège qui permet de creuser ?

La réponse attendue était un "non" puisqu'elle-même n'avait pas encore appris un sortilège ayant cette fonction. Et s'il répondait "oui" ? Elle répondrait simplement qu'elle en connaissait un aussi, sans doute.

Les réactions de Cheryl devenaient de plus en plus étranges. Elle souriait puis l'instant d'après, devenait grave comme si cet évènement la plongeait dans un profond désarroi. Certes, la mort de cet animal était triste et tomber sur une charogne au beau milieu d'un parc n'était pas une chose courante mais la mort faisait partie du cycle de la vie. Là où j'habitais dans les marais, il n'était pas rare de tomber sur un poisson flottant sur le dos ou sur des restes d'un animal. Je n'y prêtais presque pas attention et laissait la nature faire le reste. Il n'y avait pas de quoi en faire une tête de gnome pareille.

A moins que...

C'est vrai que l'endroit choisi par la bête n'était pas commun. Le cercle de pierres levées était un lieu très fréquenté par les élèves de l'école, il était donc singulier que ce renard ce soit aventuré jusqu'ici. Je ne savais pas grand chose sur cet endroit. Cela pouvait aussi bien être un ancien lieu de culte, un portail magique ou un simple domaine funéraire. Tout cela me rendait perplexe mais si je n'en montrais rien à la troisième année et préférais lui expliquer comment nous dépatouiller :

"Je peux lancer le sortilège du creuse-trou, Perfodictum. Ce n'est pas bien compliqué et nous n'aurons pas besoin de nous salir les mains. Ensuite, une fois l'animal en place, on aura plus qu'à utiliser le sortilège du bouche-trou."

@Cheryl Styles

Ne t'énerve pas, ne t'énerve pas. Plus les minutes passaient, plus le deuxième année commençait sincèrement à agacer la jeune sorcière avec son air de savant. Perfodictum, c'est vrai que ce sortilège existait. Bon sang, pourquoi n'y avait-elle pas pensé ? Pour sa défense, ce sortilège était appris en botanique — cours peu utile. Sur le moment, Cheryl n'avait qu'une envie : creuser ce maudit trou et y jeter le jeune Ezra. Mais au lieu de ça, la Serpentard afficha un sourire.

— C'est bien, t'écoutes en cours.

Le plan qu'avait énoncé Ezra était plutôt clair. "Le sortilège du bouche-trou", encore un sortilège dont elle avait complètement oublié l'existence.

— Ok alors je creuse le trou, et tu le rebouches, dicta-t-elle en passant la main dans ses cheveux.

Par contre, quelle était la gestuelle de ce Perfodict... Perfodictame ? Perfodictum ? Par Merlin, c'était pas le moment de rater son coup. Deux théories s'offraient à elle : soit il suffisait de pointer l'endroit où l'on souhaitait faire un trou, ou alors, délimiter le trou à l'aide de sa baguette.

De toute façon, elle n'allait clairement pas poser la question au deuxième année ; de quoi aurait-elle l'air sinon ? Et puis, pas le temps d'aller fouiller dans un manuel non plus. Pas le choix, elle devait se faire confiance.

Après s'être raclée la gorge, la rouquine sortit sa baguette et forma un cercle assez grand autour du cadavre du renard avant de prononcer :

— Perfodictum !

Génial, le sol se creusa peu à peu. Pfiou, une chose de faite.