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26 juin 2017, 15:01
 RPG+   Angleterre  Mercredi rising tide
Kristen avait du mal à en croire ses yeux. Elle se sentait spectatrice d’une scène à laquelle elle ne pouvait décemment prendre part. Ce qu’elle voyait était beau – non, c’était parfait, véritablement parfait – et donc parfaitement incroyable. C’était un moment hors du temps, hors du monde. Oui, cet endroit était naturellement fantastique, mais il était sublimé par une Aude tournant sur elle-même, manifestement ravie d’être là. C’était l’ensemble qui rendait cette scène si émouvante. C’était simple. Comme s’il n’y avait rien qui puisse être compliqué en dehors de cette vaste clairière, comme si la vraie vie était là, et que le reste n’était qu’un mauvais rêve.

Elle réfléchissait à la logique de ce raisonnement et croisa les bras, pencha la tête sur le côté et prit le temps de savourer ce qu’elle voyait. Ses yeux étaient plissés par l’attendrissement. Quand Aude revint vers elle, elle prit conscience qu’elle aussi, pour le moment au moins, avait le droit de faire partie de ce monde : elle n’en était pas qu’une spectatrice pleine de regrets.

Comme une enfant qui s’émerveille de tout, Aude s’éclipsa à nouveau et tenta d’approcher un Dirico, avançant très lentement, à pas de loup. Elle aurait aussi bien pu se baisser dans l’herbe et bondir sur sa proie. Malgré toutes ses précautions, le Dirico se téléporta plus loin, ne laissant pas à Aude l’occasion de le voir de plus près. La Française éclata de rire, un rire enfantin et émerveillé, le rire de quelqu’un qui ne voit pas à quel point le monde est pourri. Kristen resta un moment sans bouger, stupéfaite, toute tendue. Quelque chose n’allait pas. Quelque chose allait se passer, quelque chose d’inédit et de très gênant. C’était quelque chose qui remontait de son ventre vers sa bouche à une vitesse alarmante. Est-ce qu’elle allait vomir, là, maintenant, tout de suite ?

Non, elle ne vomit pas. Elle éclata de rire elle aussi. Ce n’était pas un rire moqueur, plein d’ironie, ou ce genre de rires dont elle commençait à s’accommoder. C’était un vrai rire, sincère et par-dessus tout, un rire heureux. Kristen l’entendit sans comprendre qu’il venait bien d’elle, que c’était elle qui produisait ces petits ha-ha-ha. Quand elle le comprit, il était trop tard, elle avait beau mettre sa main devant sa bouche, gênée par ce rire qu’elle trouva un peu déplacé - plus inhabituel que déplacé, en vérité -, elle ne pouvait nier qu'il avait bien existé, et existait toujours derrière cette main timide.

Elle finit par réussir à se contenir, mais un solide sourire ne put se décrocher de ses lèvres.

« C’est un privilège des étudiants – et anciens étudiants – de la Faculté de Soins aux Créatures Magiques, dit-elle d’une voix encore altérée par le rire. »

Kristen n’y avait pas remis les pieds depuis des années. Son esprit avait été envahi par d’autres choses beaucoup plus complexes et désagréables. Un instant, elle regretta de ne pas avoir choisi une voie plus simple. Et si elle avait continué ses études de créatures magiques ? Aurait-elle eu la vie de son père, une vie simple et paisible, loin de tout ce qu’elle vivait maintenant ? Mais à quoi bon se questionner ? Elle ne l’avait pas fait. Elle avait préféré se méfier du monde, et elle avait tout voulu, tout ce qu’il était possible d’obtenir, au-delà de la simplicité. Elle avait exécré la vie trop lisse de son père, et le choix de sa mère de le suivre, abandonnant sa carrière. Elle qui était une Serpentard et qui avait abandonné : Salazar s’en retournerait dans sa tombe. Ce que Kristen avait voulu, c’était l’aventure, la nouveauté, la liberté. Une libre aventure, au-delà des certitudes du commun des mortels et au-delà de toute attache.

Aujourd’hui, elle aurait pu regretter ce choix, mais c’est en regardant Aude une fois de plus qu’elle repoussa cette idée. C’était tout ce chemin qui l’avait menée à elle. Une suite de choix plus ou moins importants, stupides ou catastrophiques qui avaient fait que tout au bout, il y avait Aude Luneau.

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
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27 juin 2017, 19:51
 RPG+   Angleterre  Mercredi rising tide
26. SOUVIENS-TOI

*

Je me souviens de son rire. Je me souviens de la façon dont son visage s’est éclairé au moment où l’éclat de son rire a franchi la prison de ses lèvres. Aujourd’hui encore, le souvenir de cet instant magique éveille en moi les remous du bonheur. Dire que je suis pour quelque chose dans le bonheur de Kristen est un raccourci à peine voilé de la réalité. Avec le recul des années, je me rends compte à quel point elle avait besoin de moi et moi d’elle. C’est d’ailleurs toujours d’actualité ; comme une force inébranlable, une sorte de loi naturelle contre laquelle nous ne pouvons absolument rien. La femme émerveillée que j’étais au coeur de cette plaine féerique n’est pas si différente de celle que je suis aujourd’hui : l’âge a peut-être bien émoussé quelques uns de mes sens, mais les sentiments qui peuplent mon coeur sont plus puissants encore qu’ils l’étaient à ce moment de ma vie. Je savoure d’ailleurs avec un amusement à peine dissimulé la cécité qui m’habitait alors. Aimer une femme comme Kristen Loewy ne m’a pas été difficile. Réaliser que je l’aimais d’amour et non d’amitié, voilà quelque chose qui m’a pris du temps. De souvenir, un an et neuf mois entre le moment où j’ai croisé son regard pour la première fois et celui où j’ai su poser des mots sur ce que je ressentais pour elle. Autant dire une éternité.

*

Le restaurant était bondé. Des couples occupaient essentiellement les petites tables rondes recouvertes de nappes blanches. Il y avait bien une famille ou deux, mais elles se tenaient dans des carrés qui leur étaient destinés, à l’écart de la salle principale. Kristen et moi avions jeté notre dévolu sur une petite table en terrasse, insensibles aux regards que les passants posaient sur nous. Les Moldus devaient nous prendre pour des célébrités de passage dans la capitale, à voir la façon dont nous étions toutes les deux habillées. Cette hypothèse m’amusait, même si je n’avais pas la moindre idée de ce que pouvait signifier le mot « actrice » que j’avais cru lire sur les lèvres de certains badauds.

Kristen n’avait pas choisi n’importe quelle adresse pour ce diner. Elle m’avait conduit dans le meilleur restaurant français de Londres, tenu par un adorable et authentique couple de sorciers français, excusez-moi du peu ! J’étais naturellement ravie de cette attention. Mes yeux étaient braqués sur elle, sur son sourire, quand le menu nous fut apporté par l’un des serveurs — français lui aussi, mais Moldu selon toutes vraisemblances. Je le remerciai avant de poser mon regard sur la liste de noms complexes pour un non-initié aux arts de la table tels qu’ils étaient pratiqués dans mon pays d’origine. Je risquai un coup d’oeil par-dessus cette liste pour voir comment s’en sortait Kristen. A priori sans mal apparent.

« Bouillabaisse sur son lit de rougets, lus-je en poussant mon accent français jusqu’à la caricature. »

Un nouveau coup d’oeil vers Kristen et je me laissai aller à un de ces rires enfantins dont nous avions à présent le secret. Comme la vie était soudain devenu si simple ! Il me semblait que nous pouvions nous amuser de tout et ne plus avoir à nous préoccuper de rien. Le temps de cette soirée, j’oubliai même que ma douce Sybille allait bientôt me quitter. Il n’y avait plus de place pour la moindre peine. Kristen et moi partagions un pur instant de joie, un second souffle au coeur d’une existence peu portée vers les plaisirs simples de la vie.

« Avez-vous fait votre choix, madame ? demandai-je à Kristen en imitant la voix du serveur. Le gratin dauphinois est un pur régal, croyez-moi, nos habitués ne cessent de le solliciter. »

Je ris de nouveau en refermant le menu devant moi. Je déposai ensuite mon menton dans ma main et me contentai de la regarder.

27 juin 2017, 22:37
 RPG+   Angleterre  Mercredi rising tide
L’après-midi était passé vite, et Kristen avait même commencé à ne plus se sentir bizarre à chaque fois qu’elle ressentait un peu plus de bonheur dans le creux de son ventre. Rire n’était plus une anomalie. Ce n’était pas toujours un grand rire comme celui qui avait tout déclenché, mais c’était plus régulier, voire même chronique. Parfois, elle s’arrêtait pour penser à la révélation du début d’après-midi : « …mon fils… j’ai failli le tuer. » Alors, elle regardait Aude, qui regardait un Croup, qui regardait un Dirico, et trouvait cela incroyable. Cent ans auraient pu passer entre le début de l’après-midi, au moment où Kristen avait joué quitte ou double, et le moment où Aude regardait ces créatures avec un air enfantin. Cent ans entre la maison de Rye et le rire. Elle avait une forte tendance à se demander comment un tel revirement de situation avait été possible, mais chaque fois que son esprit s’apprêtait à se torturer, que la petite voix dans sa tête allait hurler : « tu ne mérites pas d’être là avec elle ! », Aude se redressait, partant dans un rire magnifique : le Croup galopait à travers la clairière, il courait si vite que parfois, aucune de ses pattes ne touchait le sol. Et Kristen ne se torturait plus l’esprit : elle se délectait de ce cadeau qui lui était offert, et tant pis si demain, tout s’effondrait. Au moins aujourd’hui aurait existé.

Cent ans entre Rye et la clairière, deux cents entre Rye et le restaurant. Tout s’était déroulé naturellement, comme la bobine d’un film, et pourtant, tout aurait pu partir en vrille dès le départ - dès la maison au bord de la falaise.

Kristen n’avait jamais mis les pieds dans cet endroit, mais s’était renseignée sur le restaurant en amont. Elle voulait quelque chose de français car elle pensait que cela ferait plaisir à Aude, elle qui était condamnée à subir la vue de la gelée et du fromage en plastique d’un pays qui n’était pas le sien. Elle avait choisi le meilleur restaurant qu’elle avait pu trouver, et il s’avérait qu’il était tenu par un couple de sorciers. Néanmoins, ce quartier de Londres restait effroyablement moldu, et en arrivant devant le restaurant, Kristen se sentit moyennement à l’aise. Il lui fallut un regard vers Aude pour se raisonner : tout se passerait bien et aucun Moldu ne lui roterait dessus ce soir, par Merlin !

Quand on apporta le menu, Kristen préféra regarder Aude qui regardait le menu, comme elle l’avait regardée quand elle regardait un Croup qui regardait… bref. Elle aurait pu passer de longues minutes à la contempler, essayant de deviner ce à quoi elle pensait. Une demi-seconde, elle eut une horrible pensée pour Aidan Bowers – le sale gamin – et se moqua intérieurement de lui qui ne pouvait pas prendre de plaisir à jouer à ce jeu-là. Finalement, elle reposa les yeux sur le menu et l’analysa avec le plus grand sérieux. Kristen avait beau apprécier la culture française et lire les intitulés des plats « en version originale », elle avait du mal à se figurer à quoi pouvait bien ressembler, dans une assiette, de la « bouillabaisse ». Ce devait être un genre de bouillie qu'une grosse bonne femme servait à la louche en en mettant partout à côté. Le nom ne donnait en tout cas pas vraiment envie, mais lorsque ce fut Aude qui prononça ce mot avec sa voix si française, elle eut une soudaine envie d’y goûter tout de suite.

Aude interrogea Kristen sur son choix, lui conseillant d’une voix pompeuse le gratin dauphinois. C’était une caricature de la voix du serveur qui la fit sourire, et elle replongea dans le menu pour vérifier ce qu’était le gratin dauphinois. Après avoir compris que, non, ce n’était définitivement pas un gratin de dauphin (on ne savait jamais, avec les Français : ils mangeaient bien des grenouilles), elle abaissa son menu. Son choix était fait, en quelque sorte.

Elle vit alors qu’Aude la regardait comme elle-même aurait dû la regarder. Elle resta figée un instant, car elle avait l’impression que ce regard-là était bizarre. Peut-être était-ce la faim et l’idée de penser qu’un gratin dauphinois n’était finalement pas un plat de dauphin, ou peut-être pas, mais un étrange mouvement lui prit au ventre. Elle sourit finalement et dit :

« Mes connaissances en matière de cuisine française sont relativement limitées. J’aimerais que vous me fassiez découvrir quelque chose que vous aimez. »

Elle posa ses yeux sur la carte, ouverte sur la table.

« Enfin, sauf si ce sont les grenouilles ou les escargots. Je ne suis pas prête pour ça. »

L’arête de son nez marqua un pli tandis qu’elle imaginait un escargot faisant le tour d’une assiette au milieu de laquelle trônerait une rainette verte qui aurait une allure de totem de sacrifice. Elle sourit en pensant à ce drôle de manège. Depuis quand son imaginaire pouvait-il être si… drôle ?

Le vin qu’elles avaient commandé venait d’arriver. Kristen regarda le serveur le verser dans les verres en penchant un peu la tête sur le côté. Elle aimait bien ce bruit – le bruit du vin que l'on sert. Ses yeux remontèrent naturellement vers Aude et s’arrêtèrent dans le fond de ses iris. Ce moment allait-il réellement durer ? Un grand changement allait-il vraiment s’opérer, ou n’était-ce que pour ce soir ? Voilà cette question qui revenait encore et encore.

Le bruit du vin qui coule dans le verre avait cessé depuis quelques secondes quand Kristen se sentit obligée de combler ce silence par des mots qui sortaient de nulle part, en réponse à une vieille question du début d’après-midi :

« J’aimerais que vous restiez. »

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30 juin 2017, 23:58
 RPG+   Angleterre  Mercredi rising tide
27. LE PREMIER PAS

*

Toute mon attention était fixée sur Kristen. Ses dernières paroles venaient de piquer ma curiosité avec la précision d’une aiguille maniée par un maître de l’acuponcture. Je cherchai à saisir leur pleine signification en scrutant son regard ; en quête d’une étincelle ou du moindre scintillement qui pourrait me mettre sur la voie. Face à moi, les yeux de Kristen possédaient cette profondeur et cette intensité qui les différenciaient de tant d’autres. Je me sentis soudain transpercée par le sérieux dont ils étaient habités. C’était pour moi le signe incontesté que ses paroles signifiaient beaucoup plus que ce qu’elles prêtaient à entendre. Naturellement, j’explorai mes souvenirs, les survolai, les épluchai sommairement, cherchant la trace d’un instant auquel ces paroles auraient pu faire écho. Il me fallut une poignée de secondes pour mettre la main sur ce que je cherchais. Immédiatement, mon sourire s’élargit et même si je ne pouvais rien en voir, je sus que mes yeux pétillaient de joie.

« Alors c’est entendu, lui répondis-je en me redressant sur ma chaise dans une attitude un peu plus noble. »

Savoir que Kristen me voulait auprès d’elle déchainait en moi des remous d’une puissance surréaliste. Le temps d’un instant, je crus trouver un effet apaisant dans une gorgée de vin. Sans succès. Mon coeur tambourinait contre ma poitrine comme si je m’apprêtais à faire un malaise. A ceci près que je n’étais pas sur le point de faire un malaise. J’en étais certaine, Kristen était la seule coupable de tout ceci. J’étais comme ensorcelée, les picotements de magie en moins, mais les nuées de papillons dans le ventre en plus. Qu’est-ce qui m’arrivait ? Pourquoi j’avais si chaud tout d’un coup ? Je détournai mon regard, pensant que cela suffirait, mais rien à faire… mon coeur continuait à tambouriner. Encore et encore.

Mes yeux se perdirent à admirer le vide. La présence de Kristen m’enveloppait avec autant de force que si elle me tenait dans ses bras. Du plus profond de mon âme, dans ce lieu d’interrogations et d’épais mystères, jaillit une lueur ; comme une intuition implantée en moi par une main étrangère. Un frisson me glaça l’échine. Le film de ces derniers mois se mit à défiler à une vitesse ahurissante dans mon esprit. Je revis par de petits flashs successifs tous les instants que j’avais connu auprès de Kristen jusqu’au dernier, celui qui nous concernait aujourd’hui. Je déglutis doucement, prise d’un doute. Je risquai un regard en coin vers Kristen mais le rapatriai dès que j’effleurai son regard fixé sur moi. Je me sentais démunie, fragile, et jetée dans la gueule grande ouverte de mes émotions. J’avais beau tenter de chasser ce qui essayait de s’imposer à moi, je ne réussissais pas à discipliner mon esprit. Mon coeur, lui, ne m’appartenait plus.

Comment nous en étions arrivé là ? Je n’en savais rien. Je n’arrivais pas à me l’expliquer. Je me sentis soudain effrayée à l’idée que mes sentiments puissent être perçus de Kristen. J’en venais même à m’interroger sur sa capacité à lire mes pensées, mais je revenais très vite à moi-même en me souvenant que Kristen n’avait jamais manifesté le moindre don pour la legilimancie. Elle n’en avait tout simplement pas besoin. Elle voyait clair en tout le monde. Je ne représentais pas une exception.

Je relevai mes yeux vers elle, un brin craintive à l’idée qu’elle puisse tout découvrir et me planter sur place. Ce n’était décidément pas un sentiment convenable. Mais à soutenir son regard comme je le faisais, de nouvelles vagues submergèrent mon coeur, l’enfouissant dans des profondeurs qui me donnèrent le vertige.

« Je… m’entendis-je prononcer avant de me raviser en me pinçant les lèvres. »

Non, ce n’était vraiment pas convenable du tout. Je secouai la tête de gauche à droite comme pour chasser ce qui persistait à s’accrocher à ma cervelle. J’évacuai mon stress en chassant tout l’air que contenaient mes poumons.

« Veuillez m’excuser, une bouffée de chaleur, avançai-je en souriant avant de fourrer mon nez dans le menu. Bien. Voyons voir… hm… que diriez-vous d’un filet mignon en croûte ? »

Mon regard n’osai pas quitter les lignes du menu. Des lignes dont la signification m’échappait maintenant que les lettres dansaient devant mes yeux. Et ce coeur qui continuait de tambouriner avec une violence inouïe comme pour me dire hey, je suis là, écoute-moi un peu !

01 juil. 2017, 21:16
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Même si Kristen ne comprenait pas précisément ce qui se jouait dans l’esprit d’Aude Luneau, elle pouvait lire sur son visage qu’une certaine forme de lutte s’y déroulait. Kristen n’attendit rien après ce « je… », ne soupçonnant pas du tout qu’il pouvait être le résultat de cette lutte intérieure. Elle s’inquiéta beaucoup plus de la bouffée de chaleur d’Aude et vint même à en conclure que c’était sa faute. Après tout, Aude n’avait pas été préparée à une telle expédition, et avait été amenée à droite et à gauche une bonne partie de la journée. Kristen fronça les sourcils, soucieuse, mais Aude enchaîna sur le filet mignon. Kristen pensa alors que le nom aurait été parfait s’il n’avait été suivi de « en croûte », qui retirait un peu de charme à ce met, mais elle hocha malgré tout la tête en jetant un œil sur son menu.

« Très bien. »

Elle referma la carte et leva ses yeux inquiets vers Aude, pencha un peu la tête sur le côté.

« Ça ira ? »

Aude répondit que oui, ça irait, mais Kristen la scruta encore quelques longues secondes. Son regard interrogateur disparut avec l’arrivée du serveur, qui venait prendre leurs commandes. Kristen choisit donc le filet mignon en croûte, nom qu’elle s’appliqua à prononcer en français, presque sans accent (elle eut juste un peu de mal sur le cr- de croûte et insista un peu trop sur le R, dans son désir de bien faire). Aude prit la même chose. Le serveur reparti, Kristen reporta son attention sur Aude.

« J’espère que ce n’est pas ma faute. »

Elle enchaîna en pliant le coin de sa serviette :

« Nous avons beaucoup bougé aujourd’hui. »

Impossible de dire si c'était dû à l'éclairage ou si c'était une conséquence de sa bouffée de chaleur, mais Aude semblait avoir les joues un peu roses. Elle agita la tête de gauche à droite, ce qui eut l'effet étrange de faire disparaître cette jolie couleur de ses joues. Finalement, elle assura à Kristen qu'elle n'y était pour rien, et qu'au contraire, elle avait rendu cette journée inoubliable. Kristen ne put retenir un petit sourire de fierté.

Son regard fut attiré par une forme rouge dans la rue. Un homme très grand et très mince marchait vite, zigzagant entre les groupes d’amis qui prenaient toute la largeur du trottoir. Il avait une coupe iroquoise rouge vif. Kristen pensa alors que c’était un comble de penser que les sorciers avaient un style étrange quand les Moldus osaient se coiffer ainsi. Enfin, à Poudlard, il y avait bien une enseignante aux cheveux bleus, mais heureusement, son extravagance était restée dans la limite du raisonnable et sa coupe était tout à fait convenable.

Le reste du dîner se passa bien. Aude n’eut pas d’autres bouffées de chaleur et le filet mignon en croûte était bon. Très souvent, Kristen regardait Aude et savourait sa chance plus que son plat. Elle faisait taire cette voix dans sa tête qui lui disait qu’elle en voulait plus, consciente que cette soirée était déjà une chance.



Kristen regretta presque de rentrer à Poudlard. Ce château signifiait paradoxalement la fin de l’extraordinaire. C’était le retour à la normalité, si l’on considérait que voir des armures danser la polka dans les couloirs et les tableaux se chercher des poux étaient des phénomènes normaux. Tous les problèmes extérieurs semblaient s’être évaporés le temps de cet après-midi, mais leur retour ne signifiait pas le retour de la terrible action. C’était simplement le retour des ennuis sans intérêt. Tout ce qui ne concernait pas Aude était de toute façon inutile et inintéressant.

« Aude ? »

La sorcière l’interrogea du regard. Kristen, si elle l’avait pu, se serait elle-même interrogée du regard. Elle ne savait pas ce qu’elle allait dire, comme si son être était séparé en deux parties : celle qui pensait, et celle qui devait agir absolument, trop enthousiasmée par le succès de la journée. La raison et la déraison – avec Aude dans les parages, la déraison l’emportait souvent.

« N’allez pas penser que mes actes sont intéressés. »

Les mains rapidement fourrées dans les poches de sa cape et l’air ailleurs, elle parlait au vide. Pourtant, son rythme cardiaque s’accélérait dangereusement : boum-boum-boum-boum, et elle avait commencé à serrer un peu plus les mâchoires.

« Mais voyez-vous, ne pas vous avouer que j’éprouve à votre égard des sentiments particuliers serait manquer d’honnêteté. »

Elle avait parlé très vite, à peu près au rythme des battements fous de son cœur, noyant l’information essentielle dans tout le reste avec un manque de naturel franchement déconcertant. Elle aurait aussi bien pu réciter l'énoncé d'un problème de mathématique - l'un de ceux où l'on doit trier les informations importantes et celles qui sont ajoutées exprès pour le piège. Un instant, elle espéra que son aveu passerait inaperçu ou ne serait pas interprété correctement : elle avait pour cela mis toutes les chances de son côté. Ainsi donc, elle l’aurait dit une bonne fois pour toutes, mais tout se passerait bien quand même. Affaire réglée.

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03 juil. 2017, 18:48
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28. LA VALSE DES SENTIMENTS

*

Le retour à Poudlard fut pour moi déconcertant. La nuit n’enveloppait pas encore le domaine de ses bras noirs ; l’horizon teinté de jaune et de rose lui disputait le ciel pour quelques minutes encore. Ce n’était pas le fait de retourner à notre point de départ qui me déstabilisait mais l’idée que cette journée exceptionnelle touchait à présent à sa fin. Comme une enfant, je ne me sentais pas capable de la laisser derrière moi. Je voulais la revivre encore et encore pour ne pas qu’elle s’inscrive dans le passé. L’adulte en moi avait le coeur serré de devoir apporter un point final à ce qui avait été, de bout en bout, un rêve intemporel.

Devant moi et Kristen, la silhouette massive du château se dressait de toute sa hauteur. De nombreuses fenêtres sur ses façades laissaient filtrer une douce lumière jaunâtre, ce qui leur conférait l’allure de petits écrins d’or. Je ne m’attardai cependant pas sur ce spectacle, distraite par l’appel de Kristen. Je pivotai vers elle et l’interrogeai du regard, sans grand succès. Kristen avait aussitôt abaissé son menton en même temps que ses yeux se perdaient dans la contemplation du vide. Un frisson parcourut mon échine. Je connaissais trop bien Kristen pour savoir qu’elle s’apprêtait à me dire quelque chose qui lui coûtait visiblement beaucoup. Je déglutis, redoutant qu’une nouvelle révélation ne vienne entacher l’image que j’avais acquise de cette journée, puis je tendis l’oreille au doux son de sa voix.

Le vent ne soufflait pas assez fort pour induire mon ouïe en erreur, je crus pourtant que c’était le cas quand le dernier mot de Kristen tomba dans mes oreilles. Je restai hébétée. Immobile et déconcertée. Mon coeur se mit à battre de nouveau très fort dans ma poitrine et l’énergie qui m’habitait un instant plus tôt s’évapora en un claquement de doigts, me laissant sur des jambes fragilisées. Je pris une première bouffée d’air frais puis une seconde, profitant du fait que Kristen ne regardait pas dans ma direction. Ces quelques grammes d’air suffirent à redonner un second souffle à mon cerveau qui se fit un plaisir de me rappeler ce que je venais d’entendre.

Qu’est-ce que Kristen entendait par sentiments particuliers ? Je n’étais pas capable de traduire un sous-entendu aussi simple malgré l’interprétation que mon coeur appelait de ses voeux. J’avais la gorge sèche ; et la terrible attente que Kristen fit peser entre nous la dessécha encore plus. Je devais réagir. Je devais dire quelque chose. Mais c’est comme si une partie de moi s’était figée dans le temps. Je cherchai quelque chose d’intelligent à dire, mais rien ne me venait. J’étais comme aspirée par les tambourinements de mon coeur, comme un guerrier l’était par les tambours de guerre qui l’appelaient à se battre de toutes ses forces.

« Kristen, m’entendis-je prononcer de très loin, comme si une étrangère parlait à ma place. »

Je me rendis compte que ma physionomie avait changé. Un pli soucieux déformait mon front. Je me sentis toutefois incapable de modifier l’expression de mon visage. Le jeu des apparences était terminé. Il me fallait savoir ce que Kristen cachait au fond d’elle-même.

« Kristen… de quels sentiments parlez-vous ? »

03 juil. 2017, 21:58
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Elle avait eu beau espérer qu’Aude ne comprenne pas ce qu’elle avait voulu dire, elle n’éprouva aucune satisfaction à la réalisation de son vœu. Au contraire. Sa raison avait espéré l’incompréhension, mais son cœur avait voulu se faire comprendre, enfin. Une sorte de déception, légèrement imprégnée de colère, envahit son être comme un contrecoup. Ses épaules se détendirent et elle en voulut à Aude de ne pas être plus réactive à ce moment où il était primordial qu’elle le soit. Kristen avait l’impression d’avoir atteint la ligne d’arrivée d’un marathon quand plus personne ne l’attendait pour prendre son score. Un effort vain, dont on ignore qu’il l’est jusqu’à la toute fin – et même un peu après, le temps de comprendre.

Les yeux de Kristen échappèrent au vide pour se poser sur le visage d’Aude. Elle vit sa soirée gâchée dans le pli de son front. Ce simple trait sur le visage pâle d’Aude Luneau frappa Kristen avec une force moqueuse. C’était le pli de la raison qui lui faisait comprendre qu’elle avait été stupide, qu’elle aurait dû se contenter de ce qu’elle avait déjà – et puis qu’avait-elle espéré, au juste ? – et puis regarde le souci que tes paroles idiotes lui causent !

Elle desserra la mâchoire, ouvrit la bouche pour dire quelque chose, et la referma. Comment Aude Luneau, elle qui était si formidable, pouvait-elle oser lui poser cette question ? Kristen était-elle obligée de répondre ? Devait-elle vraiment répondre à la moindre de ces exigences, simplement parce qu’il n’était pas encore minuit et qu'on était encore le onze juin, jour de son anniversaire ?

Les mots ne voulaient pas sortir de sa bouche. Pire que cela, ils ne voulaient même pas sortir de son ventre et arriver jusqu’à l’intérieur de sa bouche. Ils étaient beaucoup trop loin au fond de son être. Malgré cela, Kristen trouvait scandaleux qu’Aude ne les découvre pas elle-même. Elle essaya de les faire passer par ses yeux, puisqu’ils n’étaient pas décidés à se sonoriser, mais l’intensité de son regard ne sembla pas suffire à faire comprendre à Aude ce qu’elle voulait dire. Tout son être criait « comprenez-moi ! », mais on ne la comprenait pas. Kristen laissa échapper un petit rire nerveux et frustré. Pour cette fois seulement, elle aurait aimé qu’on se trouve dans sa tête, pour qu’elle n’ait pas besoin de parler.

Elle chercha une ruse pour piéger les mots qui dormaient dans son ventre et les faire sortir de façon détournée. Elle devait encore une fois faire un détour. C’était peut-être ridicule, mais elle était incapable d’en faire autrement.

« Je veux dire… »

Elle soupira. Effort, marathon. Elle n’avait pourtant encore rien dit. Ses yeux se levèrent un peu et au lieu de se concentrer sur les iris d’Aude, le pli du front s’imposa dans son champ de vision comme le flash d’un mauvais démon. Non content de lui rappeler son ridicule, il prit sa plus belle voix d’esprit frappeur pour lui rappeler à quel point elle était une femme et à quel point Aude Luneau était aussi une femme. Il en profita pour ajouter que ces sentiments horribles étaient une trahison, qu’Aude pensait qu’elles étaient amies, et il conclut sur le fait qu’Aude avait une fille et que Kristen, elle, avait Owen. C’était cette voix désincarnée qui l’avait hantée de nombreux mois et qui se retrouvait maintenant dans le pli du front de l’éblouissante Aude Luneau, qui ne se doutait peut-être pas de la scène héroï-comique qui se jouait sur le théâtre de son front.

« Ce n’est pas important. »

Bien sûr que si, ça l’était.

« Je ne veux pas vous importuner. »

Ce n’est pas que tu ne veux pas l’importuner, c’est plutôt que tu préfères faire l’autruche et éviter de te faire jeter, surtout après la journée que tu viens de passer. C’est vrai que ce serait stupide de tout gâcher maintenant.

Kristen était résignée car c’était dans l’ordre des choses. Mais Aude insista, fit un pas vers elle et la pria de ne pas « s’enfermer ». Cette image prit un sens particulier lorsqu’elle sentit les mots gargouiller dans son ventre. Ils étaient bel et bien enfermés en elle. Son corps était comme une enveloppe trop épaisse qui refusait de laisser filtrer quoi que ce soit de son être vers l’extérieur, encore moins vers les Autres.

« J’ai trouvé un morceau du miroir du Riséd, lorsque j’étais plus jeune. »

On est reparti pour le grand détour anecdote. Détourner le regard s’impose, mais l'insistance d'Aude Luneau a fait un petit miracle.

« J’avais déjà pris conscience que vous étiez pour moi quelqu’un de spécial, mais c’est en regardant dans le miroir qui montre les désirs du cœur que j’ai compris. »

Elle frotta son pouce et son index comme si elle émiettait quelque chose entre ses doigts, mais ce n’était qu’un geste qui ne voulait rien dire.

« Dans ce miroir, je vous voyais à mes côtés. »

… Et vous me regardiez comme si vous étiez bien à mes côtés, dans le sens… vraiment bien.

Mais la belle Aude Luneau va partir. Elle va partir parce que Kristen est une femme qui était censée être son amie et parce que ce n’est pas du tout convenable. Mais si elle partait, Kristen voulait la voir s'en aller. Alors, elle releva sa mine soucieuse vers cette femme qu'il n'était pas convenable d'aimer.

« Vous comprenez ? »

Dernière chance.

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06 juil. 2017, 19:42
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29. LARMES SUCRÉES

*

Chacun de mes battements de coeur avait la durée d’une marée ; mon estomac était à ce point noué, que je n’étais pas très loin d’éprouver quelque chose qui s’apparentait étrangement au mal de mer. Mes pieds étaient pourtant bien encrés sur la terre ferme… Je ne comprenais pas. Je ne savais même plus pourquoi j’étais suspendue aux lèvres de Kristen. Ma mémoire semblait s’effacer au fil des secondes, comme celle d’un poisson rouge qui ne réussissait à réaliser qu’il entamait un énième tour du même bocal. La voix de Kristen fut celle qui relia de nouveau ma conscience à mon propre corps. Je l’observai, toujours aussi hébétée, mais désormais incapable d’exprimer la moindre émotion, fut-ce de l’appréhension. Je n’en avais tout simplement plus la force. Je me sentis épuisée tout d’un coup alors que tombaient sur moi les premières bribes d’explications.

J’ouvris plusieurs fois la bouche, mais aucun son n’en sortit. Kristen… en possession d’un fragment du miroir de Riséd ? L’information avait du mal à être acheminée jusqu’à mon cerveau. Moi qui pensais le miroir complètement détruit — tout du moins c’est ce que prétendait la légende colportée par l’histoire de Potter — je ne savais déjà pas comment réagir au fait qu’une partie de lui était encore utilisable ; alors savoir réagir au fait que Kristen m’avait aperçu dans son reflet… impensable. Tout d’un coup, j’avais la sensation que mes entrailles venaient de se cristalliser au passage d’un blizzard. La suite devait figer mon coeur dans un cocon de glace, en même temps qu’elle faisait s’écarquiller mes yeux. Si le miroir de Riséd, même réduit en miettes, avait encore son pouvoir d’antan alors le voeu le plus cher de Kristen était de m’avoir à ses côtés ? Tout ceci aurait pu me paraître totalement fantaisiste vingt-quatre heures plus tôt, mais cette journée m’avait révélé la véritable Kristen Loewy, celle qui avait perdu — beaucoup perdu — mais qui avait su sortir la tête hors de l’eau ; celle qui avait changé le monde à défaut de pouvoir changer le sien ; celle qui avait provoqué le mal puis extrait tant de bien. Cette Kristen Loewy là, la seule et l’unique qui s’était ouverte à moi, me voulait auprès d’elle… et cette volonté était bien trop forte pour être une simple volonté d’une amie. Sa volonté, pour figurer dans les reflets du miroir de Riséd, ne pouvait être que…

« De l’amour… murmurai-je. »

Prononcer cette formule eut la force de faire voler en éclats tout ce qui cadenassait mon esprit. Je clignai frénétiquement des yeux puis je relevai la tête pour chercher Kristen du regard. Une fraction de seconde et je la trouvai là, à côté de moi, toujours là, ses yeux tournés vers moi. J’y vis de la détresse, mais décidai de croire qu’il s’agissait d’un mirage de mon esprit. La Kristen Loewy qui se tenait devant moi était dépouillée de tout artifice. Je lui trouvai même un côté vulnérable qui me bouleversa peut-être davantage que la teneur de son aveu. C’est de cette façon que je pris conscience du terrible pouvoir que j’exerçais sur elle. L’effroi me saisit en réalisant que j’avais la force de la détruire… un mot, un seul geste de travers, et je pouvais la replonger dans des tourments plus noirs et peut-être bien plus profonds que ceux de son passé. Me l’avait-elle exposé à cet effet ? Non, j’avais la sensation que Kristen n’avait absolument rien prémédité. Son amour était juste devenu intenable.

« Oh Kristen… dis-je en me demandant soudain depuis combien de temps ses sentiments avaient pris une telle tournure. »

J’exhalai un soupire discret en baissant ma tête. L’air me manquait. Mes poumons étaient écrasés par la vive émotion qui me soulevait le coeur. Sans m’en rendre compte, je me mis à pleurer dans le plus parfait silence. La première larme qui mourut sur mes mains croisées fut celle qui me fit relever la tête. J’esquissai un sourire tendu par l’émotion et laissai mon coeur répondre, sans filtre et donc sans peur.

« Vous êtes une parfaite idiote… »

Je laissai un rire nerveux poindre le bout de son nez avant que mon sourire ne se raffermisse, soutenu par l’impression qu’après des décennies de perdition, mon chemin retrouvait enfin celui du bonheur.

« Dîtes-moi simplement que vous m’aimez pour que je vous aime en retour, conclus-je tandis que mes larmes continuaient de couler… »

… les premières larmes de ma vie lavées de toute amertume. Les plus pures, celles qui vous feraient presque croire qu'elles sont sucrées.

06 juil. 2017, 23:08
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Aude laissa échapper de ses pensées un mot étrange, et Kristen eut un frisson. « Amour ». Elle n’avait même pas réfléchi au mot une fois qu’il serait prononcé. Jusque-là, il n’existait que dans sa tête sous une forme différente, déformée, dissimulée. Prononcé, il devenait à la fois beaucoup plus mystique et beaucoup plus réel. C’était trop contradictoire. C’était le sentiment-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Il sonnait comme une langue étrangère, quelque chose d’inconnu, de bizarre. Amour, amour, amour… plus ce mot sonnait dans sa tête, plus il ne lui semblait être qu’une suite de lettres abstraite mais au sens beaucoup trop profond. Cette incantation avait pétrifié Kristen. Elle avait avoué ses sentiments, mais en entendant ce mot, elle avait comme l’impression que c’était l’inverse : qu’Aude lui avait révélé quelque chose qui devait vraiment la mettre en état de choc. Ses yeux étaient grands ouverts et elle fixait Aude comme si une main troisième main lui avait poussé au milieu du visage.

Sa pétrification dura. « Vous êtes une parfaite idiote… ». Son cœur, déjà affolé, rata un battement et repartit de plus belle. Merlin, oui, elle était une parfaite idiote : qu’est-ce qui lui avait pris de confesser ses sentiments ? Kristen serra les dents mais ne put détacher son regard d’Aude. Elle devait être désolée. Elle était si gentille qu’elle était sûrement navrée de jeter Kristen comme elle allait le faire. Elle rit même. Ce devait être un rire nerveux, gêné, mais Kristen ne croyait pas que ce soit un rire moqueur.

Elle ne comprit pas tout de suite ce qu’Aude voulut dire ensuite. Son esprit s’était déjà refermé, acceptant l’idée qu’avouer ses sentiments avait été une terrible erreur. Elle avait cru qu’Aude pleurait parce qu’elle était désolée de blesser son amie, mais c’était apparemment autre chose. Elle fixa Aude et remit dans l’ordre les mots qu’elle avait prononcés. Elle fit une rapide analyse sémantique de chaque terme et les recolla ensemble pour essayer d’en percer le sens global.

Ce qu’elle crut comprendre lui semblait hautement improbable. Elle avait balayé l’éventualité que son aveu puisse mener quelque part.

« Quoi ? »

Aude rit, plus franchement cette fois. Ce rire contrastait avec ses larmes et c’était magnifique. Elle répéta plus lentement ce qu’elle venait de dire et Kristen effectua une nouvelle analyse sémantique, qui la mena au même résultat improbable. Elle cligna deux fois des yeux. Elle avait l’air complètement bête.

Même si Aude le lui demandait, elle n’était pas convaincue qu’il existe des mots magiques qui puissent faire en sorte qu’Aude l’aime en retour. Et même si cela avait miraculeusement fonctionné, Kristen ne se sentait toujours pas capable, pour une raison mystérieuse, de faire sortir les mots du fond de son ventre qui se tordait d’émotion. Elle ne le pouvait pas, mais cela ne l'empêchait aucunement de le ressentir.

Elle s’approcha d’Aude Luneau et, indifférente aux lumières du château qui éclairaient l’extérieur, elle posa une main dans son cou tandis que l’autre tombait naturellement sur sa clavicule. Son cœur battait si vite et si fort qu’il aurait pu sortir de son corps, comme dans les cartoons. Elle vit les lèvres roses d’Aude qui étaient vraiment proches et qui formaient un sourire, et elle voulut les toucher avec ses lèvres à elle – l’embrasser ! tout doucement, juste un petit contact, bzzzt. Son visage était si proche que Kristen pouvait sentir l’humidité des larmes qui coulaient sur les joues d’Aude.

Mais elle eut soudainement peur de la brusquer et ne fit rien de plus.

« Merci pour tout. »

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10 juil. 2017, 16:30
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30
LE BAISER


L’amour est, à plus d’un titre, la forme de magie la plus ancienne et la plus mystérieuse jamais utilisée par les sorciers. Aujourd’hui encore, il est extrêmement difficile de comprendre comment ce charme peut développer des propriétés protectrices ou régénératrices de l’individu. La seule chose qui soit communément acquise à son sujet, c’est qu’il faut une très grande force mentale et un amour sans limite pour sceller cette magie au coeur d’une autre personne. L’intensité du charme semble lié à la puissance des sentiments sacrifiés. Plus grands sont ces derniers, plus puissant est le charme. Encore que personne ne sache réellement comment le procédé se manifeste.

*

J’étais une idiote. Ou tout du moins je devais en avoir l’air quand Kristen s’approcha pour poser ses mains sur moi. Mon visage s’était figé dans l’attente du prochain mouvement de Kristen. Un mouvement qui ne venait pas. J’étais comme ces funambules suspendus à leur fil, à ceci près que j’avais réellement l’impression de me tenir au-dessus d’un vide vertigineux alors que mes pieds étaient pourtant bien encrés dans le sol. Qu’attendais-je ? Autre chose que des remerciements en tout cas car les siens glissèrent sur moi comme un vent fuyant. Je n’étais pas insensible au message que Kristen venait de me communiquer, je l’estimais seulement incomplet sans ce petit truc en plus, cette chose qui scellerait évidemment tout ce que nous venions de nous dire.

L’attente me parut interminable. Il me fallut un long moment pour comprendre que ce que j’attendais ne viendrait pas, tout du moins sans mon intervention première. Kristen était forgée dans un moule dont j’avais encore tout à apprendre et ce moule ne laissait que peu de place à l’expressivité d’émotions pures. C’était comme attendre de découvrir l’identité de quelqu’un à travers les fentes du masque qu’il portait : une attente inutile quand il suffisait de lui retirer son masque. Sur un coup de tête — que je devais à l’impatience grandissante qui s’était emparée de moi — je décidai de lui enlever ce masque pour l’atteindre elle et rien qu’elle. Nous étions si proches l’une de l’autre que la chose s’avéra d’une facilité presque déconcertante. Je rapprochai mon visage du sien et l’embrassai.

Ce baiser ne dura qu’une seconde, peut-être deux — encore que mon esprit pariait sur une nouvelle éternité. Il eut l’effet d’une tornade en moi, comme si la magie qui sommeillait en moi avait un temps fusionné avec celle qui habitait Kristen. Cette impression me frappa durant une fraction de seconde mais c’est la douceur des lèvres de Kristen qui captiva, ensuite, toute mon attention. Cette douceur était si troublante que j’éprouvai, en reculant mon visage, une amertume nouvelle à m’en séparer. Si je n’avais pas été plus raisonnable, j’aurais sans doute tenté de m’y replonger mais il me sembla que ce n’était pas quelque chose à faire.

« Je… »

Je… quoi ? Mes yeux se noyèrent dans le bleu des yeux de Kristen, troublés et en même temps décidés à saisir si Kristen acceptait ce qui venait de se passer ou le rejetait purement et simplement.