En allant chercher Elena au couvent Kostenevo, Kristen entendait simplement faire ce qui lui avait été demandé dans la lettre testamentaire d’Arseni. C’était un dernier geste, une dernière mission. Elle ne s’était pas attendue à ce que cela la bouleverse ainsi. Quand elle avait vu Elena, elle avait bien sûr vu Arseni à travers elle. Quand l’oiseau en origami avait pris l’apparence de Feuxnoyr, il y avait eu un nouveau surgissement d’Arseni. Quand elle était allée faire faire la baguette de la petite avec la plume du phénix, elle y avait encore pensé. Elle l’avait encore en sorte d'arrière-goût quand elle se rendait chez Irina Stoyanov.

Mais ce n’était pas tellement le rappel constant de l’ombre d’Arseni qui la troublait. En fait, Kristen s’était instantanément attachée à cette petite fille, dès qu’elle l’avait vue dans l’environnement terrible dans lequel elle l’avait trouvée. Elena était une petite chose toute fragile qui avait été si jeune abîmée, et c’était ce qui avait attendri Kristen : elle avait tout de suite voulu prendre soin d’elle. Au bout de quelques heures, elle avait ressenti le besoin essentiel de la réparer un peu avant de la laisser repartir. Elle l’avait alors remise sur pied, lui permettant de prendre des bains avec plein de bulles de toutes les couleurs, lui faisant parvenir de bons repas, et lui avait aussi acheté une certaine quantité de vêtements. Ne sachant ce qu’Elena aimerait porter, elle en avait pris beaucoup trop : jeans, pantalons et jupes, sweatshirts, t-shirts et chemises, petites robes, deux ou trois paires de chaussures. Elle lui avait également pris un sac à dos et avait glissé dedans des bonbons sorciers et un exemplaire de la dernière édition illustrée de L'Histoire de Poudlard.

Même si elles ne se parlaient pas beaucoup, durant une semaine, Kristen avait eu l’impression qu’Elena était sa fille. C’était une sensation étrange : c’était très émouvant, mais d’un autre côté, elle s’en voulait terriblement de se comporter ainsi avec une enfant qui n’était pas la sienne, et de ne pas le faire avec son propre fils – certes, on ne lui avait pas laissé le choix pour Owen. Cet épisode lui donna envie de réessayer encore une fois de s’imposer comme étant la mère de son fils, mais c’était plus compliqué qu’il n’y paraissait.

Pour aller découvrir sa famille sorcière, Elena avait revêtu une tenue assez sobre : une petite robe noire et des chaussures noires aussi. En la voyant ainsi, Kristen avait eu l’impression bizarre de voir une mini-Arseni déguisée en mini-elle. Elena avait sa baguette dans sa poche, mais il avait été entendu qu’elle ne pourrait pas s’en servir et qu’il faudrait qu’elle y prenne grand soin. Kristen et la petite se rendirent finalement à la demeure des Stoyanov.



Quand Irina Stoyanov ouvre la porte, Kristen tient la main d’Elena un peu en arrière, dans un mouvement protecteur inconscient.

« Bonjour, Irina. »

L’appeler « Madame » lui paraissait trop distant et étrange devant la petite découvrant sa famille. Kristen presse doucement la main d’Elena et la regarde en penchant la tête sur le côté. Un petit sourire encourageant se dessine sur le coin de ses lèvres.

Kristen ne sait pas vraiment si Irina Stoyanov est son « amie », mais Arseni faisant le lien, elle ne peut vraiment la considérer autrement. Elle s’est elle-même autorisée à appeler Irina par son prénom, donc elle ne voit pas d’inconvénient à ce que celle-ci en fasse de même.

Kristen croise le regard d’Elena, hoche doucement la tête et cligne des yeux, espérant la rassurer. Elles ont partagé un Tea time durant la semaine où Kristen gardait la petite fille. Earl Grey seul ou London Fog, scones et autres gâteaux anglais ont constitué ce petit temps à part. Kristen se tourne vers Irina et dit :

« Nous avons eu un tea time toutes les deux. »

Elle se retourne vers Elena et, pour l’encourager, dit :

« Pas vrai ? »

Kristen écoute Irina en gardant les yeux baissés sur son thé. Elle serre un peu les mâchoires, gênée. Elle est assez mal à l’aise de parler de cela devant la petite.

« Elena mérite ce qu’il y a de meilleur. »

Elle soupire et fronce les sourcils en reportant son attention sur son hôte.

« Mais le meilleur n'est pas facile à trouver. À qui voulait-il que je m’adresse ? »

Kristen ne connaît personne qui puisse correspondre au critère : « famille digne de ce nom » ; Arseni ne le savait-il pas ? Dans l’impasse, elle ne pouvait que faire confiance à Arseni, qui lui-même devait avoir une certaine confiance en sa famille, d’après ce que Kristen avait pu tirer de leurs échanges. Irina avait été la plus facile à contacter, aussi avait-elle été la première au courant.

Kristen observe l’entrée de l’autre femme dans le salon. Elle l’a déjà vue dans un souvenir d’Arseni, qui n’était pas des plus joyeux… Elle l’inspecte de la tête au pied, soucieuse de pouvoir déceler le moindre petit hic qui empêcherait cette nouvelle sœur de prendre soin d’Elena. En remettant ses pensées et souvenirs dans l’ordre, elle conclut qu’il s’agit là de Viktoria.

« Viktoria, c’est cela ? »

Elle regarde Irina puis l’autre sœur successivement, plusieurs fois de suite, avant de s’arrêter sur la dernière. Elle fronce les sourcils et hausse légèrement le menton.

« Et vous avez la fibre maternelle ? »