Après tout ce temps, il était étrange de remettre les pieds à l’intérieur du Chaudron Baveur. Pourtant, malgré l’incendie survenu quelques années plus tôt, l’établissement semblait ne pas avoir changé d’une brique. Chaque meuble était à sa place, le comptoir trônait encore fièrement au milieu du bar et les mêmes grincements du bois s’entendaient dans les moindres recoins de la bâtisse. Il ne manquait plus que la douce odeur des plats préparés, la chaleur du feu dans la cheminée ainsi que les clients et leurs bavardages. Difficile de croire qu’un tas de ruines se tenait ici il a peu.

Vêtue d’une sobre robe de sorcière noire et couverte d’un épais manteau vert émeraude arrivant à ses pieds, Diane venait de passer la porte du pub. Elle laissa tomber sa capuche sur ses épaules, dévoilant ses cheveux roux, et s’avança dans la salle à manger. Tout était si calme. Seul le bruit de ses talons résonnait, brisant ainsi le silence environnant. Sa lente progression avait presque quelque chose de solennelle. La jeune femme balaya du regard la salle faiblement éclairée par une dizaine de bougies murales et s’avança vers le comptoir dont elle caressa le bois du bout des doigts.
Finalement, le bruit d’une porte qui s’ouvre la fit sortir de sa contemplation. Diane tourna la tête vers la provenance du son et sourit en reconnaissant la silhouette qui se tenait devant elle. Arthur.

Posté devant la fenêtre qui donnait sur la rue du Chemin de Traverse, Arthur attendait patiemment l’horaire qui avait été convenu avec une vieille connaissance. Depuis son poste d’observation, il avait une vue complète sur les allées et venues des passants.
Mains dans le dos, alors qu’il scrutait chaque personne qu’il voyait, une forme en particulier attira son attention. Le vieux sorcier approcha son visage de la fenêtre pour mieux s’assurer du soupçon qu’il avait. Peut-être bien. Il serait, de toute façon, rapidement fixé s’il avait vu juste.
Suivant son instinct, l’ancien Poufsouffle se détacha de son occupation et servit deux tasses de thé Earl Grey qu’il déposa sur la table basse installée devant la cheminée. Il était toujours plus agréable de converser autour d’une bonne boisson que les mains vides.

Une fois la théière reposée, Arthur crut discerner des bruits de pas provenant de la salle à manger. Il ne s’était donc pas trompé, c’était bien elle. Pile à l’heure, pour une fois.
Le patron essuya ses mains sur son pantalon et s’avança vers la porte du salon privé. Il actionna la poignée pour l’ouvrir et n’eut aucun mal à reconnaître la femme qui se tenait près du comptoir. Sa chevelure de feu avait toujours été reconnaissable.

"Ça fait longtemps, Diane." la salua-t-il en la prenant chaleureusement dans ses bras alors qu’elle s’était avancée vers lui. Il s’écarta finalement pour la laisser entrer en lui désignant l’intérieur de son futur bureau d’un geste de la main.

En le voyant là, Diane se dirigea vers lui, heureuse de pouvoir le retrouver après tout ce temps. La jeune femme lui rendit son étreinte en frottant son dos du plat de sa main et laissa échapper un faible rire. C’était le moins que l’on puisse dire : la dernière fois qu’ils s’étaient vus, elle devait encore suivre les cours à Poudlard. Elle était bien loin d’imaginer tout ce qui l’attendait par la suite à cette époque. Si on le lui avait dit, elle n’aurait très certainement pas pris la chose au sérieux.

"Vous risquez de me voir plus souvent maintenant." dit-elle alors qu’il s’écartait et l’invitait à entrer.

Une fois dans la pièce, Diane défit son manteau et posa le vêtement sur le dossier d’un des fauteuils placés devant la cheminée. Imitant l’homme, elle s’assit et se laissa s’enfoncer dans les coussins. Elle attrapa la tasse de thé fumante et l’entoura de ses doigts pour les réchauffer. Il savait recevoir, rien d’étonnant à cela.

"Merci d’avoir accepté Arthur. Ça signifie beaucoup, surtout que vous n’étiez pas obligé." La jeune femme avait en effet été surprise de recevoir une réponse positive du restaurateur. Sa demande n’avait rien eu de conventionnel et sortait quelque peu de l’ordinaire.

"Ça s’est bien passé avec le Conseil ?" demanda-t-elle en prenant une première gorgée de sa boisson chaude.

Lorsque les deux sorciers furent entrés dans la pièce, Arthur ferma la porte derrière eux et lança un sortilège d’Impassibilité sur celle-ci. De cette façon, ils ne craindraient pas que leur conversation privée puisse être écoutée puis rapportée. Car en effet, si la moindre personne entendait ce qui allait se dire ici, ils – et toutes les personnes impliquées de près ou de loin - risqueraient gros.
Le vieil homme contourna la table basse et s’assit sur l’un des fauteuils disponibles. Se collant au dossier, il croisa les jambes et regarda la sorcière qu’il avait en face de lui. Elle avait tant changé. Elle était devenue une vraie femme à présent. Les années n’avaient pas encore eu raison d’elle mais le stress et la fatigue engendrés par les derniers événements avaient quelque peu marqué ses traits.

"C’était normal, vous comptez beaucoup pour moi Marlon et toi. Je n’ai même pas eu à réfléchir quand j’ai reçu ta lettre." Cela faisait en effet des années qu’Arthur connaissait l’oncle et la nièce.

"Oui. Ils n’ont posé aucune question particulière et ne se sont doutés de rien. Tu peux être rassurée sur ça, ils ne nous embêteront pas." répondit-il en attrapant lui aussi sa propre tasse de thé. "Je suppose que tu veux que l’on discute un peu plus de tout ce que cette situation implique ?" Leur plan était suffisant risqué pour ne rien laisser au hasard.

Un poids en moins quitta la poitrine de Diane lorsque celle-ci entendit que tout s’était déroulé sans accroc. C’était au moins ça de fait. Arthur avait donc pu signer les différents documents officiels, faisant ainsi de lui le nouveau patron du Chaudron Baveur. Parfait, c’était exactement ce qu’elle voulait.

"En effet je pense que ça ne serait pas de trop…" commença-t-elle en reposant sa tasse sur la table et en se réinstallant au fond du fauteuil. "Tout doit être au point pour que les gens pensent que vous êtes le gérant. Il va falloir rester prudent, il ne doivent avoir aucun doute sur ce qu’il se passe." C’était même primordial à vrai dire. L’enjeu était trop gros pour qu’ils se permettent le moindre faux pas.

"Officiellement, vous êtes donc le patron. Officieusement, je le suis. Chaque situation importante doit m’être rapportée pour que je puisse prendre les décisions et les dispositions nécessaires. Vous ferez donc par exemple passer les entretiens de recrutement mais je veux en avoir un retour objectif, de même pour les réunions que vous pourriez avoir." Diane s’arrêta pour réfléchir à ce qu’elle souhaitait aborder. "Je ne pense pas avoir besoin de vous donner des détails sur votre rôle, vous avez suffisamment d’expériences dans le domaine pour ça." enchaîna-t-elle en riant.

Après quelques instants, la jeune femme reprit finalement.

"Pour faciliter les choses, il faudrait que je puisse être embauchée comme serveuse. Peut-être pas dès les premiers jours mais dans peu de temps malgré tout. Qu’est-ce que vous en pensez ?"

Ceci, Arthur l'avait bien compris. Pour l'occasion, il s'était préparé depuis plusieurs semaines à devoir endosser un rôle qui n'était pas le sien. Le vieil homme s'était ainsi entraîné à jouer le gérant du pub sorcier le plus connu de Grande-Bretagne et à devoir mentir à toutes les personnes de son entourage. Il n'avait après tout plus grand chose à perdre à présent. Aider Marlon et Diane était sa seule motivation.

Le point sur les recrutements et les réunions lui était apparu comme une évidence. Il était tout naturel, à ses yeux, qu'il lui rapporte l'ensemble de ces informations. Arthur n'avait aucune envie de prendre une décision sans l'accord de la jeune femme.

"Evidemment." la rassura-t-il simplement avant d'ajouter en souriant "Ce sera peut-être même à moi de t'apprendre deux ou trois trucs.".

"C'est ce que j'avais l'intention de te proposer. J'ai déjà reçu quelques candidats et je compte en voir encore jusqu'à la fin de la semaine. Toutes les notes sont ici, dit-il en désignant l'une des piles de parchemins posées sur son bureau, donc tu pourras y jeter un coup d'œil quand t'auras le temps. La réouverture est prévue le 7 avril donc il faudrait embaucher un peu d'ici là et toi tu pourrais commencer le... disons le 30 ? Ça te laisserait du temps pour gérer ce que tu as à faire et finaliser les derniers trucs."

Il lui semblait important d’avoir un pied directement dans le Chaudron Baveur. De cette façon, elle pourrait savoir ce qu’il s’y passait et être au cœur des conversations et des événements. De plus, cela ne surprendrait personne de la voir revenir en tant que serveuse. Elle s’était toujours très bien débrouillée dans ce rôle et faisait même l’unanimité des clients à l’époque.

A l’annonce de la date, Diane réfléchit. Cela lui faisait un bon mois avant de reprendre du service. Ça devrait faire l’affaire et lui laisser suffisamment de temps pour organiser son retour.

"Ça me semble très bien. D’ailleurs tant que j’y pense, il ne faudra évidemment pas faire de favoritisme. Je serai une employée comme les autres. Ne me ménagez pas." conclut-elle en riant et en reprenant sa tasse de thé.

La jeune femme prit une grande gorgée et, alors que le liquide coulait dans son œsophage, ses yeux s’arrêtèrent sur la cheminée et se perdirent dans le mouvement des flammes. Elle en avait vues tellement ce jour-là… Des flammes dangereuses, inarrêtables, qui avaient tout consumé sur leur passage. Elle avait été si impuissante devant elles ; elle s’était contentée de regarder le bâtiment se faire dévorer.

"On pourrait essayer de se faire une réunion par semaine, un soir..." dit-elle machinalement alors qu’elle était toujours perdue dans la contemplation de l’âtre rougeoyant, sa tasse au creux de ses deux mains.

Arthur connaissait la situation délicate dans laquelle Diane se trouvait. Il savait qu'elle avait pris part à un mouvement de résistance - qu'elle devait dorénavant mener dans l'ombre -, qu'elle avait perdu son emploi, son compagnon et se retrouvait à présent seule avec deux enfants en bas âge à la charge. Et tout ceci en très peu de temps ; sa vie avait basculé en une fraction de seconde. Cela faisait beaucoup pour une même personne, même pour une représentante de la maison Gryffondor.
Le vieux sorcier pensa qu’elle devait être encore affectée par les événements lorsqu’il vit son visage effacé tourné vers la cheminée. Arthur se redressa alors, posa sa tasse sur la table basse et plaça une main rassurante sur le genou droit de la jeune femme.

"Ça va aller, d’accord ?" commença-t-il en caressant la robe de son pouce. "Tu auras le droit à un petit appartement au Chaudron avec ton poste de serveuse d’ailleurs, ce sera pratique pour toi. Tu pourras même venir dans mon bureau si tu as besoin de travailler et être tranquille."

Arthur lui sourit et se réinstalla au fond de son fauteuil.

"Et tu ne m’as pas dit : Marlon dans tout ça ? Lui aussi veut revenir ?" La jeune femme n'avait en effet jamais évoqué son oncle, que ce soit ici ou dans l'une de ses lettres.

Diane détacha ses yeux de la cheminée lorsqu’elle sentit une main exercer une pression sur son genou. Elle releva le regard vers l’homme et lui sourit en l’entendant.

"Arthur, je vous ai dit pas de favoritisme…" lui dit-elle sur un ton à la fois amusé et maternel. "Mais merci."

Il était vrai qu’elle ne lui avait donné aucune information concernant Marlon. Pour le moment son oncle ne souhaitait pas revenir pour diverses raisons, il préférait se consacrer sur les points qui touchaient au Réveil.

"Non non, il n’y aurait que moi. Marlon préfère se détacher de tout ça actuellement. Ça lui rappelle encore trop de mauvais souvenirs." Ce qui était compréhensible.

Diane porta une nouvelle fois la tasse à ses lèvres ce qui marqua sa dernière gorgée de thé. Elle reposa la vaisselle blanche aux motifs floraux sur la table et s’avança sur le bord de son fauteuil. Elle n’avait pas besoin de traîner plus longtemps ici, les premières informations importantes avaient été communiquées.

"Je repasserai sûrement dimanche soir si vous voulez que l’on regarde les candidatures ensemble. Même si j’ai entièrement confiance en vous. On pourra aussi en profiter pour regarder plus en détail les documents du Conseil."

Sur ces derniers mots, la jeune femme se leva pour prendre congé. Elle passa ses mains sur sa robe pour la défroisser et récupéra son manteau afin de s’envelopper dedans.
Accompagnée d’Arthur, elle se dirigea vers la porte qui fut déverrouillée d’un coup de baguette magique.

"Au revoir Monsieur Wyatt, merci de m’avoir reçue." A présent qu’ils étaient hors du sortilège d’Impassibilité, ils devaient joueur leur rôle.

"Je comprends. Qu’il n’hésite pas si besoin." Marlon était en effet, quoi qu’il arrive, toujours le bienvenu.

Lorsqu’il vit Diane se lever, Arthur l’imita et se tint droit comme un i en attendant qu’elle initie le mouvement.
L’ancien Poufsouffle la suivit donc jusqu’à la porte de son bureau, sortit sa baguette magique et la dirigea vers la serrure pour la déverrouiller. Il actionna la poignée et sourit à la remarque de la jeune femme. Elle était sur ses gardes.

"Au plaisir. Bonne soirée." lui dit-il en la raccompagnant jusqu’au centre de la salle à manger.

Après quoi, lorsqu’elle disparut, il verrouilla la porte d’entrée de l’établissement et retourna dans son bureau. Il se saisit de la tasse de thé qu’il n’avait pas terminée et se posta de nouveau devant la fenêtre qui donnait sur le Chemin de Traverse. Le nez caché par le bord de la porcelaine, il n’eut aucun mal à reconnaître la silhouette de Diane qui s’éloignait au milieu des quelques sorciers encore présents malgré l’heure tardive.
Ne l’apercevant finalement plus, Arthur s’éloigna de l’ouverture creusée dans le mur et s’assit à son bureau. Il alluma sa pipe, qu’il se mît à fumer doucement, porta une main à son front et feuilleta les différents parchemins relatifs aux entretiens passés et futurs. Il n’était pas encore sûr d’avoir trouvé la perle rare parmi les candidats reçus.