Alors là... Gavin était juste furieux. Autant adorait-il m'énerver, jusqu'à m'humilier devant des dizaines de personnes, mais il ne supportait pas les nés-moldus. Alors que l'un d'eux se moque ouvertement de moi, même si ce n'était pas intentionnel... Non, ça ne lui plaisait pas. James, quant à lui, crut rêver lorsque le point d'interrogation juste immense prit place au dessus de Narcisse. Une main posée sur ma tempe, je plissai les yeux, ahurie par la stupidité du Poufsouffle. Bon sang, la réflexion c'était pas censé être inné chez les humains ? Quelle idée de merde d'avoir sympathisé avec un né-moldu, sérieux.

Le jeune homme arriva à sa table en quelques pas, et posa une main sur son épaule, trop peu amicalement pour que MÊME NARCISSE ne puisse penser à une réaction sympathique. L'amabilité dans la poigne de Gavin demeurait ABSENTE, et si la carrure déjà pas mal impressionnante du brun ne le dissuadait pas de tracer une quelconque autre lettre de feu dans l'air, sa main le ferait. Je n'arrivai pas à comprendre ce que les deux se disaient, mais je me doutais un peu qu'ils ne s'échangeaient pas leurs adresses pour une soirée pyjama. Du moins je ne l'espérais pas.

— Quand même, j'adore quand tu te prends des râteaux Leann. Même des faux. Simon se montrerait reconnaissant auprès de Narcisse à mon avis.

Je fronçai mes sourcils en me tournant vers lui. Comment pouvait-il ramener Simon à la conversation alors que les situations n'avaient, RIEN A VOIR ? Puis Simon avait 17 ans, Narcisse seulement 12. Complètement inconcevable, impossible, idiot, irréel, aberrant, immoral de sortir avec un garçon plus jeune. Non, jamais. Je ne m'appelle pas Lena.
J'ignorai donc sa remarque, et soupirai, voyant déjà que tout le monde déjà avait perdu intérêt pour les lettres flottantes. Il était quand même pas très très futé, Narcisse.

"C'est quoi ton problème, sang-de-bourbe ?"*

Si la main sur l'épaule, la manière dont elle s'était posée sur son épaule, et le ton que son aîné avaient employé n'avaient pas suffit, le mot projeté par le grand acheva de faire basculer Narcisse dans la réalisation. Oooh... Ah, oui, c'est vrai que Leann baignait quand même au milieu de tous ces gens si intolérants. Narcisse l'oubliait, bien souvent, vu que pour lui, de telles absurdités ne pouvaient pas exister, c'était impossible de pouvoir, selon lui, juger des gens selon leur naissance.

Et bien, il apparaissait que si, et il avait oublié. Trop optimiste et naïf, trop gentil et crédule. Bizarrement, toute cette histoire avec cette lettre, qu'il n'avait d'ailleurs pas encore résolu, apparut soudainement bien moins importante. Oui, il sentait le danger, son corps le lui hurlait : il est plus grand que toi, plus fort que toi, clairement, tu cours un risque là ! Réagis ! Sauf que. Sauf que, Narcisse, il avait déjà affronté quelqu'un de bien plus effrayant que cet adolescent. De très nombreuses fois, un nombre de fois qu'il ne pouvait désormais plus compter.

Une inspiration, un sourire, il déposa calmement sa fourchette, aussi naturellement que s'il avait pris une nouvelle respiration. Klee se tenait également immobile, dans l'attente de voir ce qui allait se passer, prête à intervenir au cas où.

"Oh ! J'suis désolé, j'voulais pas vous embêter, j'étais juste un peu perdu avec cette lettre. C'est trop bizarre qu'on écrive des trucs comme ça tu trouves pas ?"

Sans insister sur ce mouvement, ses deux mains s'étaient levés au niveau de son visage, illuminé par un grand sourire candide. Puis, l'une de ses mains salua le grand, son cœur battait plus fortement dans sa poitrine.

"Au fait, yo ! Moi, c'est Narcisse, Narcisse Brando !"

*Vu avec la joueuse, qui partage ma passion pour le drama

Toujours assis à la table, James et moi suivions la scène de loin, comme nous le permettait le bruit ambiant et les fréquents passages nous empêchant la lecture d'une bonne partie de la conversation de Gavin et Narcisse sur leurs lèvres. De plus, aucun de nous deux ne savait lire sur les lèvres, donc même si ça avait été possible, nous ne serions arrivés à rien de concluant. Néanmoins, l'expression agacée de Gavin nous montrait bien que Narcisse n'en n'avait... strictement rien à faire.

— Il est né-moldu, mais on peut lui accorder au moins qu'il a de sacrées couilles, déclara James en hochant la tête, approuvant le comportement du plus jeune vis-à-vis de son meilleur ami, s'étouffant à moitié en buvant son jus de citrouilles détox.

Je ne me cachai pas et le regardai ouvertement de travers, jugeant chaque mot qui fut sorti de sa bouche.

— Ouais... étouffe-toi, ouais... pour l'héritage, murmurai-je en me reconcentrant sur la scène ayant pris place à la table des Poufsouffle.

-

Gavin, de son côté, ne se démontait pas malgré l'attitude trop amicale à son égard. Il secoua la tête, ennuyé et sûrement un peu piqué dans son égo.

— Ouais, bizarre, c'est le mot. Mais elle n'aurait pas écrit une telle lettre. Encore moins à quelqu'un comme toi.

Gavin pointa sa main vers moi, et je haussai les sourcils, me demandant ce que je venais faire dans leur conversation pour que le plus âgé ait un air aussi accusateur.

— Je connais la rumeur qui dit que tu aurais vu sa culotte, et ça nuit à sa réputation et à celle de Cole, aussi con qu'il puisse être. Arrête de lui parler, ou tu traîneras son nom dans la boue. Si t'es son "super ami" comme tu dis, vis ta vie de né-moldu en restant loin des Sang-Pur.

J'avais un air plutôt compatissant sur le visage, puisque je pouvais deviner que Gavin se montrait chiant. Il le faisait avec tout le monde, étaler sa mauvaise humeur, de toute manière.

Narcisse avait hésité à tendre la main vers son nouvel ami pour serrer la sienne, mais quelque chose dans le comportement de son aîné l'en dissuada. Il n'avait pas vraiment l'air de bon poil... Qu'est-ce qui s'était passé ? Cependant, même s'il constata l'apparent désagrément de Gavin, il ne remarqua absolument pas le ton de jalousie qui perçait dans sa voix. Comme s'il était piqué dans son égo, comme l'idée même que Narcisse ait pu recevoir une telle lettre de Leann, aussi fausse soit-elle, le mettait hors de lui.

Narcisse pencha la tête sur le côté, toujours aussi confus, et regarda Leann lorsqu'elle fut pointée du doigt par Gavin. Par réflexe, il lui fit un petit salut de la main, un sourire aux lèvres. Il était toujours aussi content de la voir.

Puis, Gavin passa à l'attaque. Et si, lorsque le regard de Narcisse revint brusquement sur lui au début, son visage virant au rouge tomate et de la fumée s'échappant par ses oreilles, il bascula très vite dans un inconfort plus que visible. Ses sourcils se froncèrent, sa poitrine devint douloureusement brûlante, tandis que son cœur s'accélérait. Mais qui avait pu parler de cette histoire ?? Il n'en avait jamais parlé à personne ! Et il n'appréciait pas du tout, mais alors pas du tout, le discours qu'il tenait sur ces histoires de sang. Encore quelque chose qui le dépassait et qu'il trouvait profondément stupide.

Mais Narcisse étant qui il était, il se contenta de soupirer, l'air préoccupé, et de croiser les bras sur sa poitrine. Il avait l'air presque compatissant pour Gavin.

"Mais mec tu racontes quoi ? Leann est assez grande pour plus vouloir me parler d'elle-même, tu penses pas ? Et elle est assez grande pour plus vouloir s'entraîner avec moi si elle le voulait, genre c'est quoi cette infantilisation qu'tu fais là ? Elle fait c'qu'elle veut ! Et puis qui t'as parlé de c't'histoire dans la salle sur demande ! C'était pas ma faute d'abord ! Et pareil pour la dernière fois, c'était un accident d'entraînement !"

Si Gavin laissait Narcisse placer un nouveau mot, il le regarderait avec un sourire compatissant.

Gavin voyait rouge, il donnait vraiment l'impression d'être sur le point d'exploser. Qu'on remette en question ce qu'il disait était une chose. Le fait que ce soit par un né-moldu en était une autre ! James et moi rigolions bien, de loin, en pariant sur qui se ferait éclater si les deux garçons commençaient à se battre. James avait parié sur Gavin, misant sur sa plus grande taille et le fait qu'il fasse de la muscu. Moi, je restais sur Narcisse parce que j'avais bien vu qu'il était capable d'éclater plus fort que lui. Sujet à approfondir.

— Non, non justement. Leann n'est visiblement pas "assez grande" pour faire ce qu'elle veut, non. Puis c'est une fille.

Mes yeux s'écarquillèrent lorsque je vis Gavin approcher sa main du col de Narcisse, et le soulever sans peine, avant de le gifler comme Nils le faisait avec James lorsqu'il ne se comportait pas comme il le voulait. Ce dernier tirait exactement la même tête que moi, et alternait entre la scène chez le Poufsouffle, et moi pour regarder ma réaction. J'avais la bouche légèrement entrouverte, et me retrouvai figée de surprise. Qu'est-ce qu'il lui prenait, à celui-ci, pour se comporter de cette façon ?

— J'aurais pas aimé, déclara James après un long silence de quelques secondes.

Mes yeux se levèrent au ciel en entendant sa remarque inutile, et mon esprit oscillait entre me lever pour remettre les idées de Gavin en place, ou observer le prochain moove de Narcisse.

Narcisse n'en croyait pas ses oreilles ! Que venait de dire Gavin ? Que Leann n'est pas assez grande pour faire ce qu'elle voulait ?! Mais, il était fou furieux de dire des choses pareilles ! Et ce n'était même pas qu'il disait qu'elle n'était pas assez grande pour faire n'importe quoi, mais pour faire ce qu'elle voulait ! Et c'était quoi ce sexisme ??

Narcisse ne s'emportait jamais, quand on s'en prenait à lui. Presque aucune insulte ne l'atteignait, elles glissaient sur lui comme de l'eau sur du papier ciré. Il était tellement effacé, tellement peu fier et avait si peu d'amour propre qu'aucun affront personnel ne l'affecte.

Mais en revanche, il suffisait que l'on s'en prenne aux autres, et plus particulièrement aux gens qu'il aimait, pour qu'immédiatement, il perde son sang-froid. La leçon de sa mère, ne jamais frapper le premier, était solidement ancrée en lui, cependant, aucune leçon ne l'interdisait de se lever pour dire haut et fort ce qu'il pensait.

Et c'est d'ailleurs ce qu'il aurait fait, si le grand n'avait pas agi le premier. Narcisse se sentit décoller du sol, une boule se forma dans sa poitrine, sa nuque picota, ses mains vinrent par réflexe agripper celle de son agresseur.

Puis la douleur.

L'éclair, le flash de souffrance.

Il était habitué à se prendre des coups, avec ses entraînements. Mais il y avait une marge de différence proprement gigantesque entre encaisser des coups auxquels on s'attend, de ceux auxquels on ne s'attend pas.

Sa tête pivota sur le côté, il se figea une courte seconde, juste le temps d'une inspiration.

Dans ce genre de situation, les gens réagissaient bien souvent de trois façons. La fuite, l'immobilité, ou la riposte. Et personne ne peut anticiper sa réaction, avant d'expérimenter la sensation et la situation. Aucun entraînement ne peut vraiment préparer à ça, aucune préparation mentale ou physique ne permet de contrôler le brusque flux d'adrénaline déferlant dans les veines.

Et, Narcisse- sa mère serait fière, faisait partie des gens qui ripostent.

Narcisse ne portait jamais le premier coup. Mais une fois qu'on l'avait frappé ? Comment il était censé réagir, exactement ? Il n'avait pas l'entraînement nécessaire, il n'avait pas l'expérience suffisante pour réussir à contrôler ses propres réflexes.

Ce fut pour cette raison qu'il réagit de cette manière. Sans même que sa tête n'ait fini de se redresser, sa main gauche explosa. Son épaule et son torse pivotèrent en un éclair, pour simplement frapper ce qui se trouvait face à lui. Sa main droite se dressa à son tour pour agripper celle qui enserrait son col, et son pouce pressa l'articulation des métacarpes, pour forcer Gavin à lâcher prise. Au même instant, la paume de sa main gauche percuta la pointe du menton de son agresseur, de tout son poids, de toute sa force, de toute sa vitesse.

Scène discutée en amont avec la joueuse.

Sous le coup simultanée de sa paume et de la pression exercée par le pouce de Narcisse, Gavin lâcha prise et bascula soudainement en arrière. Frapper la pointe du menton force le cerveau à valdinguer dans la boîte crânienne, causant un tournis proprement inarrêtable, et une perte d'équilibre inévitable. La cheville de Gavin se tordit sous le choc, et il se heurta à sa propre stupidité, chutant de tout son poids en grand écart, s'écrasant l’entrejambe à même le sol.

La douleur était indescriptible, inutile d'essayer, mais le visage violet du septième année et son immobilité soudaine, couplée à ses mains qui vinrent presser le sol pour éviter de gerber en disaient suffisamment.

Narcisse retomba sur le banc où il était assis, debout, les mains ouvertes face à lui, tandis que Klee piaillait derrière lui, hors d'elle. Une inspiration, il réalisa ce qu'il venait de faire, et baissa immédiatement sa garde en descendant au sol pour s'accroupir immédiatement à côté de Gavin, le visage décomposé par l'inquiétude.

"Oh merde, purée de purée, pardon ! Désolé, ça va aller ? Vraiment pardon, je l'ai pas fait exprès ! J'voulais pas !"

Sa main vint se poser sur son épaule, il essayait de le secouer, mais là, il faudrait du temps à Gavin pour émerger.

James fut le premier à éclater de rire, puis lorsque l'information arriva à mon cerveau, je le rejoint dans son fou rire. Il se leva après quelques instants de moquerie pour aller extirper son ami de la fâcheuse situation dans laquelle il s'était mis. Lentement, sans vraiment se presser, il s'approcha des deux garçons pour relever Gavin, sans aucune douceur. Le blond riait toujours, un peu moins vivement, mais n'avait aucune pitié pour son camarade qui avait joué au con.

— Mec, j'ai mal aux couilles, souffla Gavin en reprenant sa respiration, désormais debout.

Le rire de James redoubla, et il frappa l'épaule du brun pour lui dire d'arrêter de pleurnicher. En se tournant vers Narcisse, il lui dit en calmant son rire.

— Toi, tu as mon respect éternel. Bien joué mec, approuva James à voix basse, en hochant la tête.

Il soutint Gavin par l'épaule, tout en essayant de l’engueuler malgré les éclats qui ne voulaient pas cesser. De mon côté, j'essayais de retrouver une contenance relative en ne regardant pas les deux garçons, mais c'était difficile étant donné le manque de discrétion de James. J'avais prévenu cet imbécile de commencer la danse classique... voilà où ça mène, de ne pas écouter les filles...
Je me levai à mon tour, délaissant notre table complètement, et m'approchai de Narcisse, un sourire amusé toujours collé au visage.

— Qu'on soit clairs, c'est pas moi qui ait écrit cette lettre... mais j'en écrirais trente si ça me permet de voir Gavin se faire laminer par quelqu'un de plus petit.