Le professeur observa rapidement le visage de la femme en face d'elle. Elle se demanda un instant ce qui avait bien pu causer cela, mais sa pudeur naturelle lui fit finalement détourner le regard.
Agacée par tant de sous-entendus et de mystères, autant de la part d'Eléonore que de Kristen, Isabel sentait doucement sa nuque la chatouiller. Ignorant ce sentiment, elle fixa le profil de Kristen, se retenant de faire une remarque à sa supérieure. Ce n'était ni l'endroit ni le moment, et elle préférait donc faire ce pour quoi elle était venue : obtenir des informations.
"Qu'attend monsieur Bowers de nous ? Ou bien vous-même ? Nous laisser entrer ici n'était probablement pas guidé par le simple désir d'assouvir notre propre curiosité, si ? Puisque le hasard ne semble pas avoir sa place ici, autant aller droit au but." Isabel termina sa phrase en jetant un nouveau regard vers Kristen. Cela valait pour toutes les deux.

Kristen plisse les yeux et bloque quelques instants sur Eléonore Coldman. Elle évite soigneusement le regard d’Isabel lorsqu’elle se tourne vers le nouvel arrivant. Puis, elle se lève et salue Bastian Tempel avec une petite courbette accompagnée d’un poli : « Monsieur Tempel. » murmuré, suivi de : « Jolies chaussures. », encore une fois assez bas, avec un infime sourire et un sourcil légèrement relevé. Elle a presque les mêmes, dans leur modèle féminin.
Elle se retourne vers Eléonore.
« Que vouliez-vous dire ? Ceux qui prétendent les protéger ? »

Isabel crispe ses mains sur son siège en entendant la voix du nouveau venu. Arrogant, était le premier mot qui lui venait en tête en voyant cet homme habillé en père noël clinquant. Ce QG accueillait décidément des gens très particuliers. Isabel le salue à son tour sans néanmoins se lever de son siège, avant de reporter son attention vers miss Coldman.
"Pourquoi user d'autant de pincettes plutôt que de donner des noms ? Si cette conversation doit s'étendre en messes-basses et sous-entendus, et que nous sommes donc reçues comme il se doit, ajoute Isabel en se tournant vers Tempel, je ne serais pas contre un café pour patienter."

Kristen tourne un visage étonné vers Isabel au moment où celle-ci prend la parole. Elle ne l’a pas habituée à être aussi rentre-dedans. Quand Bastian Tempel s’adresse à Kristen, celle-ci hoche doucement la tête, approuvant ses propos d’un sourire. Enfin, quand Eléonore reprend la parole, Kristen reporte son attention sur elle, avec l’air presque coupable de celui qui papote au fond de la classe pendant que le professeur dispense son cours. Alors, elle observe successivement sa collègue et Eléonore Coldman, plusieurs fois de suite, jaugeant à vue d’œil leur tension.
« Si votre cause est réellement juste, vos intérêts servent l'intérêt de tous, et donc, le nôtre. Dans ce cas, nous n'aurions pas de raisons de nous trouver hostiles. »
Elle marque une pause en haussant un sourcil. Elle adresse à Isabel un regard qui veut dire « n'est-ce pas ? » et ajoute :
« Le pessimisme qui m’habite ne saurait être contre le vague espoir d’une révolution, mais je sais que l’enfer est pavé de bonnes intentions. »
Elle soupire discrètement, à sa propre attention, et poursuit :
« Une fois que vous penserez en avoir fini avec la pourriture, que restera-t-il ? Où ira-t-on ? »

Trempant ses lèvres dans le café, Isabel écoute avec attention miss Coldman, ignorant le regard de Kristen. Elle ne le croise que lorsque celle-ci reprend la parole, et hoche doucement la tête. "En effet", dit-elle simplement tout en sentant ses muscles se relâcher quelque peu.
De nouveau silencieuse, Isabel laisse Kristen continuer, et attend avec attention la réponse à ses dernières interrogations tout en humant les vapeurs s'échappant de sa tasse.

Kristen tourne la tête vers Bastian et le sonde du regard, fronçant un peu les sourcils. Reportant son attention sur Eléonore, elle dit avec un petit sourire :
« Attention ! Ce sont là les promesses alléchantes d'une femme d’État en puissance. »
Elle croise les bras et ajoute :
« Comment ne pas adhérer à un tel programme ? Je me demande quel serait le fonctionnement exact du système que vous proposez. Si vous avez trouvé le système de gouvernement infaillible, je crois que l'Histoire devrait se mettre à genoux devant vous... »
Elle aurait presque pu s’autoriser un petit rire. Son pessimisme se montrait souvent sous le masque de l'ironie. Cependant, après un soupir discret, elle hausse le menton et pose une question qu’elle estime être particulièrement importante :
« Qu’avez-vous l’intention de faire du Ministre actuel ? »

Isabel fronce les sourcils devant cet horizon fort utopiste bien qu'attirant. Le ton monocorde de Bastian et le discours bien préparé d'Eléonore mettent mal à l'aise la jeune femme qui se redresse dans son siège tandis que Kristen prend la parole. A celle-ci, Isabel ajoute : "Et par quel moyen comptez-vous en arriver là ? Je veux dire... Ne plus produire d'orphelins ravagés, est-ce une mesure immédiate, ou ne prendra-t-elle effet qu'une fois votre système mis en place ? Il ne faudrait pas inverser les rôles, vous comprenez..."