Les pieds d'Anja heurtent brusquement le sol. Elle se retourne par réflexe afin de voir si toutes ses collègues sont bien arrivées, mais fronce les sourcils, l'air inquiet, en constatant que personne ne l'a suivie. Elle est complètement seule. Autour d'elle, de grandes piles de grimoires s'élèvent dans une immense salle. Cherchant du regard quelque chose qui lui serait familier, son cœur se contracte douloureusement en voyant une personne qui ne ressemble en rien à ce qu'elle a pu déjà voir, assise en tailleur, en plein milieu de l'allée centrale. Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que quelque chose ne s'est pas passé comme prévu.

Instinctivement, elle met sa main sur sa baguette rangée dans sa poche arrière, prête à la dégainer au moindre moment. Elle a l'impression que cette femme la fixe, mais ne saurait en être sûre. Impossible de dire ce que ces yeux noirs expriment. Son physique n'a rien de commun. Alors, avançant d'un pas prudent, Anja demande d'un ton qu'elle se veut assuré, tout en gardant une distance de sécurité vis à vis de la personne :

— Qui êtes-vous, et quel est cet endroit ?

Anja ne comprend pas comment elle a pu se retrouver dans la bibliothèque de Nicolas Flamel, ni pourquoi. Et que fait cette jeune femme ici ? De nombreuses questions lui traversent l'esprit, sans pouvoir y trouver les réponses. Face à elle, l'inconnue ne semble pas l'agresser, mais Anja ne lui accorde pas pour autant la moindre confiance.

Elle tique en l'entendant parler du « Maître », et est presque sûre qu'il s'agit de Pierre Legallet, ainsi que lorsqu'elle dit être son « cinquième lieutenant ». Cela veut dire qu'elle n'est pas la seule dans son genre. Une boule se forme alors dans son ventre. Elle a l'impression que tout cela était prévu, et que ce n'est en rien le fruit du hasard. Et si c'est le cas, ses collègues ne sont sûrement pas non plus là où elles devraient être.

La lumière semble diminuer dans la salle. Anja jette un bref coup d’œil vers le plafond, sans ne plus pouvoir le voir. Elle redirige néanmoins rapidement son regard vers la jeune femme, ayant peur qu'une seconde d'inattention ne lui soit fatale. Toujours sur le qui-vive, elle lui répond alors, prudemment :

— Je m'appelle Anja. Je ne sais pas ce que je cherche, je n'étais pas censée me retrouver ici.

Alors, un peu plus hésitante cette fois, ayant peut-être peur de la réponse, elle demande :

— Pourquoi sommes-nous là ?

Anja sent sa gorge se serrer à la réponse de la jeune femme. Le calme et la sérénité qui transparaissent de son visage font naître chez elle un très désagréable sentiment de mal-être. Dans une telle situation, elle aurait presque préféré avoir en face quelqu'un qui laisserait clairement paraître ses intentions destructrices. Néanmoins, étant désormais sûre que cette inconnue n'est en rien son amie, elle sort sa baguette et la garde dans sa main le long de son corps. Sentir son contact la rassure.

Anja ne se laisse pas déstabiliser par les paroles de la jeune femme. Certes, elle ne sait pas grand chose d'elle-même, mais si elle est bien certaine d'une chose, c'est qu'elle a tout à fait sa place ici. La fixant alors droit dans les yeux, aussi perturbants qu'ils soient, elle lui répond :

— Non, je ne suis pas d'accord. Vous ne savez pas si je suis faite pour ce combat, ce n'est pas des choses qu'on apprend dans les livres, dit-elle en faisant un signe de tête vers les piles de grimoires plongées de plus en plus dans le noir.

Elle fait quelques pas en direction de la jeune femme, et rajoute :

— Quoi que vous comptiez faire ici, je ne vous laisserai pas l'accomplir.

Anja pointe alors sa baguette devant elle, prête à se défendre, voire attaquer, si besoin est.

Anja sent son cœur s’accélérer au dernières paroles de la jeune femme. Elle tourne la tête à droite puis à gauche, comme dans l'espoir de voir quelque chose, un indice, qui l'aiderait à comprendre ce qui est entrain de se passer. Mais tout ce qu'elle constate, c'est l'ombre qui s'abat sur les piles de grimoire. Aurait-ce un rapport avec ce qui a déjà été fait ici ? Et si cette pénombre n'avait rien de naturel, et était en réalité le fruit d'un sort ? Alors dans ce cas, le pire était à craindre quand elle atteindrait l'enseignante.

Anja réoriente son regard sur la femme qui lui fait face. Si elle n'a conscience du possible danger qui va s'abattre sur elle, elle a en revanche conscience du danger qui se trouve juste devant elle. Elle remarque que ses yeux semblent reprendre une teinte de plus en plus normale, et la noirceur les quitter. Une pensée lui vient alors à l'esprit : ses yeux sont son point faible. Et le noir qui les colorait est peut-être un vestige, voire lié au sort ou à ce elle-ne-sait-quoi qui s'est passé ici.

Ainsi, sans plus attendre, la jeune femme pointe sa baguette sur le visage de l'inconnue et tente de lui lancer un Sortilège de Conjonctivite, priant pour atteindre sa cible. Peut-être qu'elle fait complètement fausse route, mais cette hypothèse est pour l'instant sa seule piste.