Inscription
Connexion
14 févr. 2017, 19:49
L'ébène et le cristal
6

LES GARDIENS


« Il existe autant de formes de magie qu’il existe de sorciers pour les pratiquer. » Cette phrase du premier grand maître de la Confrérie des Potionnistes, Arnold Obermayer, dans son discours d’inauguration du Congrès Magique des Etats-Unis d’Amérique en 1693, demeura dans l’histoire comme l’un des fondements de la Nouvelle Magie, l’une des philosophies magiques les plus influentes du XVIIIe siècle. Certaines écoles de magie encouragèrent l’expansion de cette philosophie, véhiculant l’idée que chaque nouveau diplômé devait se sentir maître de sa propre magie en quittant leurs murs. La Nouvelle Magie, éteinte au cours du XIXe siècle par la montée en puissance des courants ancestraux de Magie Blanche et de Magie Noire, conserve à ce jour une influence notable sur l’enseignement dispensé à Beauxbâtons et à Jadugara.

*

Il y avait quelque chose de saisissant dans la façon dont Kristen me regardait. Il y avait toujours eu quelque chose de saisissant dans son regard, mais cette fois, une subtilité s’y était insinuée. Une sorte de lueur qui me désarma bien plus encore que l’éloignement que Kristen venait de m’imposer. J’étais suspendue à ses lèvres, dans l’attente de la moindre suite à ses propos mais rien ne venait et rien ne vint d’autre qu’une inspiration et des lèvres scellées. Cachant ma frustration, je fixais ces lèvres charnues en cherchant une façon de me défaire de cette situation gênante. Irrésistiblement, mon regard décrivait une courbe descendante, fuyant la bouche de Kristen pour les dalles de pierre posées au sol.

« Il semblerait que je sois parvenue à clouer le bec
Reducio
Expression prononcée en français
de la grande Kristen Loewy, plaisantais-je à demi-voix en souriant, les yeux toujours baissés. »

J’abaissais mes bras le long de mon corps et reculais pour me défaire totalement de son emprise sur mes bras. Alors, pour la première fois, j’éprouvais une sensation étrange, comme un manque qui me troublait et me faisait froncer les sourcils. Que m’arrivait-il ? Je relevais la tête et croisais de nouveau le regard de Kristen — si mon corps réagissait à mes questionnements intimes par ce regard, mon esprit, lui, restait endormi. Je lui souriais de nouveau et tournais les talons pour m’avancer vers la table des professeurs, en me frottant les bras là où Kristen m’avait empoigné, sans précipitation aucune.

Le film de la soirée se mit à défiler devant mes yeux sans crier gare. Je me revoyais transplaner devant le portail de Poudlard et être accueillie par cet étonnant concierge fantôme, remonter la pente douce du parc dans l’obscurité la plus totale, entrer dans la Grande Salle, demander la protection de Kristen… le fil de mes pensées se stoppa net tandis que je réalisais que je n’avais fait que demander depuis que j’étais entrée à Poudlard. Demander sans cesse demander, mais qu’avais-je à donner en retour ? Je riais silencieusement de moi-même et de mon hypocrisie — involontaire certes mais hypocrisie tout de même — coupable de n’avoir pensé qu’à sauver ma peau et celle de ma fille au détriment de ce que je pouvais offrir à Poudlard.

J’empoignais de nouveau ma baguette magique et faisais volte-face pour observer Kristen dans les yeux.

« Je vous ai tant demandé ce soir et si peu montré ma reconnaissance, dis-je en prenant un air digne. Pardonnez-moi encore. Ce n’était pas digne de moi, encore moins digne de l’immense bonté dont vous avez fait preuve à mon égard. Veuillez accepter ce présent de ma part, témoin de mon attachement pour vous et de ma bienveillance envers votre école. »

Ce que je m’apprêtais à faire relevait de l’oubli. L’oubli pur et simple d’un versant complet d’une magie antique et puissante tombée en désuétude des siècles plus tôt. Celle des sentiments humains. Je dirigeais ma baguette magique contre ma propre poitrine et soufflais l’incantation à demi-mots, les yeux fermés.

« Quatre sentiments pour quatre esprits. Un seul coeur pour quatre âmes. Un seul amour pour quatre passions. »

En rouvrant les yeux, je détachais quatre rubans incandescents de ma poitrine puis portais mes lèvres au plus près de ma baguette magique pour leur insuffler la vie. Aussitôt fait les rubans se muèrent en longs voiles d’une couleur innommable. Chacun de ces voiles grandit jusqu’à atteindre la taille d’un homme adulte, cachant derrière leurs plis en perpétuel mouvement des esprits d’une sagesse infinie. Des esprits dont seul était visible leur regard, semblable à deux étoiles mauves cachées dans les replis de leur capuche.

« Quatre gardiens pour que jamais aucun mal ne vous soit fait, annonçais-je à Kristen avant que mes jambes ne cèdent sous le poids de l'effort qu'il venait de m'en coûter. »

Je m’écroulais mais demeurais consciente. Le souffle court d’avoir tant donné.
14 févr. 2017, 22:19
L'ébène et le cristal
Baissant ainsi les yeux et essayant une vaine plaisanterie, Aude avait l’air d’une enfant qui voulait se sortir d’une situation un peu trop délicate en face d’un adulte. Alors que ses mots étaient censés, par leur signification, gêner Kristen, la façon dont ils furent dits l’amusa plutôt, et elle put se redresser tout à fait, en même temps qu'Aude s’écartait. Un très vague sourire en coin se dessina même sur ses lèvres et ses yeux se plissèrent. Elle pensa bien qu’un jour, tiens ! ce serait elle qui lui clouerait le bec, et d’une façon qu’elle ne pourrait envisager ! Ce fut ce que la soudaine malice de son esprit lui souffla, mais elle avait beau être une Gryffondor, elle savait qu’elle n’aurait pas suffisamment d’audace pour entreprendre trop de fantaisies.

Lorsqu’Aude s’éloigna pour se diriger vers le fond de la salle, Kristen suivit attentivement chacun de ses mouvements. Elle ne comprit pas vraiment ce qu’Aude était en train de faire, avec sa baguette dirigée vers elle-même. Les yeux de Kristen se plissèrent un peu plus, tandis qu’elle avançait la tête pour mieux voir, et ce fut un tout autre intérêt qui s’éveilla en elle, bien loin d’une dissertation sur trois cheveux. Lorsque les rubans sortirent de la poitrine d’Aude, Kristen eut un certain pressentiment, et elle avança de quelques pas. Elle vit alors les rubans prendre la forme de quatre grandes silhouettes.

Fidèle à son esprit d’analyse, elle les observa rapidement de haut en bas, et en un seul regard, les avait passés au scanner. Kristen ne croyait pas Aude capable d’invoquer des êtres malfaisants après tout ce qui avait été fait pour elle, mais la directrice de Poudlard finit d’être rassurée lorsque la française les appela « gardiens », et lorsqu’elle constata que ces gardiens ne s’étaient pas précipités pour faire un geste de travers.

Au même moment, Aude s’effondrait sur le sol, et Kristen, donc, comme si elle avait pris le réflexe à force de voir des Luneau s’écrouler devant elle, s’avança rapidement vers la française et s’accroupit à son niveau, l'attrapant un peu par les bras, comme si cela aurait pu amortir une chute qui avait déjà eu lieu. La directrice de Poudlard ne put s’empêcher de tiquer en se disant que c’était décidément une manie ! Elle soupira et lança à Aude un regard accusateur et secoua légèrement la tête de gauche à droite, l’air de dire « vous ne croyez pas que votre journée était déjà assez fatigante ? »

« Voilà ce qui arrive quand on se targue de me clouer le bec, dit-elle avec un sourire en coin, consciente que cela n’avait rien à voir. »

Elle se sentait un peu mieux, moins troublée. Elle aimait pouvoir dire des choses de ce genre, qui lui donnaient l’impression de contrôler la situation et la revigoraient, en quelque sorte. Elle fit en sorte de considérer mentalement son égarement passé comme une passade, quelque chose qui n'avait même pas vraiment eu lieu. Elle fit apparaître un autre verre d'eau, pensant en même temps à faire disparaître les débris du verre plus tôt cassé, et le tendit à Aude. Elle pivota la tête pour regarder un par un les quatre gardiens, avant de reporter son attention sur la directrice de Beauxbâtons – car ce n’était pas à cause d’un rat d’égout comme Ricoter qu’elle ne le resterait pas !

« C’est un bien curieux sortilège… n’est-ce pas ? »

Elle plissa les yeux. Aude serait un jour dans l'obligation de lui expliquer très précisément comment fonctionnait le sortilège qu'elle venait d'utiliser, car cela intéressait beaucoup Kristen : non forcément pour l'utiliser à son tour ou s'approprier un quelconque savoir-faire, mais simplement pour savoir et étudier. Elle pencha la tête sur le côté et ajouta :

« Un jour, d'ailleurs, je vous demanderai de m’apprendre à faire apparaître un autre genre de gardien. J’ai été très jalouse de votre paon. »

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
~ if i wasn’t a narcissist i wouldn’t like me either ~

@Mentionnez-moi pour activer le Tabou
16 févr. 2017, 23:25
L'ébène et le cristal
7

LE COEUR DES SENTIMENTS


Sur ordre d’Aude Luneau, les Gardiens entrèrent au service de Poudlard le 23 Janvier 2042. Au nombre de quatre, ces esprits savants répondaient aux noms suivants : Renoncement était le plus grand des quatre et sa voix était de loin la plus mélancolique ; Entente était le plus petit des quatre et sa voix était douce comme le chant de l’eau ; Abondance était le plus gros des quatre et sa voix était aussi chaude qu’un rayon de soleil d’été ; et enfin Existence, le plus mince des quatre, arborait la voix chantante d’un rossignol. Quiconque se trouvait en leur présence pouvait effleurer l’immensité de leur sagesse. Les fantômes de Poudlard, eux, s’inclinaient toujours sur le passage comme s’ils étaient les esprits de monarques depuis longtemps disparus.

*

La tête aussi lourde que mes jambes, j’observais les quatre formes indistinctes en avalant consciencieusement l’eau que Kristen avait fait apparaître pour me soulager. Renoncement, Entente, Abondance, et Existence étaient aussi majestueux que dans mes souvenirs. Je leur souriais et me persuadais qu’ils me rendaient ce sourire sous les plis de leur robe éthérée. La curiosité de Kristen ne me surprit pas — l’absence de questionnement à leur sujet m’aurait davantage stupéfaite — et c’est avec douceur que je déposais ma main sur son avant-bras comme pour lui faire comprendre que c’était une longue histoire. De fait, la naissance de ces esprits remontaient si loin que mes souvenirs en devenaient confus. Je conservais seulement la certitude que ma mère était la première — et la seule d’ailleurs — à les avoir jamais invoqué sous mes yeux.

Le regard de Kristen — le vrai, celui qui n’avait eu de cesse que de me brûler la peau tout au long de l’année passée — me fit l’effet d’un choc. Plus encore que ce regard, ce sont les paroles qu’elle y associa qui me laissèrent sans voix pendant quelques instants.

Ainsi, Kristen n’avait jamais réussi à produire un patronus ? L’idée me semblait complètement absurde ; à tel point que je m’interrogeais sur mon état de santé. J’avais très probablement mal entendu. La fatigue me jouait des tours. C’était impossible autrement. De mon autre main, celle qui n’était pas posée sur Kristen, je tâtais mon front en quête d’une moiteur synonyme de fièvre. Sans résultat. Le regard de Kristen m’assura qu’il n’y avait rien de surprenant dans ce qu’elle venait de me proposer. Il n’y avait là que la stricte vérité. J’en demeurais pensive. Triste et pensive car je caressais seulement pour la première fois la souffrance muette qui devait être sienne depuis des décennies pour n’être jamais parvenue à produire un patronus.

« Je vous aiderai à vous sentir plus heureuse, dis-je en me forçant à fermer les yeux pour faire disparaître les étoiles qui se plaisaient à danser dans mon champ de vision. Je vous en fait la promesse. »

Sans sentiments heureux, il n’y avait pas de place pour le moindre patronus. Sans eux, il n’y avait d’ailleurs pas plus de place pour les Gardiens. Ils tiraient leur puissance phénoménale — à ce sujet Kristen devait encore être très fortement surprise — des sentiments les plus purs et les plus nobles qui pouvaient habiter le coeur d’un individu. Les posséder étaient choses uniques, en tirer une magie aussi fantastique l’était encore plus. Je n’avais aucunement la force de le raconter dans les moindres détails à Kristen, mais je requérais néanmoins son attention en la pinçant gentiment du bout de mes doigts engourdis.

« Ils sont beaucoup plus qu’un sortilège, commentais-je en caressant la parcelle de peau que je venais de maltraiter. Ils sont la quintessence de ce qui existe de meilleur chez l’être humain. »

En écho à mes propos, les quatre Gardiens se tournèrent vers nous. Leur regard scintillant comme des étoiles me happa dans un tourbillon de constellations. Je me sentais attirée dans un trou ouvrant sur l’immensité de l’espace et du temps. J’y résistais et détournais mon regard, fébrile.

« Ils sont l’amour, lâchais-je, saisie d’un frisson au moment où les Gardiens s’inclinaient devant nous et nous révélaient ainsi l’écrasante aura dont ils étaient les détenteurs. »

Le plafond de la Grande Salle s’embrasa, suivant à une vitesse étourdissante les fils d’immenses amas de galaxies tandis que les Gardiens posaient un genou à terre devant Kristen et dégainaient de nulle part des armes aux contours bien plus nettes qu’ils ne l’étaient eux-même. Chacune de ces armes laissait entrevoir un pan entier d’univers dans sa lame comme s’il s’agissait d’une fenêtre à travers le ciel.
17 févr. 2017, 10:25
L'ébène et le cristal
Aude tarda à répondre, tandis que Kristen la regardait droit dans les yeux. Avait-elle dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? L’aveu de Kristen quant à son incapacité à produire un patronus était-il si pitoyable qu’Aude se demandait présentement comment elle pouvait se sentir en sécurité avec elle ? Kristen attendit sa réponse et commença à se sentir gênée par ce silence. Elle allait s’éloigner, se dire « tant pis », mais Aude lui répondit à ce moment, d’une façon qui troubla un peu Kristen. Aude, en effet, ne s’était pas contentée de dire qu’elle lui apprendrait à lancer le sortilège du patronus : elle lui avait dit qu’elle aiderait Kristen à se sentir plus heureuse. Surprise par cette réponse, Kristen ouvrit ses yeux plus grand, qui perdaient ainsi leur côté un peu malicieux. Finalement, ses yeux se plissèrent à nouveau et elle sourit un peu : Aude ne savait probablement pas dans quoi elle s’engageait, quelle tâche difficile cela allait être.

Aude ne devait vraiment pas se sentir bien, car elle fermait les yeux et bien qu’assise par terre, tanguait un peu. Kristen jeta à nouveau un coup d’œil aux gardiens qu’Aude avait invoqués, puis elle sentit qu’on lui pinçait la peau de l’avant-bras. Aussitôt, elle reporta son attention sur son bras, et vit qu’Aude, qui avait posé sa main sur elle, était évidemment à l'origine de ce pincement. Kristen regarda son visage fatigué et comprit qu’elle n’avait probablement pas la force de l’interpeler autrement. Quand elle reprit la parole, elle commença à caresser la peau qu’elle avait pincée, comme pour s’excuser. Kristen regardait les doigts fins de son amie sur sa peau sans rien dire.

La magie qui avait fait apparaître ces gardiens sembla complètement étrangère à Kristen à partir du moment où Aude parla de « ce qui existait de meilleur chez l’être humain ». En fait, il lui semblait qu’il ne pourrait exister de magie plus pure que celle-ci, et Kristen tirait le meilleur de ses compétences non pas de ce qu’il y avait de meilleur en elle, en général. Ce qu'elle avait fait de plus exceptionnel, cela avait été par vengeance, par dégoût du monde, et, une fois seulement, par compassion - mais elle avait utilisé de fait regret et douleur pour parvenir à ses fins. Elle pensa donc que cette magie-là faisait partie de celles qu’elle ne pourrait jamais approcher, car cela semblait encore plus complexe, encore plus fort, qu’un simple patronus.

Alors, elle ne dit plus rien. Elle écouta chacune des paroles d’Aude et n’y répondit pas. Elle se sentit aplatie par la magie qui émanait des gardiens, mais ne commenta pas. Elle se sentait à des années-lumière de ce monde-là, tout beau et tout plein d’amour et de petites fleurs. Kristen crut sentir un mouvement. Elle jeta un très rapide coup d’œil à droite et à gauche, et elle vit que les gardiens s’étaient agenouillés comme des chevaliers – ils portaient d’ailleurs d’étranges armes. Tout ce qui se passait lui semblait bien loin, absolument hors de sa logique. Elle ne savait pas comment réagir, et se sentait à nouveau dans une situation embarrassante, alors qu’elle venait juste de retrouver un peu de son allure habituelle.

Après quelques secondes dans le vide d'un silence très pesant, elle s’éloigna un peu d’Aude pour faire glisser sa main de son avant-bras, puis se rapprocha et passa ses bras sous les siens pour la soulever. Elle lui posa une main derrière la tête et l’autre lui tenait le dos. Étrangement, cette étreinte lui semblait beaucoup plus normale que la précédente, car celle-ci avait une raison pratique. Elle se leva, soulevant Aude pour l'aider à se relever, et dit à voix basse :

« Si vous restez ici une minute de plus, vous allez finir par vous endormir sur le sol, et je n’y tiens pas. »

Elle se demanda si Aude sentirait sa gêne quant aux explications données sur le sortilège d’invocation de ces gardiens.

Sans lui laisser le choix, Kristen l’enveloppa un peu plus dans ses bras, blottit la tête d’Aude sur son épaule avec sa main et pencha un peu son propre visage contre l’épaule d’Aude. Le but était que rien ne dépasse. Kristen sentait que son cœur commençait à battre un peu trop vite, mais elle respira un grand coup pour se calmer. C'était une étreinte pratique, vous dis-je !

Elle crut avoir fait un exploit, puisqu’elle ne se souvint pas, dans sa vie, avoir transplané si tranquillement. L’effet lave-linge habituel (qu’Aude aurait peut-être mal vécu, dans son état) ne s’était pas du tout fait ressentir. En fait, Kristen n’avait même pas eu l’impression de transplaner : elle avait fermé les yeux quand elle les avait rouverts, elle était devant la porte des appartements d’Aude, son amie dans ses bras. Ce n’était pas vraiment le moment de penser à se jeter des fleurs mentalement, mais tout de même, Kristen fut assez fière de ce transplanage mémorable, doux comme un voyage sur un nuage.

Kristen s’éloigna d’Aude et pointa sa baguette sur la serrure de la porte des appartements de celle-ci. Il y eut une petite lumière et un « clic » plus tard, la porte s’entrouvrait. Kristen tenait toujours son amie suffisamment bien pour que celle-ci ne s’écroule pas à nouveau.

« Vous voilà arrivée à destination… »

Kristen poussa un peu la porte du bout de sa baguette.

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
~ if i wasn’t a narcissist i wouldn’t like me either ~

@Mentionnez-moi pour activer le Tabou
19 févr. 2017, 00:45
L'ébène et le cristal
8

LA TOUR D'IVOIRE


Au cours du Tournoi des Trois Sorciers, Aude et Constance Luneau établirent leurs appartements dans une tour abandonnée de l’aile sud du château. Les efforts de Kristen Loewy pour la rendre habitable en fit un lieu chargé d’une aura magique pour le moins singulière. Il se disait alors volontiers dans les conversations de couloir qu’il était impossible à un élève d’y pénétrer sans s’évanouir au bout de quelques pas. Magnifiée par les enchantements ajoutés à posteriori par Aude Luneau, la tour reçut le titre de tour d’ivoire dans une édition des Chroniques du Sale Hasard, le journal des Serpentard. Le nom se propagea et resta.

*

Je n’avais pas bronché. Fatiguée, j’avais laissé Kristen agir à sa guise, l’aidant tout juste à rendre le poids de mon corps plus supportable. La suite devait me laisser un souvenir indélébile, comme une photographie à jamais prisonnière de ma mémoire. Jamais je n’avais connu pareil transplanage. Jamais il ne m’était seulement venu à l’idée que l’opération put être si douce et si remarquablement maîtrisée — en la matière, je n’étais pas très douée, ce qui contribua encore davantage au rayonnement de cette prouesse magique. La chose me dépassait autant qu’elle piquait ma curiosité quelque peu émoussée par la fatigue qui se propageait à grande vitesse dans tout mon organisme. Comment s’y était-elle prise ? Je l’ignorais et fixais Kristen avec une admiration non-feinte.

« Merci, dis-je, le plus simplement du monde, quand elle m’ouvrit la porte de mes appartements. »

J’y pénétrais à petits pas, consciente de ma fragilité, et m’asseyais sur le coffret en cèdre posé au pied du lit pour souffler. D’un regard, je balayais la vaste pièce divisée par une volée de marches en arc de cercle. Le sourire me vint aussitôt. Rien n’avait changé depuis mon départ l’été précédent. Kristen avait tout conservé en l’état. L’atmosphère ne dégageait aucune odeur de renfermé. J’étais même prête à parier que les draps du lit sentaient le tissu fraichement lavé. Je ne savais trop pourquoi cette somme de petits détails me comblaient et me faisaient me sentir comme si j’étais chez moi. Le fait est que je me sentais comme à Beauxbâtons — un certain luxe en moins mais une sensation de chaleur beaucoup plus authentique en poche.

« Je… bredouillais-je en perdant mon regard dans le petit feu qui brûlait dans l’âtre, non loin du bureau sur lequel étaient posés les plumes et les parchemins que j’avais laissé derrière moi. Merci… »

Trop de sentiments avaient fendu ma carapace au cours de la soirée. Je me sentais lessivée par toutes les péripéties qui avaient jalonné mon départ de Beauxbâtons. D’une certaine façon, je ne réalisais pas encore complètement que j’étais désormais une pensionnaire à part entière de Poudlard. A quoi allais-je bien pouvoir occuper mes journées ? Devais-je interférer dans l’éducation que recevait ma fille ? Aurais-je seulement la chance de pouvoir converser avec Kristen tous les jours ou devais-je envisager la possibilité de rester enfermer ici le temps que les choses se décantent un peu ? Ce tourbillon de questions sans réponses me glaça le sang alors que je reportais mon attention sur Kristen.

Je lui souriais faiblement, non par volonté mais parce que je ne pouvais guère lui offrir plus à cet instant. Jamais je ne m’étais sentit si mal à l’aise devant elle. Je mesurais la chance que j’avais de l’avoir et la malchance qui était sienne d’avoir un jour voulu me sauver la vie.

« Que ferais-je sans vous ? »

Je posais la question à voix haute tandis que mon regard fuyait de nouveau.

« Je me le demande… »

N’osant plus croiser son regard, je me levais et parcourais les quelques centimètres qui me séparaient du lit. Je retirais mes talons et prenais place sur le bord du lit, incertaine de la façon dont je devais terminer cette soirée. Finalement, après un long moment passé à ruminer en silence, je soufflais ces quelques mots :

« Kristen ? Je serai toujours avec vous. J’espère que vous le savez. »

Je fermais les yeux, à court de forces, et m’allongeais sur le lit. Quelques minutes plus tard — je n’aurais pu définir combien exactement — je sombrais dans un sommeil sans rêves.
19 févr. 2017, 11:18
L'ébène et le cristal
Restée dans l’encadrement de la porte, les bras croisés, Kristen observa Aude prendre possession de ses appartements, attendant un peu, afin d’être disponible si Aude avait besoin de quoi que ce soit. Finalement, la française la remercia de toutes les façons possibles, essayant toutes les tournures les plus aimables, et Kristen ne sut pas vraiment ce qu’il convenait de répondre, alors elle se contenta de sourire timidement mais sincèrement. Puis, la française s’allongea sur son lit et alors qu’elle lâchait un dernier mot d’amitié, elle ferma les yeux et le silence se fit : elle devait déjà s’être endormie ou en tout cas, en avait l’air, bien qu’elle fut toujours habillée et n’ait pas pris le temps de se glisser sous les draps.

Kristen retint un petit rire expiré et attendri. Elle décroisa les bras et attrapa sa baguette. Elle n’osa pas s’approcher de plus de quelques pas, comme s’il y avait une certaine distance à respecter pour ne pas troubler la religiosité d’une Aude endormie. Elle pointa sa baguette sur Aude et se mordit la lèvre en regardant ses petits yeux fermés. Kristen revit clairement la française telle qu’elle lui était apparue un an auparavant : une pierre précieuse magnifique, fragile, dont il faut prendre extrêmement soin et qu’il faut absolument chérir.

Elle fit un petit mouvement de baguette et alors, sans bruit et tout en délicatesse, sans pouvoir déranger Aude, les draps et les couvertures enveloppèrent l’endormie. C’était comme ces fameux tours où l’on retire la nappe d’une table couverte de vaisselle : la nappe s’enlève mais rien, sur la table, n’a bougé – mais ici, il n’y avait pas cette rapidité dans le mouvement. Kristen dirigea ensuite sa baguette vers les lumières de la pièce et celles-ci s’éteignirent, puis elle ferma d’un autre coup de baguette les rideaux qui couvraient un vitrail. Elle tenait à ce qu’Aude puisse dormir aussi bien que possible, aussi longtemps que nécessaire, et donc, que tout soit parfait.

Enfin, elle se retira, ferma la porte et fit trois fois le tour du château, passant par les grands couloirs, devant les passages secrets dont elle avait connaissance, et questionna quelques tableaux, afin de savoir s’ils n’avaient pas vu des élèves hors des couloirs. On lui dit que le professeur Almeida s’était déjà chargée des élèves dans leurs salles communes. Kristen rejoignit alors le hall d’entrée, puis le parc. Elle y vit deux des gardiens qu’Aude avait invoqués, qui semblaient patrouiller. La directrice fit elle-même son petit tour et renforça les protections autour du domaine. Jusqu’ici, elle s’en chargeait une nuit par semaine, mais elle trouva qu'il serait plus prudent, dorénavant, de répéter ce petit rituel toutes les nuits.

Il était trois heures du matin lorsqu’elle put remonter dans ses propres appartements, et cinq heures lorsqu’elle trouva le sommeil.


[right][/right]

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
~ if i wasn’t a narcissist i wouldn’t like me either ~

@Mentionnez-moi pour activer le Tabou