Malgré son tempérament sociable, Sigmund Charleston sortait rarement de ses appartements après le couvre-feu. Il y avait des exceptions, bien sûr : il lui fallait parfois faire quelques rondes pour attraper des élèves imprudents. Il les ramenait en lieu sûr en leur racontant sur le chemin des histoires de vampires mangeurs d'enfants, ou quand il était d'humeur nostalgique, ses dernières vacances avec son fiancé ou la rude époque des premières dents de son petit-fils. Parfois, il sortait aussi de ses appartements simplement pour visiter ceux d'un collègue, s'il n'avait pas eu la chance de le croiser dans la journée et qu'il s'était donné pour mission de lui offrir quelques douceurs.

Ce soir-là était une exception aux exceptions : ni ronde ni visite vespérale n'était au programme. L'explication à sa présence dans les couloirs de l'école à une heure si tardive restait très simple, ou presque : il s'ennuyait. Et dans son ennui, la voix de sa fille lui était revenue. Lourde de reproche, elle lui avait rappelé combien son propre enfant le trouvait ennuyeux à mourir et bien trop accroché à ses principes. Bien sûr, il avait été profondément blessé suite à cette conversation et avait réfuté toute accusation. Persuadé d'être dans son bon droit mais prêt à se débarrasser d'un doute éventuel, il avait alors décidé de rendre hommage à sa turbulente enfant en faisant quelque chose de parfaitement incompatible, selon elle, avec le tempérament de son père.

Si ce n'est pas logique à vos yeux, sachez que ça l'est toutefois aux yeux de Sigmund Charleston et ce dernier étant le protagoniste de ce petit récit, nous nous arrêterons là avec les explications.

Le Directeur de Gryffondor s'était naturellement rendu, aussi discrètement que possible, dans les Toilettes Abandonnées et avait alors sorti une petite bombe de peinture magique. Inspiré par une histoire de tags qui lui avait été remontée par des collègues, il avait décidé d'apporter à ces lieux sa propre touche personnelle. Quatre minutes avaient suffi pour voir apparaître une jolie écriture clamant « Vive la Botanique ! » et puisque les idées foisonnaient dans sa tête, il avait ajouté un peu plus loin « Plouf-Snargalouf » et « Ouistiti-Moly. » Bien sûr, le sorcier ne souhaitait aucunement ajouter un quelconque travail aux elfes de maison ou à Suileabhan ; maintenant qu'il s'était bien amusé, il reviendrait nettoyer ses propres dégradations trois ou quatre jours plus tard. Et si quelqu'un passait avant lui, alors il trouverait un carreau sale quelque part, ou un plancher poussiéreux pour payer sa dette.

Toujours est-il qu'il devait désormais retourner dans la salle commune de Gryffondor, et soudainement cette mission lui paraissait presqu'impossible. Il longeait les murs des couloirs, voûté comme s'il pouvait ainsi effacer sa grande taille ou mieux, sa présence. À chaque bruit, il se plaquait contre une paroi ou se cachait derrière une statue et observait tout autour, anxieux comme s'il avait été un élève qui pouvait se faire prendre. Il lui était impossible de rationaliser la situation, pour lui c'était comme si son méfait était inscrit sur son front et qu'on avait activé un Periculum permanent au-dessus de sa tête pour signaler sa présence à tout préfet ou professeur rôdant encore dans les couloirs. Il tâchait de se faire le plus discret possible, et tenait serré contre sa poitrine son sac banane renfermant la bombe de peinture coupable comme si l'on pouvait deviner ce qu'il transportait.

Kalev ne se sentait pas bien, malade et ballonné. Quelque chose ne passait pas, il n'arrivait pas à digérer le dîner, c'est certains. À de nombreuses reprises, le jeune garçon s'était retourné dans son lit, encore et encore, la main contre son ventre. Son estomac lui faisait mal, une douleur aussi aiguë que vive, sans parler de la nausée qui pointait à présent le bout de son nez. "Il ne manquait plus que ça" se dit-il. Non, ça ne pouvait pas continuer ainsi. Il était fatigué, il avait clairement besoin de sommeil. Est-ce qu'il aurait quelqu'un à l'infirmerie à une heure tardive ? Peut-être. Kalev hésite néanmoins, avant de se décider quand il faillit réellement vomir.

Il quitte son lit, enfile ses pantoufles et sa robe de chambre et quitta la chaleur de son dortoir pour la froideur des couloirs. Bien sûr, comme rien n'était aussi simple, Kalev se perdit dans ce dédale qui avait une tout autre allure sous le clair de lune. Impossible pour lui de se repérer comme il faut du premier coup ! Alors il tourne en rond, toujours aussi malade et avec l'espoir de tomber sur un adulte, voir un préfet qui pourrait l'accompagner. Il s'arrête net en voyant une grande silhouette au loin. C'est parfaitement ce dont il avait besoin ! Kalev s'approche gauchement et comprend tardivement qu'il venait de croiser la route du professeur de botanique.

— Monsieur Charleston ! croasse-t-il dans sa direction.

je m'incruste avec une bonne raison pour être dehors à cette heure

La silhouette du botaniste se tendit et s'immobilisa. On aurait pu croire qu'il venait d'être stupéfixié mais non, c'était la voix du jeune Kalev Cohn qui l'avait cloué sur place de terreur. D'abord immobile, il retrouva soudainement contrôle de son corps, et tâcha de disparaître un peu plus dans l'ombre au fur et à mesure que le garçon approchait d'une démarche étrangement maladroite. Bientôt, le sorcier rencontra un obstacle dont le choc offrit un tintement aussi particulier que métallique. Une armure ! Il extirpa le casque de la silhouette de métal et enfonça l'étrange et poussiéreux couvre-chef sur sa tête.

« Ce... ce n'est pas le professeur Charleston » gronda-t-il en tentant fort maladroitement un accent irlando-on-ne-sait-quoi. Il hésita un instant : cet enfant n'était pas un préfet. De fait, il n'était pas censé sortir de sa salle commune... et donc, il l'avait lui-même pris sur le fait en pleine infraction au règlement. « Je ne dis à personne que tu te trouvais dans le couloir à cette heure-là et en échange, tu ne m'as jamais vu ici ce soir, compris ? » s'imaginait-il déjà dire au garçon, mais celui-ci tenait son ventre d'une drôle de façon. Mince... manifestement, il était malade. Plan B. « Monsieur Cohn. Je suis le concierge de cette école, Suileabhan Kohler. Cinquante ans. Je suis cet homme. » reprit-il avec le même accent, aussi convaincant qu'il pouvait être avec une voix toute tremblante, un sac banane serré contre la poitrine, et un casque de chevalier sur la tête. Alors qu'il aurait juré sentir une petite araignée courir sur son nez, l'angoissé sorcier avait bien du mal à réunir les ressources mentales nécessaires pour analyser proprement la situation. « Ga... gauche. L'infirmerie. À ta... votre gauche, puis les escaliers. » Qu'il déguerpisse, vite !

Alors que Kalev venait d'aborder le professeur Charleston - dont la silhouette et la voix ne pouvait tromper personne -, celui-ci s'était immobilisé et le manège ne faisait que de commencer semblerait-il. Tandis que le jeune garçon s'approche, l'adulte essayé de se faire petit, de disparaître dans l'obscurité du couloir. Quel étrange comportement, surtout quand ce dernier, après s'être vêtu du casque de l'armure, affirme de ne pas être Charleston, mais le concierge. Une fois à sa hauteur, Kalev put dévisager son professeur de botanique qui, à présent, tente de lui indiquer le chemin. Quelle mouche l'avait piqué ?

— Monsieur ? Est-ce que vous allez bien ?

Il marque une pause, avant d'ajouter :

— Je sais que vous n'êtes pas monsieur Kohler. Vous n'avez ni la même voix, ni la même carrure. À la limite, une première année aurait pu y croire, mais tout de même, monsieur.

Le professeur Charleston était étrange. Aux yeux de Kalev, il ressemblait drôlement à un enfant prit en plein flagrant délit. Du coin de l'œil, il te note le sac banane qu'il portait sur lui. Vraiment bizarre. Tout de fois, Kalev se contente de hausser les épaules. Ce ne sont pas ses affaires et surtout, il n'avait pas la tête à ça. Cette dernière était devenu douloureuse entre deux. Quel était le chemin déjà ?

— Vous pouvez me répéter le chemin, s'il vous plaît ?

Avant qu'il n'ait envie de vomir sur les chaussures de son professeur.

Comment un si petit être pouvait-il être si perspicace, surtout à une heure si tardive que Morphée devait sonner les cloches dans ses oreilles ? Le leurre n'avait pas fonctionné ; pourtant habitué des scènes sombres et des lumières peu flatteuses de bars douteux pour incarner Muna Cha-Cha, Sigmund n'était pas parvenu à se faire passer pour Suileabhan Kohler. À toute fin utile, il était bon de savoir qu'il ne pourrait certainement pas berner Sixtine avec un tel jeu.

Voilà que son esprit divaguait malgré l'urgence évidente de la situation. Puisque la supercherie était découverte et que l'araignée menaçait à tout moment de le dévorer tout cru, il ôta le casque de chevalier et le remit avec lenteur sur son socle, dépité. Heureusement, la pénombre ne permettrait pas à l'enfant de voir ni ses mains tremblantes, ni la sueur perlant sur son front.

« C'est bien moi, mais je ne cache rien de suspect dans mon sac. » Autant que les choses soient clairement posées. La confirmation émanant de sa bouche d'adulte -il ne pouvait s'agit que de vérité, le laverait sans nul doute de tout soupçon. Il décrispa difficilement ses doigts qui serraient désespérément son sac banane, et le glissa avec regret à sa place habituelle, au niveau de sa taille. Seulement -et Sigmund n'avait pas anticipé ce point, la besace débordait comme habituellement d'une multitude de bibelots, malgré la présence de plusieurs contenants internes pour compartimenter, et comme toujours il n'était pas rare qu'un « trop plein » empêche toute fermeture. Ce fait n'était pas bien gênant, excepté ce jour puisqu'une fois son étreinte desserrée, la bombe de peinture s'échappa du sac et tomba au sol, roulant jusqu'aux pieds du garçon malade.

Il dégaina sa baguette avec une célérité tout à fait inhabituelle et lança le premier sort qui lui traversait l'esprit, avec toute la précipitation que requérait l'urgence « CANIFORS » . La bombe de peinture se métamorphosa tout aussi sec en un étrange caniche difforme. L'affreuse bête resta figée dans sa position alors que l'impotent sorcier peinait à maintenir le sort. « C'est un chien-guérit-tout ! Tu te sens mieux, Kalev ? » tenta-t-il d'une voix faussement joyeuse. « Tu sais quoi, mon garçon, je vais directement t'accompagner à l'infirmerie. Toi et moi, nous pourrons discuter sur le chemin, hein... ? »

— C'est bien moi, mais je ne cache rien de suspect dans mon sac.

Aussitôt dit, Kalev avise instantanément le sac que le professeur Charleston tient fermement contre lui. Rien de suspect, hein ? Pourquoi agit-il alors comme un élève de première année pris en flagrant délit ? Kalev roule des yeux, estimant que cela ne le concerne en rien. Il a bien plus important à faire : se rendre à l'infirmerie. Soudain, un bruit sourd attire son attention.

— Pourquoi vous...
— CANIFORS !

La bombe de peinture qui roulait lentement dans sa direction se transforme immédiatement en... un chien ? Un caniche ? Quelque chose qui n'a pas l'air en grande forme, c'est certain ! Une véritable vision d'horreur, selon Kalev, qui, une fois de plus, trouve la force de ne pas vomir. Et ce professeur ose lui demander s'il se sent mieux en voyant cette chose ?

— Vous devriez prendre des cours particuliers avec Monsieur Lynch, c'est urgent à ce stade, se permet-il, convaincu qu'il pourrait faire mieux malgré sa faible aptitude magique.

Kalev apprécie beaucoup le professeur Charleston et la botanique, qui est un sujet passionnant en grande partie grâce à l'excentricité de l'enseignant devant lui. Mais là, en cet instant précis, ce brin de folie combiné à cette voix faussement joyeuse et cette invitation à le suivre ne présage rien de bon.

— Monsieur, est-ce que vous comptez m'enfermer dans les cachots parce que j'ai vu votre bombe de peinture ? Vous savez, si ça vous amuse de taguer l'école, ça m'est égal, mais bon sang, je veux juste aller à l'infirmerie.

À mesure que le temps passe, Kalev a cette impression que son état empire d'une certaine manière, notamment sa nausée persistante. Sa bouche est pâteuse, sa gorge sèche. Si ça continue comme ça, il ne pourra pas se retenir de vomir.

Face à l'échec de toutes ses tentatives de berner l'adolescent, Sigmund dut se rendre à l'évidence : il lui fallait accepter la situation et surtout, accéder à sa requête. Il n'était pas étonnant que l'enfant ne retrouve pas son chemin malgré ses deux années à arpenter le château ; il fallait avoir l'habitude de traîner dans les couloirs de nuit, même si ni la pénombre ni son état maladif ne l'avaient manifestement empêché de reconnaître son professeur et de comprendre la situation.

Sigmund se débarrassa du caniche difforme d'un simple coup de baguette magique et attira à lui avec un autre sort la bombe de peinture. Le long soupir qui lui échappa fut toutefois certainement couvert par le bruit de ses pas alors qu'il s'approchait de Kalev.

En voilà un qui ne manquait pas de toupet à insulter sa performance magique ! Le professeur ne broncha pas ; la remarque de l'enfant ne lui importait que peu. La panique désormais passée, il se préoccupait surtout du bien-être de l'adolescent. Et au moment opportun, à le laisser aux bons soins de Diarmad ou Ruby à l'infirmerie, ou à le raccompagner personnellement dans sa salle commune. S'il pouvait s'accorder le luxe d'emmener l'enfant jusqu'à son dortoir pour lui épargner une éventuelle chute, peut-être pourrait-il d'ailleurs en profiter pour regarder un peu Elian dormir. Il était beau ce garçon, quand ses yeux étaient clos, ne put-il s'empêcher de penser.

« Je n'enferme personne dans les cachots, Kalev. À vrai dire, cela fait bien longtemps que ces cachots n'ont pas accueilli un quelconque prisonnier. » Sa baguette magique toujours en main, il l'agita brièvement en direction du garçon. « Revigor.» Le sortilège de vitalité ne résoudrait pas l'éventuel problème initial, mais permettrait certainement au Poufsouffle de récupérer suffisamment pour se rendre sans trop de difficultés à l'infirmerie. « Je t'accompagne, allons-y. » Et tant pis pour son petit délit, et pour la bombe de peinture. Il leur restait un peu de trajet ; si Kalev souhaitait évoquer à nouveau cet incident, il verrait bien ce qu'il avait à en dire.

Bon, son professeur ne compte pas l'enfermer dans un cachot, il a fait disparaître ce pauvre... chien ? Et le sort qu'il vient tout juste de lancer éloigne la nausée qui, depuis tout à l'heure, ne faisait que se renforcer. Kalev respire un bon coup, mais même s'il se sent mieux sur l'instant, l'infirmerie reste inévitable ; il couve quelque chose et ce n'est pas un sortilège qui va le soigner complètement... malheureusement. L'adolescent aurait aimé rester bien au chaud dans son lit, après tout. Mais bon, s'il souhaite guérir au plus vite, il se doit de prendre son état de santé au sérieux. Le professeur Charleston propose de l'accompagner jusqu'à l'infirmerie et Kalev l'en remercie, avant de désigner le couloir :

— J'vous suis, monsieur...

Et alors qu'ils se mettent en route, encore un peu pâteux, Kalev demande :

— J'imagine que vous vous êtes amusé à taguer un mur ? Vous savez que le règlement l'interdit, n'est-ce pas ?

Surtout à son âge... à la limite, des pré-ados en crise existentielle, turbulents ou des adolescents qui souhaitent faire passer un message, ok, pourquoi pas... mais un adulte, leur professeur, qui est censé montrer l'exemple ? C'est assez cocasse, Kalev doit bien l'avouer. D'ailleurs, il hausse les épaules après coup.

— M'enfin, vous faites ce que vous voulez, ça ne me regarde pas de toute manière... c'est juste... pas logique ? Vous n'êtes pas censé être exemplaire, monsieur ?

Peut-être cherche-t-il la petite bête, mais cette histoire l'intrigue.

C'était quand même un sacré manque de veine de se faire surprendre dans les couloirs du château à une heure si tardive. Quelles étaient même les chances que cela arrive ? Pour sûr, l'enseignant était un peu bougon, mais maintenant que le mal était fait et Kalev refusant fermement de croire en ses excuses, il n'avait d'autre choix que de simplement prendre soin de l'étudiant.

Grognon comme un enfant pris en faute, Sigmund triturait un pan de sa robe de sorcier entre ses doigts, pestant intérieurement sur la situation. Ça ne l'empêchait pas de garder un œil attentif sur le marmot. En cas de malaise, il se tenait prêt à réceptionner le gamin et à lui remettre un bon coup de Revigor dans la figure.

Bien sûr, la moindre des choses était de se laisser accompagner sans remuer la baguette dans la plaie. Chose que Kalev ne fit pas, préférant l'assommer de questions. C'était un enfant bien curieux. D'ordinaire, le professeur de botanique aimait bien les langues pendues, c'était gage de bonnes conversations. Sauf que ce soir, il boudait encore un peu.

« Je suis adulte, je fais ce que je veux ! » grogna-t-il avec un haussement d'épaule. Pourquoi un enfant l'embêtait, d'ailleurs ? Depuis quand les marmots remettaient en question les décisions des adultes ? Non, c'était une bonne chose. Sigmund était le premier à apprendre aux enfants à avoir un bon esprit critique. Comme empêtré dans son propre piège, le sorcier esquissa une moue renfrognée avant de mettre un petit coup de pied de frustration dans l'air. « Aïe » lâcha-t-il alors que sa hanche venait d'émettre un crac sonore.

« On s'approche de l'infirmerie. Tu seras un garçon très sage, Kalev, et tu ne diras rien de ce que tu as vu. Sinon, tu n'auras plus de bonbons à la fin de la classe. » C'était totalement du bluff : jamais il ne priverait un enfant de sucreries. Mais il veilla à bien se faire comprendre. Kalev ne fut pas lâché par le professeur de botanique jusqu'à ce qu'il eut rejoint l'infirmerie et qu'il soit bien pris en charge. Le lendemain, l'enseignant s'assura de prendre des nouvelles de l'enfant, inquiet pour sa santé. Et, contrairement à ce qu'il avait indiqué... le garçon commença à avoir régulièrement double ration de bonbons, comme pour acheter son silence.

Fin pour moi !