Un grand sourire répond à mes mots et illumine ses yeux qui brillent d'une excitation à peine contenue. Alyona me confie alors qu'elle aimerait pouvoir devenir un Animagus. *Qui n'aimerait pas ?* Rien que pour la prouesse technique que c'est j'imagine que beaucoup de sorciers et sorcières aimeraient maîtriser cette métamorphose. Puis c'est sans parler de la merveille qu'est le fait de pouvoir se glisser dans la peau d'une autre espèce. Acquérir soudainement la capacité de voler, de courir à quatre pattes, de voir dans la nuit, ou que sais-je encore ! Ça doit être tellement grisant d'avoir autant de nouvelles possibilités offertes, de pouvoir briser les limites imposées à notre corps d'humain.

Malgré tout, je me demande comment est-ce que l'on sait faire toutes ces nouvelles choses, une fois dans un corps qui n'est pas réellement le nôtre. Est-ce que ça devient un instinct ? Ou doit-on apprendre ? Si oui, comment ? Il faudrait que je regarde à la bibliothèque s'il n'y a pas un livre qui parle de ça, je suis curieuse maintenant. J'espère que c'est instinctif parce qu'apprendre à voler ne doit pas être une partie de plaisir. Je vois d'ici les crashs en perspective.

- Et toi, cela te plairait ?

Ma réponse doit surement se lire dans mes yeux, mais j'acquiesce quand même d'un signe de tête avant de lui répondre avec un léger sourire "Evidemment." Alyona ne s'attarde pas sur ma réponse et je la vois retourner quelques instants dans ses pensées.

- Quels sont tes rêves Solwen ?

*Mes rêves ?* Sa question me prend totalement au dépourvu. Je n'ai pas la moindre idée d'un début de commencement de quelque chose à lui répondre. Je ne sais pas quels sont mes rêves. Peut-être que si j'avais plus de temps pour réfléchir et si ma tête était moins vide à cause de la surprise, j'aurais un rêve à lui partager. Mais là, rien ne me vient.

- Euh...

Une réponse des plus intelligentes. Et en même temps, la meilleure à ma disposition actuellement. J'essaye de me creuser la tête pour ne pas la décevoir, mais je n'ai aucune idée. Qu'est-ce qui me fait rêver ? Qu'est-ce que j'aimerais ? Je ne sais pas.

Ou plutôt si, je sais, mais je ne veux pas lui répondre ce qui soudainement me vient. J'aimerais ne plus être seule ici. Avoir une personne à laquelle je confierai tout, avec qui je passerai mes journées entières. Une personne qui resterait dans ma vie pour des années. Je m'imagine une complicité magique, des fous rires, de la douceur et surtout une confiance débordante. Voilà ce dont je rêve.

Mais je ne peux pas lui dire. Parce que ça reviendrait à avouer que depuis le début de l'année, je n'ai toujours pas réellement d'ami. Je parle avec d'autres élèves évidemment, mais il n'y a pas de proximité, c'est vide. Et plus le temps passe, plus c'est dur. Parce que tout le monde se fait sa place, et plus l'année avance moins j'ai l'impression d'avoir la mienne.
Je ne peux définitivement pas lui dire ça.

- Là comme ça je ne sais pas vraiment. Et toi ?

Je suppose que si elle m'a posé la question c'est qu'elle doit en avoir en tête des rêves, elle. Et des bien plus intéressants que ce que je pourrais lui proposer.

Suis-je la seule à avoir un rêve inatteignable ? D'autres personnes à Poudlard rêvent-elles de voler ? Je fouille dans les yeux de ma camarade, à la recherche d'une réponse à mes interrogations muettes. Et si mon rêve était le sien ? *Ce serait magique.* Cependant, je ne trouve rien dans le regard de la Bleue. Solwen semble juste surprise par ma question. Était-elle si difficile à prévoir, cette question ? Je m'enorgueillis un peu de cela avant d'être brutalement ramenée au sol par une nouvelle pensée. Pourquoi ne répond-elle pas tout de suite ? Est-ce si compliqué de trouver une réponse ? Le temps glisse entre nos corps. N'a-t-elle aucun rêve ? *Merlin !* Comment cela se pourrait-il ? Tout le monde a un rêve ! Grand-mère rêve de revoir Grand-père, Maman de voyager dans l'espace, Papa de devenir professeur, Anaë de tout savoir — ce doit être tellement incroyable ! Plus aucun secret, plus aucune question : des évidences et des certitudes à foison —, je ne connais personne qui ne possède aucun rêve. Alors, c'est impossible que Solwen n'en ait pas, même si l'hésitation qui s'échappe d'entre ses lèvres peut en témoigner. Je ne peux pas croire qu'elle n'en possède aucun.

De quoi pourrait-elle rêver ? Je me surprends à émettre des suppositions tandis que le presque-silence s'installe dans la volière. Mon regard redevient un enquêteur cherchant des indices dans celui de Solwen. Je ne sais absolument rien d'elle. Enfin, je sais qu'elle a mon âge, qu'elle est à Serdaigle et qu'elle écrit des lettres à ses parents. Cependant, tout cela, cela ne représente rien. Que raconterai-je à Anaë quand elle me demandera comment ma journée s'est passée ? « J'ai rencontré Solwen. », dirai-je ? Merlin, cette ignorance me fait peur. Je ne connais rien des autres élèves. Ils sont pour moi tous les mêmes, tous semblables, tous inconnus. Je ne connais même pas les noms de mes camarades ! Est-ce ma faute ? Ai-je du mal à m'intéresser aux autres ? À venir vers eux ? Et si c'étaient eux qui ne voulaient pas venir vers moi ? Suis-je repoussante ? Pourquoi ne s'intéressent-ils pas à moi ? Est-ce parce que je passe du temps avec Anaë ? Alors, devrai-je essayer de passer plus de temps seule pour qu'ils viennent me voir ? Et si cela ne se faisait pas comme cela ? Oh, questions incessantes qui emmêlent mon esprit. Taisez-moi.

Mes yeux quittent ceux de Solwen. Je ne sais plus que faire ni que dire. La réponse de la Bleue est claire : elle n'a pas de rêve en ce moment. Est-ce moi qui suis étrange avec mes rêves ou elle qui est bizarre car elle n'en possède aucun ? Je n'en sais rien. Que cherche Solwen si elle n'a aucun rêve ? Essaye-t-elle simplement d'apprendre jusqu'à en avoir mal au crâne ? Peut-être ne le sait-elle pas. Alors, elle avance à tâtons dans le noir de sa vie, sans but ni lumière.

Merlin ! Mes pensées se révoltent. Rien n'est logique ou évident dans cette histoire. C'est tellement inimaginable comme idée. Je ne comprends pas. Enfin, comment est-ce possible ? Ne pas avoir de rêve... Choisit-elle de ne pas en avoir ? J'ai l'impression que moi, je n'ai pas décidé de mes rêves. Ils sont arrivés pour me hanter et depuis, ils ne sont pas repartis. Partiront-ils un jour ? Oh, et si elle ne les disait pas ? L'idée me frappe comme une évidence. Mais pourquoi ? En a-t-elle honte ? Suis-je si ennuyante pour qu'elle ne souhaite pas me faire part de ses envies ? Mon esprit tangue à cette idée. Suis-je la cause de son silence ? *Non !* Je m'insurge. Solwen n'a pas de rêve pour le moment, elle me l'a dit. Pourquoi voudrait-elle me mentir, elle ne me connaît même pas ? Pourtant, Merlin, ne pas avoir de rêve...! Je suis partagée entre deux idées, si bien que je ne connais pas les raisons qui me poussent à prolonger ce silence. Je pensais que ma question poursuivrait sur une conversation intéressante mais je n'avais pas prévu une telle réponse. N'est-ce pas ainsi que l'on commence une conversation permettant une découverte respective ? Par Circé, je n'en sais rien. J'ai certainement dû mal m'y prendre.

Perdue dans mon crâne, je ne me rends pas compte que le temps continue son chemin sans prendre en compte ma cacophonie intérieure. Les yeux fixant un point au loin, je ne dis rien. La réponse de Solwen m'a un peu perturbé. Peut-être plus que je ne me l'avoue à vrai dire. Je ne parviens pas à comprendre la Bleue et ses hésitations. Me ment-elle quand elle me dit que je ne la dérange pas ? Est-elle gênée par ma présence et mon comportement ? Souhaite-t-elle que je la laisse écrire sa lettre tranquillement ?

Mon regard revient se poser sur Solwen. J'ai perdu un peu de mon sourire et de ma bonne humeur. Je ne sais que faire et que dire. Est-ce l'heure de la laisser tranquille pour qu'elle puisse terminer sa lettre ? Dois-je m'en aller ?

Un détail me revient subitement en tête. *Elle m'a demandé si j'avais un rêve !* Les yeux légèrement ronds de surprises et les joues se teintant brusquement, je plonge mon regard honteux dans celui de Solwen. « M... Mon rêve ? » Merlin, dans ma tête tout remue. Je cherche mes mots et mes idées avec urgence. « J'aimerais bien... » *Et si elle trouvait ça stupide ?* « J'aimerais bien avoir de grandes ailes, comme les oiseaux. » Une image se glisse dans mes pensées, calmant progressivement l'océan agité de mes réflexions.