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15 mars 2023, 11:41
Le mauvais pinceau  PV 
Mercredi 5 février 2048
Volière — Poudlard
7ème année



Je frissonne violemment en arrivant dans la volière. La cacophonie des volatiles m'est familière, tout comme l'odeur nauséabonde des lieux ; cela ne m'empêche pas de froncer le nez et de jeter un regard accablé aux bestiaux bruyant. Réchauffée après avoir grimpé jusqu'ici, je desserre mon écharpe et ôte mon bonnet que je range dans mon sac. Je frotte mes mains l'une contre l'autre en levant la tête vers les perchoirs. Lequel choisir pour amener mon courrier à travers le pays ?

Aujourd'hui je fais d'une pierre deux coups. Cela me semble plus facile d'envoyer une lettre à Gaëlle Living si j'ai l'excuse d'expédier au même moment un quelque chose pour le plus grand de mes frères. Écrire à Narym a adouci le malaise qui m'a envahi lorsque j'ai écrit à Living. Comme si l'un avait le pouvoir de soigner les marques laissées par l'autre.

Cet échange de lettres que j'ai avec Narym est agréable bien qu'il me soit étrange de retrouver une correspondance si assidue avec cet homme duquel je m'étais quelque peu éloigné ces dernières années au profit de son cadet. Désormais, nous nous écrivons toutes les deux semaines environs. Je lui parle de mes études, de certains de mes camarades, de Macbeth et de Nerrah même s'il ne sait rien de la SSSS, de Poudlard, de mes projets pour l'année prochaine. Il me raconte son quotidien avec les enfants, me parle même de Liebel, le gosse que j'ai rencontré l'été dernier et que j'ai réussi à faire pleurer. Il me parle de ses amis, des sorties au restaurant ou au bar, de ses projets de vacances.

« Tu seras la bienvenue à Mochdinam », me dit-il souvent. Je ne réponds rien mais je n'en pense pas moins : une part de moi rêve d'aller chez lui cet été sans passer par la case "Domaine Bristyle" pour y retrouver mes parents avec lesquels j'ai des échanges plutôt froids depuis de longs mois. Mes réponses le sont, disons. Les leurs se sont faites de moins en moins sévères au fur et à mesure que les semaines nous séparaient de la rentrée de septembre dernier. Comme s'il suffisait que le temps file pour que la pilule de mon mauvais comportement leur passe. De mon côté, rien n'est passé. Ce n'est pas tant que je suis en colère... Mais en quittant la maison en août, je me suis rendue compte pour la première fois qu'il existait un avenir différent pour moi. Différent de celui de rester habiter chez mes parents, perspective qui ne m'a pourtant jamais déplu. Avec cette prise de conscience, c'est comme si je m'autorisais à m'éloigner de papa et maman. Personne n'a dit que nous devions rester coller à notre famille toute notre vie, non ?

Une chouette au pelage sombre piaffe et fait un bond dans ma direction. Elle m'observe de ses grands yeux en penchant la tête sur le côté. Elle fera l'affaire. Je la caresse sur le haut de la tête et attache soigneusement mon courrier à sa patte en lui parlant doucement.

« Narym Bristyle, Mochdinam. »

Il ne lui en faut pas d'avantage. Elle claque du bec dans ma direction et prend son envol. Je la regarde s'enfuir par l'une des ouvertures en triturant nerveusement la seconde et dernière lettre qu'il me faut envoyer. Un courrier tout simple et plutôt court mais j'ai malgré tout pris du temps pour le rédiger.

Pourquoi me suis-je réveillée ce matin avec l'objectif de répondre à Living ? Je n'en ai pas la moindre idée. Mais en me levant, j'ai récupéré le courrier qu'elle m'a envoyé en novembre — une éternité ! —
et je l'ai relu entièrement. La partie centrale m'a paru moins sévère, le reste plus intéressant. Je me suis demandé ce que ce serait de discuter avec elle. Réellement discuter. Parler magie, histoire, sortilège. Je m'y suis vue. Pas à Delnabo, du moins pas dans la maison. Peut-être dans la nature qui entoure la demeure, marcher lentement tout en évoquant nos dernières lectures et nos passions. Il n'y aurait aucun objectif final à ces discussions, seulement le plaisir d'échanger. Penser à cela m'a effrayé car j'ai deviné que je pourrais y prendre du plaisir. Cela est risqué, surtout lorsque l'on sait que cette proposition qu'elle me fait n'est sûrement qu'un guet-apens pour mieux me faire la morale. Alors j'ai cessé d'y penser et décidé de ne pas répondre à l'invitation : ni négativement ni positivement, je me contente de ne pas l'évoquer, tout comme je n'évoque que peu sa petite leçon de morale. Si je l'ignore elle arrêtera, n'est-ce pas ?

À Poudlard, le 5 février 2048


Madame Living,

J'ai lu votre dernier article. Vos derniers articles parus dans L'Ère des Anciens. J'ai apprécié, même quand ils portaient sur des hommes — pourquoi ils m'auraient moins intéressés ? j'apprécie les portraits tant qu'ils dépeignent une personne intéressante qui a marqué le monde à sa manière.

Je ne considère pas le monde avec dédain et ne me lasserai jamais de ce qu'il a à me donner. Une vie ne suffirait pas pour goûter à tout ce que le monde propose. Ne pensez pas que je finirai par m'en lasser. Il n'y a que ceux qui ont tout qui se lassent. Il y aura toujours de quoi apprendre et découvrir. Ça me convient.

Aelle Bristyle

À dire vrai, je n'ai aucune idée de la raison qui m'a poussée à lui écrire. Je ne pose pas de question dans ce courrier, je ne dis même rien qui pourrait l'encourager elle à me répondre. Qu'est-ce que j'y gagne ? Ne pouvais-je pas tout simplement me contenter de sa dernière lettre ? Elle ne m'a rien renvoyé depuis, cela prouve bien que cette correspondance pourrait se stopper là sans que cela ne nous froisse. Lui répondre, n'est-ce pas une invitation à continuer cet échange ? Je crois que si mais je n'arrive pas très bien à comprendre ce qui me motive. Je ne crois pas avoir envie de comprendre, cela dit. Aujourd'hui j'ai eu envie d'écrire cette lettre, je l'ai fait. C'est tout, il n'y a rien à comprendre.

« Tu veux bien aller jusqu'à Delnabo, toi ? » demandé-je à un hibou quelconque en m'approchant d'un perchoir.

La créature hulule, je prends ça pour un oui. J'accroche le courrier à sa patte.

« Ne vole pas trop vite, » lui recommandé-je avec un drôle de sourire.

Insensible à ma supplique, le hibou prend son envol une fois déclinée l'identité de la destinataire. Je le regarde s'éloigner dans le ciel, devenir un point sur la toile grise. Voilà une bonne chose de faite.

En redescendant l'escalier, je ne me sens pas aussi légère que je le pensais. Au contraire, un poids invisible m'appuie sur le coeur et une ombre m'assombrit les traits.

*


Loin au-dessus du vieux château, deux oiseaux volent à tire-d'aile. Le premier est une chouette aux yeux écarquillés qui hulule à chaque fois que ses ailes frappent dans l'air. Cette petite chose bruyante se dirige vers le sud du pays, direction Mochdinam au Pays de Galles. À ses pattes est accrochée une lettre sur le devant de laquelle est écrit à l'encre noire : « Narym Bristyle ». Pourtant à l'intérieur, le courrier commence ainsi : « Madame Living ».

Le deuxième oiseau, un hibou stoïque qui vole à un rythme régulier, aura moins de trajet. Il se dirige vers le petit village de Delnabo et il se répète en boucle l'identité de la personne vers laquelle il se dirige. Gaëlle Living. Il est loin de se douter, comme l'autrice de cette lettre, que le courrier à l'intérieur de l'enveloppe accrochée à sa patte s'adresse à un certain Narym Bristyle, malgré le joli « Gaëlle Living » écrit en lettres attachées sur le devant de la chose.

Si la jeune sorcière ne s'était pas précipitée, si elle n'avait pas accroché rapidement ses courriers à la patte des oiseaux, si elle ne leur avait pas donné l'identité de la personne à retrouver sans vérifier que la lettre qu'elle leur confiait était la bonne... Si elle avait été plus attentive, sûrement aurait-elle vu qu'elle avait échangé les deux lettres après les avoir rédigées l'une à la suite de l'autre dans son dortoir. Qu'elle les avait glissées dans la mauvaise enveloppe. Elle aurait alors pu empêcher ce qui va arriver. Mais elle n'a rien vu et n'a d'ailleurs pas la moindre idée de ce qui arrive effectivement : Narym Bristyle reçoit un courrier destiné à une certaine Living, tandis que Gaëlle Living se voit remettre une lettre qui s'adresse à un Narym Bristyle et dont le contenu est bien plus familier que tous les mots qu'elle a reçu d'Aelle jusqu'ici.
Lettre pour Narym reçut par Gaëlle :
Reducio
À Poudlard, le 5 février 2048


Salut Narym,

Je comprends pas pourquoi tu insistes pour faire ce voyage à la moldu. Les terres germaniques sont d'une richesse folle et l'héritage magique de ce pays a énormément à t'apprendre. Et toi tu vas aller faire de la randonnée ? Avec ton sac à dos ? Tu vas utiliser un sortilège d'extension, j'espère, dis-moi que oui ? Ça ne sert à rien d'aller dans un pays sans vouloir découvrir sa partie magique, c'est tout ce que je dis. Tu fais bien ce que tu veux de tes vacances, après tout.

Oui, en Afrique. Je vais y aller en avril, c'est vrai, mais je ne pense pas voir autre chose qu'Uagadou. Zikomo a plein d'endroits à me faire visiter. Ce continent a autre chose d'intéressant que son école, tu sais. Et pas besoin de me le dire : j'ai conscience que la guerre sévit encore là-bas, Araya m'a dit que les cohortes bataillaient régulièrement. Je prendrai ma décision en fonction de la situation politique d'ici la fin de l'année scolaire.

J'ai passé du temps sur un devoir d'Histoire de la Magie, cette semaine. J'ai écrit presque le double de centimètres recommandés mais je ne pense pas que ça dérangera Lydon. Il faudrait être idiot pour se fâcher d'avoir de bons élèves. À côté de ça, tu as Jones, tu sais cet incompétent de Serdaigle ? qui a écrit dix centimètres et qui a dit, en me regardant en coin : « La qualité compte plus que la quantité ». Quel scroutt à pétard. Tu sais ce que je lui ai répondu, pas besoin de le réécrire ici. Et dire qu'il veut aller à l'ISDM, l'année prochaine. Il me fait pitié.

Tu me prends pour qui ? Évidemment que j'ai commencé à préparer mes candidatures. J'ai écrit ma lettre de motivation, oui. Je n'ai pas besoin d'aide. J'hésite encore entre la GEAD et l'ISDM. Ce n'est pas tant quel cursus choisir que me questionne que lequel suivre en premier. Je crois que je finirai de toute manière par m'inscrire au deux.

Arrête avec papa, tu me prends la tête. Je lui écrirai quand j'aurais envie de lui écrire, j'ai pas besoin que mon frère me dise quand le faire.

À plus, Nar.

Aelle


PS : arrête de passer le bonjour de ma part à Liebel ! Pourquoi tu fais ça ?
@Elowen Livingstone, oups ?