21 Janvier,
Tour d'astronomie

Elle court.
Les couloirs sont vides et c'est tant mieux.
L'air de Janvier est piquant et froid, lui brûle les poumons aussi habilement que s'il s'agissait d'une fumée épaisse.
A la différence que l'air est léger, léger.
Si léger qu'elle pourrait presque s'envoler avec lui.

Elle est perdue.
Ses pieds semblent savoir où ils vont et c'est tant mieux pour elle.
Elle sait plus où elle est.
Elle sait plus qui elle est.
Un prénom.
C'est une chose étrange, n'est-ce pas?
Le premier cadeau des parents à leurs enfants. Un Mot qui vous définira pendant toute votre vie. Un seul Mot, qui vous appartient, qui vous est attribué, qui vous englobe tout entier.
Son Mot à elle, c'est Alison.
Le Mot de l'Autre, c'est Erin.

Elle le sait depuis le jour où elle est apparue.
Elle le sait et elle a voulu l'oublier.
Elle a pas pu.

Ne pas pouvoir. C'est une des pires choses auquel on est tous confrontés.
Et là, elle peut pas.
Donc elle court.
Elle peut plus, pour être exact. Elle peut plus supporter de ne pas savoir. Elle peut plus supporter les regards en coins de sa famille. Elle peut plus supporter les silences, et encore moins les paroles. Elle peut plus supporter personne.

Elle se sent si seule.
Aujourd'hui, l'Autre a disparu. L'Autre a disparu dans le Lac, il y a maintenant 2 heures, 27 minutes et 34 secondes. Et elle ne peut pas s'empêcher d'y penser.

Ses poumons la brûle. Elle suffoque.
C'était ça qu'elle avait du ressentir l'Autre. Le baiser de l'Eau. Son étreinte étouffante, qui vide vos poumons d'un coup, vous recouvre de cette magnifique couleur nommé Bleu. Le Bleu le plus pur, celui qui est capable de prendre toutes les nuances possibles. Elle voulait aussi prendre ce Bleu.

Mais l'Eau n'a pas voulu le lui offrir. Elle a été égoïste. Elle l'a gardé pour elle toute seule.
Toute seule.
C'est ce qu'elle est maintenant.

Des points noirs devant ses yeux.
Ça lui fait du bien. Du bien de plus courir droit. Du bien d'avoir mal. Du bien de trébucher et de se rattraper aux murs qui lui écorchent les mains. Du bien de plus voir clair le Monde.

Voilà. C'est mieux. Comme ça elle peut tout noyer dans ces points noirs. Ces points noirs qui ont bouffé la lumière. Ces points noirs qui doivent l'accueillir.

Elle tourne. Ou alors c'est le sol sous ses pieds?

Souffle. Murmure. Courant d'air frais.
Liberté?
Ses pieds se dirigent vers cet appel, ce son de carillons qui résonnent à ses oreilles.
Un ange plus beau que Gabriel que cette Liberté, mais plus noir que tout.

Une porte. Elle la pousse. Un vent puissant la plaque contre un mur.
Un mur?
Elle lève la tête. Un ciel immense piqueté d'étoile s'ouvre à ses yeux.

*Joli*

Elle est rassurée. Elle sera plus jamais seule.
*Mensonge*.
C'est vrai. Les étoiles changeront rien.

Elle cogne violemment son poing plusieurs fois contre les pierres de la tour. Du sang commence à couleur. Elle s'en fiche.
Puis elle s'arrête.
Elle s'arrête car elle a compris.
Elle a compris ce qu'elle devait faire.

Elle allait danser avec les étoiles.

Tu vas tomber.

Comment peux-tu l'affirmer?


Alors elle se hisse sur un des créneaux.
*Liberté*.
Il fait noir. Elle peut pas voir le sol sous ses pieds.

Elle lève la tête.
Lève la tête pour voir autrement son Monde.
Les astres scintillent et lui sourient.
Un pas.
plus de problèmes.
Un pas.
Plus de mensonges.
Un pas.
Plus de secrets.

Plus qu'un pas...

"Les Étoiles".
Ces petits astres lumineux, qui ne brillent que la nuit. Leur lumière étincelante peut remplir de joie le cœur de n'importe qui. Lena se rendait justement à la Tour d'Astronomie pour les observer. Sur le chemin, elle vit une fille la dépasser en courant. Elle était aussi en première année et à Poufsouffle. Lena se rappela l'avoir déjà aperçu dans la salle commune, mais seulement quelques fois.

La jeune Poufsouffle avait l'air de se diriger elle aussi vers la Tour d'Astronomie. Lena la suivit, mais ce n'était pas vraiment "suivre" puisqu'elle avait l'intention de s'y rendre. Quand la blondinette arriva en bas des interminables escaliers, elle fit une pause. Une pause de quelques secondes qui l'empêcha de se motiver pour monter les marches. Elle commença quand même l'ascension.

Enfin, au bout de plusieurs minutes interminables, elle reçu de plein fouet un coup de vent, qui venait d'une porte en bois un peu plus haut. Les cheveux de Lena se rebellèrent contre elle et elle du les tenir par la main pour pouvoir continuer d'avancer.

Quand elle sortit à l'air libre, la Poufsouffle inspira un grand bol d'air frais. Que cela lui faisait du bien de sentir l'air nocturne ! La légère odeur de moisissure des escaliers ne lui avait vraiment pas plus. Lena regarda plus en détail le haut de la Tour. C'était rond, et il y avait des créneaux.

Soudain, elle aperçut la jeune fille qui l'avait croisée sans la voir sur le chemin de la Tour. Elle se dressait sur un des créneaux, et semblait vouloir sauter. La blondinette s'affola, et bondit vers l'élève de première année pour lui prendre le bras et la tirer en arrière. Lena tomba en arrière sur le sol froid et dur, et se redressa vers l'autre Poufsouffle. Lena ne pu que lui demander, en balbutiant légèrement :

-Tu-tu es sur que tu vas bien ? Je t'ai vu debout, au bord de la tour. Tu ne t'es pas fait mal, j'espère ?

Lena observa d'un air inquiet la jeune fille. Elle avait de long cheveux noirs, ondulés et de beaux yeux verts émeraudes. Sa lèvre était toute abîmée, signe que la Poufsouffle se la mordillait assez souvent. La blondinette attendit patiemment sa réponse, elle devait surement être sous le choc après ce qui venait de se passer.

Tu-tu es sûre que tu vas bien ? Je t'ai vue debout, au bord de la tour. Tu ne t'es pas fait mal, j'espère ?

Elle tremblait.
Le visage contre le sol de pierre.
Les bras serrés autour de la poitrine.
Elle voulait pas voir celle qui l'avait faîte tomber. Elle avait brisé le *Lien*.

Les étoiles la fixaient durement de leur hauteur, chuchotant entre elles, telles des milliers de petits yeux appartenant à des nuées d'oiseaux, prêts à vous fondre dessus.
Les larmes lui piquèrent les yeux.
Elle voulait parler avec les étoiles.
Elle voulait les comprendre, les rejoindre.
La fille avait tout anéanti.

Elle se redressa sur les coudes. Elle sentait ses des mèches de cheveux collées à son front trempé de sueur.
Les pierres de la tour reflétaient les étoiles, la reflétaient elle.
Et ce qu'elle vit ne lui plut pas.
Ses yeux verts, trop grands, mangeant presque ses pommettes, les élargissant comme le visage d'un loup vénitien. Ses cheveux voletant derrière elle, masquant les étoiles par intermittence. Ses lèvres déchiquetées hargneusement et où une légère goutte de sang pointait.

La goutte grossit. Encore. Encore.
S'écrasa sur la pierre en une myriade de petits rubis liquides.
Faut que tu répondes Alison.
La ferme.

Elle se retourna sur le dos, les yeux vers les étoiles.
Si belles. Si pures.
Elles ont failli te tuer.
Elle les aime.
Tu te rends pas compte.
Elle aurait été morte d'amour.
Petite, ce sont là des mots trop grands pour toi.
Rien n'est trop grand pour un enfant ayant grandi trop vite.

C'était ce qu'elle était alors?
Une enfant trop grande pour son âge?
Trop sérieuse? Trop abimée déjà par la vie?
Incapable de rire?
C'était faux. C'était pas de sa...*Faute*.
C'était celle de qui alors?
Elle sait pas.
Elle veut pas savoir.
Elle veut juste mourir dans les étoiles.

"Je vais bien."

Elle tourna la tête vers la fille.
Blonde. Des cheveux d'or. Des cheveux brillants, qui ont avalé le soleil.
Elle songea a ses cheveux. Noirs. Des cheveux en plumes de corbeaux, qui ont avalé la nuit.
Elles étaient des contraires.
Émeraudes brutes contre saphirs outremers.
Ils étaient beau ces yeux. Ces yeux rappelant des rivages ensoleillés, le miroitement de la Lumière dans les vaguelettes, les jeux du soleil dans l'écume mousseuse d'un Lac.

"Tu t’appelles comment?"

[ color=#7F6000 ] [/color] ma couleur
[ color=#741B47 ] [/color] ta couleur

-Je vais bien.

La réponse de la jeune fille rassura Lena, et elle laissait un soupir de soulagement s'échapper de sa gorge. La Poufsouffle avait mis du temps à répondre, mais c'était la réponse qui comptait. Savoir qu'elle allait bien rassurait Lena. Le regard de l’autre élève rencontra celui des yeux bleus saphirs de la blondinette. Elle se perdit dans les yeux émeraudes de sa camarade, qui rappelaient le vert des arbres dans les forêts en été. Un vert émeraude pure, qui reflétait sa gentillesse.

"Ils sont beaux ses yeux... " pensa Lena.

La jeune fille le pensait vraiment.
Elle ne savait pas combien de temps elles restèrent là, assises sur le sol dur et froid de la tour d’Astronomie.

La blondinette sursauta quand l’élève de Poufsouffle lui demanda :

-Tu t’appelles comment ?

Elle ne tarda pas à répondre :

-Lena, et toi ?

La Poufsouffle sourit légèrement après avoir dit son nom. Elle se leva tant bien que mal, et alla s’appuyer sur un des créneaux tout en observant les étoiles.
Elles brillaient, d'une étrange lumière blanche. Lena se demanda laquelle représentait son frère. Il y en avait énormément ! La blondinette ne pu s'empêcher de se sentir attristée quand elle pensa à lui. Elle l'aimait tellement, que la plaie qui était en elle ne s'était toujours pas fermée. Elle ne le serait sans doute jamais, peut-être. Lena secoua la tête pour chasser ses sombres idées de son esprit et se retourna vers l'autre élève. La blondinette était heureuse de l'avoir rencontrée. Peut-être deviendraient-elles amies un jour ?

Lena, et toi?

Lena. C'était joli comme nom.
Elle ferma les yeux et entendit la poufsouffle se lever.
Se lever? S'élever?
Vers les étoiles alors.

Elle revoyait tout de son arrivée à Poudlard derrière ses paupières closes. Ses premiers pas, ses rencontres, ses doutes et ses peurs, ses rires, ses devoirs, ses pensées.
Tout défilait derrière ce rideau léger, comme un film projeté par les étoiles pour ne pas qu'elle oublie.
Oublier quoi?
Que l'Autre était revenue?
Qu'elle ne savait pas qui elle était?
Que ses parents la haïssaient ?
Que sa famille la haïssait?
Que sa grand-mère était malade?

A quoi ça servait de se souvenir?
Ça faisait trop mal.
Ça brûlait.
Ça blessait.
Ça tuait.

Elle savait pas. Elle savait rien en fait.
Elle devait répondre à la fille.

Cette pensée s'évanouit immédiatement, chassée par d'autres. Tout tournoyait.
Ses pensées tournoyaient, emprisonnées dans la tourmente de sa réflexion.

Qui était-elle?
Elle, Alison?
Etait-elle ce qu'Eux disaient?
Etait-elle Rien?

T'es pas rien.
Pourquoi?
Tu ressens des trucs.
Et donc?
Bonne question. Mais t'es pas rien.

Ça l'aidait pas.
Elle se releva sur les coudes.
La fille, Lena, avait le visage rivé vers les étoiles.
Elle l'avait certainement oubliée, elle.

Elle avait pris sa place avec les étoiles.
*Jalousie*.
C'était pas juste.
Elle avait pas le droit de faire ça.
Elle lui avait volé les étoiles.

Elle les contemplait, les étoiles.
Elle les questionnait, les étoiles.
Elle cherchait une réponse, dans les étoiles.

Elle devrait peut-être faire pareil.
Demander aux étoiles.
Personne répondait aux questions.
A ses questions. Aux Questions avec une majuscule, celles qui font mal et qui vous tuent, qui vous plongent dans le noir et la peur, que vous ne voudriez jamais avoir posé.
Sauf qu'il y a pire que ces Questions.
Il y a Silence.

Silence qui bouffe tout.
Silence qui reste muet devant vos larmes.
Silence qui s'en fout.
Silence qui reste insensible devant les charmes.

"J'm'appelle Alison".

Et qui est-elle réellement?
*Eh toi, là, bouge*.
Elle est Toi pour Eux.
Elle a pas de nom.
Elle a pas d'identité.

"J'm'appelle Alison mais j'crois que j'suis Rien."

-J'mappelle Alison. J'm'appelle Alison mais j'crois que j'suis Rien.

Lena tourna la tête vers sa camarade et la regarda avec étonnement. Comment ça, Rien ? La blondinette retourna s'assoir à côté d'Alison avant de dire :

-Tu n'es pas Rien.

Aïe. Maintenant qu'elle avait dit ça, elle devait continuer. Une petite voix résonna dans la tête de Lena.
*Mais pour dire quoi ?*
"Pour prouver qu'Alison n'est pas Rien."
*Mais comment ?*
"Très bonne question."

La Poufsouffle rassembla son courage à deux mains, et commença :

-Tu n'es pas rien Alison. Tu es Toi. Et ce Toi, c'est ta personnalité. Ce qui te défini, ton caractère, tes goûts, ton physique. Toi.

Se rendant compte que ce qu'elle avait dit ne voulait pas vraiment dire grand chose, Lena s'excusa :

-Désolé, on dirait une philosophe. La blondinette ajouta en riant : Je suis la philosophe Lena maintenant !

La remarque de la Poufsouffle avait pour but de faire rire Alison, ou du moins de la faire sourire. Même un embryon aurait suffit. Pour prouver que la personne qui était devant elle n'était pas qu'Ombres et Ténèbres. Pour prouver que sous cette carapace, se trouvait une personne belle et lumineuse.
Souriante et pleine de joie.

Mais pour ça, il faudrait savoir ce qui tourmentait Alison. Ce qui la rendait si... Renfermée ? Malheureusement, Lena n'était pas prête pour poser cette question. Et puis, elles se connaissaient à peine ! De toute façon, la blondinette était trop timide pour ça. Et si Alison ne voulait rien dire, c'était son choix. Cependant, Lena ne pouvait s'empêcher de réfléchir au problème de sa camarade.
Peut-être que c'était une histoire familiale ?
Ou un décès ?
Ou alors... La perte d'un frère ou d'une sœur.
À cette pensée, le cœur de la blondinette se serra. Si c'était ça le problème d'Alison, alors la Poufsouffle pouvait comprendre sa camarade. Ayant perdu son frère, elle savait exactement les sentiments que cela faisait ressentir.

Si Alison voulait bien se confier à elle, alors Lena serait prête à tout pour trouver une ou des réponses aux questions que sa camarade pouvait se poser. Même si pour ça il fallait aller dans les Étoiles.

-Tu n'es pas Rien.

Les étoiles s'arrêtèrent un instant de respirer.
Elle ferma les yeux.
Elle savait plus si c'était de la douleur ou du soulagement.
Elle savait plus rien.
Ces Mots avaient effacé... *Les Souvenirs.*
Et bordel, ça faisait tellement de bien.

-Tu n'es pas rien Alison. Tu es Toi. Et ce Toi, c'est ta personnalité. Ce qui te défini, ton caractère, tes goûts, ton physique. Toi.

Les Mots pour une fois avaient décidé de ne pas la frapper. Ils semblaient ricocher sur les étoiles, qui se les murmuraient, se les répétaient, ondulaient dans les rayons de lune pour retomber sur elle.

Elle avait l'impression d'être devenue une petit particule, emportée par la brise, qui faisait s'envoler ses cheveux.
Elle se releva.
Elle s'éleva vers les étoiles.
Elle aurait voulu dire tout ce qui lui passait par la tête, la remercier, lui faire comprendre ce qu'elle venait de lui offrir.
Et d'un autre côté elle voulait hurler.
Comment Lena pouvait-elle savoir qui elle était? Comment pouvait-elle savoir, avoir des preuves, qu'elle n'était pas *Rien*? Eux, ils pouvaient pas avoir faux, hein?
Hein?

Mais les étoiles continuaient à lui sourire gentiment, muettes, la narguant presque.
Elle en avait assez. Assez de tout.
Elle était fatiguée de chercher. Fatiguée de se poser des questions. Fatiguée d'être différente.
Elle voulait tout lâcher.



La remarque de la fille en face d'elle la ramena brusquement sur terre, si brutalement qu'elle garda longtemps devant elle les formes des vagues de ciel trouées d'étoiles.
Une ombre de sourire se peignit légèrement sur son visage.

Puis elle se reperdit en elle-même.
Les yeux bleus de l'âme de soleil qui se tenait ici avec elle, face à l'océan d'étoile.
Elle plongea dedans.
Elle plongea dans ses mystères, fut happée par des émotions infimes.

Elle recula brusquement, et son dos heurta les pierres dures.
Elle se retourna vers les étoiles, toute envie de plonger dans leurs profondeurs envolées.
Ses yeux d'émeraudes brutes fouillaient le ciel nocturne.
Mais Nyx n'avait pas envie de révéler ses secrets.
Elle ne le fera jamais.

Dans les étoiles, elle voyait les *Souvenirs*, qui dansaient dans une valse folle, qui l'étourdissait et lui donnait envie de vomir.
Elle frappa ses deux poings contre la pierre, hurlant intérieurement contre les étoiles qui s'amusaient à la torturer, détentrices de tout.
*Tout.*

Une belle opposition à elle qui n'était rien.
Non, elle est pas rien.
Comment ça?
Depuis l'âme de soleil. T'es plus rien.
Elle... Elle pourrait...?
T'aider? Essaye.

"P'tit Soleil? P'tit Soleil... J'peux t'appeler comme ça?"

Les lambeaux de Lune se décrochant du ciel faisaient ressembler Lena a un ange, doux, calme.
Elle attendit pas une réponse.
Elle en voulait pas, pour une fois, de réponse.
Parce qu'elle avait besoin de quelqu'un.
Ça lui faisait mal de l'admettre.
Mais Silence faisait encore plus mal.
Silence cognait encore plus fort.
Silence se moquait encore plus souvent.

"Dis, P'tit Soleil... Tu crois aux Souvenirs?"

Lena regarda en silence Alison se frapper les poings contre la pierre dure de la Tour d'Astronomie. La blondinette ne savait pas quoi faire. Pas quoi dire.
Aussi sursauta-elle quand sa camarade de Poufsouffle lui dit :

-P'tit Soleil? P'tit Soleil... J'peux t'appeler comme ça?

Lena allait lui répondre, mais Alison ne lui en laissa pas le temps :

-Dis, P'tit Soleil... Tu crois aux Souvenirs?

Hein ? La blondinette fut un peu déconcertée par la questions de la jeune fille. "Croire aux Souvenirs... Les bons ou les mauvais ? Surement les deux..." Lena garda le silence plusieurs minutes, avant de finalement répondre en souriant :

-Tu peux m'appeler P'tit Soleil si tu veux. Quant aux Souvenirs... J'sais pas trop. J'essaye de croire aux bons Souvenirs, et d'oublier les mauvais. Mais c'est pas la bonne chose à faire je pense. Car plus j'essaye d'oublier les mauvais, plus ils sont là. C'est très pénible d'ailleurs. Et c'est peut-être aussi la cause de...

Lena se stoppa net dans sa phrase. Elle allait trop loin. Elle connaissait à peine Alison, et elle avait faillit lui révéler Ça. De toute façon elle n'y arrivait pas. Silence s'était installé et pesait lourd dans l'atmosphère glaciale du haut de la Tour d'Astronomie.
Il était oppressant.
Il était écrasant.

La blondinette, trouvant que Silence était trop présent, décida de le briser en disant :

-Et toi ? Tu crois aux Souvenirs ?

Voilà. Encore une fois, elle n'avait pas été capable de parler de ses Cauchemars.
Cauchemars qui la rongeaient la Nuit.
Qui la détruisaient.
Qui la tuaient.
Qui lui gâchaient sa vie.
Qui était d'ailleurs tout sauf parfaite.

"Tu peux m'appeler P'tit Soleil si tu veux. Quant aux Souvenirs... J'sais pas trop. J'essaye de croire aux bons Souvenirs, et d'oublier les mauvais. Mais c'est pas la bonne chose à faire je pense. Car plus j'essaye d'oublier les mauvais, plus ils sont là. C'est très pénible d'ailleurs. Et c'est peut-être aussi la cause de..."

Tant mieux.
Car la Jaune resplendissait dans tout ce noir. Et sa voix était calme, rassurante.
Elle lui permettait de ne pas se perdre, ne pas se noyer dans l'écume de la voie lactée.
Elle se raccrochait à cette voix de toute ses forces, ses yeux toujours fixées sur les étoiles semblant dégringoler du ciel au fur et à mesure qu'elle se forçait à ne pas cligner des yeux pour ne pas perdre une goutte du spectacle offert par le ciel nocturne.

Le vent lui giflant le visage fit bientôt perler des larmes à ses yeux, qu'elle chassa d'un revers de main.
Ce sont pas des larmes.
*Ce sont des poussières d'étoile.*

Et P'tit soleil parlait de ce qu'elle ressentait.
Elle parlait, elle lui parlait à elle, fille de Nyx avec ses cheveux d'ébène, et elle comprenait.
Ainsi, les deux astres si différents semblaient s'accorder en une harmonie, unique.
*Magnifique.*

Parce que le soleil même s'il le cache, pleure lui aussi.
Parce que le soleil même s'il le nie, a mal lui aussi.
Parce que le soleil même s'il les rejette, a des Souvenirs lui aussi.

Et les Souvenirs lui font mal. Ils lui arrachent des larmes d'invisible.
Ils lui font détourner la tête, briller les plus forts de ses sourires tout en le blessant mortellement, le couchant au Sol dans son combat contre les Nuages Noirs hantant le ciel lors de sa descente funèbre.
Lors de l'arrivée de la Nuit.
Lors de son arrivée, à elle.

-Et toi ? Tu crois aux Souvenirs ?

Ces Mots chassent ses pensées.
Ils la forcent à retomber sur terre, où toutes les pensées les plus belles deviennent les plus étranges et les plus incomprises.
Les Souvenirs, hein?

Tu penses que l'Autre est un Souvenir.
Oui, parce que si c'était un fantôme, tout le monde la verrait.
Mais d'autres doivent se Souvenir d'elle, Petite.
Non, elle veut pas! C'est son Souvenir à elle!
Il te hante ce Souvenir, Petite. Pourquoi le garder?
Parce que... Elle peut pas s'en débarrasser. Ça...Ça...


L'Autre. Elle voyait son sourire jusque dans les astres, sa peau laiteuse dans l'éclat des rares nuages nocturnes, ses cheveux flamboyant dans les reflets roux de la lune, qui était ce soir particulièrement blanche.
D'une clarté presque aveuglante.
Elle la cachait, cette Vérité, la rendant trop éblouissante pour être vue de face.

*T'es faible*


*Mais fais attention toi!*



Les Mots reviennent en force.
Mais ce soir elle laissera pas ces Mots prendre le dessus.
Car ce soir, elle est décidée à comprendre.

"J'crois aux Souvenirs. J'y crois tellement fort qu'y en a un qui m'lâche plus. Un qui est tellement horrible que je retiens pas son nom. Ce Souvenir, elle s'appelle l'Autre. J'sais pas qui c'est. J'le saurais p't-être jamais. Mais c'soir... C'soir j'ai décidé d'tout faire pour le découvrir."

Puis les Mots ils lui font prendre conscience de ce qu'elle est.
Elle,
Elle,
Elle,

Elle se laissa tomber au sol, le visage rivé aux étoiles.

"Mais j'pourrais pas y arriver seule, tu comprends P'tit Soleil? Alors j'reste là. À questionner les étoiles. À les questionner jusqu'à ce que j'en crève. Crève de Jalousie devant c'qu'elles savent et c'qu'elles m'diront jamais."

Elle avait plus rien à dire.
Plus de souffle à épuiser en paroles inutiles.
Que le sel amer de ses larmes roulant sur ses lèvres.

-J'crois aux Souvenirs. J'y crois tellement fort qu'y en a un qui m'lâche plus. Un qui est tellement horrible que je retiens pas son nom. Ce Souvenir, elle s'appelle l'Autre. J'sais pas qui c'est. J'le saurais p't-être jamais. Mais c'soir... C'soir j'ai décidé d'tout faire pour le découvrir.

Lena garda le silence face à ce que venait de dire Alison. Ou alors, P'tite Lune ?
La blondinette avait envie d'appeler sa camarade comme ça. Mais elle était trop timide pour le faire... Enfin, il fallait juste qu'elle demande à Alison si elle pouvait la surnommer P'tite Lune.
Bref, là n'est pas la question.
La Poufsouffle avait besoin d'aide, à cause de l'Autre qui la hantait. Et Lena - ou P'tit Soleil - était bien décidée à aider son amie.
Si elle pouvait considérer Alison comme ça. Après tout, elle venait à peine de se rencontrer. La voix de sa camarade tira de ses pensées la blondinette :

-Mais j'pourrais pas y arriver seule, tu comprends P'tit Soleil? Alors j'reste là. À questionner les étoiles. À les questionner jusqu'à ce que j'en crève. Crève de Jalousie devant c'qu'elles savent et c'qu'elles m'diront jamais.

La Poufsouffle ne savait pas trop quoi dire, aussi garda-t-elle le silence. Elle regarda la Jaune se laisser tomber au sol, regardant le ciel étoilé, ses larmes coulants le long de ses joues.

Plusieurs secondes passèrent, pendant lesquels Lena ne bougea pas. Soudain, elle se dit qu'il fallait qu'elle console Alison.
La blondinette s'approcha de cette dernière, s'accroupit et posa une main sur l'épaule gauche de sa camarade avant de dire :

-Alison... Je veux t'aider. Si t' es d'accord, j'aimerai beaucoup t'aider. Elle marqua un temps d'hésitation, puis continua d'une voix timide. -Et aussi... Est ce que... Je peux t'appeler P'tite Lune ? Me demande pas pourquoi, j'en sais rien du tout.

Lena espérait qu'Alison ne lui en voudrait pas.
Qu'elle ne lui en voudrait pas de vouloir l'aider.
Qu'elle ne lui en voudrait pas de vouloir l'appeler P'tite Lune.
Qu'elle ne lui en voudrait pas, tout simplement.