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14 mars 2021, 21:15
Créature de Silhouette  SOLO 
[ CHAPITRE PRÉCÉDENT ]

[ 13 SEPTEMBRE 2043 ]
Service de Pathologie des Sortilèges, 4ème Étage, Sainte-Mangouste

Charlie, 13 ans.
3ème Année


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L’air était Immobile.

L’impressionnante mère de Charlie pliait une lettre qu’elle avait écrit à la place de sa fille. Sur le verso du parchemin de haute facture pouvait se lire deux mots : « Tally Jenkins ».
D’un geste gracieux, elle déposa la missive sur le rebord de la fenêtre située dans son dos ; elle chargerait son hibou de l’envoi plus tard dans l’après-midi.

Sa fille — assise sur un lit blanc face à elle — avait le dos tellement courbé qu’elle se confondait avec une canne à pêche sur le point de rompre. Sa respiration était erratique, mais assez stable pour son état. Ce qui était réellement préoccupant, c’était sa peau qui virait au violacé. Des tâches aux couleurs inquiétantes étaient apparues sur son corps depuis son admission, la veille.
La guérisseuse Jewel Kelsey allait et venait dans cette chambre depuis vingt-quatre heures, la mine affairée, la concentration perçante. Pourtant, au sein de cette pièce blanche, il existait une chose bien plus perçante que toute la concentration du monde : le regard émeraude de Charlie Paya.

De ses prunelles encore plus claires que sa fille, Paya transperçait littéralement la Rouge et Or aux traits méconnaissables. Une infinité de questions tortueuses secouait son esprit en tous sens, et ses doigts exprimaient cette angoisse en tordant le tissu de sa robe ; meurtrie.

Le silence est Immobile.

Sa robe ne gémissait pas, elle ne geignait pas. Entourée par l’accolade étouffante du silence, l’étoffe aux allures royales était écrasée si fort qu’elle aurait pu se mêler aux empreintes des mains sombres. Seule la respiration erratique offrait des voyages au temps, l’allongeant en détours et haltes, jusqu’à ce que l’esprit de Paya n’en puisse plus. Ne la touchez pas, résonnaient les mots de la guérisseuse-en-chef, bouclant en longues rondes dans sa conscience.
Ne pas avoir le droit de toucher sa propre fille ? Merlin, mais de quel droit ?!
Le tissu craquait. Broyé par une force terrible.
Pourquoi imposer une telle dureté sans la moindre explication ?!
D’infimes fêlures infinitésimales, si nombreuses qu’elles pourraient en désagréger du titane.

Paya n’appréciait aucunement le sens du toucher, tactile était un mot qui ne lui convenait pas. Toutefois, depuis cette interdiction, elle bouillonnait de nervosité. L’impossibilité de prendre sa fille dans ses bras lui labourait le cœur d’une douleur profonde ; injuste, abusive.

Charlie ? hurla-t-il dans un souffle, ce cœur ; s’extirpant difficilement de cette bouche serrée.

Hhhmmm… geignit-elle en réponse, entre l’interrogation et le détachement.

Sa nuque était durement tordue par sa tête plongeante, trois cervicales saillantes étiraient cette peau. Dans cette position, elle semblait chercher un moyen de voir son propre cou.

Tu te sens mieux ?

Hhmm… répondit-elle, le ton fatigué.

Cela ressemblait à une affirmation, mais le cœur de Paya ne s’apaisa pas d’une seule once, son poids n’était que plus grand, il avait avalé tout le reste de ses organes insignifiants ; inutiles. Ils ne servent à rien, les autres, donnez de la place à son cœur qui cogne ! Qui cogne qui fort qu’à chaque battement, son corps en tremble ! Terrible tourment ; pour une mère si jeune. Tourbée par son propre cœur ; sa fille, son sang.
Bancal.

Paya sursauta.
La porte s’était ouverte à la volée, faisant apparaître le visage anxieux de Kelsey. Celle-ci traversa la — trop — grande chambre en quelques enjambées pour se poster face à sa patiente.
Elle l’examina de son œil aussi ancré que détaché, une baguette harmonieuse de magie à la main ; sa manière d’observer était très semblable à un botaniste en pleine étude d’une plante, la considération de l’état « conscient » du sujet était la dernière de ses préoccupations.
Paya quant à elle, voyait son vert acéré, presque percé. Elle se leva de sa chaise, dominant la petite guérisseuse de sa grande taille ; elle se sentait néanmoins aussi minuscule qu’une larve face à elle, aussi impuissante qu’une cracmol.

Bien, s’exclama Kelsey en jetant un sortilège informulé qui coucha délicatement Charlie sur le matelas, des bras de soie invisibles semblaient lui manipuler le corps pour ne pas lui faire mal. La guérisseuse-en-chef ne touchait pas sa patiente, elle non plus, ce qui n’échappait pas à sa mère, dont l’inquiétude-sans-plafond augmentait toujours plus.
Elle finira sûrement par exploser, à un moment ou un autre ; mais Paya était patiente, à l’inverse de sa fille.

La baguette de Kelsey — ainsi que son autre main-paume-tendue — lévitaient à quelques millimètres de la poitrine sombre, elle aussi émaillée de tâches violacées. Quelques secondes s’écoulèrent ainsi, dans un silence complet où seule la respiration de Charlie donnait un rythme au temps. Paya ne meurtrissait plus ses tissus, son corps préférait rester dans une apnée douloureuse, aussi larmoyante que sous une pluie ; invisible.

Le visage d’habitude si impassible de Kelsey se tordit soudainement. Sa baguette et sa main reculèrent lentement, pour laisser l’entièreté de sa peau vibrer contre la magie de cette petite fille, éreintée. Les vibrations et oscillations magiques que produisait la guérisseuse-en-chef étaient si fortes qu’elles pouvaient être ressentie par un Moldu.
Une seconde.
Deux.
Tro

D’un coup, elle fit volte-face. « Madam… ». Et sans alla sans un mot, sans répondre à la voix de Paya qui s’était cassée. Elle claqua la porte dans son sillage, laissant le silence envahir à nouveau le souffle de Charlie.

Étrange, cette respiration si irrégulière et pourtant si constante, devinable, à l’image de ses compositions qui étaient imprévisibles, mais à chaque seconde d’écoute qui passait, l’esprit soufflait : « Bien sûr, cela ne pouvait en être autrement que cette suite-là ».

Paya — le regard fixé sur cette porte fermée — soupira longuement, abattue par cette situation qui ne durait que trop. « Hhhh… ». Son émeraude se braqua sur sa fille, qui poussait difficilement sur ses petits bras pour se remettre en position assise. « Ne force pas… », murmura cette mère inquiète, impuissante. « Hhhmm… », geignit l’écho aigu en guise de réponse.

La blancheur du lit contrastait terriblement avec Charlie, une intrue enserrée en ces murs. Tout comme l’intrue d’angoisse emprisonnait le corps de Paya ; qui s’avança vers le lit. Ses pas étaient si grands qu’en seulement un seul, elle atteignit la proximité de sa fille. Le temps de s’accroupir, son cœur chavira ; il s’écroula dans un trou si grand et si épais qu’il disparu instantanément. Plic. « Charlie ?! », aucune retenue dans sa voix, la panique ravageait son esprit.
Face à elle, son unique enfant, du sang coulant de son nez et de la salive dégoulinant de sa bouche ; et son regard émeraude, plus foncé que le sien, qui se tourne vers elle, un voile dans les yeux, voile marin, d’eau salée : « ‘me fens bissarre… ». La langue de Paya s’écrase contre son palais, et sa bouche s’ouvre dans un hurlement sans voix. Cadenassé. Sa poitrine de cœur cède, son équilibre vacille aussi bien que sa vue. Du sang. Ses fesses atterrissent durement contre le sol. Du sang. Sa peau brune vire au livide, perdant tout son éclat. Sang. Tout son esprit hurle d’action, il vocifère d’attaque. Rouge de sang. Son corps en décide autrement, il s’écroule, tombe dans l’abîme. Ensanglantée-ma-fille. Sa tête frappe durement par terre, mais sa conscience s’est déjà enfuie depuis l’instant du sang.

La porte de la pièce s’ouvre une nouvelle fois à la volée. Kelsey s’engouffre avec un regard déterminé, profondément concentré ; dans son sillage, toute son équipe : Marty Soulimb, Paige Galplace, Dali Sonbergh, Karen Ryce.
Le visage dégoulinant de Charlie, coloré — après avoir vaguement compris que sa mère est tombée — se tourne vers ce truc qui fait beaucoup trop de bruit sur sa droite. *’faites…*. La baguette de Kelsey se pointe sur elle. *trop…*. Les bras de soie entourent son corps, doux. *d’bordel…*. Elle sent sa tête basculer en l’arrière. *vous…*. Et le noir recouvrir son regard. *là…*.



oOo
Plus tard



À son réveil, la première chose que vit Paya fut sa robe beige, à l’étoffe royale. Sa nuque pulsait de douleur, accusant une position de sa tête très peu confortable. Elle se rendit compte qu’elle était assise ; sûrement s’était-elle assoupie pendant qu’elle surveillait sa
Flaque de sang.

Charlie !

Malgré la douleur, sa tête se leva à une vitesse terrible ; des craquements se firent entendre. Sa respiration se fit soudainement courte.
Face à elle, Kelsey debout et Charlie couchée. Un parchemin lévitait entre les deux, affublé d’une plume bleue.

Vous vous êtes évanouie, lâcha simplement la guérisseuse-en-chef, ne daignant pas accompagner ses mots de ses yeux bleu-dragée.

D’une seule impulsion, Paya se mit debout, les jambes encore cotonneuses.

Elle… Charlie avait du... du sang qui coul…

Charlie a subi une lourde intervention, dit-elle d’un ton tout à fait détaché, la finesse étant une fioriture pour elle, « qui était prévue pour la fin de sa croissance ».

Le visage de cette mère est abasourdi, ne sachant avec quoi se draper face à ces mots. Avec de la tristesse ? De la colère ? De l’inquiétude ? De la joie ? Tout s’entrechoque dans ses sens.

Précipiter cette échéance était une urgence.

Le regard de Kelsey ne quitte pas le corps de Charlie, qui ne porte plus la moindre trace violacée ; il semble plongé dans un sommeil très profond, quasi-artificiel.

Son corps est encore immature, il a besoin de temps pour assimiler l’intervention. Je la garde quelques jours inconsciente.

Inconsciente ?

Une grimace de stupeur mêlé à une dizaine d’autres émotions tord le visage de Paya. Elle s’avance d’un pas, ses jambes de plus en plus ouatées. Le visage de la guérisseuse-en-chef se tourne enfin vers elle, paraissant prendre conscience de sa présence pour la première fois de la journée : « Deux ou trois jours tout au plus, ne vous en faites pas », confia Kelsey d’un sourire chaleureux ; presque charmeur.





Charlie resta précisément quatre-vingts jours plongée dans un coma magique



F I N

𝄞

je suis Là ᚨ