« Si la vie n'est qu'un passage, sur ce passage, au moins, semons des fleurs. »

Michel de Montaigne

MERCREDI MATIN, L'EMPEREUR, SA FEMME ET LE P'TIT PRINCE...





Les rayons du soleil s'abattaient avec fureur sur la Terre, comme mille éclairs invisibles prêt à réduire le globe en cendre. Il faisait une telle chaleur que beaucoup s'étaient réfugiés dans leur Salle Commune, préférant la fraîcheur des pierres millénaires alors que d'autres profitaient des derniers beaux jours pour se pavaner à l'ombre des arbres. L’air équatorial laissait les êtres suffocants, anesthésiés par la fournaise qu'était devenue la terre. On n'entendait plus, en ce début d'après-midi, que le chant lointain de quelques bêtes à plumes, ou le vrombissement des insectes dans les hautes herbes. On aurait presque pu discerner la longue plainte des arbres, mourant sans doute de déshydratation à force de rester planter ici, sans aucun moyen pour s'échapper.
Tu te tenais d'ailleurs contre l'un d'eux, ignorant l'écorce rude qui te rentrait dans l'omoplate, assise en tailleur et les mains dans l'herbe rêche. La tête en arrière, appuyée sur cet oreiller de fortune, tu respirais calmement la douce odeur de fleur qui régnait autour de toi, les yeux mi-clos. Tu profitais d'une journée sans cours pour venir te reposer dans le parc, le seul endroit qui savait encore t'apaiser, du moins partiellement. Malgré tes paupières rabattues, c'était comme si ton ouïe t'offrait une deuxième vue. Tu distinguais pas très loin de toi un groupe de trois personnes environ, plus âgés, qui discutaient de choses qui t'importaient bien peu. Un peu partout autour de toi, d'autres somnolaient, seuls ou à plusieurs, directement exposés à la puissance dévastatrice de l'Astre de feu, alors que toutes les places sous les arbres étaient d'ores et déjà prises.


Tu aurais pu également faire parti des dormeurs, mais il y avait bien des choses qui t'empêchaient de faire taire, rien qu'un instant, ton flot de pensées constant. Le minuscule stress que te provoquaient les cris d'un groupe de première année au loin en faisait sans doute parti, leurs éclats de voix enfantins résonnant jusqu'au château. Mais le souvenir de ces deux derniers jours était un peu plus difficile à oublier. Tu savais que ce que tu avais fait n'était pas très rationnel, pourtant aucun regret ne t'avaient empêcher de fermer les yeux cette nuit. Ni maintenant d'ailleurs, tu ne voyais pas ce que tu avais fait de mal, seulement ces scènes passaient en boucle devant tes yeux fermés et tu n'arrivais plus à mettre fin à ce cirque insupportable.
Tu laissais échapper un sifflement de douleur quand, au milieu de ces souvenirs en pagailles, deux visages apparurent simultanément. Le premier, froid et âgé, habillé de deux petits yeux noirs calculateurs, d'un nez écrasé et d'une barbe mal-rasé. Malgré le tressaillement qui te prend, tu es bien heureuse de te souvenir encore de son visage. Le vieil homme est tel qu'il était la dernière fois que tu l'as vue. L'ultime image que tu auras de lui, jusqu'à la fin de ta vie. *Logan.*
L'autre visage est d'une douceur telle que sa vision te monte les larmes aux yeux. Sans doute ta mémoire le perfectionne plus qu'il ne l'est déjà, mais qui douterait de la beauté de Ruby Everheart ? Tu caressais du doigt l'herbe présente à tes pieds, alors que le bal des souvenirs reprenait à toute allure.

Il fait chaud. C'est ce qu'Infini se répéta tout en arpentant le Parc avec ses amis. En y repensant, il était étonné de s'être fait des copains aussi vite, lui qui avait passé toutes ses jeunes années moldues accroché comme une moule à son poteau de bois à Antonn. Et dernièrement à Edwin, le meilleur poto qu'il ait eu. Il avait redouté la réaction de son ami, lui qui était parti de Poudlard et qui a eu un rapport conflictuel avec les sorciers. Mais il n'avait pas été si tant que ça contre les sorciers, il l'avait quand même sauvé. Il lui été redevable éternellement maintenant. Mais Edwin n'a pas changé en retrouvant les Serpentard et le milieu sorcier. Pour Infini, ç'a été plus compliqué, c'était le grand bain et tout ce que ça implique, l'adrénaline de ne plus avoir pied, de pouvoir à tout instant commencer à s'enfoncer aussi bien que découvrir les magnifiques lignes bleues qui tapissent le fond et sauter du plongeoir avec excitation. Le début s'est avéré tumultueux avec la perte de ses repères, son père et Percy et l'éloignement quotidien sans le bisou du soir a été problématique. Heureusement qu'ils étaient là, les copains du premier soir et Jacob. Jacob c'est un peu le grand frère du dortoir.

Infini pensa à eux tout en trottinant pour récupérer le frisbee à dents de serpent qu'ils s'amusaient à lancer, même si ce n'était pas vraiment autorisé. Un frisbee n'a jamais tué personne non plus, ce n'était pas plus dangereux qu'une baguette qui, elle, était entre toutes les mains de tous les résidents de Poudlard. Hormis les elfes, évidemment, ils en ont pas besoin. Le petit reprit le frisbee et ses mains se recouvrirent presque instantanément d'une fine couche de sueur. Satanée plastique qui fait transpirer ! Infini dut essuyer ses mains avant de se mettre en position de tir pour renvoyer le frisbee au groupe éparpillé un peu partout entre les arbres. Vers sa droite se tenait Charlie. Il décida de le lancer vers lui de toutes ses forces pour l'embêter un peu. Infini rabattit son bras gauche vers son torse et expédia le frisbee droit vers le ciel.
Le frisbee, contre la volonté du petit, se détourna de sa trajectoire et vira encore plus à droite, avec une vitesse d'autant plus grande que l'énergie potentiel du jouet augmentait. A vive allure, le frisbee cogna le tronc d'un arbre et Finn se précipita vers la fille qui avait failli se prendre l'objet volant sur la tête. Surtout qu'elle paraissait dormir, elle aurait eu un réveil fracassant. Peut-être même que finalement le bruit du plastique contre le bois avait résonné contre ses oreilles, et l'avait tirée de ses rêveries. A quelques mètres de la Gryffondor qu'il reconnaissait vaguement pour l'avoir vue dans sa Salle Commune et légèrement haletant, il souffla : « J’suis désolé ! Ça va, je ne t’ai pas réveillé j’espère ! »

Les deux visages s'estompent avec douceur et bizarrement, tu ne regrettes pas le premier, comme si ton esprit avait décidé de faire une croix définitive sur lui. Ce que ton cœur n'accepte pas et tu le sens d'ailleurs s'affoler avec véhémence dans sa cage de chair. Comme si tu t'interdisais de l'oublier, que ce serait un crime contre l'humanité que de faire une telle chose.
Tes mains continuent à frôler les brins verts alors qu'une très légère brise vient rafraîchir ta peau blanche. Mais la chaleur est toujours là, de plus en plus forte avec les minutes, ou du moins c'est l'impression que tu en as. Bien malheureux est celui ou celle qui viendrait à toi et ne sachant pas que cette chaleur te faisait bouillonner de l'intérieur. Tu pouvais exploser de rage à tout instant, même pour la chose la plus futile au monde, bien que cela ne se voyait pas de l'extérieur.

Une goutte de sueur coule le long de ta tempe et tu viens l'essuyer avant qu'elle n'atteigne ton cou. Par tu ne sais quel miracle, tes pensées dérivent un instant vers toute cette vie qui grouille autour de toi, criante ou sans un bruit. Les premières années sont toujours là, mais tu entends à leurs cris qu'ils se sont encore rapprochés de toi. Tu fronces les sourcils, gardant les yeux toujours fermés et refusant de voir le sujet de leur allégresse. Ce fut une bien grossière erreur de ta part, quand quelques instants après tes profondes réflexions, un objet vint cogner l'arbre avec force, avant de te tomber sur la tête. Le coup se répercuta dans tout le tronc, provoquant chez toi un sursaut violent. Une certaine douleur se réveilla juste au-dessus de ton front et te redressant d'un coup, tu portas ta main à la tête. Ce fut le déclencheur de la bombe et ce qui se passa par la suite ne fut qu'une série d'événements irrationnels qui restera sans aucun doute au plus profond de la mémoire du fautif, contrairement à toi qui ce soir aura sûrement tout oublié.

Tu te relèves face au tout petit gamin qui se tenait devant toi, plongeant ton regard plein de haine dans le sien. Avec une lenteur souveraine, tu retires ta main de ton front et te baisses pour ramasser ce qui te semblait être un frisbee pour sorcier. Tu présentes le jouet au brun, ne le quittant toujours pas des yeux.


- C'est à toi ça ?


N'attendant aucune réponse de sa part, tu sors ta baguette de ta poche arrière, une expression des plus sérieuse sur le visage. Voyons si tu as retenu quelques cours de l'année dernière, ce dont tu ne doutes pas étant donné que tu faisais parti des meilleurs de ta classe en Sortilèges. Tu pointes l'objet du bout de la baguette, entonnant la formule avec un calme effrayant.


- Wingardium Leviosa. Tiens, récupère-le maintenant !


L'objet s'envole quelques mètres au-dessus de la tête du Gryffondor, redescendant par petits à-coups sans pour autant arriver à sa portée.

Infini esquissa une moue accablée. La fille a reçu le frisbee sur le sommet de son crâne. Il s’avança vers elle à petits pas, la tête rentrée dans les épaules. S’il commençait l’année avec une punition, elle était bien belle la fierté qu’il voulait voir briller dans les yeux de son père. Percy, lui, s’en amuserait, riant sans se cacher et incitant Aaron à être moins sévère. Mais son père attendait de lui un comportement irréprochable et des notes que jamais il n’attendrait. En une semaine, il n’avait pas réussi à lancer un seul sort se sentait assez frustré vis-à-vis de certains de ses camarades qui semblaient avoir ça dans le sang. Sa baguette lui était étrangère alors que pour les grands, c’était une extension de la main. Le petit trouvait l’usage des sortilèges admirable et joli. Les gestes, la détermination dans le regard, les sorciers étaient des chefs d’orchestre magiques. Lui, un gros bourrin. Il préférait le mortier de Potions ou le télescope d’Astronomie, assurément.

La fille qu’il avait blessée se leva et lui fit face. Il découvrit sa cicatrice sur le côté gauche de son visage et ouvrit la bouche, hébété. Une sorcière-pirate ! Avec ses longs cheveux noirs, aux reflets bleutées dans la vive lumière, sa cicatrice barrant sa joue et son regard, si stable, si audacieux, il se réduisit au silence. Il était dans une de ses bombabouses, il avait attaqué une pirate… Peut-être même qu’elle avait un gang de pirates lézardés de fines failles blanches avec ces mêmes yeux durs. Il avait l’impression de pouvoir être avalé tout cru par leur noirceur. Il ferma la bouche.

La fille-pirate lui présenta son jouet et le Gryffondor tendit les bras pour le récupérer en marmonnant un « Oui, oui, c’est à moi ». Cependant, elle sortit sa baguette et prononça un sortilège qu’il ne reconnaissait pas. Le frisbee s’envola et la fille le fit descendre et remonter à sa guise. Lui, évidemment, sautiller en tendant les bras vers le ciel pour le récupérer. Sentant des coulées de liquides se répandre dans son dos, il se débarrassa de son tee-shirt à manche longue qu’il balança sur le côté. La fille continuait son manège. Ils étaient à la fête foraine, dans l’attraction avec les petits avions et les vaches volantes où un monsieur faisait descendre un pompon et celui qui l’attrapait gagner le droit de refaire un tour. Finn, souvent, ne l’avait pas, parce que c’était le monsieur qui décidait qui l’avait et que le petit avait quand même onze ans et était déjà grand pour ce genre de jeu. Mais la fille était encore plus grande que lui, en taille et en âge, alors elle finirait par descendre juste assez pour qu’il ait son frisbee.

En attendant, il sautait, sautait encore, en prenant de l’élan, en tentant de s’accrocher à une des branches de l’arbre et échoua à chaque tentative. Il était du genre endurant et têtu mais la chaleur tombait sur lui comme du plomb. Sa nuque brûlait. Le mélange de sueur et des rayons ravageurs lui déchirait la peau. En plus, il avait soif. Son visage était dévoré par le rouge foncé de ses joues qui s’étendait à son front et son cou. « Haan, c’est dur » chouina-t-il. Il finit par s’asseoir en regardant de sa position basse la fille. Il se laissa choir. L’herbe séchée craqua sous poids et chatouilla sa nuque et ses bras nus qui arboraient des pavés de points rouges, dus à l’effort. « Il marche bien ton sortilège. Mais je crois que c’est bon, j’ai le corps trop chaud pour continuer à sauter. Tu peux me le donner ? Parce qu’en vrai, il est pas à moi, il est à Charlie… » En plus de blesser une fille, s’il était accusé de vol, c’était la fin pour lui et son honneur. De toute façon la pirate n’avait aucun intérêt à le garder, elle pouvait jouer avec eux si elle le souhaitait.

Agitant ton bout de bois de haut en bas, tu regardais avec un petit sourire narquois le jeune brun qui sautillait telle une sauterelle en essayant désespérément de rattraper son jouet. Tu avais bien remarqué l'air plus que surprit du garçon, alors qu'il avait découvert ton immonde cicatrice en plein milieu de ta face. Une surprise que tu avais prise pour de la peur et du respect envers toi-même et dont tu t'étais régalée, te rendant plus fière encore que tu ne l'étais déjà. Debout près du tronc, tu continuais ton petit numéro de magie, bien droite et avec toute l'arrogance du monde brillant dans tes prunelles. Tu te croyais grande et forte, face à ce petit bout d'homme, élégante et charismatique, et d'une beauté à en faire rougir le soleil. Mais la réalité était bien loin de tes attentes, et la laideur de ton visage décoré de la marque rouge était si hideuse à voir qu'il faisait depuis lors détourner tous les regards, pris de spasme de dégout violent. Malgré la dizaine de centimètres d’écart avec le premier année, tu restais tout de même bien petite pour les autres, ayant l'air d'une gamine en pleine crise de colère. Et qu'en était-il de cette élégance et ce charisme dont tu te croyais empli ? Ils n'étaient rien d'autre qu'un menton levé et une attitude qui te faisait paraitre si imbu de ta personne que cela en était des plus affligeant.

Tu regardais, en ricanant, le gamin enlever son tee-shirt et se prendre de plus en plus au jeu. Bien que toujours empreinte de cette posture de force, tu eu soudain un éclair de lucidité, te rendant compte de l'absurdité de cette scène, bien que cette vision disparu très vite, mais ne faisant pas s'en aller ton sourire. Tu observais sa peau blanche se faire irradier par les puissants rayons du soleil, te demandant s'il n'allait pas bientôt faire une insolation. Le cirque continuait toujours, alors qu'il tournait autour de toi comme un fou, tentant de monter dans l'arbre pour avoir plus de chance. Tu le trouvais d'un ridicule sans bornes.
Le petit arrêta alors ses sauts périlleux et s'allongea par terre en se plaignant. Ton rire cessa au même instant, ton visage changeant du tout au tout et redevenant sérieux.

- Tu as raison, ce n'est pas très amusant comme jeu. A Charlie tu dis ?

Amenant le frisbee juste au-dessus de l'enfant, tu le fis descendre doucement. Mais avant qu'il ne puisse le toucher du bout des doigts, tu sifflais un "Diffindo" d'un ton sec. L'objet se sectionna en une dizaine de morceaux, tombant comme des confettis tout autour du corps.

- Eh bien tu diras à Charlie que son jouet n'était pas de très bonne qualité.

Infini ne comprend plus vraiment la fille-pirate. Pourquoi son sourire sonnait-il faux ? Peut-être n'était-ce qu'une vision abîmée par le soleil dont les rayons ravageurs lançaient des épées de feu dans les yeux plissés du petit. Il fut contraint de les fermer et d'appliquer sur ses paupières closes une main humide et poussiéreuse. Juste le temps de chasser les formes rouges et orangées qui dansaient sur ses rétines. Entrouvrant doucement ses doigts pour laisser passer un peu de lumière, il regarda à nouveau la fille. Son regard suivit instinctivement les courbes de sa cicatrice. Définitivement, ça lui rajouter quelque chose en plus, à cette fille. Il souffla doucement : « J'aimerais être un pirate comme toi. »

Il reposa alors sa main à l'endroit initial, le long de son corps. Le frisbee se baissa un peu plus que d'habitude et Infini tendit le bras en se redressant sur un coude pour tenter de l'effleurer. La pirate avait enfin compris que ça ne servait à rien de continuer sans cesse à faire des va-et-vient de haut en bas juste pour le plaisir de le voir échouer. Parce qu'il n'y avait aucune logique à persévérer pour atteindre une chose inatteignable, comme le jouet de Charlie. Enfin si, un élément rationnel serait l'orgueil mais cet élément lui-même est beaucoup trop illogique pour effleurer l'esprit du jeune Gryffondor. D'ailleurs il ne comprenait pas comment certaines personnes pouvaient agir exclusivement par orgueil. Montrer qu'elles sont plus puissantes, plus belles et fortes qu'un autre, le montrer à tous pour les écraser n'avait aucun sens. Excepté celui d'un manque d'amour de soi-même et d'errance. Mais les pensées d'Infini partaient trop et trop loin pour qu'il puisse encore s'attacher à une idée sans en lâcher une autre.

Le sourire de la fille s'était estompé. Elle faisait presque peur comme ça, sérieuse. Et ses cheveux noirs qui encadraient son visage lui donnaient un air plus dur. D'un coup, elle sembla beaucoup plus âgée au regard de Finn. Malgré lui son souffle se coupa et sa poitrine ne bougeait presque plus. Il avait l'impression d'être un jeune chevreuil pris dans les phares d'une voiture au milieu de la route. Tétanisé. Mais il voulait s'affirmer à lui-même que la pirate ne lui ferait pas de mal. Elle n'en ferait pas. D'abord parce que c'était une élève et ensuite parce qu'ils étaient de la même maison, et surtout parce qu'il ne l'avait pas attaqué. Un frisbee sur la tête, c'est pas si grave que ça, se disait-il. Ou peut-être que si. Parce que la fille dit un sortilège inconnu à Finn et sous les yeux dépités du petit, le morceau de plastique n'était plus un mais des morceaux. Comme si ce n'était pas une matière solide mais un simple bout de jambon déchiqueté sous les dents puissantes d'un animal. En dépit du choc de voir cet objet réduit à rien, il ne put pas s'empêcher de penser à la puissance de la magie. Le sort qu'elle a utilisé devait pourvoir faire pareil sur autre chose qu'un frisbee et il n'avait aucune envie qu'elle essaye ça sur sa peau. Il devrait se montrer plus prudent pour qu'elle ne s'énerve pas. Très poli et calme. Il ramassa quelques bouts de frisbee dans sa main et s'asseyant en tailleur. « C'est joli quand même, on pourrait en faire un collier de nouilles mais pas en pâtes, en frisbee. Par contre Charlie risque de ne pas être content. Et je peux pas aller lui en racheter un. Est-ce que tu peux recoller les morceaux avec... ta magie. S'il te plaît ? »

Juste avant de lancer un nouveau sort, tu l'entendis murmurer une phrase du bout des lèvres, mais tu n'y prêtas réellement attention qu'après que les derniers morceaux de plastique aient atteint l'herbe rase. *Un pirate ? Qu'est-ce que ça signifie ?* De quoi voulais parler le petit brun, allongé à quelques mètres à peine de toi ? Sur l'instant, tu ne comprenais pas le rapport entre toi et ces individus redoutables et pillards, regardant le garçon d'un air interloqué, te demandant bien comment tu devais prendre ce compliment assez original.
Rabaissant ta baguette, tu l'observais se redresser et s'asseoir à même le sol, récupérant un à un les morceaux de son jouet. Il ne semblait ni en colère, ni terrifié, ni même triste, arborant une mine calme qui ne manqua pas de te surprendre. C'était comme s'il n'y prêtait pas grande attention, que cela ne le concernait plus du tout. Quand il ouvrit de nouveau la bouche, sa remarque finie par te déstabiliser complètement. Les bras ballant, comme sonnée, tu te sentais impuissante et sotte. Toute fierté et arrogance avaient fui ton visage, ne laissant qu'un corps affaissé et sans voix.

«Oui..non ! Enfin.. Je..»

*Pourquoi j'ai fait ça ?* Tu fixais les morceaux rassemblés entre les doigts du Gryffondor, d'un œil absent. Tu ne savais même plus si tu étais encore en colère ou non contre lui, bien que cela aurait été plus simple si ça avait été le cas. Tu sentais la honte te picorer doucement les joues, adressant un regard autour de toi, comme si tu espérais silencieusement que personne n'avait rien vu.
Le petit brun n'y était pour rien, dans tes histoires familiales, tout comme les deux autres filles à qui tu t'en étais pris. Tu n'agissais que sous le coup d'une colère noire qu'ils n'avaient même pas provoqué. Tel un pirate, comme il disait, tu menais l'abordage, tentant de leur voler les derniers éclats de joie qui brillaient au fond de leurs prunelles. Un pirate à la mine sombre, au regard tueur et à la cicatrice... La cicatrice, c'était donc pour ça cette histoire de mercenaire des mers.

Tu croises son regard une nouvelle fois, avant de prendre une courte inspiration. T’accroupissant devant lui, tu attrapais les bouts restants et les étalais devant toi, essayant de les mettre à leur place, comme s'il s'agissait d'un puzzle.
«Met-les là, je vais essayer.» Dis-tu en pointant du menton ce qu'il tenait dans la main et du doigt les morceaux déjà placés par tes soins. Tu hésitais un instant, les lèvres serrées, mais finies par murmurer à son adresse, sans le regarder dans les yeux. «Crois-moi, être un pirate est la pire chose qui puisse t'arriver.»

Il ne comprend, décidément, vraiment pas cette fille.
À chaque nouvelle fois qu'il portait son regard sur son visage pâle, il y voyait quelque chose de différent, des crispations différentes, une attitude différente. Et puis ses yeux, noirs et profonds, il n'arrivait pas à déterminer ce qu'il apercevait dedans. S'il regardait bien, il se reflétait dedans et pouvait suivre les contours de sa silhouette. Miroir ? Elle ne renvoyait que ce qu'elle voulait bien renvoyer. En fait, si Finn devait métamorphoser la fille, ce ne serait pas en miroir mais plutôt en vase. Un vase cassé, brisé, dont les morceaux étaient recollés en suivant une tradition asiatique dont le petit brun avait entendu parler avec de la colle pailletée d'or. Ainsi, on n'essayait pas de colmater les failles pour que les fissures ne se voient plus, pour que le vase soit aussi beau et complet qu'avant, mais le vase était bien là et sublimé de courbures dorées.

La fille-pirate-vase parla mais tellement bas et sans articuler qu'Infini ne comprit pas et ne releva pas, parce qu'il était occupé à chasser un cil tombé dans son oeil. Après avoir accomplie sa mission de sauvetage oculaire, il étendit des jambes sur le côté au maximum qu'il le pouvait - c'est-à-dire très peu, la souplesse ne faisant pas partie de ses facultés. Et puis il scruta à nouveau la fille. D'habitude quand il faisait ça, les gens détournaient le regard ou lui demandaient s'il voulait leur photo, ce qu'il ne voulait pas du tout. Mais elle, non. Elle croisa son regard puis s'installa prez de lui.
Elle avait accepté de refaire le frisbee ! Très content, Finn rebondit quelques secondes sur ses fesses en gazouillant et sourit. « T'es super gentille, merci ! » Le jeune Gryffondor laissa tomber les morceaux de jouets de ses mains et étala toutes les pièces dans le bon sens - les rainures étaient incurvées sur la face pile - à côté de celles que la fille avait déjà placées. Le puzzle ainsi exposé n'était pas bien compliqué. Le sort lancé par la fille avait découpé proprement le frisbee et en quelques coups d'oeil Infini recréa dans sa tête le jouet dans le bon sens. « Ce bout-la va là, celui-ci ici », s'exclama-t-il de temps en temps tout en reconstruisant. Et voilà.

Et puis il dut se pencher un peu et tendre l'oreille pour entendre ce qu'elle dit à nouveau, tout bas, bien plus bas que lorsque qu'elle parlait avant. Comment ça être un pirate c'est la pire chose qui puisse arriver ? Il s'accouda sur ses cuisses et appuya son menton sur ses deux paumes ouvertes. Il baissa la tête plus bas, encore plus bas que les paroles basses de la fille, pour chercher son regard qui s'était perdu sur l'herbe sèche. Avec une moue étonnée il lui demanda : « Dis, pourquoi c'est la pire qui puisse m'arriver ? C'est arrivé à toi pourtant... Je la trouve jolie ta cicatrice de pirate. »

Tu marquais un arrêt, suspendant ton geste dans les airs alors que tu t’apprêtais à replacer un morceau du puzzle, regardant de nouveau le jeune garçon, les yeux assombris de jugement. Tu le regardais ainsi un instant, gigotant d’un sourire niais, avant de reprendre ce que tu avais commencé. C’était bien la première fois ici que quelqu’un te trouvait "gentille " et toi-même tu n’aurais jamais osé te définir de la sorte, même dans un de tes très nombreux moments égocentriques. Douce peut-être, ou même prévenante avec Ruby, mais les élans de générosité se faisaient bien rare.

Tu laissais l’autre Gryffondor placer le dernier morceau de frisbee alors que ton regard dérivait de nouveau vers les brins d’herbes qui se tendaient fièrement vers le ciel. A présent qu’aucun cri ne se faisait entendre à travers le domaine, le parc était redevenu d’un calme apaisant. Seul le doux bruit crissant des feuilles secouées par la brise et les gazouillis des oiseaux venait interrompre ici et là le grand silence de ce début d'après-midi. Retroussant tes manches sous le coup d'une vague de chaleur imprévue, tu fixais le visage souriant penché vers toi, t'adressant le regard curieux d'un enfant découvrant le monde. D’agacement, tu te redressais, t'éloignant le plus possible du garçonnet. Une cicatrice "jolie" ? Décidément le gamin n'avait pas les yeux en face des trous, à moins qu'il soit juste tout bonnement stupide.

«T'as capté que c'était pas du maquillage ? Laisses tomber va, t'es trop p'tit pour comprendre.»

*Trop petit, 'peut pas comprendre, hein.* On te l'avait tellement rabâché cette phrase, comme une offense à ton intelligence, que ça te soulageait presque de la lui balancer à la tête, sourcils relevés et lèvres serrées.
Pointant ta baguette vers les débris du jouet, tu articulais un «Reparo» sans grand enthousiasme, regardant le tout se recoller petit à petit sur le sol détrempé.

Navré pour l'attente Plume..

Finn n'apprécia pas le regard haineux que lui lança la fille. Quoi, qu'est-ce qu'il avait dit de mal ? De son point de vue, le portrait qu'il dessinait de la pirate était plutôt élogieux. Mais tout compte fait, les pirates, c'était un peu trop hargneux pour lui. Tout était trop noir, trop sombre pour que la force bouillonnante qu'il captait d'elle puisse être bénéfique. Et puis, des deux, c'était à lui de s'éloigner d'elle et pas lui, comme elle venait de le faire juste avant. Parce qu'elle faisait plus peur que le petit Gryffondor. Il voulait simplement se montrer attentif de l'histoire de la fille mais elle ne voulait pas lui offrir ses aventures. A vrai dire, il comprenait. Il n'était même pas agacer par cette absence de réponse parce qu'il savait que les autres fonctionnaient comme ça, la plupart du temps. Lui ne cachait rien et même s'il l'aurait voulu, il en aurait été incapable. Parce que son visage, son corps, ses mouvements et mimiques constituaient un miroir parfait de ses pensées et parfois même de ce qu'il ne pensait qu'en idée sous-jacente et qui n'atteignait pas la surface de sa raison réellement. Alors, ce qui se dégagea de lui, et ce que peut-être la fille percevrait, c'était de la compassion et de l'empathie. Pas de pitié, pas de curiosité, simplement cette envie d'aider. Même si l'autre ne semblait pas prête à ça. La plus grande ambition de Finn, c'est de sauver les gentils. La fille était gentille, non ?

« Bien sûr que je sais que c'est pas du maquillage. Quand même, je suis petit comme tu dis mais pas aveugle. Et si t'aimes pas ta cicatrice, t'as qu'à mettre du maquillage, justement. Dessiner des trucs rigolos dessus comme des arcs-en-ciel ou des fleurs... J'suis sûr que ça pourrait être super joli ! »
Pour Finn, avoir des cicatrices montrait une force et une puissance, alors en plus la dévoiler au grand jour, c'était assumer qui on était. Mais la fille ne devait pas être de son avis et tant pis. Elle avait d'autres qualités pour elle, la fille, comme la magie. Elle a quand même réussi trois sorts du premier coup devant ses yeux ! Et le frisbee sous ses yeux reprit sa forme initiale. Forme initiale. Voilà peut-être ce que voulait récupérer Miss-pirate : sa forme initiale, celle qu'elle était avant un moment. Un reparo sur elle-même ne fonctionnerait malheureusement sûrement pas.

Le Première Année attrapa son frisbee fraîchement recollé et se leva lestement. Ensuite, il épousseta son pantalon sur lequel des brindilles d'herbe s'accrochaient. Il tendit sa main vers la fille, pour l'aider à la relever. « Merci pour le frisbee. Et désolé pour avoir parlé de... » Il se gratta près de l'oeil. « Je voulais pas que tu le prennes mal, t'sais. » Il sourit maladroitement. Si la fille agrippe sa main, il l'aide à se relever et la salue. Sinon, il la salue simplement.

Merci Plume, et bonne route !