Un livre et quelques partitions sur lesquelles j'avais gribouillé, d'une plume maladroite, quelques indication, sous les bras, je prenais une direction des plus familière : la salle de répète. Ma deuxième maison, ici à Poudlard, après mon lit. Sûrement avais-je accordé plus d'importance à la musique qui habitait chaque jour cette pièce qu'à mes cours, mais cela ne me dérangeait pour le moins du monde. Ces derniers étaient pour la plupart barbants, la musique, elle, elle était sauvage. Indomptable pour mes doigts empotés.

Pour sûr, que j'aurais pu me contenter d'un instrument plus simple autre qu'un clavier à 88 touches, mais le contact de mes phalanges avec ces amas de noir et de blanc me tenait presque en émois. Du moins, cela aurait pu être le cas si je ne jouais pas faux la majorité du temps... Mais j'avais tendance à penser que je m'améliorais et qu'un jour, j'aurai ce talent de produire cette pureté sonore que j'avais déjà eu la chance d'entendre dans cette salle.

En parlant de pureté... Voilà qu'à travers la porte, le son de ce bon Ludwig parvenait à mes oreilles. Pesante, lourde mais pleine de grâce. Le pianiste sourd avait ce don de provoquer toute sorte d'émotion confuse dans son auditoire et malheureusement... Je ne faisais pas exception à la règle.

À la manière d'un poursuiveur sonné, je restai un certain moment planté devant cette porte. Attrapant les notes une à une, m'en délectant et ressentant sur la peau le frémissement de ces dernières. Que c'en était excitant et que cela n'était que source d'inspiration pour mon apprentissage !

J'ouvrais finalement la porte, décidé à mettre un nom sur celle qui portait le masque de Ludwig.

« Oh c'est toi... Shanna. »

Articulais-je dans un murmure après un temps de réflexion à la vue de ses deux pupilles d'argent.
Qui d'autre après tout aurait pu être à l'origine de ce divin son venais-je à m'en faire la remarque alors que je la rejoignais près du piano, nullement conscient de l'avoir perturbé.

« Tu peux continuer, c'est joli. »

"Comme d'habitude" eus-je envie d'ajouter, mais ma fierté m'en serra la gorge sur ces derniers mots.

Fut-elle donc étonnée à ne pas être la seule à venir se réfugier dans la musique ? Si j'en jugeais la surprise qui émanait de son visage... oui. Et comme pour la première fois, je ne m'embarrassais pas sur les formules de politesse me contentant alors de reporter mon attention sur le ballet de ses doigts sur le piano. Car malgré un début compliqué, le spectacle, visuel ou sonore, en valait le détour. Si bien que mon visage accueillît une petite déception alors que les dernières notes de musique s'envolaient dans les airs. Que cela avait été beau. Puisse-je un jour jouer comme ça. Pas pour les autres, juste pour moi et mon plaisir égoïste.

« Euh... Je ne l'aime pas personnellement mais j'aime bien sa musique... Surtout lorsqu'elle est bien jouée. »

Deuxième compliment depuis notre rencontre, ma fierté et ma froideur habituelle en prenait un coup. Mais que voulez vous, ce n'était que vérité qui s'extirpait d'entre mes lèvres. M'en arrêtant tout de même là, je déposais lourdement par terre mes affaires et les quelques livres que j'avais déniché il y a voilà deux mois à la bibliothèque. Quelques feuilles volantes accueillant partitions et notes s'envolèrent, mais je n'y prêtais guère grande attention.

« Tiens, fais moi une place. Il faut que je te montre un truc. »

Et m'asseyant sans ménagement à côté d'elle sur la banquette du piano comme si nous étions amis de longue date, je prenais, d'un doigt effleurant les touches, mes repères. Et après un long soupir, je commençais...

Les index et majeurs naviguant maladroitement sur le clavier, j'arrivais finalement après quelques fausses notes à la fin de la mélodie. Si on pouvait l'appeler ainsi au vu de la performance précédente de notre Ludwig féminin. Décrochant alors mon pied de la pédale, je plongeais mes pupilles dans ceux de celles qui en avait été la spectatrice et du voix qui se voulut interrogatrice, je venais recueillir sa critique.

« Tu en penses quoi ? Ne mens pas. »

Oui, c'était bien... pour un débutant. Un compliment à double tranchant que j'accueillis d'un long soupir. Là où un esprit optimiste aurait pu voir le verre à moitié plein, je le voyais totalement vide. Après tout à quoi m'attendais-je en lui montrant le fruit de mon travail ardu de ces deux derniers mois ? Avais-je seulement pensé pouvoir l'impressionner de mes doigts malhabiles ? Après tout, avais-je seulement besoin d'impressionner la moindre personne ?

« Non... »

Murmurais-je pour moi-même. Et puis pourquoi toutes ces questions d'abord ? Ce n'était pas dans mes habitudes de faire le philosophe, surtout en présence d'un aussi petit cerveau que le mien. Je reportais mon regard sur les 88 combinaisons de noir et de blanc, la tarabustante envie de savoir pourquoi je me forçais à jouer de cet instrument si ce n'était pour impressionner la pianiste à mes côtés. Était-ce donc seulement pour le dit plaisir égoïste mentionné précédemment ? Non...Il y avait autre chose de bien plus profond. D'assez profond pour me faire asseoir, chaque soir sur ce tabouret à m'écorcher les doigts sur des sonorités toutes aussi fausses que les autres.

« Avant de jouer Shanna, répond moi. Pourquoi joues-tu ? »

Simple question et aussi absurde que le nouveau-né qui demande à son géniteur pourquoi le ciel est bleu, je me devais tout de même de poser cette dernière. Je voulais savoir.

Pour se calmer, pour mettre ses émotions dans la musique... C'étaient des arguments qui se valaient lorsqu'on avait la chance de savoir jouer du piano. Mais moi, je doutais que mettre ma paresse habituelle sous une couche de fausses notes ne soient très judicieux... Je restais légèrement en suspens, le regard vide. Et moi donc... Pourquoi jouais-je ?

« Oui... Oui... ça va... »

Marmonnais-je pensif alors que Shanna se décidait, de son doigté, de reprendre possession du piano. Une musique triste s'envola immédiatement de ce dernier. Et moi assis épaule à épaule de celle qui en était à l'origine, je m'extirpais de mes lugubres pensées pour écouter. Les notes qui s'élevèrent jusqu'au plafond de la salle étaient comme des larmes qui tombent sur le papier, chacune exprimant une souffrance que je ne pouvais définir. Je me laissais emporter par la mélodie, fermant les yeux pour mieux ressentir chaque nuance, chaque pause...

Lorsque la fin arriva, le visage de Shanna me parut alors en proie d'une tristesse profonde qui semblait se confirmer par ses yeux presque humides. Mais malgré la curiosité mal placée qui s'éveillait en moi, je préférai garder silence. L'idée qu'elle me raconte sa vie ne m'attirait pas plus que ça, j'en avais bien trop appris avec cette Ginny Brown.

« On joue du piano à deux ? »

Dans un froncement de sourcils, je rétorquai, narquois :

"C'est toi la pianiste, tu choisis."

Malgré les heures passées le nez dans les partitions, mon catalogue de musique restait malheureusement trop limité pour que je me permette ce choix. Et puis, jouer une musique à deux n'était pas anodin. Non, pour jouer de la musique à deux, il fallait accorder nos violons ensemble... sans mauvais jeu de mots, bien entendu. Or, ici, sur le banc du piano, j'étais le violon mal accordé et elle était l'archet. J'espérais alors qu'avec son doigté, elle saurait dissimuler les cordes de ma maladresse...

Mais cette mélodie en duo devrait attendre un peu plus longtemps, car l'heure de la confession faisait son entrée. La Serdaigle s'excusant pour une raison qui me semblait floue, semblait se repentir de sa piètre performance en tant qu'institutrice lors de notre dernière rencontre. Presque confus, j'esquissai un léger sourire gêné avant de secouer la tête.

"Non, non... Ne t'inquiète pas... Jouons."

Et pour dissiper le malaise d'un silence oppressant, je posai ma main délicate sur les touches du piano. Puis après confirmation mutuelle, nos notes résonnèrent harmonieusement à travers la pièce, éveillant en moi une nervosité incontrôlable. Emporté par le rythme effréné de la talentueuse Shawna, mes doigts peinaient à suivre. Ces derniers, vacillant sur les touches du clavier enflammé mon visage de honte à chaque fausse note amplifiée par les échos résonnant dans la pièce. Mais en même temps... Quelle frustration de se sentir dépassé par la virtuosité de la pianiste, qui jouait avec grâce et aisance sur les touches noires et blanches !

Soudainement, j'interrompis ma prestation, ressentant une pointe d'amertume au fond de ma gorge.
Et avec une certaine aigreur, non dissimulé, je me levai du banc, prêt à partir. Ramassant mes affaires traînant au sol, je lâchais avec soupir.

« Je suis trop nul pour jouer avec toi. Joue toute seule. »