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07 avr. 2020, 09:08
Réminiscences  privé 
Son regard de nuit est insondable. Indéfinissable. Si ténébreux. L’un de ceux dans lesquels, si tu t’y aventurais trop loin, tu te perdrais à jamais.
L’un de ceux que jamais tu ne te serais risquée à croiser il y a quelques mois *années ?*. Par peur de représailles, par prudence, par ennui.
L’un de ceux qui respirent le mystère ; qui exsudent la violence.
L’un de ceux qui savent aussi bien tuer que caresser, annihiler que promettre.
Un Puissant. Un Néfaste, parfois ; un Terrible, souvent ; un Envoûtant, toujours.
Elle t’a détruite, avec ses yeux. Elle t’a reconstruite, aussi. Mais comment a-t-elle fait ? Jamais, au grand jamais, tu ne trouveras de réponse à cette question qui te torture. Et qui te torturera longtemps encore.

T’es misérable, Gamine.
Misérable.
Tu fais pitié.
Où sont passées tes certitudes ? Celles qui, tu sais, ont gouverné ton existence pendant douze longues années ? Celles sur lesquelles tu te reposais, toujours ? Celles que tu as réduites à néant il y a quelques semaines, en t’effondrant devant cette Serdaigle ?
Elles ont fui ? Sont-elles aussi lâches que toi ? Les as-tu faites partir de ta vie comme tu aurais éjecté une simple mauvaise idée, un simple souvenir un peu désagréable ?
Les as-tu oubliées ?
As-tu osé, seulement osé, t’en débarrasser pour changer ? De vie, de caractère, pour ne plus être toi, juste toi, la Kyana effacée, un peu naïve et distante ?
Te serais-tu autorisée, depuis quinze jours, à pleurer, alors qu’Ils te regardaient, alors qu’Ils étaient là, près de toi, alors qu’Ils jugeaient, toujours ? A te montrer faible, démunie, sans défense, sans remparts, sans armure ? A les laisser approcher de près – de trop près – le cœur de tes émotions, ce nœud au creux de ton estomac, celui qui contient toute ta douleur ?
Tu as changé. Tu n’es plus celle que tu étais. Tu es devenue une Autre. Et c’est décevant.
*Je… J’suis pas une Autre. Sinon… elle me parlerait pas.*
Qui te dit qu’Elle n’en est pas une, elle aussi ? Qui te dit qu’elle n’est pas comme tous les Autres ? Qui te dit qu’elle ne va pas te lâcher, lorsque tu seras au plus bas – si tu peux encore tomber ?
Qui te dit qu’elle ne contribuera pas à cette chute ?

Assaillie par les doutes, tu recules d’un pas. Tout devient flou, tout devient trouble autour de toi. Les sons, comme tes pensées, sont exacerbés, et résonnent. Se distordent, se reforment, se perdent et se retrouvent. Tu es seule, au milieu de ce labyrinthe d’émotion contradictoires et si violentes qui t’assaillent de part en part. Immobilisée, perdue dans ces tourbillons de noirceur lumineuse ou de lumière envahie de ténèbres, ballotée, partout.
Sans que ton corps ne bouge d’un seul pouce, ton esprit se débat, s’acharne pour ne pas perdre pied. Retentissent dans ton esprit la multitude de questions qui te blessent et t’ouvrent de terribles plaies.
Tes oreilles bourdonnent.
Ton cœur bat à mille à l’heure.
Tes yeux sont figés, perdus, abîmés dans les ténèbres bien trop profondes.
Résonne en boucle une complainte douloureuse dont tu ne parviens à saisir le sens ; une complainte qui, autant que tes pensées, te détruit de l’intérieur.
Une complainte qui s’efface brutalement lorsque, encore une fois, elle se trouve face à plus puissante qu’elle. Qui disparaît totalement lorsque résonne, parfaitement audible, claire, la voix de l’Autre.
Voix qui efface la quasi-totalité des doutes qui te taraudent. La quasi-totalité.
Subsistent quelques-uns qui tournoient, qui se déploient, qui continuent de frapper à ta conscience. Quelques-uns qui ne partiront sans doute jamais vraiment. Mais que tu t’efforceras d’éloigner chaque jour un peu plus.
Et cette voix te réveille. Te rappelle à la réalité par une promesse qui se grave en lettres de feu dans ton esprit.

*Lui donner*
Tu cilles.
*Mon*
Lui jettes un regard où perce l’incompréhension la plus totale.
*Violon*
Entrouvres la bouche, incertaine quant à ta compréhension.
Elle te tend une boule de neige. Tu contemples ses mains trempées, la vois en essuyer une sur sa robe. Hésites encore un instant, indécise.
Puis, avec un *Bah, elle y fera attention d'toute façon*, tu lui tends ton instrument dont tu déposes délicatement le manche sur sa paume. Tu ajoutes ton archet, puis saisis la balle blanche que tu observes d’un œil intrigué.
« J’sais que ça viendra pas tout d’suite. Mais ça viendra, c’est déjà bien, non ? »

Tu roules la sphère entre tes mains, frissonne en sentant le froid atteindre tes doigts et s’étendre dans tout ton corps. Quelques gouttes d’eau en tombent, seules indicatrices du temps qui s’écoule et qui ne vous atteint plus.
« Donc ça c'est... l'idée ? »

Ta question reste en suspens et tu patientes. Tes yeux n’ont pas quitté ceux de l’Autre.

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ent‘r‘êvée

07 avr. 2020, 16:21
Réminiscences  privé 
Légers, mes yeux flottent sur son visage. J’évite de les plonger dans son regard ; j’ai peur qu’ainsi, sa supplique ne résonne trop fort dans mon coeur. J’essaie de me forcer à ne pas y songer *ne pars pas*, mais je n’y parviens guère. Mon coeur sursaute ; fichu coeur. Heureusement, j’ai appris à ne pas l’écouter. Qu’il aille donc jouer ailleurs, ce fichu coeur, qu’il aille donc battre dans un autre monde. Moi, je veux être de glace ; de pierre. Et je veux que cette fille le soit aussi. Sans larme, sans grimace. Sans distraction. Elle, à son état le plus brut. Les émotions n’ont rien à faire là-dedans.
Je me fous de ce qu’elle souhaite.
Je me fous de ce que j’attends.
De toute façon, je n’attends rien.

Elle le dépose tendrement entre mes doigts. Ces derniers se referment autour de l’instrument et de la longue baguette qu’elle ajoute. Je la laisse me prendre la boule de neige puis ramène mes bras contre moi pour protéger le violon. Il est plus lourd que je ne le pensais. C’est la toute première fois de ma vie que je tiens un instrument dans mes mains ; mes yeux se baissent pour observer le grain de son bois, la finesse de ses cordes, l’abysse de son intérieur creux. Je resserre mes bras, inquiète à l’idée de le faire tomber. Cette chose ne m’appartient pas, je suis un peu mal à l’aise de l’avoir contre moi, mais je ne peux plus faire marche arrière désormais, et aux paroles que me lance l’Autre, je devine qu’elle est prête à apprendre. Mes pensées devront attendre.

La fille palpe mon présent entre ses mains. Je me demande si elle a aussi froid que moi.

« Donc ça c'est... l'idée ? »

J’ose, contre toute attente, porter mon regard du bout des bras pour le déposer dans le sien. Sa glace me fige, je déglutis. *C’est qu’une Autre*, qu’une fille qui ne te connaît pas, qui n’attend rien de toi et qui ne te donnera jamais rien.
Mes pensées me rassurent.
Je laisse une grimace me déformer les traits, jette un coup d’oeil à la boule de neige et je secoue la tête de droite à gauche.

« C’est pas ça, l’idée, annoncé-je en levant les yeux au ciel. C’est ça. » Du bout du menton, je désigne la boule de neige. « L’idée, c’est la boule de neige. T’as compris ? »

Mon regard dans le sien, mon ton insistant. Le froid qui me transperce, la brise qui joue avec ses cheveux. Le temps n’est pas ici. Il a abandonné ce lieu pour nous laisser, moi et elle, dans l’abysse de l’éternité. Le reste n’a pas d’importance, ici. D’ailleurs, je ne sais même plus ce qu’est le reste. Mon regard analyse la fille, il l’observe, passant de ses yeux à sa bouche et de sa bouche à la posture de son corps. C’est elle qui est ici avec moi et personne d’autre. Plus rien d’autre n’a d’importance.
C’est étrange, n’est-ce pas ?
Étrange comme elle s’impose dans ma tête, étrange comme mon intérêt danse au rythme de nos mots. Et quel intérêt ! Il a verrouillé mon coeur et s’amuse avec lui. *Y’a quelque chose à voir*, qu’il me dit, *quelque chose chez cette fille*. Je ne sais pas quoi, peut-être me rendrais-je compte qu’elle n’est qu’une Autre, qu’une pauvre chose inconsistante qui ne sait que chialer et supplier. Peut-être comprendrais-je qu’elle n’a rien de particulier, qu’elle ne sait que suivre, que subir, sans vouloir savoir, sans vouloir comprendre. Peut-être me rendrais-je compte qu’elle est trop commune, qu’elle est trop peu profonde, qu’elle est trop Autre ; dans ce cas-là, je m’en irais. De toute façon, je n’ai rien promis, hein ? Je n’ai pas dit que je resterai, hein ? Et elle… Elle n’a rien répété, n’a pas insisté. Alors c’est seulement qu’elle ne veut pas tellement que je reste.
Pour elle aussi ce n’est que cela.
Qu’un moment, qu’un instant hors du temps.
Une parenthèse.
Quand je sortirais de la mienne, je rejoindrais Thalia et elle retrouvera sa vie. Voilà, c’est comme cela que ça marche. Rien ne sert d’apprécier, rien ne sert de vouloir. Je prends ce que j’ai à prendre et elle prendra ce qu’elle voudra prendre ; mon savoir.

Dernier regard et je m’éloigne, cachant la grimace désabusée qui s’est installée sur mes traits à mon insu. Quelques pas m’éloignent de l’enfant, j’amène son violon avec moi, le couvrant de mes bras immobiles, figés, de peur de l’abîmer. Je me retourne au bout de quelques mètres. Je l’observe silencieusement, le menton dressé, comme pour dire nous allons voir ce que tu vaux.

« Qu’est-ce que tu veux faire de ton idée ? »

08 avr. 2020, 18:00
Réminiscences  privé 
Rapidement, tu sens que tu as besoin de la Nuit. Que ses Etoiles te manquent alors que tu ne les as quittées que depuis peu de temps.
Nuit t’appelle. Nuit t’attire. Nuit t’implore et tu veux la rejoindre. Mais tu ne peux pas. Nuit a été remplacée, à présent. Remplacée par Jour. Remplacée par l’Autre. Elle a ployé.
Tu voudrais te blottir dans ses bras recouverts de ce doux tissu de ténèbres. Tu voudrais t’endormir avec elle.
Mais elle n’est pas là. Tu ne pourras pas te réfugier avec elle, cette fois-ci.
Tu ne pourras pas lui livrer tous tes secrets, lui dire à quel point cette rencontre te perturbe.
Tu ne pourras pas te souvenir. Nuit est partie et elle ne reviendra pas avant de longues heures. Tu devras survivre seule. Elle te réconfortera après.

Tu voudrais serrer ton violon contre toi pour puiser dans son bois sombre la force de tenir.
La force de garder ta peine enfermée dans ton cœur sans la laisser t’atteindre et sans la laisser fuir.
La force de soutenir le regard de l’Autre.
Mais tu ne peux pas, parce que c’est cette Autre qui l’a. Qui le détient. Qui le serre, ton instrument, ton bien le plus précieux, dans ses bras.
Cette Autre en qui tu as, instinctivement, placé ton entière confiance, et dont ton esprit te hurle malgré tout de te méfier.

Après tout, tu l’as déjà vue tuer. Dégager cet Autre, ce garçon, à la Bibliothèque, comme s’il n’avait été qu’un gravier sous son pas. L’écraser par sa simple présence, l’achever de ses mots, qui se sont plantés avec violence dans le cœur de l’arrogant.
Ses mots qui, lorsque tu t’es imaginée à la place du jeune homme, t’ont profondément blessée. Avec la force d’une flèche de feu qui les a gravés dans ton esprit.

Tu te méfies d’elle mais tu ne parviens pas à partir, à fuir. Trop attirée par cette étrange aura de force mystérieuse qui se dégage d’elle. Trop attachée à ton violon pour te résoudre à le lui abandonner. Trop fière pour t’en aller maintenant. Trop intriguée pour te risquer à briser cet instant.
Sa réponse, sèche, te fait ciller. Mais tu ne relèves pas, absorbée dans la contemplation la boule de neige qu’elle t’a offerte. Tes sourcils se froncent, et ton visage se transforme. De triste, il devient de marbre, presque inexpressif. Concentré. Dans tes yeux froids subsiste une étincelle, de peur, de tristesse ou de douleur, tu ne saurais pas trop la définir, que tu tentes d’oublier.
Ta face désormais presque vide de toute émotion se tourne vers l’Autre.

*Y’a qu’toi et moi. Perdues. Au milieu de ce Brouillard dans le Temps, de cet infini éphémère, de cette parenthèse abyssale.
On sait pas c’qu’on fout là mais on y est. On vit l’instant. On s’laisse porter par… par quoi au juste ?
On fait même pas c’qui nous guide. Alors on avance, à tâtons, comme deux aveugles sans repères, comme deux nouveaux nés qui découvrent la vie après avoir ouvert les yeux.
On avance et moi j’apprends.*

« J’veux l’… »

Tais toi, Gamine.
*J’veux l’oublier.*
Arrêtes, avec tes absurdités.
Tais toi.

Tu ramènes ton piètre début de phrase à l’état de pensée. Le reconsidères, le contemples un instant, réfléchis.
Le remodèles avec soin pour qu’il exprime toute ton idée.
Puis rouvres la bouche pour souffler, enfin satisfaite :

« J’veux la dégager. »

Tu saisis fermement la boule de neige, serres tes doigts autour. De nouvelles gouttes glaciales en tombent ; tu t’en fous.
Tu ramènes ta main derrière ta tête, te retournes, montrant ton dos à l’Autre. Puis tu balances, le plus violemment, le plus loin possible, la balle gelée.
Lorsqu’elle atterrit, dans un petit bruit satisfaisant, tu contemples un instant le petit trou qu’elle a produit dans le manteau immaculé. Et tu te tournes à nouveau vers la fille pour planter tes yeux de glace dans les siens.

« Comme ça. »

Dans ta tête, la tempête a recommencé.

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ent‘r‘êvée

09 avr. 2020, 12:35
Réminiscences  privé 
Ses yeux sont de glace, son visage est de pierre. Le regard qu’elle me renvoie est celui que je cherchais ; déterminé, qui en veut, qui ne se laisse pas bouffer par ses émotions. Un sourire quasi invisible m’étire les lèvres. Je ne le laisse pas apparaître trop longtemps, je ne voudrais pas la déconcentrer, lui faire perdre cette belle chose qu’elle vient de créer. Je ne suis pas idiote, je sais que sous ce masque ses larmes mortelles doivent abuser d’elle. Je sais également qu’elle a la force de les rejeter et de se montrer sous un angle plus intéressant que celui de sa tristesse.

Elle parle, puis se la ferme. Je reste silencieuse, attendant qu’elle se décide. Mon regard la frôle, l’observe, passant de son visage à l’idée qu’elle tient dans les mains, analysant sa posture, sa taille, son corps, tout ce qu’elle est. Peut-être essayé-je de la comprendre, en agissant ainsi. Peut-être. Je n’en sais rien. Je regarde parce que j’ai envie de regarder, voilà tout. Parce que mon regard la reconnaît et que j’aimerais bien savoir pourquoi il la regarde comme si elle n’était pas une Autre. C’est pourtant ce qu’elle est. Je ne sais rien d’elle. 
*J’me fous d’savoir*. C’est vrai. 
Mais je ne connais même pas son nom de famille. 
*Pas si important* ; certes.
Foutues pensées.

Elle se décide, m’extirpant de mon esprit. Elle va le faire, je le vois sur son visage, sa détermination est criante. Elle veut la dégager. Mon sourire se fait plus grand. Elle passe sa main derrière sa tête. Mes dents se dévoilent. Et elle balance la boule ainsi loin qu’elle le peut. Pendant tout le temps que dure son vol, j’ai l’impression que le temps cesse de couler ; tout se fige pour se concentrer sur cette petite chose que l’on envoie au loin, que l’on dégage, dont on se débarrasse. Elle tombe au sol ; attirée, je tourne la tête vers la fille. Son regard m’alpague. Comme ça, affirme-t-elle comme si elle me défiait de dire qu’elle s’y était mal prise. Mais je n’ai rien à dire, moi. Absolument rien. Elle a fait tout ce que je voulais faire.

« Bah voilà. » Je m’approche. « C’est comme ça qu’on repousse les idées. »

Je m’arrête devant elle et la sonde de mon regard sombre. Elle est bien plus petite que moi, je suis obligée de courber la nuque. Elle est vraiment minuscule, presque ridicule. Je ne l’avais jamais remarqué avant. Peut-être parce que le plus intéressant chez elle n’est pas sa taille, mais son visage. Il parle comme une personne plus âgée, plus grande. Quand on regarde ses yeux, l’on ne voit plus sa taille.

« T’as qu’à faire pareil avec ton idée de mort, » lâché-je au bout d’un moment. Je lui tends son instrument, mes yeux dansant sur son visage. « C’est quoi ton nom d’fa- » *Articule !* « De famille ? »

Merlin, prié-je intérieurement, rends-la différente des Autres. Tous ces abrutis me donnent leur prénom lorsque je pose une question du genre. Ils croient tous que les noms de famille ne servent que sur le papier, qu’il est donc inutile de se présenter avec. Ils n’ont rien compris. Moi, je me fous du prénom. De toute façon, je connais le sien. C’est Kya. Je ne l’ai jamais oublié depuis que je l’ai entendu dans la bouche de sa brune d’amie. Kya. Kya. C’est un prénom bizarre, une syllabe dont on se débarrasse trop facilement. *Kya*, c’est trop rapide, cela ne lui va absolument pas. Je ne l’aime pas son prénom. J’espère que le nom de famille me plaira davantage. Non pas que je compte m’en servir beaucoup, évidemment.

09 avr. 2020, 18:43
Réminiscences  privé 
*Qu’elle dégage.* Loin.
*Qu’elle dégage.* Pour ne plus te faire de mal.
*Qu’elle dégage.* Pour que tu reconstruises ton cœur.
*Qu’elle dégage.* Pierre après pierre.
*Qu’elle dégage.* Que tu lui redonnes une forme normale.
*Qu’elle dégage.* Qu’il soit à nouveau fonctionnel.
*Qu’elle dégage.* Et que tes émotions cessent de jouer, toujours.
*Qu’elle dégage.* Saleté d’idée qui fait mal.

Tes yeux captent l’éclat du sourire de l’Autre. C’était ça, que tu devais faire. C’est comme ça qu’une Idée meurt. Comme ça qu’on tue un mauvais souvenir. Comme ça que la douleur disparaîtra. 
*Comme ça que…*
Que tu oublieras Papa et Maë, je l’espère. Je l’espère sincèrement.
Il te suffit de la lancer. Loin, très loin.
Pour qu’elle ne revienne plus jamais.
La lancer de toutes tes forces. Ne plus jamais y songer.
T’es pas morte dans ton cœur, Gamine. Ton heure n’est pas venue. T’es pas morte dans ton corps, non plus.
T’es vivante. Pour longtemps encore, t’es vivante. Tu survivras à toutes les tempêtes de ton esprit, à tous les désastres.
Ce sourire, il vaut tous les efforts que tu as fournis pour balancer cette boule de neige. Pour qu’elle incarne ton idée. Pour que cette idée disparaisse de ton esprit.
Pour que tu te convainques que tu n’es pas morte.
Pour que tu t’affirmes que tu vas vivre malgré la douleur. Malgré la Famille qui n’est plus. Malgré Maë qui fut un temps ta sœur jumelle, ta confidente, ta seule amie. Malgré Papa qui pourrait mourir.
Plus rien ne doit t’atteindre, Gamine. Tu n’es plus des leurs. Ils ne peuvent plus te faire de mal.
Accroche-toi à ton existence comme si elle était la seule chose que tu avais au monde – ce qui au fond n’est pas si faux, n’est-ce pas ? Retiens-la de toutes tes forces et ne la laisses pas fuir.
Et vis pleinement cet Instant, celui qui s’écoule sans que tu le voies filer, celui qui embrase ta conscience de ces centaines de couleurs dont le nom t’est inconnu. Profite du Temps que tu ne ressens plus. Profite de cette Autre qui t’offre sans te demander quoi que ce soit.
Profite de son savoir qui t’est un présent inestimable.

Elle te toise, maintenant. Elle s’est approchée de toi et t’observe, de toute sa hauteur. Tu te sens minuscule, face à cette Autre-qui-Sait, cette Autre-qui-Tue et qui Enseigne.
Terriblement inférieure. Et tu as osé essayer de te mesurer à elle.
Tu saisis ton violon, le prends contre toi et lui jetant un regard anxieux. Non, elle ne l’a pas abîmé. Il n’a rien, ne t’en fais pas. Elle en a pris soin.
Tandis qu’elle te détaille, tu réfléchis un instant et la vérité t’éclate au visage.
Elle n’est pas de ces Autres qui font mal par leur simple façon d’Être. Elle, elle ne fait pas mal avec sa joie de vivre et ses amis comblés. Elle, elle ne te donne pas envie de pleurer avec sa famille encore aimante. Non, elle, elle se contente de vivre et de n’en avoir rien à faire, des Autres et de leurs regards.
Et c’est rare, les Autres qui ne le sont pas réellement. C’est rare et précieux.

« Lewis. Kyana Lewis. »

Tu cherches dans ta mémoire, le souvenir de son nom. Si tu te rappelles de chacune des fois où vous vous êtes vues, de chacun des moments où tu as fixé tes yeux de glace dans son regard de nuit, son nom ne t’a pas marquée tant que ça. Peut-être parce qu’elle n’en a pas besoin pour être ce qu’elle est. Peut-être qu'elle aussi, son nom n’est rien et seuls ses actes comptent.
Il te revient par bribes. *Aelle.* La suite… tu ne t’en rappelles pas. Mais tu n’as pas vraiment envie de savoir comment elle s’appelle entièrement. *Aelle* suffit. Amplement.

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ent‘r‘êvée

11 avr. 2020, 13:23
Réminiscences  privé 
Lewis.
Ma première pensée : *merci, Merlin*. Merci, elle n’est pas comme les Autres, elle répond à ma question avec simplicité, en me donnant non pas son prénom, mais son nom de famille. Mon sourire s’agrandit légèrement. Celui-ci ne dévoile pas mes dents, il se contente d’apparaître au coin de mes lèvres, le genre de sourire que l’on ne peut contrôler, qui a sa propre existence, qui choisit d’apparaître.

La suite de ses mots fait sursauter mon coeur. *Kyana*.
Merde.
Je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’offre son identité entière, et je reste bête, mon sourire figé et les sourcils légèrement froncé. Ma nuque est douloureuse à force de rester penchée, et mes bras inutiles contre mes hanches maintenant qu’elle a récupéré son instrument. Il me faut quelques secondes pour comprendre que son prénom que je pensais connaître depuis plusieurs mois n’était qu’un vulgaire surnom. Elle ne s’appelle pas seulement Kya, ce prénom que je n’aimais pas, que je trouvais trop peu important, trop rapide, comme une syllabe que l’on dégueule. Non, elle s’appelle Kyana. *Kyana*. Je crois… Je crois que ce prénom me convient bien mieux. Mais je choisis de ne pas y songer, je ne me concentre pas sur ces pensées. Peu importe que j’aime ce prénom ou non, je ne le prononcerais de toute manière pas.
Pas maintenant.
*Jamais*.
Non, jamais, c’est certain.

Je me recule légèrement, m’éloignant de ce tout petit corps, de cette toute petite fille. Tout à coup, je me rends compte que je suis là, je suis réellement là. Dans la neige et le froid matinal du mois de janvier, mon uniforme et une cape ridiculement légère sur le dos, à frémir et à trembler comme une malheureuse, alors que je devrais être sur le chemin de mon cours de Métamorphose  en compagnie de Thalia, et peut-être même de Zikomo. Merlin, mais qu’est-ce que je fous là ? Je n'ai aucune idée de la raison qui m'a poussé à laisser Thalia tout à l'heure pour suivre cette fille, je ne sais toujours pas ce qui m'a pris, et j'ai peur de ne jamais le savoir ; de ne jamais vouloir le découvrir. Je ne le regrette pourtant pas. C’est ce qui me dérange le plus, je crois. Je ne regrette rien, j’ai même une envie étrange qui chuchote dans mon coeur, une envie idiote, une envie dérangeante : celle de rester assise là, en compagnie de cette Autre *Lewis* et d’apprendre à connaître ce qui se cache dans son coeur.
Mais c’est idiot, non ?
C’est complètement con.
Ce n’est qu’une Autre.
Et un cours m’attend. De toute manière, je suis certaine qu’elle n’a pas envie de rester là, et qu’elle n’a rien à m’apprendre, et qu’elle n’est même pas intéressante. Peu importe que je sois secrètement heureuse qu'elle ait compris ce que j'ai voulu lui apprendre. Peu importe qu'elle ait balancé cette boule de neige comme elle aurait balancé son idée. Peu importe que sa compréhension ait dansé avec la mienne. Peu importe.

Mon regard l’examine une dernière fois, englobant sa chevelure d’un roux profond, ses yeux de glace et cet air qu’elle porte sur le visage, cet air qui me donne envie de la regarder sans m’arrêter pour tenter de la comprendre. Cette envie fugace s’en va en même temps que ma vie se rappelle à moi.
Thalia.
Zikomo.
Mes cours.
Je n’ai aucune raison de rester ici à penser aux chimères et à me noyer d’espoir. Mon regard descend vers le violon, puis remonte se déposer dans le regard de la fille.

« A plus tard, Lewis, » dis-je simplement.

Je me retourne sans attendre, les mains plongées dans la chaleur relative de mes poches, et prends la direction du château. Dans mon esprit, je m’extirpe avec difficulté de ce moment, de mes pensées, de mon intérêt pour cette fille.

12 avr. 2020, 19:31
Réminiscences  privé 
Sa surprise t’est presque palpable, et pourtant tu ne relèves pas. Fière, tu redresses la tête, la fixes. Dans tes yeux brille encore cette flamme déterminée, cette volonté qui te faisait défaut depuis déjà bien longtemps et que tu es heureuse de voir surgir maintenant.
Ton idée a disparu. Et c’est comme si ton cœur, plein d’entrain, se remettait à battre librement. Comme si, oppressé, il ne fonctionnait plus correctement et qu'à présent il pouvait enfin s’agiter, ressentir et exprimer ces émotions qu’il ne voyait plus, dont il s’était isolé. 
Ces sentiments n’étaient plus pour lui que de désagréables flèches qui se plantaient douloureusement, et qui retrouvent maintenant leur importance.

Faisant fi de sa taille qui t’intimide légèrement, tu te dresses, étire ton dos jusqu’à présent courbé par le poids de ta peine. Tes sourcils sont légèrement froncés, portant toujours cette marque concentrée qui ne t'a pas quittée.
Tu ferais tout pour que l’idée ne revienne pas. Tu ne veux pas mourir. Cette vie qui palpite en toi, qui inonde ta conscience de lumière, qui l’éclaire de rayons chaleureux et rassurant, tu ne la laisserais fuir pour rien au monde. Prête à perdre jusqu’à ton humanité pour ne plus te sentir vide comme c’était le cas. Déterminée.
Tu te battras corps et âme, c’est certain.
Un jour, tu le sais, tu te retourneras. Tu regarderas derrière toi. Tu contempleras le bordel que fut ton âme, et tu saisiras la portée des dégâts que tu lui as fait subir.
Tu douteras, encore une fois. Tu ne verras que tes torts, ne te sauteront aux yeux que tes pires erreurs.
Ces jours inévitables, ces jours de douleur qui font partie de ton existence, seront des rappels. Des mises en garde, pour t’annoncer que, malgré ta bonne volonté, malgré ta détermination, tu n’es pas invulnérable, Gamine.
Non, tu n’es pas de ceux qui ont une Armure sur l’esprit, quelque chose qui les protège. Pour que rien ne puisse les atteindre. Tu n’es pas ce ceux qui se foutent du monde qui les entourent, qui ne réalisent pas la beauté simple des Mots ou des Etoiles.
Tu es de ceux qui Ressentent. Qui se laissent prendre par la danse des paroles et le rythme d’un air au piano. Tu es de ceux qui laissent les émotions les envahir. De ceux qui sont blessés parce que la Monde les dépasse. Parce que cette société dans laquelle ils ont été jeté, contre leur gré, est trop violente pour eux. Tu es de ceux qui ont un cœur, un cœur puissant, un cœur violent. Un cœur aimant.
Ces jours où les couleurs les accompagnent, où le ciel morne pleure à ta place et où tu te sens seule arriveront, et tu devras les vivre.
A présent, tu as compris quelque chose. Ces instants où ta confiance disparaîtra, ces moments de doutes, où, vulnérable, tu ne sauras plus quoi faire, ce seront des moments éphémères. La vie reviendra, toujours. Tu referas surface, retrouveras cette stabilité qui te faisait défaut.
Tu te redresseras, te relèvera, comme aujourd’hui. Tu retrouveras ce goût qui te manquait, ces envies qui avaient disparu. Tes idées évanouies se relèveront.
Et tu en sortiras grandie.
Elle fait un pas en arrière. Puis deux. Elle s’éloigne, doucement, s’en va vers ce qui l’attend, vers la classe dans laquelle elle devrait déjà être, vers les Autres.

« Ben… Pars pas... »

Ta voix se perd, s’envole et disparaît. Sans doute n’atteindra-t-elle jamais les oreilles de l’Autre. Mais c’est pour le mieux. C’est rassurant. Tu n’es pas faible. Tu ne doutes plus.
Ton filet de voix se transforme en un éclat, tranchant, qui résonne et qui appelle.
Non, tu ne veux pas qu’elle s’en aille. Cet Echange hors du Temps est agréable et te change les idées, et le savoir qu’elle a à t’offrir un présent inestimable. Tu n’as pas envie qu’elle disparaisse, qu’elle mette fin à cet instant magique, à ce lien qui s’est tissé.

« Toi aussi, t’es d’jà morte dans ton cœur, hein ? »

L’éclat n’est plus implorant. Il a retrouvé sa vigueur. Sa force qui n’était plus.
Dans tes yeux scintille ta reconnaissance. C’est elle qui a fait fuir les Ombres.

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ent‘r‘êvée

13 avr. 2020, 13:01
Réminiscences  privé 
Je me retourne avant même qu’elle ne parle, comme si je savais, comme si j’avais deviné ce qu’elle allait faire. Me retenir, m’empêcher de m’en aller, en vouloir encore plus, encore un peu. Mon coeur sursaute et s’arrache de son carcan. Je ne sais pas à quoi ce sursaut est du : à mon bonheur que Lewis m'ait retenu (je n'avais pas même eu conscience de l'espérer) ou à sa phrase qui me bouscule ?

« Toi aussi, t’es d’jà morte dans ton cœur, hein ? »

Il vole, mon coeur, il vole. Et il se fracasse sur la lande de mes souvenirs. Douloureusement, brutalement. Je prends une courte inspiration qui me défracte la gorge. Mes yeux sont plongés dans ceux de Lewis qui paraît plus petite encore depuis que je me suis éloignée, mais je ne la vois pas, je ne la regarde pas. Mes yeux voient d’autres images, d’autres souvenirs. Des éclairs de souvenirs, éblouissants, choquants.
Cachot.
Émeraude.
Bombabouse.
Des images sans queue ni tête, qui n’ont aucune logique, aucune compréhension, qui me hantent, qui m’envahissent, qui me figent, qui m’étouffent.
Lettre.
Baiser.
Étreinte.
Tout se mélange. Charlie. Thalia. Tout se mélange. Mon visage se ferme, ma bouche se tord. Au bout de mes bras, cachés dans mes poches, mes poings s’arrondissent de rage. Je la laisse s’exprimer sur mes traits, mais ne bouge toujours pas. Une inspiration, une deuxième. Rassembler les souvenirs, visualiser la boule qui les représente, une boule de présence, envahissante, dégueulasse. Une expiration et je les évacue. Les images d’un cachot humide, l’éclat de deux yeux émeraude, une bombabouse qui passe d’une main à une autre et les mots et les paroles et mon coeur. Je les rassemble et les évacue au loin. Dans l'abysse de mon esprit, dans l'obscurité de l'oublie. Ne reste que Thalia. Thalia et son baiser. Je ne pense jamais à ce baiser, je m’efforce de ne pas le faire. Ce souvenir me dérange et me fait rougir, il me fait ressentir des choses étranges dans le ventre et dans le coeur, alors je n’y pense jamais. Mais aujourd’hui, aujourd’hui je me plonge dans le souvenir des lèvres si douces, de la proximité qui ne me dérangeait pas, du regard que nous avions échangé. Je m’y plonge et la boule de Présence s’éloigne.

Quelques secondes à peine sont passés lorsque je reviens à moi et que je module mon visage pour que plus rien n’apparaisse sur mes traits. Je regarde Lewis comme je l’ai jamais regardé, la surplombant de ma sévérité. Putain, avec une seule parole elle a manqué de tout gâcher.

« Ferme ta gueule, Lewis, asséné-je d’une voix solide. Parle pas de choses que tu comprends pas. »

Je n’ai pas bafouillé, j’ai pu trouver mes mots avec facilité. J’en ressens une certaine fierté. Dans mon coeur, plus aucune trace de la catastrophe qu’il vient tout juste de vivre. Seulement une petite chaleur dans le coeur, comme un vieux souvenir, et une vague dans le ventre, due à la sensation des lèvres de Thalia sur les miennes.
Rien de grave.
Je contrôle.
Je fronce un peu plus fort mon regard. 

« Cherche pas à savoir. »

J'assène, je frappe. Dure, brutale. Tout pour qu'elle se la ferme. 
Je doute, un instant. Le lui ai-je pas accordé ma confiance trop rapidement ? Si je n'avais pas été aussi ouverte avec elle, jamais elle ne m'aurais posé cette question, jamais elle n'aurait osé, et plus important encore, jamais elle n'aurait compris. Peut-être devrais-je revenir sur mes pensées, sur mes émotions. Repousser mon intérêt, repousser le souvenir agréable du moment que je viens de passer en sa compagnie, oublier, m'en aller. Ce n'est peut-être qu'une fille comme les Autres, à juger, à vouloir savoir, à faire du mal. 

« Ou tu le regretteras. »

Les mots tombent comme une sentence. J'ai honte ; je lui laisse une dernière chance. Celle de comprendre qu'elle n'a pas intérêt à dépasser les limites si elle ne veut pas que je l'explose et l'évince de.. De quoi ? De mes pensées, peut-être. Ce n'est pas comme si cela avait la moindre importance pour elle, souffle mon coeur, dès que tu seras partie elle t'aura oublié. 
Certes. 
Peut-être devrais-je réellement m'en aller et l'oublier, finalement. 

13 avr. 2020, 17:50
Réminiscences  privé 
Sa rage monte. Elle se traduit par le bouillonnement dans ses yeux, elle se traduit par cette moue sévère, elle se traduit par l’aura violente qui se dégage soudainement d’elle.
Elle te paraît grandir, étendre son ombre douloureuse jusqu’à toi. Te dominant par sa taille, par sa colère, par sa haine qui s'allonge, l’Autre *Aelle* t’intimide et t’effraie.
Tu ne saurais déterminer si c’est son visage devenu parfaitement inexpressif ou ses mots qui te font le plus de mal. Qui vous font vaciller, toi et tes certitudes si durement acquises, si douloureusement obtenues. Atteinte, tu recules d’un pas.
Tes yeux s’emplissent, non pas de larmes, parce que tu n’en as plus, mais de douleur. Tu la contemples un instant, silencieuse.
*Elle a Brisé*.
Cette pensée qui te saisit te ramène à l’idée de Petite Ombre. Elle t’apaise. Elle avait Brisé, elle aussi.
Petite Ombre, elle a su calmer les battements de ton cœur. Petite Ombre, tu la haïssais au début, parce qu’elle avait foutu en l’air toute l’harmonie de la nuit. Elle a dérangé les étoiles et ébranlé le cours tranquille du temps. Petite Ombre, elle a entendu ta voix qui s’élevait vers les ténèbres et qui pleurait tout son mal, toute sa peine. Les paroles que tu fredonnais, de ta voix rauque, abîmée par les larmes, sont parvenues à ses oreilles. Petite Ombre, elle n’a pas été dégoûtée. Petite Ombre elle est juste venue partager ce moment de nuit avec toi. Elle t’a fait ressentir.
Elle a compris que tu avais peur, terriblement peur. Peur de mourir. Peur de vivre. Peur d’apprendre. Peur de découvrir. Peur d’avoir mal. Peur de ta famille. Peur de toi-même. Peur des sorciers. Peur du monde qui te fait subir tant de choses.
Elle a compris que tu avais besoin d’être apaisée, et elle t’a aidée.
Petite Ombre, si tu la haïssais au départ, s’est révélée une Compagne de Nuit incroyable. Finalement, tu l’aimes bien, Petite Ombre.
*Elle a Brisé*
L’Autre n’a pas Brisé, comme Petite Ombre, la tranquille quiétude des ténèbres. Elle, elle a Brisé le lien qu’elle a elle-même contribué à créer. Elle a cassé la parenthèse, ce moment qui vous isolait des Autres pour un instant. Elle a laissé le temps vous rattraper.
Mais malgré tout, elle n’est plus une inconnue. Alors même si tu as mal, tu ne peux t’empêcher de vouloir comprendre. Elle ne veut pas que tu apprennes davantage.
Tu sais pourquoi elle fait ça. Tu t’en doutes. Elle ne veut pas être faible. Elle ne veut pas qu’un pauvre Gamine pitoyable ait un ascendant sur elle. Elle sait que si elle parle, elle parlera longtemps. Et elle exprimera beaucoup. Elle ne veut pas, et tu comprends.
Il y a quelques mois – une éternité, tu ne voulais pas dire ta douleur.
Tu ne voulais pas accabler les Autres du poids de tes remords. Tu ne voulais pas leur faire subir cela, parce qu’ils seraient puissants. Ils seraient supérieurs. Tu ne pouvais te résoudre à te trouver en dessous d’eux, recroquevillée, petit corps désespéré.
Tu recules d’un pas, lentement. Tes yeux toujours fixés dans le feu de rage qui brûle toujours dans ses yeux, dans les flammes rouges qui s’élèvent et qui te renvoient l’image d’une enfant éplorée.
La fixant, tu prends ton violon et ton archet dans ta main droite, te baisses. De la gauche, tu ramasses un peu de neige. Son contact t’arrache un frisson mais tu la gardes dans ta paume, pour ne pas qu’elle tombe.
Tu te redresses, déroules à nouveau ton dos et restes immobile un instant, saisie par le froid. Dans ta main, l’immaculé de la glace attire les rayons du soleil et réchauffe ta conscience.
Cette blancheur, cette pureté te fascine.
Tu avances le bras, un peu effrayée. Les yeux dans les siens.

« Tiens. »

Tu la contemples, et tes mots sont un peu tremblants. Hésitants, ils flottent sur tes lèvres sans que tu te décides à les laisser fuir. Elle te fait peur. Même si tu parais t’en foutre totalement, ses mots accélèrent ton rythme cardiaque. Sa menace, elle serait prête à la mettre à exécution, tu le sais bien.
Tu l’as vue en colère. Et tu sais comme elle serait capable de te blesser. Même si elle t’a aidée à faire dégager les Ombres, à balancer l’idée. Elle ne veut pas que tu en saches trop.

« Faut qu'tu la jettes. Comme ça, ça t’fera plus mal. »

____

« Ces quelques mains qui s’tendaient que je n’ai jamais rattrapées,
Dans tout c’que j’ai tenté je n’revois que mes ratés. »

• ‘til it seemed
that Sense was breaking through — •

ent‘r‘êvée

14 avr. 2020, 01:58
Réminiscences  privé 
Je me jette trop facilement sur ce que Lewis me laisse voir d’elle, dans ses yeux. Je m’y jette trop profondément. Cela m’empêche de penser, de douter, de me demander, d’hésiter. Cela m’empêche de bien des façons, alors je plonge ; c’est plus simple ainsi.

Elle a compris, je le sais. Quant à savoir comment je le sais, c’est un mystère. Ses yeux me partagent des émotions et il me semble les comprendre. Elle a saisit, elle va fermer sa gueule, elle ne recommencera plus à dire des choses idiotes, sans réflexion. Des choses trop vraies, des vérités qui font mal. Je n’ai pas envie de parler de vérités avec cette fille. Je ne lui ai pas appris le balancement mental pour rien. Je n’ai pas gâché les dernières minutes à la regarder balancer cette fichue boule de neige pour rien. Non, je l’ai fait pour qu’elle comprenne que les souvenirs douloureux ne sont pas fait pour nous habiter. Je l’ai fait pour qu’elle s’éloigne de ses larmes, de sa tristesse idiote, pour être elle, vraiment elle, avec sa connaissance, son savoir, celui qu’elle cache derrière ses yeux de glace. Je le sais, Merlin, je le sais qu’elle cache des choses. Je le sens. Je ne serais pas si intéressée, sinon, je ne serais pas là, tout simplement. Sa phrase précédente m’a déçue. Elle m’a fait me dire : cette fille-là est peut-être aussi envahissante que les Autres.
Et je n’aime pas être déçue.
Et je ne veux pas être déçue.
Pas par elle.

La voilà qui attrape son violon d’une main et qui se penche. L’air insondable, je l’observe. Elle ne m’a pas répondu, elle ne m’a rien dit. Sans doute n’a-t-elle rien à dire de plus. Lorsque l’on comprend nos erreurs, le mieux est sans aucun doute de fermer sa gueule. Mon masque, cependant, se fissure quand elle se redresse avec, dans les mains, une boule de neige aussi blanche que celle que je lui ai fabriqué il y a quelques minutes tout juste. 
Mon coeur sursaute ; fichu coeur. 
Je crois que je comprends. Lewis s’approche. Dans le secret de mes poches, mes poings sont toujours refermés sur eux-même, veillant sur ma colère comme deux gardiens. Je comprends ce qu'elle veut faire, elle veut me faire croire que la douleur existe encore, que j'ai besoin de la balancer. Mais c'est faux, je n'ai pas besoin de ça. Son acte me met en colère, j'ai envie de la pousser de toutes mes forces et de la faire tomber dans la neige, de la rouer de coups pour qu'elle arrête de vouloir me faire croire des choses. 
Je ne veux pas.
Je ne veux pas qu’elle fasse ce qu’elle va faire.
Mais je n'agis pas, je ne la pousse pas. Tout au fond de moi, je ressens d'étranges choses. De la reconnaissance, du plaisir ; pourquoi ? Parce qu'elle a compris, en quelques secondes à peine que... *Rien du tout, elle a rien compris du tout*

Mon masque n’est qu’un ancien souvenir. Alors, pour ne pas complètement me ridiculiser, je retiens mes émotions, je garde ma colère. Et je repousse la chaleur qui me bousille le coeur, les émotions étranges et débiles qui le traversent. Tiens, qu’elle dit. Faut qu’tu la jettes. Comme ça, ça t’fera plus mal. Mais je n’ai pas mal, c’est ce que tu n’as pas compris, gamine. Je n’ai plus mal, plus mal, plus mal ! Tu entends ? C’est de l’histoire ancienne, tout ça, j’ai Thalia maintenant, j’ai Zikomo, il n’y a plus aucune place pour autre chose dans mon coeur, plus aucune. Et je me fous de mes souvenirs. C’est inutile les souvenirs, ça prend de la place, ça n’apporte pas grand chose. Ne crois pas que je suis comme toi, Lewis.

Une bouffée d’émotions étouffe mes paroles et bloque ma langue. Ils se coincent dans ma gorge douloureuse, ils m’étranglent. Je détourne les yeux un moment parce que je ne supporte plus d’être plongée dans cette glace qui me fait face. Mon coeur fait n’importe quoi. Il aime et il déteste. Il apprécie et il refuse. Il oublie et se souvient. Ce n’est pas un coeur, ça, c’est une connerie.
Je n’ai pas besoin de cela, Lewis.
Je ne suis pas morte, tu entends ?
Je ne suis pas comme toi, je ne suis pas morte !
Y’a plus d’Charlie, putain !

« Pas besoin de ç-ç-ç-... »

Merde.
Oubliée, ma parfaite diction de tout à l’heure.
Oubliée, la peur que j’inflige, les ordres de ma voix.
Je ferme brièvement les yeux, à la recherche de mon contrôle. *Pas grave si je bafouille, pas grave*. Et pas grave le reste. Les idées n’existent pas.

« J’en veux pas, » articulé-je lentement, comme si je m’adressais à une débile.

C’est peut-être ce qu’elle est, après tout. Une débile. Débile de ne pas comprendre que je n’ai pas besoin de son aide, débile de ne pas comprendre que c’est elle qui a besoin de moi. Une longue expiration s’échappe de ma bouche. Dans mes poches, mes poings se décrispent. J’offre un regard à Lewis, un dernier. Un regard froncé, sombre. Insistant. Fais attention, veut-il dire. Fais attention, parce que tu n’auras pas d’autres chances. Insiste encore une fois et tu passeras de Lewis à Autre.
Je t’en supplie, fais attention, chuchote mon coeur.
Je ne veux pas que tu sois une Autre, je n’en ai pas envie, gémit mon âme.