Reducio

• Cheveux lâchés, ondulés, décorés d'une unique barrette de perle.
• Maquillage très léger : mascara et gloss transparent, cicatrice visible.

J'aurais dû dormir ce matin, quitte à rater le petit-déjeuner. De toute façon, je ne perdais rien, si ce n'était la voix insupportable de Lena qui me racontait comment elle avait dupé ses parents pour rejoindre une soirée en Irlande pendant les vacances. Les étoiles dans ses yeux me feraient presque oublier qu'elle m'y avait traîné aussi, sur cette plage, avec Gavin et James qui la toisaient, pleins de jugement.

— Vous auriez dû venir, franchement !

Un regard exaspéré partagé entre nos trois personnes suffit à la faire taire finalement, et ouvrir sa bouche en O, rapidement déformé par un sourire amusé. Je ne savais ni ne voulais savoir ce qu'avait prit ma cousine pour être aussi à l'ouest, mais ça devait être vachement puissant. J'étais déjà ce que l'on pouvait qualifier de... légère, mais elle battait tous les records. Ou presque.

— Mais vous étiez là ! Oh, d'ailleurs, Leann, tu vas me détester.
— Pourquoi ?

Son sourire malicieux n'annonçait rien de bon, et elle quitta la table sans me répondre.

— Bisous bisous, j'ai un tutorat avec un première année !

Puis elle fila comme l'éclair, n'ayant même pas terminé son verre d'eau chaude au citron.

— Depuis quand elle est tutrice ? Et pourquoi je vais la détester ? fis-je en me tournant vers les deux garçons.

Un haussement d'épaules me fut accordé comme réponse, et je relevai la tête juste au bon moment pour voir les hiboux et les chouettes traverser le hall afin de déposer les lettres.

-

A l'autre bout de la salle, sans que Leann ne puisse s'en douter, une lettre arriva sur les genoux d'un jeune homme assis à la table des Poufsouffle. Une jolie lettre blanche, cachetée et signée du nom de la destinatrice et d'un petit nœud papillon.

Cher Narcisse,

Je me permets de te confier un secret délicat : une jeune fille blonde, aux yeux verts, porte une affection particulière à ton égard. Les regards échangés parlent d'eux-mêmes. À toi de décider comment accueillir cette nouvelle.

Bien à toi,
Lena

26 avril 2049

Si il y avait bien un moment que Narcisse appréciait tout particulièrement, c'était le petit-déjeuner. Enfin, plus exactement, il adorait tout moment qui touchait de près ou de loin à la nourriture. La cuisiner, la regarder, la sentir, la découvrir et l'expérimenter, il fallait profiter ! Et puis, il devait grandir vite surtout, il ne pouvait pas rester le petit nabot qu'il était toute sa vie, surtout pas ! Ses parents lui disaient toujours qu'il finirait par les dépasser, mais ça, ça lui paraissait inconcevable. Et de toute manière, il n'avait pas besoin d'une quelconque motivation pour finir son (ses) assiette.

Klee avait également, grâce, ou a cause de son humain de compagnie, développé un féroce appétit. Elle accompagnait Narcisse dans tous ses repas, grapillant parfois quelques restes pour l'embêter et imposer sa dominance, ou alors simplement par pure gourmandise. En reprenant une deuxième assiette, on aurait pu se poser la question du comment ces deux phénomènes faisaient pour ne pas grossir.

Pour Narcisse, la réponse était simple : depuis tout petit, il passait son temps à se dépenser, que ce soit mentalement et physiquement. Ses dépenses caloriques étaient donc extrêmement élevées. D'autant qu'il avait la chance d'avoir un métabolisme ultra-rapide, au même titre que sa mère, et éliminait à la vitesse de l'éclair. Et de plus... Bah, c'était un sorcier. Avez-vous déjà vu un sorcier ou une sorcière en surpoids ? Pas vraiment, n'est-ce pas ?

Cela l'avait intrigué, au début. Puis, en voyant l'énergie que coûtait la magie, Narcisse avait développé sa petite théorie que les sorciers devaient constamment consommer de l'énergie simplement pour exister, à cause de leur magie, ce qui pouvait expliquer, par conséquent, l'absence, ou tout du moins l'extrême rareté, de surpoids dans cette communauté. Théorie qui n'était nullement soutenue par la moindre preuve, mais pour un enfant de douze ans, c'était déjà pas mal.

Quant à Klee... et bien... C'est une boursouflette, y'a-t-il vraiment d'une explication ?

Bref, il se retrouva obligé d'interrompre son repas au moment où un hibou vint lui apporter une lettre. Là, c'était inattendu, c'était trop tôt pour que ses parents aient déjà répondu, et il ne voyait pas vraiment qui avait pu... En tout cas, elle sentait très bon, cette lettre, très parfumée, Klee approuva en reniflant l'enveloppe, qu'elle récupéra pour la tailler en pièce lorsqu'il la laissa tomber sur la table. Il hocha la tête en lisant, se délectant de la sublissime écriture manuscrite, qu'il ne pouvait que rêver d'atteindre.

"Wah, purée, c'est super bien écrit, genre..."

Une lumière s'alluma dans son esprit. Il se redressa brusquement, manquant de renverser son banc, les yeux écarquillés, bouche bée, sans la moindre retenue.

"WAAAAAAAAAH !?"

HEIN ? QUI ? COMMENT CA ? EXPLICATION ??

Il relut précipitamment le papier, toujours debout, sans se soucier le moins du monde du spectacle qu'il pouvait procurer aux autres. Mais qui c'était cette fille ? Et ça voulait dire quoi, une affection particulière ? Particulière, c'était bien, non ? Non... Ça ne... pouvait pas vouloir dire...

"Oh... my... Bloody hell."

Malgré la mise en garde de Lena, que je n'avais pas vraiment prise au sérieux, nous continuions à discuter normalement. Gavin ne cessait de se plaindre de ses cours, et James restait étonnamment silencieux. Son silence n'était pas vraiment inhabituel, mais le fait qu'il laisse son ami se plaindre autant l'était certainement. Ce qu'il regardait, à la place de donner un coup sur la tête du brun, c'était quelqu'un à notre table. Une fille. Charlie, plus exactement, qui le regardait aussi, semblant avoir abandonné ses amies qui papotaient joyeusement.

Gavin arrêta de parler lui aussi, suivant mon regard, un air surpris sur le visage. Je fronçai donc mes sourcils, un peu agacée, et claquai mes doigts en agitant ma main devant son visage, l'interrogeant agressivement du regard. J'avais tant fait pour le sortir des bras de cette harpie qu'il était impossible qu'il y retourne de son vivant. Avant que je ne puisse le rappeler à l'ordre et potentiellement l'insulter de traître, cependant, une longue exclamation vint à nos oreilles, et la quasi entièreté de la table se retourna pour identifier l'origine de ce son.

— Ah tiens, c'est pas le né-moldu un peu idiot avec qui tu as fait ami ami, Leann ? On raconte qu'il a vu ta petite culotte dans la salle sur demande. Même moi je n'ai pas eu ce privi...

Gavin se trouva coupé par un coup de James à l'arrière de son crâne, et moi je me demandais comment il se faisait que quelqu'un comme lui soit au courant de ça. La seule personne à qui je l'ai dit était... Ah. Lena. Évidemment.
Quoiqu'il en fut, nous étions bien une dizaine à dévisager Narcisse, avec plus ou moins de mépris.

Wesh.

C'est probablement ce que Narcisse aurait dit à une autre époque, puisque ç’aurait été totalement son genre de lâcher une dinguerie pareille. En l'occurrence, tout ce qui put sortir de ses lèvres, ce furent les mots "Bloody hell". Repris de sa mère, qui, comme tous les parents, inspirant leurs enfants, parfois jusqu'au décalquage. Il faut dire que son état de choc était tel qu'il avait du mal à penser de lui-même, et encore moins à formuler des pensées claires. Les mots de la lettre tournaient en rond, dans tous les sens, ricochant contre son crâne avant de se noyer dans le flot.

Son regard demeurait fixé sur le papier, pour le relire encore et encore, mais c'était quoi ce binz ?? Non, non, il devait forcément avoir mal lu, pas vrai ?! Bah oui, c'était la seule justification. Comment expliquer autrement qu'une fille puisse ressentir une affection particulière pour lui ? Bah oui, il ne pouvait pas s'imaginer qu'on puisse l'apprécier à ce point. Surtout pas une fille aux yeux verts, pour lesquels il avait une faiblesse toute particulière et totalement inavouée.

Il secoua brusquement la tête en rougissant, sans vraiment se rendre compte de la dizaine de regards braqués sur lui. Et même s'il s'en était rendu compte, bah, il s'en serait foutu, il était un peu insensible au regard d'autrui. Sa tête pencha sur le côté, d'un air curieux et hésitant, perplexe, un sourcil arqué. On aurait presque pu voir les points d'interrogation flotter à côté de sa tête. Puis toute la scène repassa devant ses yeux, et il se revit hurler au milieu du hall, et là, l'embarras transparut sur ses traits. Ses mains s'agitèrent devant lui, le rouge lui monta aux joues.

"Euh, désolé ! J'voulais pas vous embêter !"

Il se rassit précipitamment, tenant la lettre à deux mains. Son regard alternait entre les mots et ceux qui l'entouraient. Il cherchait une fille aux cheveux blonds et aux yeux verts... Son regard s'arrêta sur Leann un court instant, et il lui sourit pour la saluer, tout content, avant de reprendre sa recherche l'air innocent.

Les Serpentards furent étonnamment les seuls à se montrer dérangés par le cri de Narcisse, puisque tous les autres étaient déjà entrain de passer à autre chose. Peut-être que le cliché nous dépeignant comme des rageux était fondé... Enfin peu m'importait. Je rendis le salut que Narcisse me fit avec un léger sourire et me trouvai bousculée par Gavin qui me faisait les gros yeux, un mince sourire malicieux sur son visage.

— Leann ! Alors ça... tu sais, je pensais que tu étais plus branchée "vieux mecs" comme Simon, ou plus drastiquement Mr. le prof d'astronomie sexy... Mais enfaîte tu penches vers les gamins ! Un né-moldu en plus, tu vas finir comme ton frère à ton âge, c'est sûrement de famille.

Suite à quelques regards de travers d'autres connaissances de ma maison, je malmenai le tibia de Gavin avec mon talon pour le faire taire. Il sembla simplement s'en amuser tout en continuant à dire à quel point je n'arrivais pas à trouver un quelconque intérêt dans les garçons de 14 ans, et que je finirais ma vie avec un sorcier deux fois plus âgé que Cole.
Seulement, avant que je n'aie pu ne serait-ce que répondre, une pimbêche aux yeux clairs — pas moi — s'approcha de la table des Poufsouffle. Ce qui était étrange, puisque Lena passait son temps à dire que les blaireaux étaient tous moches et bêtes, et qu'ils ne valaient pas mieux que les Gryffondor. Sur ce point-ci, je ne pouvais me résoudre à être d'accord avec elle ; les Poufsouffle étaient idiots, mais toujours moins que Redose.

Quoiqu'il en soit, Lena s'avançait vers Narcisse — maintenant je pouvais aisément le deviner — et lui murmura quelque chose dans l'oreille. Mes yeux se plissèrent en essayant de comprendre, mais la table des Serdaigle entre nous empêchait PAS MAL de choses. Lena, en reculant, me fit un clin d’œil, et sortit définitivement.

— Jalouse de Lena ?
— Oh ta gueule Gavin.

Pas jalouse, mais bien curieuse. Mon visage entre mes mains, je perdis mon regard vers la table des Serdaigle en réfléchissant à ce qu'elle aurait pu faire pour me gâcher la vie encore une fois. C'était comme ça avec elle.

Une fille blonde aux yeux verts... Blonde aux yeux verts... Qui connaissait-il, qui pouvait correspondre à cette description ? D'ailleurs, maintenant qu'il y fit attention, ce n'était pas une blonde qui s'approchait de lui ?.. Euh, wow wow, attends... Ah, non, elle n'avait pas les yeux verts, ouf. Il salua d'un aîné d'un geste de la main et d'un grand sourire.

"Yo !"

Mais apparemment, elle n'était pas là pour faire la discussion. Pas partagée, en tout cas, puisqu'elle se contenta de s'approcher de lui pour lui souffler quelque chose à l'oreille. Tiens ? Bizarre, c'était quand même direct ! Mais Narcisse étant qui il était, il l'écouta avec le plus grand sérieux, fronçant les sourcils en hochant la tête.

"Pour ta gouverne, c'est Leann l'autrice de la lettre..."

Mh-mh... intéressant, bon, à présent il fallait...

"QUOIIIIII ???"

Narcisse se serait immédiatement dressé pour se lever, en rougissant et en paniquant, manquant de tout renverser sur sa table, s'il n'avait pas été choqué. Il se contenta donc de laisser échapper toute sa surprise, avant de se figer totalement, le visage aussi rouge qu'une pivoine. Sa bouche était tant ouverte que si sa mère avait été là, elle l'aurait doucement refermé en lui disant que les mouches allaient pondre dedans.

L'inconnue profita de son immobilité pour s'éclipser, et il ne la remarqua même plus, par ailleurs. Non non, il réussit, enfin, après plusieurs longues secondes d'immobilité, à tourner son regard en direction de Leann, la fameuse.

Leann ? L'autrice de la lettre ? Il fixa la lettre, puis Leann, toujours autant bouche bée, les yeux écarquillés comme s'ils allaient sortir de leurs orbites. LEANN ?? C'était impossible, enfin ! Il n'y avait aucune raison que ça puisse être vrai, ce n'est pas parce qu'il avait déjà vu sa culotte que ça voulait dire quelque chose !

Mais... Si l'inconnue le disait, c'est que ça devait être vrai, pas vrai ? Il referma enfin la bouche, relut la lettre, et s'apprêta à se lever. Mais, attends. Non, une seconde, ça lui était déjà arrivé de lire une lettre fausse, avec Eoin et le Quidditch... Mais, mais... Oh, c'était quoi cette histoire ?? Bon sang, allez, réfléchis ! Leann est trop bien pour toi p'tit gars, ça peut pas être vrai ! Et puis surtout, toi, t'es pas amoureux, t'es amoureux de personne ! Oui, voilà, dans tous les cas, il faut lui dire ça ! Un papier, vite !

Il se précipita dans son sac pour en tirer un bout de parchemin, sur lequel il écrivit : "Yo ! Euh, désolé de te dire ça, mais même si moi aussi j't'aime beaucoup, je t'aime pas comme ça, désolé vraiment c'est pas contre toi ! J'espère que ça va aller !"

Ouais, voilà, ça c'était top ! Il hocha la tête, satisfait, avant de faire léviter habilement le bout de parchemin replié sur lui-même jusqu'à Leann, à qui il fit un signe de main légèrement embarrassé, mais désormais amusé. Il soupira de soulagement, avant de glisser la lettre originale dans sa poche, pour reprendre son repas.

Paroles de Lena vu avec l'autrice

Un bout de papier en pleine lévitation me fit sursauter dans mes songes, et je l'attrapai en plein vol, supposant qu'il m'était adressé. Puis si il ne l'était pas, tant pis pour le destinataire initial, car je ne lui rendrais pas tout de suite. Ou pas du tout. Ce n'était nullement ma faute, seulement celle de l'envoyeur qui n'avait pas pris suffisamment de précaution. Ou était-ce la mienne d'avoir une curiosité trop développée lorsqu'il ne le faudrait pas, et l'inverse lorsqu'il le faudrait.
Gavin tenta de regarder par dessus la table pour voir ce qu'il y avait d'écrit sur ce bout de papier sans destinataire, et James sirotait son jus de citrouille en nous regardant de haut, comme si tout cela lui passait au dessus, il en avait si bien l'habitude.

L'écriture... spéciale, me brûlait mes yeux, aussi, qui s'écarquillèrent au fur et à mesure de ma lecture. Ils se plissaient afin de déchiffrer les mots, puis s'agrandissaient lorsque je parvenais à reconnaître des lettres entremêlées et brouillonnes.

Relevant la tête vers la table des Poufsouffle, vers Narcisse, je cherchai à comprendre en essayant d'intercepter son regard. Était-ce à moi qu'il s'adressait finalement ? Il n'y avait aucun nom, aucune information ; était-ce une farce ?

— HAHAHAHA ! s'esclaffa Gavin.

Je remarquai que mes mains ne tenaient plus rien, que la lettre n'était plus serrée entre mon index et mon majeur, mais posée face aux deux jeunes hommes qui riaient aux éclats face à ma soudaine et inhabituelle confusion.

— Leann, rassure-nous, alors... commença le brun.

Son visage était toujours souriant, à la limite de la bienveillance et de la niaiserie, mais la chose qu'il dégageait n'était plus amusante du tout.

— Tu n'as pas réellement des sentiments pour un Sang-de-Bourbe, n'est-ce-pas ?

Je n'aimais pas ce Gavin-là, celui qui me donnait une impression d'isolement et d'enserrement autour de ma gorge, comme si ses mains l'entouraient jusqu'à ce que je trouve assez d'air pour répondre. Jusqu'à ce que l'image de Mère s'efface de mon esprit et que je trouve mes mots, puis que je forme ma phrase, et enfin que je la laisse quitter mes pensées. Mais non, il était toujours à un bon mètre de moi, les mains posées sur ses genoux.

— Je... non, non... Bien sûr que non, ne sois pas idiot, répondis-je distraitement, dévisageant Narcisse.

Même si je ne lui avais pas vraiment avoué de quelconques sentiments mentionnés dans son mot, et que je ne pouvais pas être certaine d'être la fille — ou le garçon, ne pouvait-on plus savoir aujourd'hui — dont il parlait, il devait bien voir ma tête paumée. N'empêche, il venait de me faire un signe de main, non ? Se moquait-il ouvertement ?

Narcisse était en train de mâcher tranquillement sa bouchée, après avoir gratouillé la tête de Klee, lorsque son regard croisa de nouveau ce lui de Leann. Bon sang, la pauvre avait l'air si triste... Un pic de culpabilité indicible perça la poitrine de Narcisse, et son visage se décomposa. Avec Merinda, c'était la deuxième fille à qui il était obligé de dire qu'il ne l'aimait pas... C'était vraiment horrible ! Il était tellement méchant, mais en même temps, c'était pas de sa faute, si ? S'il se forçait, est-ce que ce serait vraiment une si mauvaise chose ?..

Il secoua brusquement la tête pour reprendre ses esprits. Non, non ! Il devait tenir et résister, faire semblant avec ce genre de choses, c'était vraiment la pire idée du monde ! Le seul effet que cela pourrait avoir, c'était de davantage blesser la personne et faire énormément de mal.

Mais la tête de Leann... Oh, la pauvre. Vraiment, il se sentait tellement mal. Leurs regards se fixaient depuis tout à l'heure, et il aurait tellement aimé lui dire à quel point il se sentait désolé. Mais en même temps, elle était avec ses amies, et même lui se doutait que ce serait vraiment con d'aller lui parler maintenant. Oh, mais bien sûr !

Son regard s'éclaira alors qu'il dégaina sa baguette, avant de la brandir juste au-dessus de sa tête :

"Flambios !"

Les lettres enflammées s'assemblèrent pour écrire le message à destination de Leann.



Et il lui fit un grand sourire des plus sincères, avec un pouce en l'air et un clin d'œil. Voilà, avec ça, elle devrait se sentir mieux, pas vrai ?

Ma bouche s'ouvrit sans que je ne puisse faire autrement, et James dû se pencher pour rabattre ma mâchoire qui menaçait de se décoller. Je n'en revenais juste pas, venait-il d'écrire des LETTRES GÉANTES DEVANT TOUS LES SANG-PUR DE MA MAISON ? Qu'est-ce qui venait de passer par sa tête pour faire une chose pareille ?! Je n'arrivais pas à réfléchir à un quelconque contre-sort pour annuler ce désastre, et Gavin lui-même ne rigolait plus, pas plus que James enfaîte. Ce n'était pas seulement une humiliation pour moi, mais pour ma famille aussi. Mère serait forcément au courant, puisqu'une cinquantaine de paires d'yeux fixaient les lettres rouges, puis moi, puis encore une fois les lettres rouges. Et parmi ces paires, il y en avait certainement l'un ou l'autre qui ne m'aimait pas, et qui avait des relations avec mes parents.

— Bon c'était marrant deux secondes, mais il joue à quoi là ? lança sèchement James en le fixant d'un regard noir, rapidement rejoint par Gavin dans l'échange hostile vers Narcisse.

Je le plaignais un peu, parce que deux septième année faisant deux fois sa taille le regardaient comme si ils voulaient l'emmurer, mais en même temps, c'était amplement mérité. Je relevai la tête, et cherchai Lena avec mes yeux dans toute la salle. Cette [insérer une multitude d'insultes à caractère violent] allait voir si une telle plaisanterie s'avérait amusante lorsque je réduirais sa réputation à néant les vacances prochaines.
J'abandonnai et fit, vers Narcisse, des signes de main lui suggérant de cesser son sort immédiatement, en secouant la tête. Si il ne comprenait pas là, je l'encastrerais sûrement dans un mur, ou bien à même le sol, selon mon humeur.

Un petit frisson glacé parcourut la nuque de Narcisse lorsqu'il observa la réaction de Leann et de ses camarades. La confusion la plus absolue l'envahissait doucement, partant de sa poitrine pour ramper jusqu'au haut de ses joues. Il n'était absolument pas doué pour lire et comprendre les réactions des gens, mais là... même lui se doutait que quelque chose n'allait pas.

Mais quoi ?

C'était la question. Qu'est-ce qui pouvait bien provoquer une telle réaction ? Il n'avait fait que clarifier la situation auprès de son amie, pour ne pas qu'elle se fasse de faux espoirs ! Est-ce qu'il aurait dû être plus explicite ?.. Après tout, il n'était pas trop tard. Mais, pour une raison inconnue, il ne le sentait pas, ce coup-ci.

Le regard noir des camarades de Leann le fixaient. Et sur n'importe qui, cela aurait pu avoir son petit effet. Mais sur Narcisse, cela ne le fit que lever la main au niveau de sa tête, paume ouverte. Et il les salua. Un petit geste de la main, un sourire idiot et un esclaffement. Ils avaient l'air sympa eux aussi ! N'importe qui d'autre aurait pu reconnaître le danger de la situation, mais Narcisse y était quelque peu vacciné. Peut-être même trop, immunisé peut-être.

Il hésitait à se lever avec son assiette pour aller les rejoindre et manger avec eux, pour faire connaissance, lorsque Leann se mit à le regarder à son tour. Et elle... s'agitait ? Beaucoup ? Elle secouait la tête, ah, elle désignait les lettres ? Elle ne voyait pas assez ? Elles étaient pas assez grosses ? Non, ce n'était pas ça... Il plissa les yeux en entrouvrant la bouche, tentant vainement de comprendre ce qu'elle disait, laissant les lettres de feu s'évaporer par elles-mêmes. Purée, mais qu'est-ce qu'elle voulait lui dire ?

Ne sachant que faire, il haussa les épaules, baguette en main, laissant apparaître un enflammé flotter au-dessus de lui.