Le matin. Un nouveau matin, faire confiance à une nouvelle journée. Dans un beau château, un château rempli de sorciers, sans le moindre moldu. Monter les escaliers, tranquillement. Enfin, pas si tranquillement que ça, la jeune Serpente risquait d'être en retard. Il faut avouer que depuis le sous-sol, le cinquième étage était un peu loin.
Tant d'escaliers… Il y en avait beaucoup, à la pension, aussi. Non, non, non, pas la pension ! C'était fini, la pension. Terminé, au revoir, adieu. Plus jamais. Il y avait beaucoup trop de moldus, dans cette pension. Elle n'en reverrait plus avant l'été, des moldus. Juin, c'était dans longtemps. Le temps de rencontrer plein de sorciers, prévoir des échanges de hiboux.
Le tout était de dominer ses pensées. Arrêter de ressasser. Quel mot, ressasser. Penser à ce qu'elle voulait, quand elle le voulait. Ou plutôt ne pas penser à ce à quoi elle ne voulait pas. Plus facile à dire qu'à faire. Non, elle n'y arriverait pas. C'était humainement impossible. Mis à part avec l'aide d'un sortilège d'amnésie…
Ressasser. Un palindrome. Quel mot terrible que ce verbe. Ressasser, on ressassait toujours dans les deux sens. D'abord, on repensait à la scène, on la revivait intérieurement ; puis on pensait à tout ce qu'on aurait dû faire, tout ce qu'on aurait dû dire.
De quoi détruire n'importe qui.

Bon, activation du mode survie. Indispensable quand il y avait des impératifs alors que l'esprit partait dans ces lieux de torture cérébrale d'où nul n'avait jamais su le ramener jusqu'alors.
Oublier tout, et… aller en cours. Comme au bon vieux temps, à la pension. Pas si bon, mais bref. Direction : le cours de métamorphose.

C’était un lundi tout à fait classique. Yesenia commençait doucement à prendre ses marques dans le château et bien qu’elle s’y perdait encore, elle appréciait beaucoup s’y balader. Et presque comme chaque dimanche depuis qu’elle était arrivée, Yesenia prolongeait son week-end en lisant des livres jusqu’à très tard le soir, jusqu’à ce que ses paupières aient raison d’elle.

Donc, comme chaque lundi, Yesenia peinait à se réveiller, à déjeuner et à se rendre en cours de Métamorphose, une matière qui lui donnait particulièrement du fil à retordre. 

Ce matin-là, elle avait évidemment voulu ranger ses affaires qui trainaient près de son lit, ce qui lui avait prit un temps monstre. Toutes les filles de son dortoir étaient déjà parties lorsqu'elle se décida à sortir de la salle commune pour rejoindre son premier cours de la journée. 

Alors qu’elle avançait à petits pas pressés dans le château, accompagnée de son habituelle pile de livres-absolument-pas-utiles-au-cours, elle se retrouva quelques mètres derrière une Serpentard de son année. Elle la reconnut immédiatement. Elle logeait dans le même dortoir qu’elle, mais ne lui avait jamais adressé la parole. Il faut dire que Yesenia était plutôt du genre timide.  Elle fut tout de même rassurée de tomber sur une autre fille de sa maison et se décida à la rejoindre. Elle trottina jusqu’à elle dans l’un des nombreux escaliers qui composaient Poudlard.

- Eh, salut... dit-elle. Tu t'appelles bien Malya, c'est ça ? 

Yesenia avait les joues rosies par l’effort, le souffle court et le regard un peu fuyant. 

- Je - je m’appelle Yesenia. Cooper. Se présenta-t-elle en souriant timidement à la brune. On fait le chemin ensemble jusqu'au cours de métamorphose ? 

Monter. Continuer à monter. Oublier tout le reste.

Une petite vois timide parvint aux oreilles de Malya. Elle tressaillit ; elle ne s'y attendait pas, mais alors pas du tout.
Ah zut. Une interaction sociale. Enfin, zut était peut-être un jugement trop hâtif. Regarder la personne en question.

Oh. Une Serpentard, avec qui elle partageait sa chambre. Ce n'était pas pareil. Les deux fillettes ne s'étaient jamais adressé la parole, mais c'était peut-être là l'occasion pour cela. En profiter pour passer pour une personne normale, tant qu'à faire.
Sourire.
Elle avait l'air sympathique, bien qu'apparemment un peu effrayée à l'idée de parler à des gens. Mais Malya était pareille. Elle pria aussi silencieusement que rapidement pour que sa camarade ne connaisse pas la moindre des choses qu'elle avait vécue, nul ne le méritait. Elle semblait bien trop gentille, peut-être même fragile. La moindre attaque risquerait de la briser, Malya en était certaine. Une toute petite coquille, pas résistante pour une chocogrenouille. Que l'on pourrait dévorer de la même manière.

Mode défense désactivé. Essayer d'ouvrir sa carapace. Sourire.
Mode sociabilisation activé. C'est parti.

- Coucou ! Oui, je m'appelle Malya, Malya Crown. Volontiers, je me sens un peu perdue, dans ce château gigantesque. Il faut encore monter, non ?

Château gigantesque, c'était un euphémisme. C'était bien la seule chose qui dérangeait Malya, ici. L'immensité. Pas assez de murs. On se sentait lâché, abandonné dans la nature. Grand. Trop grand. Besoin de murs, de cadres, de repères. Besoin de sa bulle.
Elle essayait, depuis son arrivée, de ne pas y penser. Mais elle était bien, enfermée. Ça calmait, une bulle. Une bulle rien qu'à soi, rien que pour soi.

Opération dire bonjour-se présenter réussie. Étape suivante.

La petite brune se détendit face à l’autre Serpentard. Malgré son entrée plutôt maladroite, Malya n’avait pas l’air plus dérangée que cela par la présence de Yesenia. Elle aussi se sentait perdue dans le château. Les sentiments étaient partagés et soulageaient fortement Yesenia. Tout était tellement grand, contrairement à sa petite maison à Burringham. Les couloirs faisaient des kilomètres, les escaliers grimpaient jusqu’aux cieux et les pièces avaient sans cesse l’air de changer de place. Oui, tout était immensément grand à Poudlard. Tout cela lui donnait parfois le tournis. Mais elle n’y pensait pas trop. Elle voulait tout simplement prendre ses marques, là, maintenant.

- Je ne sais pas, chuchota Yesenia. Je vais regarder sur mon emploi du temps.

Elle s’arrêta en plein milieu d’un escalier, déposant sa pile de livres sur une marche, pour sortir son emploi du temps. Celui-ci avait été griffonné dès la première semaine de cours. Il y avait plusieurs indications concernant les salles de classe et comment les retrouver.

« Métamorphose 8 h 30 - 12 h 30 tableau collier de perles »

Elle relut la note prise une demi-douzaine de jours auparavant en fronçant les sourcils. Cette indication n’avait plus aucun sens pour elle désormais. Plus elle essayait de décrypter ce que cela pouvait signifier, plus elle avait le tournis. Elle retourna le bout de parchemin. Il était vide de l’autre côté. Maintenant elle avait vraiment le tournis. Elle releva la tête vers Malya pour lui dire qu’elle ne savait pas où se trouvait la salle de classe lorsque…

… Les escaliers devinrent capricieux.

Trop grand, beaucoup trop grand. Rester calme. Ce n'était qu'une question d'habitude. Ça viendrait.

Allez. Ce n'était qu'une salle de cours. C'était certainement moins difficile que de retrouver son chemin après avoir été abandonné volontairement dans une forêt. Ç'avait été une des gouttes d'eau qui avait fait débordé le vase, cette affaire-là... Cette sortie en plein air…
NON ! Hors-sujet ! Le cours imminent de métamorphose ! Thème bien plus intéressant !
Inspirer, expirer. Inspirer, expirer. Sans jamais s'arrêter.
Salle de métamorphose… Il devait suffire de trouver l'étage. Ensuite, les deux fillettes apercevraient bien un camarade.
Tiens, un emploi du temps. Pas une mauvaise idée.
La camarade de chambre de Malya semblait désorientée davantage par le bout de parchemin qu'elle avait saisi. Au pire, elles pouvaient essayer tous les étages. L'un d'eux serait le bon.

Cependant, alors que Yesenia s'apprêtait visiblement à prendre la parole, le ciel tomba sur la tête des deux élèves.
Pas littéralement, mais c'était comme si.
Au point que Malya se demanda où il était, ce ciel. À gauche, à droite ?
Non, elle n'était pas fatiguée. Enfin, pas plus qu'un autre jour.
Juste… ça tournait.
Quelle horreur.
Inspirer, expirer. Ne pas vomir.
Une pensée pratique, une pensée pratique… Tiens, une fois trouver, la dire à haute voix. Ça aidait à la visualiser.
Euh, que dire…
- C'est quoi ce truc ?

Euh, non. C'était pas bon, ça. Ce truc était un escalier qui n'en faisait qu'à sa tête, comme écrit dans les livres. Rajouter une question sortie tout droit de la section cérébrale "Esprit pratique".
- Comment on peut aller en cours dans ce bazar ?

Oui, ça c'était de l'esprit pratique. Et une excellente question.

Désolée pour le retard ma Yeye...

La violence avec lequel l’escalier bougeait fit tomber la pile de livres qu’Yesenia avait déposé par terre. Elle tenta tant bien que mal de récupérer chacun de ses bouquins malgré les secousses. Sa tête tournait dangereusement et elle était complètement déboussolée en se relevant. D'où venait-elle ? Où devait-elle aller ?

- Je ne sais pas. C’est la première fois que ça m’arrive. Dit-elle en réponse à Malya.

Elle s'inquiétait. Etait-ce tout le temps comme ça à Poudlard ? Finissait-on par s'habituer aux étrangetés propres à Poudlard ? Malgré son appartenance au monde sorcier, il lui arrivait d'être encore surprise par la magie que dégageait le château.

Elle tenta de trouver des repères parmi les tableaux aux alentours mais l’escalier tournoyait bien trop pour distinguer le moindre visage sur un tableau. Tout se ressemblait à Poudlard. Son visage blêmit à plusieurs reprises et elle essaya de se concentrer sur ses pieds pour ne pas vomir.

- On … devrait attendre que ça s’arrête, je crois.

« Espérons simplement que l’escalier se calme rapidement. » se dit-elle, inquiète.
Elle tenta de s’asseoir tant bien que mal sur une marche de l’escalier en colère et attendit en fermant un peu les yeux.

- Sauf si tu as une autre idée, peut-être ? Finit-elle par dire à sa camarade de chambre en relevant la tête vers celle-ci, une lueur d’espoir dans les yeux.

Heureusement que c'est la première fois, on est le douze septembre. Manquerait plus que ça arrive tous les jours.

Attendre… Sa voisine lui avait souvent dit d'attendre. Attendre ses onze ans. Attendre sa rentrée à Poudlard. Souvent, Malya avait cru qu'elle ne tiendrait pas. Qu'elle mourrait avant. Que la délivrance n'arriverait jamais. Maintenant, elle était sortie de cette saleté de pension. Il devait falloir un peu plus qu'un escalier déchaîné pour l'empêcher de tenir, non ?

Oui, enfin bon, on a cours quand même.
Ouais. Bon, c'était vrai, il fallait une solution. Ah bah, oui, elle en avait une.
- Se rouler en boule et se laisser glisser jusqu'en bas. Ça risque de faire mal à la tête mais on devrait finir par arriver sur quelque chose de ferme.

Bien sûr, Malya ne parlait pas sérieusement. Le cours de métamorphose ne se déroulait certainement pas au rez-de-chaussée. Toutefois, ça la tentait, de retrouver la terre ferme, un instant…

- Plus sérieusement, rester en vie ce serait déjà pas mal.

Comment elle fait pour rester assise ? Elle va se casser les dents avec un coup de genoux !
Encore de l'esprit pratique, ça. Malya songea qu'elle préfèrerait peut-être échanger ses dents contre un balai, à cet instant précis, pour partir de ces montagnes russes.
Son cerveau repoussa violemment ce flash sur les jeux de fête foraine moldue. Pourquoi ? À quoi évitait-elle, malgré elle, de penser ?
Voulait-elle vraiment le savoir ?

« J’espère qu’elle n’est pas sérieuse quand elle dit cela. » pensa Yesenia.

Il était hors de question qu’elle se laisse glisser jusqu’en bas des escaliers. D’une part, parce qu’elle refusait de se cogner partout à cause d’un idiot d’escalier qui ne voulait pas la laisser aller en cours, et d’une autre part parce qu’elle se demandait ce qui allait se passer si les deux jeunes filles tombaient dans le vide. Il restait une probabilité pour qu’une fois arrivées au pied de l’escalier, celui-ci ne les accueille pas sur un sol ferme.

Y penser lui provoqua un nouveau haut-le-coeur. C’était d’ailleurs très étonnant qu’elle n’ait pas encore rejeté son petit-déjeuner. Elle tenta de fixer un point quelque part sur un mur, mais l’escalier continuait de tourbillonner en provoquant des petites secousses très peu agréables. Son estomac remuait au rythme de la danse que faisait l’escalier. Elle tenta de se lever malgré tout, les genoux tremblants.

- STOP ! Hurla-t-elle à l’escalier, en souhaitant étouffer les crissements des marches en mouvement.

Elle crut un instant que son cri avait fonctionné, car celui-ci s’immobilisa. Quelques secondes à peine. Puis il recommença à un rythme plus rapide, plus nerveux. « Oups. Je l’ai énervé. » marmonna-t-elle. Il fallait qu'elles trouvent une solution rapidement. Yesenia regarda vers la dernière marche, tout en haut. Avec un peu de chance, elles pourraient sauter et réussir à atteindre le couloir. Il fallait tout d'abord vérifier que c'était possible.

- Je… Désolée… Accroche-toi bien ! Dit-elle à Malya, en se cramponnant elle-même à une rampe.


@Malya Crown Désolée pour le retard, partenaire formidable