Fabriquer des potions est bien l'un des rares écarts avec le règlement que je m'autorise. Il faut dire que la règle est si stupide ! Comment veulent-ils que nous performions dans la matière s'il est interdit de travailler de son côté ? Si les années précédentes je me tenais à peu près à la règle, avec les BUSES à la fin de l'année, j'ai besoin de plus m'entraîner. J'ai donc décidé de prendre moi-même les choses en main.

Je me promène tranquillement dans les couloirs à la recherche de la personne qui testera ma nouvelle confection : une potion d'hilarité pas bien dangereuse à peine sortie du chaudron. J'ai pris soin de la verser dans un joli bocal qui inspirerait confiance à n'importe qui, et je scrute maintenant les visages que je croise, espérant tomber sur quelqu'un que je n'aime pas pour pouvoir lui faire boire ma potion sans culpabilité. Sauf que malheureusement, personne parmi ceux que je reconnais ce matin là n'est à la hauteur de mon expérience. J'accélère donc le pas et finis par apercevoir Narcisse Brando, un deuxième année qui n'a jamais cessé de me faire terriblement penser à Nélya. L'évidence surprend mon cœur coupable : Narcisse est sans aucun doute le parfait cobaye. Il ne va se douter de rien si j'amène bien mon affaire. Je me rends aux faits : je n'ai encore trouvé personne et la chance met le blaireau sur mon chemin. Je ferais mieux de ne pas laisser filer l'occasion car on ne sait jamais quand une autre se présente.

Lorsque je m'approche, j'essaye de paraître enjouée et de ne pas laisser déborder hors de ma conscience les milles et une raisons qui me soufflent de choisir quelqu'un d'autre. Je prends mon plus beau sourire, et lui lance alors :

^__ Salut Narcisse ! Pas trop froid en plein hiver ?

Prendre la parole m'a détendu ; maintenant, plus question de rebrousser chemin. Qu'il me réponde sur un ton enjoué, je n'en doute pas. Cela sera ensuite à moi de trouver un prétexte pour lui faire boire ma potion ^__ sans qu'il ne se doute de rien bien sûr.

Narcisse aimait beaucoup lire. Un peu de tout, un peu n'importe quoi, il était le genre à dire que le livre qu'il venait de lire était son nouveau préféré, jusqu'à ce qu'il en lise un nouveau. Il n'arrivait pas à se souvenir d'une fois où il avait lu un livre qui lui avait déplu. Éventuellement, il lui était arrivé bien souvent de ne pas comprendre le livre, mais dans ces cas-là, il le déposait dans sa pile de "livres trop compliqués pour que je les comprenne maintenant, mais que j'ai envie de relire plus tard !" Et cette liste était trèèès longue.

Aujourd'hui, sa lecture portait sur un très vieux livre de Défense contre les Forces du mal. Le genre beaucoup trop compliqué pour lui, évidemment, puisqu'il traitait des sorts les plus avancés et des concepts les plus complexes. Aussi, voilà bien dix minutes qu'il relisait le même paragraphe en boucle, les yeux collés à sa page, la main massant distraitement sa tempe, les sourcils froncés. Klee piquait une petite sieste, à côté de lui, il était assis en tailleur contre le mur.

Son attention fut détournée par un éclat de voix qu'il reconnut immédiatement. Il gardait toujours un vif souvenir de celles qui l'avait battu en duel.

"Scary !"

Son sourire et son regard s'illuminèrent, éclairant son visage, alors qu'il ferma son livre en se redressant souplement, gardant l'ouvrage contre sa poitrine. Il pouffa d'un rire cristallin, le haut ses joues se teintant de rouge.

"Hihi, non t'inquiète ! J'ai jamais froid ! Sauf quand j'suis malade, enfin, parfois j'ai chaud quand j'suis malade, ça dépend, parfois ça peut être les deux en même temps même !"

Il en parlait d'un ton beaucoup trop passionné pour le sujet évoqué. Il se reprit en expirant, toujours souriant.

"Et toi comment ça va ? Ta journée s'passe bien ??"

Un sourire malicieux naît sur mon visage à la réponse du jeune élève. Narcisse est à son habitude : enjoué, passionné , bref d’excellente humeur. Je ne suis même pas sûre de voir le résultat de ma potion d’hilarité sur lui tellement on dirait que c’est son état normal. Mon attention est attirée par le livre qu’il tient plus que par son état de santé. J’avoue avoir instinctivement associé le personnage à Nélya, voir à Nolan, qui ont beau être tout à fait sympathique, ne sont certainement pas les élèves les plus studieux du monde. Ce n’était pas faute d’avoir essayé avec Nélya, mais j’ai fini par comprendre qu’il ne servait à rien d’essayer de la faire approfondir le programme. Si elle maîtrisait le contenu des cours, c’était déjà bien.

— Ça travaille dur à ce que je vois … de La Défense contre les Forces du Mal ?

Je pense que depuis le temps que Narcisse fréquente le club de duel, tout le monde doit savoir qu’il est passionné par la matière. Mine de rien, je ne peux m’empêcher de questionner la source de cet intérêt. Car si le jaune a des qualités pour le duel comme la détermination et la créativité, je doute qu’il mesure pleinement l’étendue de ce qui l’attend dehors. Des gens qui n’attendent pas que l’adversaire soit prêt pour le bombarder de sortilèges. Des gens qui profitent de sa crédulité pour lui administrer des potions par exemple. Raison de plus pour faire mon test sur lui et lui donner une bonne leçon.

— Je peux jeter un coup d’œil ? Souvent quand je lis des livres un peu compliqués, je prends une potion d’Aiguise-Méninge. Ça me permet de pas passer trop de temps à me casser la tête.

Voiiiilà. J’ai jeté l’hameçon. J’espère juste que le deuxième année va mordre et que je n’aurais pas trop de mal à le convaincre. Je prend tout de même la peine de répondre par un demi mensonge à sa question :

— Ouais tranquille. Moi aussi j’ai des bonnes lectures en ce moment. Je m’intéresse aux sortilèges de protection surtout.

J’ai fait exprès de mentionner les sortilèges de protection car je sais qu’ils font fantasmer beaucoup de personnes qui ne les maîtrisent pas — moi la première. Mais ce sont surtout les sortilèges qui peuvent faire la différence s’ils ne sont pas bien, mais de façon excellente exécutés.

Toujours avec son sourire, Narcisse hocha énergiquement la tête pour commencer à répondre à la question de son aînée, l'air parfaitement satisfait. Après tout, il avait une occasion de japper sur la Défense, il ne lui en fallait guère davantage pour réveiller sa passion.

"Oui ! C'est ça ! J'essaye de m'avancer ! J'suis au point sur le programme de la troisième année, mais à partir de la quatrième, ça s'complique de fou ! Surtout Protego, j'fais une fixette sur ce sort, mais j'arrive toujours pas à y arriver !"

N'importe qui aurait été découragé face à tant d'échec et de complexité. Mais lui, au contraire, cela semblait le motiver. Peut-être était-il un peu masochiste, ou tout simplement fêlé. Mais dans tous les cas, c'était cette passion qui lui permettait d'être l'un des meilleurs de sa promo dans cette matière. Et ce, même s'il ne s'en targuerait jamais de toute sa vie.

Aussi, ce fut avec un plaisir non dissimulé qu'il tendit le manuel (qui parlait en réalité de sorts expérimentaux et de sujets abstraits que même en septième année, on n'abordait pas, mais chut) pour lui permettre de jeter son coup d’œil. Cependant, lorsqu'elle parla de la potion, là, il s'en retrouva un peu confus. De ce qu'il en avait compris, elle accroissait les capacités cérébrales.

Et ça, il n'aimait pas du tout.

"Bien sûr ! Tu peux r'garder ! Tu vas certainement comprendre toi héhé ! Mais moi j'aime pas trop l'idée d'cette potion... Genre, c'est d'la triche un peu, j'ai l'impression. Enfin, j'sais pas, mais d'ce que j'ai compris, c'est pas vraiment toi du coup qui travaille, c'est la potion. Et j'aime pas, j'sais pas pourquoi..."

Sauf que lorsqu'elle aborda le sujet des sorts de protection, son regard devint littéralement éblouissant tant d'étoiles naquirent au fond de ses pupilles et il se redressa d'un coup.

"Oh purée tu travailles sur ça ??? Tu penses qu'tu pourras m'aider sur ça ?! Et tu pourrais m'recommander les livres que tu lis dessus s'il te plaît ??"

Je ne pensais pas avoir tapé aussi juste en mentionnant les sortilèges de protection. Mais Narcisse était en quoi... deuxième année ? Il n'avait presque aucune chance de réussir le sortilège. Cependant, le seul fait qu'il parvienne à maîtriser tout le programme de troisième année était tout simplement impressionnant. Nous ne nous croisions pas très souvent au détour d'un couloir, mais mon premier duel avec lui m'avait fait forte impression, et je ne souhaitais pas le réduire à un simple gamin qui voulait jouer dans la cour des grands car je sais qu'une telle réaction m'aurait particulièrement blessée à son âge. Cela n'empêchait pas que je trouvais quelque chose de dérangeant dans son envie d'apprendre. Je me demandais tout simplement pourquoi il tenait tant au charme du bouclier. Il y en avait plein d'autres, des sortilèges, mais son enthousiasme à la mention des sortilège de protection me laissait perplexe.

Je décidai de jeter un coup d'oeil à sa lecture du jour sans prendre note de son commentaire sur la potion d'Aiguise-Méninge qu'en réalité je n'utilise moi-même jamais. Après avoir balayé le texte en vitesse, je fronçai à mon habitude les sourcils pour comprendre ces concepts à peine abordable pour la cinquième année que j'étais. Rapidement, je devint bien plus préoccupée par ce qu'il pouvait bien se passer dans la tête du Poufsouffle que par le contenu du livre, et secouai énergiquement la tête lorsqu'il me demanda les références dans mes lectures.

^__ Sois un peu réaliste. Ça ne sert à rien que tu t'acharnes sur des sortilèges de protection avancés si tu ne maîtrises pas le charme du bouclier. Avec trop de livres, tu te brûles les ailes. Cibles tes efforts si tu veux arriver à tes fins. Mais oui je pourrais peut-être t'aider.

Je redoutais cependant que Narcisse soit complètement incorrigible, mais pourtant, il faudrait bien se résoudre ! Et je doutais fortement qu'il soit capable de le faire seul. Je n'avais pourtant pas spécialement envie de saper l'envie du gamin, mais si personne ne le faisait redescendre sur terre, la chute serait sans doute brutale. Et le fait de ne pas saisir pourquoi il semblait passionné par les sortilèges de protection alors qu'il semblait négligeant quant à sa propre sécurité était incohérent. Mais peut-être qu'il s'agissait justement du problème.

^__ Ecoute-moi bien.

Ma propre voix me sembla presque étrangère. Donner des ordres ou jouer les mentors n'étaient certainement pas d'habitude et ce n'était pas pour rien que j'avais décidé de ne pas m'inscrire au club de soutien. Pas envie de perdre du temps avec des imbéciles qui n'y arriveront jamais. Et pas non plus envie de me taper la honte en affichant mes faiblesses en gros sur mon front. Mais il fallait reconnaître que le deuxième année avait un grand potentiel, et que je n'avais pas envie de le voir tout gâcher en dilapidant son énergie.

^__ Je pense que la théorie tu la connais. Protego est enseigné en quatrième année car il demande de la maturité. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une question de puissance. La meilleure chose que tu puisses faire, c'est de prendre conscience de la valeur des choses. Réalise que l'harmonie du monde est bancale, et que demain, tout ceux à qui tu tiens peuvent disparaître. Peut-être que si tu comprends ça, tu sentiras plus qu'une envie ^__ le besoin de maîtriser ce sort. Ça suffit pas toujours de le vouloir, il faut se mettre dans la situation.

Un voile sombre tombe sur mes yeux tandis que des souvenirs remontent en vrac. Ils n'étaient pas enfouis bien loin. Le dépôt de l'urne noire dans la grande salle et la mort de Dai Hong Dao avaient laissé des marques indélébiles dans les esprits de toute les personnes présentes. Je me souvenais très bien du jour où les Lignées avaient retransmis ce qu'il se passait dans le Dominion à Poudlard. Je me souviens que je m'étais forcée à regarder ces images rouges sang, à la fois pour remplacer celles qui me hantaient alors, et pour me confronter à la réalité des choses. Ma discussion au bord du lac avec Hannah avait fait le reste du travail, et cela m'avait donné le déclic pour le charme du bouclier. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que la prise de conscience de la finitude des choses aurait pu me décourager, mais cela avait été le contraire. A quoi servait de protéger les choses si elles sont destinées à disparaître ? Ma seule réponse avait été un idéalisme aussi insolent que stupide ; j'avais à présent hâte de découvrir quelle serait la vision de Narcisse.

Narcisse regarda Scary avec des étoiles dans les yeux le temps qu'elle parcourt le livre qu'il venait de lui tendre. Peut-être qu'elle comprendrait tout, et qu'elle pourrait ensuite les expliquer ! Ce serait le top ! Ses poings collés au niveau de sa poitrine, et son sourire immense trahissaient tous deux son excitation. Qui retomba immédiatement lorsqu'elle le réprimanda sur sa précipitation et son inconscience. Si ç'avait été la première fois qu'on lui faisait une telle remarque, il aurait rougi de tout son corps en s'étouffant d'embarras et de frustration.

Mais le fait que depuis plus d'un an, ce discours était devenu la norme, lui permit de ne réussir qu'à baisser la tête en rougissant légèrement. Ses index se touchèrent nerveusement alors qu'il fixait le sol d'un air contenu. Elle avait raison, oui, mais comme il détestait l'entendre, et se dire que cette magie absolument essentielle à ses yeux était encore hors d'atteinte. Et lorsqu'elle mentionna qu'elle pouvait peut-être l'aider, son regard brilla de nouveau et il redressa la tête brusquement, oreilles grandes ouvertes. Ses yeux reflétaient une telle frénésie qu'ils en devenaient terrifiants.

Un hochement de tête, il écoutait très bien.

Et elle parla. Et chaque mot qu'elle prononça le ramena à une scène qui ne quitterait jamais sa mémoire. La fois où Miss Valerion l'avait envoyer valdinguer au-travers de la porte de son bureau. Elle avait tenu le même discours. Tous ceux et celles qu'il aime vont mourir. Il prit une grande inspiration, sa main vint serrer son bras en le frottant doucement.

"C'est... ouais, je sais. Enfin, on m'l'a dit, déjà... J'aime pas ça. J'ai pas envie qu'ça arrive, même si c'est naturel. J'ai pas envie."

Malgré le ton un peu plaintif de sa voix, son regard demeurait dur et déterminé. Il se projetait si loin, tellement loin qu'il oubliait de s'ancrer un instant dans le moment présent.

"J'ai pas envie d'être faible, c'est pour ça que j'essaye autant... Je refuse de juste... rien faire."