Début novembre 2044

Lucy était assise dans un coin de la tour ouest, recroquevillée sur elle-même. Cela faisait des jours qu'elle revenait ici à chaque temps libre, dans l'espoir d'y trouver un oiseau. Suite aux dernières mauvaises nouvelles de La Gazette du sorcier annonçant la destruction de St Mangouste, ainsi que plusieurs meurtres et attentats en Grande Bretagne et le début de la chasse aux sorcières, les élèves s'étaient empressés d'écrire à leurs proches afin de prendre de leurs nouvelles. Tout les hiboux mis à disponibilité des élèves de Poudlard étaient donc partis à la recherche des familles, en fuite. Lucy, ne possédant pas de hibou, attendait donc inquiète et désespérée l'arrivée d'un oiseau dans la volière, dans le but d'envoyer sa lettre. Sa lettre. C'était tout ce qui comptait pour elle actuellement. Elle avait d'abord pensée qu'envoyer un hibou alors que sa famille tentait de se cacher était inconscient et les mettrait en danger, mais elle avait vite été tiraillée entre les deux choix qui s'offrait à elle.




Préférant d'abord la voix de la sécurité, elle avait été vite rongée par l'angoisse et avait choisit, égoïstement, d'envoyer sa lettre. Elle pensait cependant constamment avoir fait le mauvais choix et elle se demandait même si lorsqu'elle verrait un hibou, elle serait capable de lui confier sa lettre tout en sachant qu'elle mettait en danger ses parents. Elle restait donc là, assise seule dans un coin de la volière, tiraillée mentalement. Il était tellement rare qu'un volatile soit présent que l'habituelle odeur infecte avait été remplacée par l'humidité de l'hiver qui approchait. Les genoux repliés sur sa poitrine, elle serrait sa lettre contre elle. Fatiguée, elle faillie s'endormir lorsqu'elle entendit quelqu'un entrer dans la volière.

Jeffrey se dirigeait à pas lents et nonchalants en direction de la volière. Le nez au vent, les yeux tournés vers le ciel nuageux, il ne voyait plus les hiboux et chouettes habituellement nombreux s'envoler aux quatre coins du pays. Étant donné la situation actuelle, ce n'était pas étonnant : sorciers et sorcières voyaient leur existence se faire bien plus menacée qu'à l'ordinaire. Le brun, lui-même descendant de deux familles au sang-pur, n'était pas très serein : aussi allait-il vérifier son courrier, espérant quelques nouvelles.
Il se disait, en revanche, qu'il ne devrait pas leur répondre. Qui savait si sa lettre se perdait ou tombait aux mains de personnes mal intentionnées ? Ce serait mettre en danger toute sa famille. Il comprenait alors sa responsabilité vis-à-vis d'eux, et, serrant les poings, se promit de résister à l'envie d'échanger avec ses proches.

Le bâtiment était silencieux, le piaillement incessant des volatiles avait disparu. Cette quiétude lui faisait très étrange, au point de sentir un rapide frisson lui parcourir l'échine. Il grimpa les quelques marches d'un pas discret, évitant de bouleverser ce calme inattendu, et pénétra dans la tour.

Quelle ne fut pas sa surprise de tomber nez-à-nez avec une jeune fille à moitié endormie sur le sol ! Il eut un léger sursaut, ne s'attendant vraiment pas à trouver âme qui vive par ici. À la fois surpris et effrayé, ses premiers mots furent prononcés agressivement :

- Non mais t'es pas bien de faire ta sieste ici ?!

Il remarqua ensuite la lettre qu'elle tenait contre sa poitrine, et crut comprendre la situation. Venait-elle de la recevoir, ou s'apprêtait-elle à l'envoyer ? Il hésita à lui poser la question, mais son regard laissait transparaître une interrogation bien visible.

Alors que Lucy se redressait dans un sursaut, elle levait les yeux et découvrit un élève qui avait l'air aussi surpris qu'elle de rencontrer âme qui vive dans ce lieu si froid, où la détresse était presque palpable. Croisant ses yeux d'une noirceur surprenante, elle aperçu dans son regard de la peur. Comment pouvait ont avoir peur d'elle? Cette enfant trop souvent démunie, qui se sentait orpheline et qui tentait à ses dépends de passer outre le regard des gens, souffrait. Cette souffrance qu'elle mettait sous silence comme un secret pesant. Les secrets sont insondables. Les secrets sont noirs. C'est la nature même des secrets, pensait-elle. Rapidement, la voix du jeune garçon se fit entendre avec puissance et résonna allègrement sur les murs de pierres :

- Non mais t'es pas bien de faire ta sieste ici ?!

Agressivité. Amertume. Les mots utilisés avaient eu un impact conséquent sur Lucy et elle fronça les sourcils, surprise. Pourquoi toujours tout de suite le jugement ? Les gens n'avaient ils pas appris à se mettre à la place des autres avant de juger ? S'il avait croisé une sorcière inconnue en détresse, lui aurait il craché au visage comme il venait de le faire avec la Gryffondor ? Elle se sentait agressée, et se releva comme pour se mettre à sa hauteur et ne pas se laisser dominer. Les yeux du garçons tombèrent alors sur la lettre. Le fameux bout de parchemin qui était la source de tant de problèmes. Instinctivement, la jeune fille resserra son emprise autour de sa lettre, comme pour la protéger, ou au contraire, se sentir protégée par sa présence. Relevant la tête vers le jeune homme, sur la défensive, elle découvrit un regard interrogateur. Que voulait-t il ? Pourquoi se permettait il de l'interroger ? Prise au dépourvu, elle ne savait que répondre. Le visage fermé, elle continua donc de l'observer, espérant qu'il ne s'attarderait pas sur sa lettre, ce qui aurait pour effet de la blesser plus encore.

Le petit brun ne sut d'abord pas comment réagir. Venait-elle de recevoir une lettre ? Non, l'enveloppe était vierge. Il en déduit qu'elle hésitait encore à y griffonner une adresse pour l'envoyer à quelqu'un.

Jeffrey eut d'abord un sentiment de compassion. Il était très dur de se couper de sa famille en ces temps difficiles. Ils étaient encore si jeunes, ils avaient besoin de ce soutien que seule la famille peut procurer. Mais la souffrance du garçon, qui ressortait comme à vif devant cette scène, ne s'exprima pas par des mots doux. Bien au contraire.

- Tu ne comptes quand même pas l'envoyer ? lâcha-t-il d'un ton aussi outré que culpabilisateur.

Il se rapprocha d'elle, presque menaçant, le regard dur et intransigeant.

- Tu sais ce qui va arriver si cette lettre passe entre de mauvaises mains ? Tu vas mettre en danger toute ta famille, et pire, les gens qu'ils fréquentent, ou même Poudlard. Tu joue avec la vie d'innocents parce que t'es pas capable de prendre un peu sur toi ? Tu n'es pas la seule à qui ton entourage te manque. Ne fais pas l'égoïste et jette ce papier, ça vaut mieux.

Jeffrey était chamboulé. Ses parents lui manquaient si horriblement, il avait mis tant de pression sur ses propres petites épaules, qu'il venait de craquer contre la pauvre Lucy. Des larmes avaient perlé au coin de ses yeux, révélatrices de sa peine intime. Il finit par s'accroupir, respirant profondément pour se calmer. Il faisait également, d'une certaine manière, la morale à lui-même. Son regard plongea dans celui de la jeune fille, à la fois ferme et bouleversé, dans l'attente d'une réponse.