Trois jours que je n'ai pas dormi. Trois jours qu'elle est partie. Trois jours que j'espère être emportée par le vent, le calamar ou n'importe quoi qui puisse m'arracher à cette vie qui m'a déjà tout prit. Est-ce que ça s'arrêtera seulement un jour, cette forme de malédiction qui s'est abattue sur moi ? Si je croyais en Dieu, je penserai immédiatement à une punition divine. J'ai entendu beaucoup de choses à ce sujet, des gens qui ont été poursuivis pour toujours, et cela même dans la mythologie grecque par exemple. Je crois que c'est ce qui m'arrive. Je suis vouée à tout perdre, dès que j'arrive à un stade où tout va bien. Comme celui qui pousse la pierre en haut d'une colline pour qu'elle retombe de l'autre côté. Comme celles qui remplissent des jarres percées. Je me reconstruit lentement pour être détruite en une fraction de seconde. Je n'avais pourtant pas grand chose, comparée à d'autres, deux-trois amis, elle, une famille aimante et de la stabilité à Poudlard. Tout ça me suffisait amplement mais voilà qu'en plus de Zoey l'année dernière, elle m'a laissée. Depuis trois jours, je ne ressens plus rien. À nouveau, je vais devoir me renfermer dans ma bulle pour espérer m'en sortir. Comment avoir encore de l'espoir après tout ça ?

*Je pars*. Deux mots, simplement deux mots ont suffit à m'étouffer. Le monde s'est arrêté d'un coup, et la seconde d'après tout s'est écroulé. J'aurais tout fait pour elle, tout perdu, tout donné et voilà que je l'ai perdue. Depuis combien de temps savait-elle que ses parents l'emmenaient si loin ? A-t-elle réfléchi pendant des jours entiers pour me cracher seulement deux misérables mots ? Je suis partie. Deux mots. *Adieu alors*. Je n'étais pas capable de plus. Je ne voulais pas dire plus. Si je plongeais encore une fois dans ses doux yeux, si je fixais encore une fois son être que j'avais aimé plus que jamais, je n'aurais pas tenu. Elle me faisait ses adieux, tels étaient les miens. Plus froids encore que ses deux petits mots. Bien sur que ce n'était pas sa faute. Bien sur qu'elle m'avait aimée. J'en avais eu la certitude, lorsque nos mains s'entremêlaient délicatement alors que nous marchions en silence aux abords du lac. Je l'e le sentais lorsqu'elle plongeait son regard si merveilleux dans le mien. Je l'entendais dans ses paroles lorsqu'elle me souhaitait bonne nuit. De mon côté, je l'enveloppais de mon regard qui devenait doux en sa présence. Je lui signifiais tout mon amour. Je serrais ses doigts de temps à autre, pour lui rappeler combien je l'aimais. La façon dont je passais ma main sur sa joue lorsque je l'embrassais. Grâce à elle, je découvrais l'Amour.

J'aurais du me douter que ça finirait de cette façon. Je n'aurais jamais du accepter son amour. Est-ce parce que j'ai accepté d'avoir plus qu'une simple amitié que tout s'est arrêté ? J'aurais du savoir que je la perdrais, comme Lydia, comme Ella, comme April, comme Aristid, comme Nefarius, comme Zoey. C'en deviendrait presque drôle. Peut-être même qu'on pourrait transformer ça en conte pour enfant. Soit toujours gentil, et ne prend pas trop de bonheur sinon tu perdras tout. Antonn est la seule personne qui me maintient encore hors de l'eau. Il me tire toujours vers le haut. Il n'accepte jamais mon défaitisme. *Ça ira mieux*. Il me pardonne et lui aussi m'aime, comme Maman, comme Fred. Il place des espoirs vains en moi, comme si je pouvais réellement parvenir à quelque chose dans ce monde. Il n'y a pas de place pour moi ici. Je sais, la différence est notre force. Le problème c'est que moi je n'apporte rien, à part la colère, la tristesse, la destruction même. Je gâche tout. Certains transforment ce qu'ils touchent en or, moi c'est en poussière que je le transforme. *Je devrais sérieusement me retirer à l'autre bout du monde*. Là où personne ne me trouverait. Là où je serais certaine de ne faire du mal qu'à moi même.

J'aime ce moment de la journée. Quand tout le monde autour de moi s'éveille. De la rosée qui me chatouille les chevilles, au soleil qui pointe le bout de son nez, aux rares habitants de ce château que j'ai croisé. Je devrais remercier Claire de ce cadeau. C'est elle qui m'avait emmené courir un petit matin de vacances. Mais ces dernières vacances, elle m'envoyait surtout des regards à la dérobée. Pensive. Un brin de colère. Ai-je gâché ses plans avec Papa? Je crains oui. Peut-être bien même qu'elle se réjouit que je sois en pension. Qui peut la blâmer? Je ne suis que les restes d'une possible vie que Jon aurait pu avoir sans elle. Un rappel constant je suppose. Un qui ne doit pas être bien agréable.

Quand mon corps est dans ce mouvement répétitif, mon esprit est en ébullition. Aujourd'hui je pense aux événements de ce weekend. La boite, le concierge, mes camarades de ... je n'ai pas encore les mots. Juste cet espoir. J'ai du chemin à faire il est vrai. Monsieur Kohler a pointé justement mes fautes. Il a raison sur toute la ligne. Il faut que j'apprenne. M'endurcisse.

J'approche le lac, j'observe cette eau calme. Est-ce que le calmar géant lui est réveillé? Il faudrait que je demande à mon directeur de maison. Cependant, la préfète verte elle est bien réveillée. Mes pas se stoppèrent à quelques mètres d'elle. C'est ici que quelques années plus tôt on s'était rencontrée. On s'était déclarée ennemies. Aujourd'hui le pourquoi me semble flou, je ne me rappelle plus la discussion exacte. Mais dans mes souvenirs c'était pour des broutilles. Une haine assez infondée au final. Mais je crois qu'elle est du même marbre que moi: trop fière pour l'admettre. On s'est enfoncé dans cette rivalité, cette rancoeur. Et je crois bien qu'elle aussi ne sait pas trop pourquoi elle me déteste. Je me prépare à me moquer d'elle, mais je sens bien que quelque chose cloche. Je m'approche doucement d'elle et m'assoit à côté d'elle. "T'as une sale gueule McGowan." Sûrement pas la meilleure des entrées en la matières. Cependant, mon ton n'est pas moqueur, c'est juste un constat que je fais. Une vérité. Il ne faut pas qu'elle s'attende à des mots doux de ma part. Et c'est paradoxalement sûrement l'une des plus gentilles choses que je lui ai dit.

Je vois bien les cernes qui creusent sous ses yeux, qui sont par ailleurs rouges. Je laisse mes mains reposer sur mes genoux, lui montrer que je n'ai pas ma baguette dedans. Je ne suis pas venue pour batailler. Je ne sais même pas pourquoi je suis venue. Pourquoi je n'ai pas juste continué ma route. Tout aurait été plus simple.

L'herbe frémit derrière moi, et j'identifie les bruits comme étant des pas. Je n'y prête d'abord pas attention, car après tout, il n'y a aucune raison pour que quelqu'un vienne me voir si tôt, mais lorsque je tends l'oreille, je réalise que le bruit s'amplifie : qui que ce soit, il vient vers moi. Même si je suis curieuse de connaître l'identité de l'inconnu, je ne me retourne pas, fixant toujours un point imaginaire à l'autre bout du lac. L'ombre s'assoit à ma hauteur, et c'est uniquement lorsqu'elle ouvre sa bouche que je prend conscience de l'identité de mon voisin. J'aurais reconnu cette voix entre mille. Noémie. Même si on est loin d'être amie — c'est même plutôt le contraire — je ne fais pas la même erreur qu'avec Zoey, et ne tente pas de camoufler mon badge. Malgré tout, je ne crois pas qu'elle puisse le voir puisqu'il ne se situe pas du côté où elle est assise. Ses paroles me font doucement rire. Elle est honnête, au moins. Je pense pouvoir affirmer que nos chamailleries puériles sont derrière nous. Le temps a passé, et je crois que de l'eau à coulée sous les ponts, bien que nous ne nous soyons pas reparlées depuis belle lurette.

— Merci pour l'honnêteté, mais c'est vraiment si terrible ?

C'est plus une question rhétorique, mais je crois que si la réponse est oui, il va falloir que je fasse quelque chose. Je n'en ai même pas encore parlé à Antonn. Disons plus exactement que je n'en ai parlé à personne. On pourrait rester là, côte à côte jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller en cours, mais je crois que le fait de parler nous fera passer à autre chose.

— Et sinon, tu d'viens quoi depuis nos dernières chamailleries ?

Je laisse échapper un rire, mais je suis sincère. J'espère qu'elle ne prendra pas mal le fait que je m'intéresse un peu à elle.

"Tu étais seule à cause de toi ou des autres?" Voilà ça me revient. La cause de la discorde. C'était indélicat de ma part. Je m'en excuse. Mais là McGowan, as-tu la réponse? As-tu causé ta propre solitude en cet instant? Cependant, enterrons la hache de guerre.

Quand tu me demande si c'est terrible, je ne peux que te couler un regard vers ta direction un sourcil haussé, un sourire en coin. Oui. Tu as connu des jours meilleurs c'est évident. Ma curiosité revient à grand galop. Tu m'as toujours apparu comme quelqu'un qui gérait plutôt ses problèmes par la hargne. Pas par cette apathie. Après, je ne te connais pas. Pas vraiment. J'aimerais. Être capable de me glisser dans les pensées de chacun. Comprendre comment sont fait les rouages de leurs esprits, la machine qu'ils sont. Comprendre quel a été l'élément déclencheur de ton état. Mais j'ai aussi appris à ne plus mettre mon nez partout pour assouvir mes questions. Les gens resteront à jamais des énigmes.

"Toujours la même chose." C'est un mensonge. Depuis, il s'est passé tant de choses. J'ai un frère, j'ai intégré un mouvement qui se bat pour la démocratie, j'ai eu un Été compliqué, un Noël aussi. J'ai échappé au Poudlard Express que je revis dès que je monte dans un train. J'ai fauté, j'ai blessé l'intégralité de ma famille je crois. Je crois aussi que je suis loin de celle que j'étais à l'époque. Je fais moins confiance. En rétrospective, je crains être devenue plus sèche aussi. "Il y a eux quelques sales vagues, mais le bateau dans lequel je suis continue son périple."

Mes yeux retourne vers toi, cherchant les changements, ceux qui ne sont pas évidents à l’œil nu. Tu m'as l'air plus calme. Moins comme si tu avais quelque chose à montrer au monde. Était-ce un masque? Une carapace? Toute cette colère? "Et toi?"

Mettez deux personnes bavardes ensemble, vous en avez pour des heures de discussions, mais à l'inverse, deux muettes comme nous et il faudra attendre patiemment pour que les langues se délient. Son regard en biais me fait comprendre que je ne ressemble vraiment à rien. Je ne vais pas aller jusqu'à me maquiller pour camoufler ma fatigue — de toute manière, je n'ai pas de matériel — mais il va falloir sérieusement que je me reprenne. Je ne peux pas m'écrouler pour une bêtise comme ça. J'ai vécu des choses bien pire en 16 ans d'existence, et je suis revenue plus forte que jamais. Je vais continuer à me hisser vers les sommets. On en perd en route, des gens, c'est un fait, mais on en rencontre d'autres. Et dire qu'il y a quelques minutes à peine, j'étais résolue à me faire emporter par le calmar des fonds peu accueillants du lac... *Toujours la même chose*. Elle se fiche de moi, mais je ne peux pas lui en vouloir. Evidemment qu'elle n'a pas envie de me déballer toute sa vie alors que ça fait plus de deux ans qu'on ne s'est pas parlé, et qu'aux dernières nouvelles, on était pas les meilleures amies du monde. J'hésite à développer ce qu'il s'est passé de mon côté, sans pour autant trop entrer dans les détails. Peut-être que ça la déridera ? Et puis, s'il y a quelque chose que mon post de préfète m'a appris, c'est que je suis capable d'aller vers les autres. Non pas que je sois devenue ce qu'on pourrait qualifier d'extravertie, loin de là, mais disons que je me suis améliorée.

— Pareil hein. J'ai arrêté les conneries, je raconte plus de bêtises sur les statuts ou je ne sais quoi, je me suis rabibochée avec pas mal de monde et sinon, bah j'continue le Quidditch, et euh, j'suis même préfète.

Loin de moi l'idée de me vanter de ce poste, mais comme elle l'a été, je me suis dit que je pouvais le placer quelque part. Voilà, c'est fait. Je ne serais pas surprise qu'elle soit très surprise, ou qu'elle me fasse des reproches, et je crois que ce serait mérité, mais j'y suis préparée depuis longtemps.