Théo n'avait encore jamais vu de vrai duel avec des sortilèges plus impressionnants que ceux qu'il voyait et qu'il apprenait en cours jusqu'à aujourd'hui. Les deux professeurs duellistes ont été impressionnants mais il était assez déçu de finalement voir qu'aucun des deux n'avait réussi à s'imposer pour ainsi terminer sur une égalité. Il ne s'y connaissait pas assez pour dire qui méritait de gagner, mais le botaniste était plus vieux, avait plus d'expériences et donc potentiellement plus de chance de s'imposer face à son adversaire. Cependant, l'expérience ne fait pas tout et peut-être que le fait que son ancien directeur de maison était plus jeune et donc plus en forme était aussi un avantage.

Malheureusement, cette histoire de duel et de violence lui avait rappelé le Dominion où quatre des élèves de Poudlard s'y étaient aventurés et ne savaient même pas s'ils allaient rentrer en un seul morceau, sains et saufs. Il ne comprenait pas la logique de s'inscrire à ce type de compétition surtout lorsqu'on met sa vie en jeu. Être à la merci d'inconnus n'était pas un objectif pour Théo, mais ce n'était que son avis. Il y avait tant de questions qui cogitaient dans sa tête avec si peu de réponses et ne trouvaient personne qui pouvait en apporter. Néanmoins, il restait peut-être quelqu'un qui était justement dans la même salle que lui il y a cinq minutes qui pouvait l'aider. Théo remonta en direction de sa salle commune et devrait logiquement la croiser sur son chemin.

Le Gryffondor marchait d'un pas rapide et vit alors Kristen Loewy au croisement à sa gauche non loin de lui. Il hésitait... Lui tapoter l'épaule comme un lapereau apeuré ou bien l'interpeller dans le couloir ? Il s'imagina l'appeler comme si elle était un de ses amis, mais il se disait que cela provoquerait un énorme malaise et il se ferait remettre en place en un rien de temps. Théo marchait d'un pas léger pour ne pas se faire entendre et arriva à un grand mètre d'elle.

« - Excusez-moi... Il se rappela qu'ils n'étaient pas seuls dans le couloir. Miss Loewy ! »

Le jeune garçon se demandait par où commencer, il avait tant de questions qu'il ne s'y retrouvait plus dans ses pensées. Après le but n'était pas non plus de la noyer dans ses interrogations, qu'elle s'étouffe... Et qu'il n'y ait plus de directrices à Poudlard ! Il opta donc pour le début du commencement. A tous les coups, elle était pressée et n'avait pas une seule seconde à perdre, surtout pour parler à un élève lambda.

« - Est-ce que... Vous pourriez me consacrer un bout de votre temps ? J'ai des questions sans réponses et je pense que vous pouvez m'éclairer. »

Ça, il n'en était pas sûr ! Cette directrice avait du vécu, elle devait en savoir des choses sur le monde magique, et pas que. Mais nous restons toujours un peu dans l'ignorance et donc il était fort probable qu'elle ne sache pas répondre à Théo.

Observer ses collègues se donner en spectacle n'avait finalement pas été l'occupation de l'année pour Kristen Loewy. Finir épuisé par un Flipendo ne la rassurait pas sur les capacités de ses professeurs à se dresser face à l'adversité, si Poudlard devait être soumise à une attaque pour la... énième fois. Quant à ces histoires de morve, de danse et de moufette, cela ne relevait pas vraiment le niveau. Kristen ne put s'empêcher de secouer la tête avec dépit en imaginant ses professeurs attaquer les Sepulveda à coups de sécrétions de moufettes. Par Morgane, où donc était la majesté ! Le grandiose et le flamboyant !

En sortant de là, elle était donc passablement déçue et peu encline à débattre des talents d'un ressortissant de la Grande École de l'Art du Duel face à un professeur de Botanique peu à l'aise et décrépi. Ce n'était pas le sujet, non. Elle avait beaucoup de choses à régler et avait déjà perdu un peu trop de temps pour aujourd'hui.

Et ce n'était certainement pas un petit bout d'élève qui allait l'arrêter : marche tout droit, ignore le monde, fonce jusqu'à ton bureau, évite les regards, rien ne pourra interrompre ta course !

« ...des questions sans réponses et je pense que vous pouvez m'éclairer. »

Kristen s'arrêta avec la désagréable certitude que l'on s'adressait à elle. Elle tourna la tête à droite, à gauche, derrière, mais ne vit rien. Il lui prit l'idée de baisser les yeux, et elle remarqua la présence d'une petite créature aux oreilles pointues non loin. C'était elle qui avait causé, pas de doute.

La directrice n'avait pas le temps, mais elle faisait tous les efforts du monde pour se montrer polie et raisonnable. Ainsi, elle imita le plus grand sourire que les circonstances des derniers mois pouvait offrir - c'est-à-dire qu'elle inclina légèrement ses commissures, et répondit à l'élève:

« Chercher des réponses est une activité tout à fait pertinente. En quoi puis-je vous aider ? »

Ce sourire lui donna des frissons. Théo leva la tête pour essayer de fixer les yeux bleus de la femme en face de lui. C'était la première fois qu'il se retrouvait aussi proche d'elle et il préférait largement la voir de loin, elle paraissait moins grande, moins imposante et moins froide. Loewy n'avait vraiment pas l'air d'être une personne chaleureuse, mais bon, elle avait bien du émettre un quelconque signe amical durant les décennies qu'elle avait pu vivre. Enfin bref, il haussa discrètement les sourcils avec les cheveux qui pouvaient cacher son geste.

Cependant, comme elle avait pris la peine de se retourner et chercher du regard avec lassitude un pauvre deuxième année qui allait peut-être lui poser une question idiote en tout genre, il ne perdit pas une seconde de plus. Théo hésitait encore, il avait peur de sa réaction. Allait-il avoir assez d'audace ? Ouais, dans la vie, il faut foncer !

« - Vu ce qu'il s'est passé avec ce tournoi, y'avait des élèves en danger, voire très en danger... C'est possible que Poudlard ferme ? Et que tout ça s'arrête... »

Il désigna autour de lui. Il ne souhaitait pas penser aux conséquences. Qu'allait-il faire ? Peut-être retourner dans un collège moldu et faire comme s'il ne connaissait rien au monde sorcier. Ou alors ils enverront un sortilège d'Amnésie sur tous les élèves de Poudlard. Sa mère pourra lui dire : "Je te l'avais dit, ces histoires de magie ne t'aident pas. Fais-moi confiance". Elle ne savait rien, elle prétend pouvoir dire de lui faire confiance, mais envoyer des nouvelles à son fils sans cracher sur les sorciers est trop demandé ?

Théo pensait déjà à l'avenir et peu au présent. Mais cela ne servait rien de s'intéresser à l'instant T lorsque l'on est incertain de quoi sera fait l'avenir. Pauvre gamin, il n'arrivait pas à vivre tel un ado prébubère...

Kristen baissa les yeux sur le gamin, l'observant de la tête au pied et laissant le silence s'installer. Elle expira un petit "Mh !" en remontant le menton tandis que ses yeux se plissèrent sur l'enfant.

« Bien sûr que non. »

Elle était à deux doigts d'ajouter : pour qui me prenez-vous ? Je ne laisserai jamais mon école fermer ses portes ! mais elle se ravisa, estimant que la petite chose pourrait être brusquée. Cela étant dit, elle le pensait fermement : elle ne laisserait jamais Poudlard s'aplatir, l'école ne devait pas fermer, jamais ; pas tant qu'elle en serait la directrice, en tout cas. Ce serait un échec supplémentaire qui lui serait tout à fait insupportable. En venir à de telles extrémités signifierait que la situation dégénérait vraiment, et elle se sentait pour l'instant toujours capable de gérer cela... Au moins à peu près. Après tout, les élèves partis dans le Dominion étaient tous revenus en un seul morceau - même si l'on ne pouvait pas en dire de même de leurs baguettes... On avait même gagné une élève supplémentaire dans l'opération, et quelle recrue ! Kristen était persuadée qu'il y avait de quoi en retirer un paquet d'informations très précieuses... Certes, d'autres élèves, dans d'autres écoles, avaient eu moins de chance, et cela lui permettait de ne pas perdre de vue son objectif : en finir avec les Lignées. Elle n'aurait pas de repos tant qu'ils ne seraient pas tous enterrés.

« Ne vous inquiétez pas pour cela. »

Puisqu'elle pensait avoir tout dit, elle tourna les talons et reprit sa course.

« - Ah. J'imagine bien oui... »

Sincèrement, il était persuadé que la réponse qu'il venait d'obtenir de la part de sa directrice n'était pas certaine. Elle lui avait répondu si sèchement et avec très peu d'hésitation, mais ce qui se passait dans sa tête, n'était pas ce qu'elle montrait. Théo voulait rarement retenir un adulte longtemps, il avait sûrement autre chose à faire et une discussion avec un élève n'est guère passionnante dans certains cas.

Lorsque Loewy se retourna, il fut outré de son impolitesse. Même pas un "bonne fin de journée" ou un petit "adieu" ou un "au revoir". Nada, zéro, rien du tout. Il fixa sa mèche blanche qui virevoltait à sa gauche, il se demandait d'ailleurs si c'était elle qui avait fait sa propre teinture, et ça, c'était une question très importante à poser. Il se racla brièvement la gorge. Et puis, il n'en avait pas terminé avec elle.

« - Les questions, c'est au pluriel, je n'avais pas terminé. Pourquoi tant de haine sur les nés-moldus ? Ils n'ont rien demandé et maintenant, j'ai l'impression que tout le monde veut s'entretuer en essayant d'être celui qui contrôlera le monde sorcier. »

Il s'était mal exprimé, ce n'était pas s'entretuer le terme exact. En soi, les Sang-Pur avaient l'air de vouloir rendre les moldus des esclaves et d'instaurer leurs règles, avec un air d'extermination. Et puis les moldus... Il n'en savait rien de ce qu'ils souhaitaient ! Être égaux ? En rêvant d'un globule rouge de Sang-Pur et un de Né-Moldu qui se tiennent la main.

« - Cela me fait penser à un événement dans l'histoire moldue. Vous avez connu la Seconde Guerre Mondiale ? Enfin, vous connaissez plutôt ? Bref, je trouve que ça y ressemble. »

Elle ne devait pas être aussi vieille... Les mèches blanches de l'âge, ça se teint non ?

Kristen se stoppa net quand l'enfant reprit la parole. Il devait avoir son petit caractère, le gamin, finalement. Elle prit son temps pour le dévisager, l'inspecter de la tête aux pieds et des pieds à la tête, comme elle avait l'habitude de le faire avec ses yeux-scanner.

« S'entretuer pour le pouvoir, c'est un peu l'histoire de l'humanité, malheureusement. »

Quand il évoqua la Seconde Guerre Mondiale, Kristen inclina légèrement la tête et fronça les sourcils. On sortait à peine du centenaire de la fin de cette guerre : les Moldus avaient enchaîné les hommages. Même en étant bien ancrés dans leur univers magique, les sorciers n'avaient pas pu passer à côté : c'était partout. Les gens avaient baissé la tête, récité des discours sur la liberté, l'égalité, mis leur main sur leur cœur, placé des fleurs devant les monuments aux morts, loué les libérateurs des pays conquis par le troisième Reich, avaient une fois de plus secoué la tête, grimaçant en imaginant l'horreur des camps. Et puis, comme d'habitude, une fois la retransmission télévisée de ces hommages terminée, on s'était demandé si on mangeait des pâtes ou des haricots, ce soir. Au bout d'un moment, on avait même fini par penser : "allez, ils nous en remettent une couche !". Parce que les gens se lassent de l'horreur, surtout lorsqu'elle est si éloignée d'eux et qu'ils ont plus urgent à faire : vérifier leurs mails, par exemple. Sacré monde.

En vérité, ce n'était pas qu'une affaire de Moldus : pourquoi leur histoire et celle des sorciers seraient-elles hermétiques ? C'était bien la même planète.

« Ja, ich weiß. Der Zweiter Weltkrieg. Ce n'est pas un événement de l'histoire moldue, c'est un événement de l'histoire du monde. Ma famille a fui l'Allemagne à temps, mais c'est une blessure qui reste dans le sang. »

Elle esquissa un léger sourire.

« Je surveille les agissements de notre gouvernement de près, tout comme je fais le nécessaire pour que les enfants nés de parents Moldus se sentent en sécurité à Poudlard. »

Théo en apprenait beaucoup plus sur le monde, en fait, vu de loin, il en ignorait une grande partie. Il n'avait jamais remarqué que tout le monde se battait pour la meilleure place possible, le pouvoir comme l'avait bien dit Loewy. Finalement, la personne parfaite n'existe, une personne qui ne souhaite pas avoir plus qu'il a, ça n'existait pas. On devait se contenter de toujours avoir des relations de pouvoir avec nos contacts, qu'importe la personne. Théo entendit son interlocutrice baragouiner une phrase dans une langue étrangère (sûrement) et n'osa pas lui demander de répéter.

« - Ah je comprends, ça a du être dur et j'en suis désolé. Cela devait être le cas d'une très grande partie de la population allemande et des pays voisins. »

Théo n'avait aucune idée de ce qu'avait connue sa famille lors de la seconde guerre mondiale. Peut-être qu'il leur est arrivé la même chose que sa directrice ou bien ils ont du rester sous l'emprise allemande. Ou encore, ils sont restés au coin, dans le froid du nord écossais. Mais ce sont de nombreuses questions sans réponse car personne n'en a aucune idée. Le passé est souvent douloureux lorsqu'on regrette certains actes qui auraient pu changer notre vie et donc on essaye de l'oublier et de ne pas y penser. L'histoire familiale ne se transmet donc pas et les petit-petit-petit-fils resteront ignorants d'événements importants.

« - C'est marrant ce que vous dites n'empêche, en soit, on pourrait dire que nous sommes de la même famille et que ce ne sont que des histoires familiales, à table, le dimanche midi ? Il y a des milliers d'années, il y avait peu d'humains et donc pas vraiment plusieurs familles. »

Le sourire qu'elle émit le rassura, les nés-Moldus ayant été intégrés dans la "folie sorcière" ne seront pas abandonnés. Théo ne savait pas quoi en penser. Il avait de la pitié pour eux, de la haine pour les Sang-Pur et de l'incompréhension pour les deux côtés.

« - Merci. »

Il fallait dire que Kristen Loewy n'avait pas franchement l'habitude de discuter avec le premier gamin venu. Si elle était en contact avec quelques élèves, ils avaient tous un petit quelque chose de plus ou moins exceptionnel. Elena - qui lui en voulait toujours, certainement, et faisait désormais sa vie à l'école - était une Stoyanov. Aelle était Aelle, une sorte de reflet de Kristen au même âge. Mais lui, ce petit bout de garçon, n'était qu'un petit bout de garçon comme les autres. Cette interaction lui sembla donc assez étrange. La directrice inclina la tête, pas certaine de comprendre où il voulait en venir.

« Hum... Je ne dirais pas que c'est... marrant... Concernant cette idée de famille, cela dépend de la définition de la famille que vous donnez. »

Elle haussa un sourcil et regarda à droite et à gauche, cherchant du sens dans ce que voulait dire l'enfant et se demandant si sa réponse était adéquate. Biologiquement, il pourrait y avoir la grande famille de l'humanité, certes. Mais si l'on choisissait une définition mettant en cause les liens affectifs, cela devenait tout de suite plus compliqué. En tout cas, une chose était certaine : Kristen Loewy, elle, n'avait que très rarement eu l'impression de faire partie de cette grande famille des êtres humains. D'ailleurs, la notion de famille lui était assez floue, aussi préférait-elle s'en tenir à une définition de dictionnaire pour appréhender ce terme complexe.

« La mienne ne comprend pas nécessairement cette idée de déjeuner du dimanche midi, voyez-vous. Mais pourquoi pas ? »

- Une famille, c'est soit un groupe de personnes où chacun peut compter sur les autres, soit juste des gens liés par le sang. C'est ça ma définition.

Les Loewy n'avaient pas l'air d'être la belle famille heureuse qui se réunissaient à tous les Noël avec une belle dinde au milieu de la table d'après ce qu'elle venait de dire, elle n'était pas à envier. Sa directrice avait sûrement une dure vie vu la pâleur et la minceur qui la qualifiaient. La définition de famille chez eux devait être : les problèmes.

Théo était sûr que pour certains élèves, cette femme devait être l'un de leurs pires cauchemars. Il ne ressentait pas cela mais plus une femme forte à qui, il devait tout son respect, mais il ne l'enviait pas. Ce n'était pas du gâteau d'avoir des centaines d'élèves et des professeurs sous sa responsabilité, elle avait du en voir des cas dans cette école.

- Les familles diffèrent beaucoup à Poudlard, entre les riches sang-pur, les familles banales de sang-mêlé où rien d'incroyable ne se passe et les pauvres moldus... Ou les sans statuts pour certains. Mais chacun a sa définition.

Théo n'était pas au top de l'actualité mais il arrivait à suivre vite fait ce qu'il se passait à l'extérieur de Poudlard, déjà rien qu'à l'intérieur, il est compliqué de connaitre tous les ragots. Et il connaissait les décrets qui passaient. Pourquoi tout ne pouvait pas être plus facile avec des sangs tous égaux ? Et des gens un peu moins dingues à la tête du gouvernement ? Il se rendait bien compte que certains élèves n'étaient pas très rassurés par ce qu'il se passait à l'extérieur de l'école.

La loose ce retard...