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27 mars 2020, 01:32
Le fol engrenage de l'Ivresse  Solo 

Narym Bristyle
Professeur des écoles, monde Moldu
Grand frère d'Aelle



Dimanche 3 janvier 2044
Domaine Bristyle (Worcestershire)
3ème année



S’il y a bien un jour durant lequel Narym ne parvient pas à étouffer la nostalgie qu’il ressent lorsqu’il pense à Poudlard, c’est bien la rentrée — que ce soit celle de septembre, de janvier ou d’avril. Toute la famille se rassemble alors, et ce, depuis qu’il a lui-même fait ses premiers pas à l’école des sorciers. Il n’y a que leur mère qui, parfois, manque le rendez-vous ; et Zakary, une ou deux fois lorsqu’il était en voyage à l’étranger ; ou lui, plus rarement, quand la rentrée tombait le même jour que la rentrée Moldue. Aujourd’hui, c’est dimanche, et de surcroît début janvier. Narym ne travaille pas, Zakary n’est pas à l’étranger et même leur mère a réussi à échanger sa matinée avec celle de son collègue Gontag.

Un sourire habille le visage de Narym. Nonchalamment appuyé contre le canapé, dos à la cheminée et face à la salle à manger, il regarde Aodren tirer sa valise en grimaçant. Habituellement, son jeune frère est déchiré entre l’envie de rester à la maison et le bonheur de retrouver sa vie au château ; aujourd’hui, c’est différent. Il n’est pas déchiré. Il est seulement heureux. Et Narym en connaît la raison : son frère a tout simplement hâte de retrouver sa petite-amie.
Du côté d’Aelle, tout est différent. Tout est toujours différent. Alors qu’Aodren parle fort avec Zakary et fait entendre son rire, alors que Natanaël court du vestibule à sa chambre à la recherche de son bonnet — sous le regard languissant de leur mère, impatiente, et le sourire doux de leur père, aimant, tous deux rassemblés près de l’entrée —, Aelle, elle, est adossée au bar face à lui, la tête baissée sur ses pieds. Sa valise est posée près d’elle et l’enfant est déjà emmitouflée dans son écharpe et son épaisse cape d’hiver.

Comme souvent lorsqu’il la regarde, le coeur de Narym se serre. Depuis le début de ses vacances, Aelle est étrange. Ou plutôt, elle paraît moins étrange, ce qui est tout aussi dérangeant. Elle s’énerve moins, elle passe davantage de temps avec eux, sourit plus facilement et surtout, surtout elle semble absolument réticente à l’idée de rentrer au château. Cela est criant et se voit sur son visage chafouin et à sa peine qu’elle tente, très mal, de cacher. Narym en a deviné la raison : sa famille va lui manquer. Et, égoïstement et honteusement, Narym n’arrive pas à s’en affliger. Il est bien trop heureux de voir disparaître la Aelle revêche qui refuse de se laisser à aimer les siens. Il a trop de mauvais souvenirs liés aux premières années de scolarité d’Aelle à Poudlard. Cette Aelle-là semble partie à jamais. Il préfère amplement savoir qu’il va manquer à sa soeur ; même s’il déteste l’imaginer triste. La Aelle à qui il va manquer est la même avec laquelle il a partagé des matchs de quidditch, lu des livres paisiblement dans la bibliothèque, flâné sur le chemin de traverse ou tout simplement bavardé. Cette Aelle semble heureuse et apaisée.

Pourtant… Pourtant, lui murmure son esprit, elle t’a crié dessus il y a deux jours tout juste. Narym grimace intérieurement en se remémorant ce souvenir et coule un regard vers Zakary qui, ce jour-là — et comme souvent — s’est laissé aller à la colère.

La famille Bristyle fêtait le nouvel an en compagnie de Lounis, ami de Zakary et père de la jeune Krissel Grewger qui, ce jour-là, brillait par son absence. L’ambiance était festive autour de la grande table du salon. Un fond musical occupait l’espace lorsque le silence s’imposait et la nourriture, en partie préparée par Zakary, contentait toutes les papilles. A sa plus grande joie, Narym était assis entre Aelle et Zakary. Il avait là ce qu’il aimait le plus au monde : à gauche une conversation complice avec son frère et à droite un calme parfois bienvenu avec sa jeune soeur discrète. La soirée aurait dû merveilleusement bien se passer. Et si l’on demande son avis à Narym, elle s’est merveilleusement passée. Il ne garde pas souvenir du négatif ; non, il préfère se rappeler les rires, les regards d’amour qu’échangeaient son père et sa mère, la légèreté de Natanaël, l’humour d’Aodren, le rire puissant de Zakary et les sourires sincères, bien que rares, qui éclairaient le visage d’Aelle. C’est vers cette dernière qu’il s’était penché alors qu’elle était silencieuse depuis un trop long moment déjà, pour lui souffler une phrase quelconque dont il ne garde même pas souvenir. Le regard que sa soeur a levé vers lui aurait dû lui faire comprendre qu’il ferait mieux de se rétracter. Mais il avait en main une flûte de champagne de trop et le rire qui coulait au bord de ses lèvres le déconcentrait. Alors il n’a pas fait attention ; il s’en veut encore. Le regard de l’enfant était revêche. Il brillait de colère. Quand elle a ouvert la bouche pour lui répondre, il se souvient avoir été ravie qu’elle sorte de son silence. Puis elle a dit :

« Putain, lâche-moi, Narym ! »

Surpris, l’homme n’a pas réagit. Il essayait encore de comprendre ce qu’il venait de se passer lorsqu’il s’est rendu compte du silence qui régnait autour de la table : tout le monde s’était tourné vers eux et regardait Aelle d’un air mécontent. Narym a aperçu le regard de sa mère qui n’allait pas tarder à réagir, et celui de son père qui se fronçait — il n’aime vraiment pas lorsque ses enfants, notamment les plus jeunes, jurent. Mais ce qui l’a arrêté n’était ni son père, ni sa mère, mais son frère Zakary. Celui-ci était intervenu avant même que Narym puisse dire quoi que ce soit.

« Eh ! a-t-il dit. Aelle, qu’est-ce qu’il te prend ? »

Selon Narym, ce n’était pas forcément la meilleure façon de converser avec Aelle, mais il a gardé la bouche close et s’est contenté de poser une main sur le bras de son frère et un regard sur Aelle. Mais la seconde a détourné les yeux pour les plonger dans ceux colériques de Zakary. Elle était totalement en colère, les sourcils froncés, la bouche tordue et les yeux brillants.

« T’as un problème ? » a-t-elle craché.

Et selon Narym, la rage n’était pas forcément la meilleure façon de communiquer avec un Zakary mécontent. Ce dernier a réagi au quart de tour :

« Ne commence pas à être insupportable ! »

Narym a vu Aelle serrer les poings et se crisper de partout, comme si elle allait exploser. Il a osé poser une main sur l’épaule de sa soeur qui s’est dérobée et a enfin réussi à dire un mot :

« C’est bon, calmez-vous. C’est pas grave.
Tu t'fous de moi, Nar ? T’as vu comme elle t’a parlé ? lui a lancé Zakary.
Et toi t’mêles pas d’mes affaires, Grand Con ! »

Aelle a parlé et une nouvelle fois un silence surprenant a envahi la table. Même Narym a froncé les sourcils. Depuis quand Aelle n’avait-elle pas insultée l’un de ses frères ? Ces vacances et celles d’été s’étaient si bien déroulées que tous ici pensaient qu’elle en avait finit avec la provocation. Mais ce soir-là, le soir du réveillon, Aelle a mis en doute leurs certitudes.

La situation n’a pas dégénéré, se souvient néanmoins Narym. Il a réussi à calmer les foules en remettant Aelle à sa place, chose qu’il ne fait que peu souvent. Il a eu du mal à la faire s’excuser, déjà parce que l’enfant refusait de se soumettre, mais également parce qu’il savait très bien ce qui l’avait poussé à agir ainsi. Il comprend sa soeur et il sait donc pourquoi, par Merlin, pourquoi elle a été insupportable ce soir-là et les deux journées qui ont suivit.

Narym a parlé à ses frères, leur expliquant pourquoi, selon lui, Aelle était insupportable : elle est triste, tout simplement. Les derniers jours se sont donc déroulés dans un calme certain : personne ne cherchait des noises à Aelle et Aelle n’a plus embêté personne. Et quand elle tenait un discours un peu trop virulent pour un enfant, son père, sa mère ou l’un de ses frères la remettait rapidement à sa place.
Et aujourd’hui, pense Narym en regardant Aelle, il n’y a plus aucune colère en Aelle. Seulement une tristesse immense qui parle pour elle dans ses yeux sombres.

« On y va ? »

Le regard de l’homme se détache de la mine affaissée d’Aelle pour se tourner vers leur mère. La femme pose sur eux un regard impatient ; elle n’a jamais brillé pour sa patience. Un sourire aux lèvres, Narym se décale du canapé qui le soutenait et fait un pas dans la pièce.

« Naël, dit-il à son frère, lance un Accio, tu retrouveras plus rapidement ton bonnet. »

Il parle sur un ton si doux, sa voix est si mielleuse que son frère ne peut que bien prendre le conseil. Il grimace, désolé, et dégaine sa baguette. D’un même mouvement, comme s’ils n’attendaient que cela pour se mettre en route, toute la troupe se décide à bouger. Zakary enchante les valises d’Aodren et d’Aelle d’un coup de baguette et entraîne leur mère avant de sortir. Tout le monde suit et sort dans la cour. Tout le monde, si ce ne sont Aelle, leur père et Narym qui hésite à s’en aller sans sa soeur.
Elle est là, elle n’a pas bougé. Sa tête se tourne à droite et à gauche, elle regarde les murs, le salon, les escaliers. Elle est comme absente, comme détachée ; mais Narym sent provenir d’elle une vague de tristesse qui lui fait mal au coeur. Il croise le regard de son père, lui fait passer son désespoir : on fait quoi, papa ? Le grand homme s’approche de lui et pose une main sur son épaule. Il lui sourit, comme bien souvent.

« Allez-y, on vous rejoint à la gare. »

Alors Narym obéit. Il a trop confiance en son père. Il jette néanmoins un dernier regard à Aelle qui lui semble d’une fragilité étourdissante et finit par quitter le salon. Tout va bien, se dit-il, tout va bien. Lui aussi a connu des rentrées bouleversantes où il ne voulait pas quitter la maison.
Certes.
Mais le souvenir de sa propre tristesse est moins douloureux à ressentir que celle, actuelle, de sa petite soeur.

*


« Il faut y aller,  ma puce. »

Papa. 
Il est devant moi, accroupi comme s'il faisait face à un enfant. Son regard sombre m'hypnotise. Il s'infiltre dans ma tête comme s'il pouvait lire et découvrir le moindre recoin de mes pensées. Et, à la douceur de son sourire, je comprends qu'il devine effectivement ce qu'il se passe dans ma tête. Cela aurait dû m'agacer, et plus tard peut-être le serais-je, mais actuellement je ne peux rien ressentir de plus virulent que ma tristesse. Celle-ci est partout sur moi, en moi. Dans ma gorge nouée, dans mes yeux qui refusent de laisser couler mes larmes, dans mes doigts moites. 
Foutue tristesse. 
Et Papa avec son regard-de-père ne rend pas les choses plus aisées. Et la Maison tout autour de moi non plus. Ce salon me donne envie de chialer, cette odeur me donne envie de crier. Les avoir ainsi sous les yeux me rappelle que bientôt, dans quelques minutes, je les quitterais pour ne plus les retrouver avant de longs mois. Et la perspective de retrouver Thalia ne change rien à la tristesse qui règne sur mon coeur. Actuellement, je me fous de Thalia. Actuellement, je me fous de Poudlard et du savoir que ses murs renferment. Moi, je veux rester ici, je veux rester à la Maison, avec Papa et Maman, avec Zakary et Narym, même avec Natanaël. Je veux rester ici, je ne veux pas partir, je veux continuer à sourire avec eux, à rire, à m'amuser. A faire partie de cet ensemble que nous formons. 
Un tout
Un nous.

« Ça va aller ? murmure Papa en levant sa main vers mon visage. C'est dur de partir. »

Un bras qui se lève, une main contre ma joue. Chaude, réconfortante. Je ferme les yeux parce que je les sens grimper le long de mon corps. Je crispe mes paupières pour ne pas qu'elles s'échappent, mais leur courant est trop fort. Sans que je ne puisse l'empêcher, mon visage se tord et les larmes débordent. Ma tristesse est un tsunami qui défracte la moindre de mes pensées. Il ne reste plus rien d'autre dans ma tête que l'horrible réalité : je m'en vais, je m'en vais, je m'en vais. Je me laisse tomber en avant. Ou peut-être est-ce Papa qui m'attire à lui ? Le fait est que je me retrouve le nez niché dans son torse, ses bras refermés autour de moi, à sangloter et à pleurer, le coeur à l'envers et l'âme douloureuse. Partir me semble tout à coup inacceptable, insupportable. Comment ferais-je au château sans eux ? Comment ferais-je pour me déshabituer ? 
Je pleure. 
Papa me serre. 

Après ce qui me semble être des heures, je me recule. Je renifle misérablement, la tête baissée pour ne pas croiser le regard de l'homme. Je le sens qui me fixe. Sûrement doit-il me juger. La honte s'installe dans mon coeur sans effort, elle rougit mes joues et m'étouffe. 
En une phrase, Papa la détruit : 

« Moi aussi, je pleure. »

Quelle voix misérable. 
Et effectivement, quand je dresse la tête je tombe dans son regard larmoyant. Je ne devrais pas être étonnée, Papa pleure dès que l'on pleure, mais je le suis tout de même. J'ouvre la bouche ; aucun son n'en sort. Alors je la ferme et à la place, je laisse mes lèvres s'étirer en un léger sourire — petit, douloureux, mais bien présent. Et en parfait reflet, Papa me sourit également. 

« On y va ? dit-il en se redressant. Ils doivent nous attendre. »

J'acquiesce. Il se dirige vers la sortie et je le suis. Avant de passer la porte du vestibule, je me retourne. De mon regard, j'englobe le salon, la salle à manger, la véranda, les escaliers vers les étages, la cuisine. Je me nourris de cette vision, mon chez-moi, en m'efforçant de repousser les larmes. 
Je reviens bientôt. 
Je reviens. 
Certes, mais vous allez foutrement me manquer. 

- Fin -