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11 juin 2017, 00:21
 RPG+   Angleterre  Mercredi rising tide
  Elle avait senti qu’il était temps. Par une association d’idées saugrenue, elle en était arrivée à la conclusion que ce jour était une occasion à ne pas manquer. Toute la matinée, elle y avait pensé, se demandant si c’était plus une bonne idée qu’un élan étrange du genre de ceux qu’elle avait ressenti de si nombreuses fois au cours des derniers mois, et qui, cette fois, serait potentiellement désastreux. Elle se trouvait sur une route toute droite, sur laquelle venait se greffer un embranchement. Tout droit, rien de nouveau, un horizon de bitume sans nuances, mais aucun piège. En prenant l’embranchement, elle s’exposait à plus de risques.

  Dans le miroir, elle vit avec stupéfaction qu’un de ses cheveux était plus clair que les autres. Sans conviction, elle toucha le miroir. Il y avait peut-être une saleté qui donnait cette impression. En s’approchant, elle constata que ce cheveu était décidément beaucoup trop clair. Un mouvement de recul et une grimace plus tard, elle pointait sa baguette sur le cheveu coupable, et celui-ci prenait la même couleur que les autres. Demain, elle aurait trente-neuf ans. Trente-neuf, c’est presque quarante. Y penser lui procurait une sensation bizarre, comme si le Temps lui donnait une gifle qui la laissait à la limite d’une torpeur contemplative.

  Elle déjeuna dans son bureau et elle hésita. Elle avait beau s’y être préparée, y avoir pensé toute la nuit et toute la matinée, elle se demanda s’il ne valait pas mieux tout planter là, et tant pis. Simplement faire marche arrière, comme si ce moment où elle avait sérieusement envisagé d’avancer n’avait pas existé, et laisser couler comme cela coulait habituellement. Un soupir, et elle se trouvait à l’entrée de la tour d’Aude Luneau. Elle regarda sa montre, et considéra qu’à cette heure, Aude aurait fini de déjeuner aussi. Elle toqua - ou plutôt, sa main toqua - à la porte des appartements de la réfugiée de Beauxbâtons et elle attendit qu'on lui ouvre, espérant secrètement qu'Aude ne serait pas là. Le prétexte parfait.

  Quand la porte s’ouvrit, Kristen se redressa inconsciemment, haussa un peu le menton. Elle avait pensé à ce moment et avait cru l'envisager sous tous les angles, mais elle n’avait pas du tout prévu ce qu’elle allait dire pour commencer, tout bêtement. Dans son imagination, Aude avait été une sorte d'esprit surnaturel qui n'aurait pas l'audace de l'éblouir à ce moment crucial. La vérité était tout autre, et l'éclat du cristal se planta dans la dignité méticuleusement établie de Kristen. Alors, très simplement, elle dit :

« Bonjour, Aude. »

  Elle laissa passer un silence, une brève hésitation, et ajouta :

« J’aimerais vous emmener quelque part. Vous montrer quelque chose. »

  Aucune émotion ne traversait son visage. Le mystère était total. Aude accepta de la suivre, disant que personne ne la retenait, et que « je suis tout à vous. » Les lèvres de Kristen s'imprégnèrent d'un imperceptible sourire. D’un geste lent, elle leva son bras pour qu’Aude s’y accroche. Toutes deux disparurent dans un tourbillon et réapparurent à un millier de kilomètres, à l’autre bout du pays.

  À cette saison, il faisait bon dans le Sussex. L’air marin était tout de suite rafraîchissant, et le bruit des vagues contre les falaises rappelait que Poudlard était loin. Le soleil perçait aisément les nuages cotonneux dans le ciel. Kristen prit une grande inspiration, mais ne sembla pas tout à fait ressentir les effets bénéfiques de cet environnement. Elle se retourna et vit une petite maison isolée se dresser non loin du bord de la falaise. Dans quelques années, peut-être, elle n’existerait plus, serait tombée dans la mer. La clarté du temps permettait de voir, au loin, la forme d’une petite ville.

« Bienvenue à Rye... Enfin, à côté de Rye, dit-elle en indiquant d'un mouvement de tête les habitations au loin. »

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11 juin 2017, 15:28
 RPG+   Angleterre  Mercredi rising tide

16

RYE



Il suffisait de tendre l’oreille pour se rendre compte qu’il n’y avait pas un bruit. Les murs épais de Poudlard étouffaient le monde extérieur, réduisaient l’univers à un monde de silence et de mystère. Nulle autre que moi ne se sentait si déracinée, si nostalgique, en ce lieu pourtant si merveilleux, si épanouissant, aux yeux de tant d’autres. Même avec toute la bonne volonté du monde, Poudlard ne serait tout simplement jamais Beauxbâtons.

De peur de rompre ce silence presque hypnotisant en provoquant le moindre bruit, je saisis délicatement ma baguette magique posée devant le miroir et décidai d’ensorceler brosses, ciseaux, et autres rubans de soie en leur imposant un mutisme absolu. Je fermai ensuite les yeux et laissai mon nécessaire de coiffure vaquer à la tâche que je venais de lui confier : la confection d’une natte entrelacée de rubans de soie bleu et blanc.

Le synchronisme était parfait. Le moment qui vit le silence se déchirer aux coups donnés contre la porte de mes appartements coïncida avec celui où brosses et ciseaux retrouvèrent leur place sur la commode. Je jetai un coup d’oeil à ma robe évasée, rectifiai la position des manches 3/4 d’un coup de baguette magique, puis me perchai sur des talons lustrées avant de me diriger vers la porte. Passée la surprise de retrouver Kristen et de me voir proposée une sortie imprévue, je lui adressai mon plus beau sourire et lui assurai que j’étais tout à elle. Je refermai la porte derrière moi sans me poser d’autre question que la plus évidente : que voulait-elle me montrer ? En me retournant, j’abaissai mes yeux sur le bras qu’elle me tendit avec un sourire encourageant. Ainsi, il n’était pas question de demeurer à Poudlard… tout ceci était vraiment intrigant. Et comme il m’était impossible de refuser quoi que ce soit à Kristen, je pris son bras et me laissai transporter dans un tourbillon de formes et de couleurs psychédéliques à des milliers de kilomètres de là.

Quand mes pieds retrouvèrent leurs appuis sur la terre ferme, les murs de Poudlard n’étaient qu’un vieux souvenir au regard de l’immensité du panorama qui s’ouvrait devant nous. Il m’était impossible de savoir si nous étions encore en Ecosse. La côte était si vaste, les eaux si déchainées. Je me contentai de suivre le regard de Kristen pour apercevoir, derrière nous, une petite maison au bord de la falaise sur laquelle nous venions d’atterrir. C’est avec un pincement au coeur que je me comparai à elle, au demeurant aussi seule et au bord d’un vaste précipice qu’elle semblait l’être. Mais un regard en coin du côté de Kristen m’amena à corriger le tableau que je venais de confectionner. Comment pouvais-je me prétendre seule ? Je l’avais, elle.

Rye… mon regard pivota vers la petite ville bucolique dont on apercevait les façades au loin. Que représentait ce lieu pour Kristen ? Je n’en avais pas la moindre certitude, mais je tentai l’approche qui me semblait la plus sensée.

« C’est ici que vous êtes née ? »

La simple idée de me trouver à l’endroit présagé où Kristen avait vu le jour déchainait un tourbillon d’émotions en moi. C’était parfaitement inexpliqué. Surréaliste. Mais j’avais la sensation de me rapprocher de Kristen en découvrant ce que peu de monde, ou peut-être même personne, ne soupçonnait de son histoire.

11 juin 2017, 18:09
 RPG+   Angleterre  Mercredi rising tide
Kristen esquissa un sourire un peu nostalgique. Il lui semblait avoir vécu tant de choses depuis sa naissance que ce moment ne devait jamais avoir existé. Elle avait plutôt été jetée dans le monde, le connaissant trop bien depuis toujours. C’était ce qui avait fait d’elle une petite peste, lorsqu’elle était enfant. Seule, elle était née avec le sentiment qu’elle devrait écraser le monde avait qu’il ne l’écrase, ou bien ne pas en faire totalement partie, ou bien les deux.

Elle se tourna et indiqua une autre direction, ni vers la petite ville, ni vers la maison.

« J’ai passé mon enfance dans une petite maison un peu plus loin, vraiment à l’écart. Mes parents avaient des hippogriffes, alors la vie en ville n’était pas idéale… »

Elle soupira. C’était la première fois depuis des années qu’elle se livrait ainsi, qu’elle parlait d’elle à qui que ce soit de vraiment extérieur. Et surtout, c’était la première fois qu’elle le faisait avec une telle nostalgie insoupçonnée. Son propre ton la surprit.

« Plus tard, on a déménagé dans le cœur de Rye. »

Elle tourna la tête vers le village, puis vers la maison seule, qui semblait sale. Elle s’en approcha lentement, comme si le lieu dégageait une aura mystique. C’était en fait un peu le cas. Sans doute parce qu’elle le savait, Kristen pouvait sentir qu’on avait, dans cette maison, pratiqué la magie noire. C’était comme un arrière-goût qu’on ne remarque que si on sait déjà qu’il existe.

« Là, c’est l’endroit où j’ai vécu quelques années avec mon ancien compagnon. »

Elle s’avança encore un peu, jusqu’à en être très proche. Elle regarda difficilement à l’intérieur à travers une petite fenêtre couverte de poussière. Elle s’apprêtait à pousser la porte quand elle se tourna vers Aude et fronça les sourcils, soucieuse.

« Excusez-moi… est-ce que cela vous gêne ? »

Aude répondit que cela ne la gênait pas le moins du monde, et pria Kristen de continuer. Celle-ci la remercia du regard et ouvrit. Si Kristen était plusieurs fois retournée à Rye et même dans cette maison dans les premiers temps où elle cherchait où Nathan et Owen avaient pu partir, elle n’y avait plus remis les pieds depuis qu’elle savait pourquoi ils étaient vraiment partis. Après avoir d’abord constaté qu’une odeur de vieille poussière avait envahi l’endroit, elle observa la place de chaque meuble. Rien ne semblait avoir bougé. Le canapé était toujours là, la table basse aussi. C’était sur ce canapé que Nathan était installé quand ça s’était passé.

Kristen resta sans bouger un instant, hébétée, et entra finalement. Elle adressa un bref regard à Aude, ce qui était censé vouloir dire qu’elle pouvait entrer aussi. Pendant ce temps, Kristen observa d’autres meubles et vit que les photos qui étaient posées dessus avaient disparu. Tout à fait en face de l’entrée, la porte de la chambre d’Owen était ouverte. À sa gauche, le bureau dans lequel Kristen avait fait ses expériences. Encore à côté, sur l’autre mur, il y avait une autre chambre.

Kristen se tourna vers Aude à nouveau. Elle avait l'impression que l'ambiance était extrêmement lourde et en était désolée. Cet endroit évoquait tout simplement ses pires souvenirs.

« Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous ai amenée ici ? »

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11 juin 2017, 23:29
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17

LA MAISON ABANDONNÉE


La confirmation tomba, et avec elle une multitude d’informations que j’enregistrai avec soin dans un coin protégé de ma mémoire. Il est difficile pour moi de l’affirmer sans paraître prétentieuse, mais je connaissais bien assez Kristen pour savoir que ce qu’elle me confiait était beaucoup plus précieux que de simples mots dispersés aux quatre vents. Il y avait dans sa façon de me narrer son passé, quelque chose d’intemporel, une force énigmatique qui m’attirait à elle. C’est précisément parce que Kristen n’était pas le genre de femmes à étaler son histoire devant la première venue, que non seulement ses propos suscitaient en moi l’émotion mais aussi que je ne pouvais que l’encourager à poursuivre toujours plus loin. J’étais captive et captivée.

Kristen entra la première dans la maison isolée et vraisemblablement abandonnée qu’elle et son compagnon avaient occupé, autrefois. J’attendis son signal pour entrer à mon tour, consciente que je restais une invitée même dans ce lieu prisonnier du temps puisqu’il appartenait encore, du moins émotionnellement, à Kristen. L’atmosphère qui nous accueillit toutes les deux était aussi lourde que le sol et le mobilier étaient couverts d’une importante couche de poussière. Depuis combien de temps cette maison avait-elle été laissée à l’abandon ? Pourquoi l’emplacement du mobilier et des objets du quotidien me laissaient l’impression que la maison avait été abandonnée en toute hâte par ses propriétaires ? Kristen et son compagnon étaient-ils seulement les derniers propriétaires des lieux ? … Les questions tourbillonnaient dans ma tête mais je ne trouvai pas le courage de les poser à Kristen. J’avais le sentiment que je devais la laisser parler et me contenter d’attendre qu’elle se livre d’elle-même. Rien ne me semblait plus inopportun que de l’interrompre ou de la brusquer.

Mon regard balaya chaque recoin de la pièce dans laquelle nous nous trouvions en quête de réponses qui ne venaient pas. La sensation de lourdeur ne me quittait pas. J’avais l’impression de respirer le même air étouffé qui précède une tempête d’orages. Globalement, cette maison me mettait mal à l’aise. J’avais d’ailleurs perdu mon sourire, sans même m’en rendre compte. Kristen — qui ne manquait jamais de relever le moindre changement de physionomie chez ses interlocuteurs — le remarqua et me posa une question qui devait entrainer une réponse courte de ma part. Je me révélai toutefois plus bavarde.

« Cette maison semble habitée par une histoire inachevée, répondis-je en observant Kristen du coin de l’oeil. J’ai le sentiment que nous ne sommes pas ici pour évoquer quelque chose de particulièrement heureux… mais je me trompe peut-être… »

Je détournai mon attention de Kristen en me mordant la lèvre inférieure, certaine d’en avoir trop dit.

« Excusez-moi, ne faites pas attention à ce que je dis, me rattrapai-je d’un ton désolé. Continuez. »

12 juin 2017, 00:16
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Le regard de Kristen resta fixé sur Aude Luneau durant quelques secondes. Elle trouvait absurde l’idée de ne pas devoir faire attention à ce qu’elle disait, comme si ce qu'elle pouvait dire était inintéressant ou stupide.

« Vous avez pourtant raison, dit-elle. »

Elle reporta son attention sur la porte ouverte de la chambre d’Owen. Hypnotisée par l'obscurité de la pièce derrière cette porte, elle avait l’impression que son cœur se tordait dans tous les sens, et comme une éponge se vidait et restait tout desséché. Revoir Owen n'avait pas été si douloureux que de revenir ici. Dans cette maison, elle se sentait confrontée à sa culpabilité plus que nulle part ailleurs. L'atmosphère même semblait être gorgée de cet effroyable sentiment. Tous les espoirs qu'elle continuait de nourrir jusque-là : se faire pardonner, redevenir une mère pour Owen, prouver qu'elle pouvait être quelqu'un de bien... tout cela s'effondrait ici. Chaque centimètre carré de cette maison lui rappelait à quel point elle était ignoble, à quel point elle aurait mieux fait de mourir, et à quel point elle ne méritait pas d'avoir eu cette lueur d'espoir qui se tenait juste derrière elle. Elle serra les mâchoires et prit une inspiration.

« Si vous saviez ce qui s’est passé dans cette maison, vous me détesteriez. »

Elle essayait de faire en sorte que sa voix soit claire, sans vagues, mais on pouvait malgré tout percevoir qu'elle était franchement troublée. Son estomac sembla remonter dans son corps, et redescendre brusquement. Elle se tourna vers Aude, entrevit l’éclair de ses yeux bleus, et détourna le regard. Cet espoir qu'elle ne méritait pas.

« Je voulais être honnête avec vous et vous laisser me juger. Je ne veux pas avoir l’impression de vous mentir ou de profiter de votre amitié. »

Elle passa devant le canapé – c’était là aussi qu’Owen avait convulsé, fou, roulant des yeux et bavant, bataillant avec la mort que Kristen lui avait apporté. Elle se posta devant la porte de la chambre de son fils et l’ouvrit un peu plus. La porte grinça. Juste derrière celle-ci se tenait un lit simple sur lequel il y avait une petite couverture bleu foncé. Les étagères étaient vides pour la plupart. Une majeure partie des figurines d’Owen avait disparu – on avait dû venir les chercher. Seuls quelques jouets en très mauvais état étaient restés, indignes de retrouver leur petit propriétaire. Parmi eux, une petite figurine de dragon qui ne battait plus que d’une aile, très faiblement, en tout cas incapable de voler, et un hippogriffe en peluche qui frottait ses pattes avant contre le sol, de manière irrégulière et robotique, plus effrayant qu’autre chose.

Kristen appuya son dos contre l’embrasure de la porte, baissa la tête et, comme un audioguide, articula d'une voix beaucoup trop neutre et vidée de son humanité :

« Ici, c’était la chambre de mon fils. »

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12 juin 2017, 18:34
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18

LE COEUR D’UNE MÈRE


Il y avait nécessairement quelque chose de stupéfiant dans les propos que me tenait Kristen ; quelque chose qui me mettait mal à l’aise. Son regard était fuyant. Sa voix prenait des amplitudes qu’elle n’avait jamais prise depuis que nos chemins s’étaient croisés. C’était comme si je la redécouvrais ou plutôt comme si elle avait décidé d’enlever son masque de directrice de Poudlard pour me montrer son véritable visage — un visage qui ne différait pas beaucoup de l’original, mais qui m’apparaissait de plus en plus friable à mesure que les minutes s’égrainaient dans cette atmosphère étourdissante.

Je guettai régulièrement Kristen du coin de l’oeil, comme on guette une personne souffrante à qui on tient plus que tout. A chaque nouvelle phrase, je me trouvai un peu plus désarçonnée et inquiète qu’à la précédente. Je campai toutefois sur mes positions et conservai le visage le moins expressif possible, de peur qu’elle n’en traduise mal les changements. Mon trouble ne faisait cependant que grandir. Que s’était-il passé dans cette maison ? Qu’est-ce que Kristen avait fait — ou n’avait pas fait — qui la rendait si détestable à ses propres yeux ? Et pourquoi avait-elle décidé, aujourd’hui, que l’heure était venue pour elle que je la juge ? Pourquoi moi ?

Je la laissai s’avancer, seule, vers la porte entrouverte qui faisait face à l’entrée. Je ne détournai pas mes yeux pour autant. Il était hors de question que je perde le contact visuel avec elle. Ce contact vacilla pourtant bel et bien lorsqu’elle poussa cette porte dans un grincement sinistre pour m’annoncer qu’il s’agissait de la chambre qu’occupait autrefois son fils. Tout un mécanisme se mit automatiquement en marche dans ma tête, déclenchant des rouages qui, bien qu’engourdis par un certain immobilisme, se révélèrent d’une vivacité stupéfiante. Kristen avait donc eu un fils avec son compagnon. Mais ni l’un ni l’autre n’avait fait irruption à Poudlard depuis que mes pas hantaient ses couloirs. Un an et neuf mois était un temps étonnamment long pour qu’une famille ne songe pas à se revoir. A moins que Kristen ait trouvé le moyen de s’éclipser régulièrement sans se faire remarquer ? Non… il me suffisait de la regarder, de saisir la détresse de ses traits maintenant qu’elle se tenait adossée contre l’embrasure de la porte, pour deviner que d’une façon ou d’une autre elle était séparée de sa famille depuis bien longtemps.

Je trouvai en moi le courage de réactiver mes jambes malgré le poids terrifiant que cette révélation faisait peser sur mes genoux. Tandis que je m’approchai de Kristen, et que le poids sur mes genoux semblait s’alourdir à mesure que son corps se rapprochait du mien, une question revenait avec insistance : crois-tu encore la connaître ? J’essayai de lutter contre le reproche le plus évident que je pouvais lui faire, celui de m’avoir caché l’existence de sa progéniture alors que je ne lui avais rien dissimulé de mon passé. Mais maintenant que je me tenais dans l’embrasure de la porte et que je pouvais sentir sa respiration mourir le long de mon avant-bras, je ressentis une profonde tristesse qui se renforça aussitôt que ma baguette magique apporta un peu de lumière dans la petite chambre dévastée par le temps.

« Que s’est-il passé Kristen ? lui demandai-je d’une voix lointaine, mes yeux braqués sur un dragon miniature qui bataillait encore d’une aile dans la poussière comme un insecte qui refusait de mourir. »

La gorge nouée par l’aura mortifère que dégageait cette pièce, je finis par dissiper la lumière et détourner mon regard. Perdue, un instant, dans la contemplation de ses mains osseuses — aux doigts desquelles ne pendaient aucune alliance — je remontai lentement la silhouette de Kristen et m’arrêtai sur ses yeux bleus.

« Où est votre fils ? »

12 juin 2017, 19:28
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Aude s’approcha et Kristen retint brièvement sa respiration, avant de la relâcher, vaincue. Elle laissa la question d’Aude en suspens, pensant à l’occasion qu’elle venait de manquer de revenir en arrière. Si Aude n’avait pas cherché à savoir, Kristen se serait peut-être défilée. Elle voulait préserver son amitié, et elle était persuadée que ce serait impossible si Aude savait quel genre de personne Kristen avait été. Mais évidemment, il était trop tard. Venir ici avait de toute façon été une erreur. Après avoir soutenu le regard de la française durant de trop longues secondes, Kristen baissa les yeux.

« Il est à Rye. Il vit chez mes parents, dit-elle tout bas. »

Oui, il est toujours là, il n’est pas loin, et pourtant je ne suis pas une mère pour lui. Bizarre, n’est-ce pas ?
Tant qu’elle était sur cette pente, Kristen n’avait pas d’autre choix que de continuer. Si elle avait été du genre à pleurer facilement, elle l’aurait fait. En l’occurrence, elle ne ressentait qu’un petit picotement bizarre dans les sinus, exactement comme lorsqu’on éternue. Ses doigts se refermèrent sur le tissu de son vêtement et le maltraitèrent inconsciemment.

« Il… Il a failli mourir par ma faute. »

La culpabilité la poussa à aller plus loin dans ses propos. Elle fronça les sourcils, serra les dents et rectifia :

« J’ai failli le tuer. »

Brusquement, elle s’éloigna d’Aude, incapable d’affronter son regard, sa présence si parfaite. Elle s'appuya sur le mur, qui l'empêchait peut-être de vaciller, dos à Aude, et inspira longuement avant de vider ses poumons.

« Je faisais des expériences dans la pièce voisine et… ça a pris possession de lui, ça allait le tuer. »

Elle insista une fois de plus sur ce mot, pour montrer à quel point elle était ignoble et comme tout était définitivement sa faute. Elle s’adressa à elle-même un rire nerveux, ironique, glaçant.

« Je ne vaux même pas mieux que ce Mangemort, dit-elle si bas que ces paroles étaient plus adressées à elle-même. »

De qui était-elle la plus proche, après tout ? D’Aude, la sorcière forte et douce, pleine de talent et de grâce ? Ou de Legallet, l’abject Mangemort qui avait fait d’au moins deux de ses enfants des Horcruxes ?

Elle s’attendait à entendre les petits pas d’Aude s’éloigner, la porte claquer et l’obscurité envahir la pièce. Elle allait sûrement partir, la laisser seule, et tout redeviendrait comme avant, comme ça devait être. Jamais Aude ne voudrait rester près d’elle, lui faire confiance à nouveau, c’était certain. Elle n’avait pas fui un mage noir pour en retrouver une autre. Kristen attendit cette sentence sans un bruit, et sans vouloir en affronter la vision.

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13 juin 2017, 19:15
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19

QUATRE COUPS DE PIC DANS LA GLACE


La vie vous prépare à beaucoup de choses mais pas à réagir à des situations comme celle-ci. J’étais parfaitement immobile, incapable du moindre mouvement superflu. C’est à peine si j’osai respirer. Kristen était un peu plus loin, contre le mur, mais je ressentais encore l’empreinte de sa présence devant moi. Mes yeux ne trahissaient aucune émotion ; comme mon coeur, ils étaient pris dans un étau de glace. Pendant un court instant, il me vint l’idée que tout était exagéré et que Kristen n’avait pas pu faire le dixième de ce qu’elle prétendait avoir fait, mais l’image du dragon miniature dans la poussière me revint avec une telle netteté que mon regard vira brusquement vers lui. La pénombre atténuait peut-être l’effet, mais l’entendre remuer dans la poussière me soulevait le coeur.

Comment ? Pourquoi ? Si seulement Kristen avait pu répondre à toutes les questions qui traversaient mon esprit sans que je n’ai à le lui demander… moi qui pensais si bien la connaître après tout ce que nous avions vécu ensemble, je me sentais à présent démunie, seule, aux côtés d’une parfaite inconnue. Kristen avait raison, elle ne valait pas mieux qu’un Mangemort pour avoir mis son fils en danger… un fils dont je ne soupçonnais même pas l’existence quelques instants plus tôt… mais le penser revenait pour moi à m’arracher le coeur à mains nues. La nature du mal qu’elle avait déchaîné sur son fils ne m’intéressait pas le moins du monde. Je préférai restée dans l’ignorance.

Une profonde révulsion s’empara de moi. Je portai instinctivement ma main sur ma bouche, prise de nausées. Mon imagination tissait le scénario de ce qu’il s’était produit sous ce toit à partir des éléments que Kristen avait consenti à me livrer. Je revins sur mes pas de manière précipitée, soulevant une quantité non-négligeable de poussière dans mon sillage. Je ressentis le besoin de respirer un grand bol d’air frais et non cet horrible air vicié qui croupissait dans cette bâtisse hantée par le drame qui s’y était joué. J’ouvris la porte et me plantai dans son embrasure en prenant une grande respiration. Je profitai du vent sur ma peau, du bon air marin, les yeux fermés. Mes pas auraient pu me conduire plus loin et m’amener à rompre tous les liens qui m’unissaient à Kristen, mais j’en étais incapable. Au fond, ce qu’elle devait ressentir à cet instant ne m’était pas tout à fait inconnu. J’avais, moi aussi, commis bien des erreurs dont les conséquences auraient pu être bien plus dramatiques. J’en étais même venue à dissimuler ma fille en la faisant passer pour ma nièce. J’inspirai et expirai lentement. Qui étais-je pour la juger ?

« Moi non plus je ne valais pas mieux qu’un Mangemort, dis-je en refermant la porte derrière moi. J’appuyai mon front contre elle et en caressai le bois comme pour me distraire de l’image que j’avais de mon ancien moi. Mais… vous étiez là… vous êtes parvenue à voir au-delà de mes actes… vous m’avez tendu la main à un moment où plus rien ne me rattachait à l’humanité… »

Je me reculai de la porte et tournai mon regard vers Kristen. Ma vision était trouble des larmes que je réussissais à contenir.

« Si… »

J’étouffai un sanglot et relevai précipitamment la tête comme pour ravaler les larmes.

« Si je ne vous tendais pas la main maintenant… poursuivis-je en ramenant mon regard sur Kristen. Je serai pire que le Seigneur des Ténèbres. »

Alors, guidée par une force qui dépassait tout entendement, je franchis la distance qui me séparait de Kristen pour la serrer contre moi. Je n’avais aucun mot assez fort à lui exprimer, mais en me tenant contre elle, je lui faisais entendre raison. Quoi qu’elle ait fait, je voyais au-delà de ses actes. Cette femme que je tenais contre moi n’était pas une inconnue. Elle n’était pas le monstre de son récit. La femme que je tenais contre moi était la raison de ce que j’étais aujourd’hui.

« Je suis et serai toujours à vos côtés, murmurai-je en la pressant contre moi. »

14 juin 2017, 15:36
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Le silence, les pas, la porte qui s’ouvre, tout était dans l’ordre. Kristen avait elle-même anéanti tous ses espoirs, au nom de quoi ? De l’honnêteté, la vérité ? Si c’était à refaire, choisirait-elle plutôt de continuer à mentir si cela pouvait l’aider à être heureuse ? Bonheur ou vérité, pas les deux en même temps. Tout ce que ces philosophes bien-pensants vous ont dit est faux, l’un empêche l’autre, c’est tout. C’était pour cette raison que Nathan avait un temps caché à Kristen qu’elle seule était responsable de la perte de son fils, pour cette raison que tout le monde préférait vivre dans un monde illusoire – même Aude l’avait préféré. Comment avait-elle pu croire qu’elle avait raison de préférer la vérité ?

La porte se referma. Alors, Aude était vraiment partie. Kristen ne bougea pas, pétrifiée par la douleur de sa perte.

La voix d’Aude s’éleva pourtant. Dans l’ombre de la pièce, Kristen ouvrit des yeux stupéfaits et ne bougea toujours pas, attendant que quelque chose se passe. Passé l’étonnement de savoir qu’Aude n’était pas partie, Kristen put l’écouter. Ce que la française disait de Kristen lui semblait tout aussi surprenant et elle avait l’impression qu’on ne parlait pas vraiment d’elle. Aude avait-elle bien entendu ce que Kristen venait de dire ? Pourquoi n’était-elle pas plus en colère, plus déçue ?

Lentement, Kristen tourna la tête et vit alors le visage troublé d’Aude Luneau. Elle semblait au bord des larmes, et Kristen s’en voulut de l’avoir blessée. Soudain, la fameuse attitude Luneau revint au galop, et avant que Kristen n’ait pu comprendre ce qui lui arrivait, elle fut prise au piège des bras de la française. Elle ne s’y faisait définitivement pas, mais son regard ahuri laissa vite place à un petit sourire de gratitude sur ses lèvres.

C’était pour cela qu’Aude l’avait attirée, pour cette raison même. Tandis que Kristen avait une nette tendance à voir ce qu’il y avait de pire dans tout ce qui pouvait exister autour d’elle et en elle, Aude était l’autre côté de la balance, capable de voir ce qu’il y avait de bon dans ce qui semblait pourri de prime abord, sans pour autant sembler naïve. C’était parce qu’Aude voyait en Kristen autre chose qu’une personne détestable que Kristen avait envie, avec elle, de justement être autre chose. Elle voulait s’ouvrir un peu, montrer à Aude qu’elle avait raison de penser qu’il y avait encore quelques morceaux de son cœur qui n’étaient pas tout à fait gangrénés. Elle aussi voulait finir par le croire sincèrement.

Au lieu de repousser Aude, gênée, Kristen la serra un peu plus, passant ses mains dans son dos et enfouissant sa tête dans son cou. Cette étreinte exprimait toute la gratitude de Kristen et tout son désir qu’Aude soit sincère et reste effectivement toujours à ses côtés. Kristen eut envie de lui demander de le promettre, mais n’osa pas. Elle n'aurait su dire combien de temps cette étreinte avait duré, mais il lui sembla qu'elle avait eu le temps de régler toutes les questions, toutes les explications qui feraient du mal. Elle se détacha d’Aude et la regarda un instant, avant de baisser les yeux.

« Je suis désolée. Je n’aurais pas dû vous faire venir ici aujourd’hui… l’ambiance n’est pas très… festive. »

Elle ouvrit la porte d’entrée, désireuse de respirer un air meilleur. Cette porte ouverte lui sembla un instant hautement symbolique, comme si, en quittant cette maison, elle prendrait un nouveau départ et laisserait derrière elle son passé. Cette pensée fut vite refoulée, car elle lui sembla rapidement ridicule, et surtout, ce n’était pas ce qu’elle avait l’intention de faire. Elle ne voulait pas laisser derrière elle ses erreurs, mais plutôt continuer à vouloir les réparer, faire de son mieux pour aller de l’avant tout en acceptant son passé. L’année prochaine, Owen serait à Poudlard, et il y aurait des occasions de faire en sorte que les choses s’arrangent, au moins un peu.

Après avoir pris un bouffée d’air frais, Kristen se retourna vers Aude et l’invita à sortir de cet endroit dévasté en tendant un peu le bras.

« C’est votre anniversaire, je crois ? »

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
~ if i wasn’t a narcissist i wouldn’t like me either ~

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16 juin 2017, 09:42
 RPG+   Angleterre  Mercredi rising tide

20

LE PRÉSENT


Je crois, avec un peu de recul, que Kristen avait besoin d’un peu de compassion et surtout de compréhension. Sa réaction à mon étreinte se grava si nettement dans ma mémoire que bien des décennies plus tard, je devais encore m’en souvenir comme si cela s’était produit la veille. Blottie contre elle, j’éprouvai pour la première fois la sensation de nos corps rapprochés. Ce n’était pas la première fois que je prenais Kristen dans mes bras, mais la première qu’elle ne manifestait pas sa raideur habituelle. C’était comme si son aura enveloppait enfin la mienne pour former quelque chose de rassurant et d’agréable, comme un cocon douillet. Je me surpris à en profiter autant que possible en gardant les yeux fermés.

Quand Kristen se retira, cette bulle dans laquelle nous nous trouvions éclata et je me trouvai un moment sonnée. Je pris toutefois conscience de mon état au bout de quelques secondes et, non sans sentir le feu dans mes joues, je retrouvai rapidement toute ma contenance. Kristen ouvrait déjà la porte. Je lui emboîtai le pas mais m’arrêtai à bonne distance pour l’observer tandis qu’elle gonflait ses poumons en respirant le bon air extérieur. Un sourire naquit sur mes lèvres. Je croisai mes mains devant moi et profitai simplement de ce qui me semblait être un instant de bonheur pour Kristen. Il me semblait ne l’avoir jamais vu dans cet état. Je tirai un certain orgueil à me dire que j’y étais un peu pour quelque chose.

Je n’étais cependant pas au bout de mes surprises comme l’attesta mon visage quand Kristen se tourna vers moi en évoquant mon anniversaire. Inutile de chercher bien loin pour savoir qui lui avait livré cette information. Amusée, je lui souris en acquiesçant.

« Je constate que ma propre fille complote contre moi dans mon dos, dis-je d’un ton railleur. Charmant. »

Mon sourire trahissait sans mal mon envie de rire, mais il ne pouvait faire taire en mon for intérieur le trouble qui était né de cette question. Si Kristen avait cherché à connaître ma date d’anniversaire, je suppose qu’elle avait une idée derrière la tête ; et toutes les idées de Kristen étaient de nature à me troubler. Avec l’enchaînement des évènements, j’avais moi-même du mal à réaliser que je fêtais mon anniversaire aujourd’hui. En revanche, je n’avais pas perdu de vue que Kristen fêtait le sien demain… ma chère fille était un agent double des plus redoutables.

Poussée par mon instinct, je donnai deux tours de poignet à ma baguette magique et fis apparaître un petit coffret dans la paume que me tendait Kristen. Recouvert d’un cuir verdâtre, le coffret était un peu plus large que la main de Kristen mais présentait un poids étonnement léger. Un fermoir en forme de baguettes entrelacées préservait son contenu.

« J’ai cru comprendre que c’était le vôtre demain, commentai-je en sentant quelques picotements dans mon ventre. Je sais que ce n’est pas quelque chose de courant, mais je ne vois pas de raisons à ce que je sois la seule à être surprise aujourd’hui. »

J’appréciai la réaction de Kristen et poursuivis :

« Juste une chose. Que vous l’ouvriez aujourd’hui ou demain, je vous conseille de le poser sur le sol avant de vous y risquer. »

J’étouffai un petit rire de circonstance.

« Ma fille complote peut-être contre moi, mais elle reste ma fille, justifiai-je. »