~ Mercredi 8 janvier 2048 ~

Pour la première fois pendant les vacances de Noël, Lucia été venue danser de manière plus rapprochée. Une fois durant chaque semaine. Et, c'est comme si l'effet de la danse en avait été diminué. Cela n'avait aucun sens, et pourtant. Depuis le début de l'année scolaire, Lucia ne venait danser qu'environ une fois par mois, et cela suffisait pour que la joie que lui procurait cette activité dure pendant presque toute la durée durant laquelle elle ne dansait pas. Et avant, durant sa première année à Poudlard, elle n'avait pas dansé une seule fois, et même si elle en avait eu envie à plusieurs reprises, elle n'avait jamais ressenti le besoin de le faire.

Mais aujourd'hui, c'était comme si c'était différent. Enfin, ce n'était pas vraiment clair, ni dans sa tête et encore moins en essayant de le décrire dans son carnet. Elle était venue danser moins d'une semaine auparavant, et pourtant, depuis son réveil ce matin, son corps et ses pensées n'étaient dirigées que vers la salle de répétition. La concentration lui faisait défaut, elle n'arrivait pas à penser à autre chose qu'à la danse pendant plus d'une dizaine de minutes. Même en respirant profondément comme elle faisait lorsqu'elle devait se concentrer pour un sortilège, même lorsqu'elle discutait avec quelqu'un, même lorsqu'elle lisait ou écrivait des informations pour un devoir. Dans tous les cas, ses pensées retournaient à la danse. Les quelques sortilèges qu'elle avait essayé de lancer n'étaient pas des réussites, sa concentration lui faisait défaut, et la visualisation était loin d'être parfaite.

La matinée était passée de cette manière, mais sur le temps du midi, s'en était trop. Son cerveau et ses pensées étaient trop fortes. Lucia était donc passée manger dès le début de l'heure du repas, puis était partie s'isoler dans la salle de répétition. Lancer une musique, fermer ses yeux, et danser tout ce que son cerveau lui avait envoyé pendant cette matinée. Et a la fin de la musique, l'effet était là. Elle se sentait plus apaisée, plus calme. Elle était capable de penser à autre chose, de ne pas avoir la danse comme seule pensée possible. C'était comme si, la danse qui avait un effet pansement pendant des semaines durant, ne pouvait plus fonctionner que pendant quelques jours. Mais cela n'avait aucun sens, c'était forcément dans sa tête. La danse ne pouvait pas prendre le contrôle de son esprit. Quelque chose qui était un plaisir ne pouvait pas devenir une obsession simplement parce qu'elle y était allée deux fois pendant les vacances de Noël. Ca n'avait aucun sens, et pourtant, c'était comme si c'était ce que son cerveau avait décidé.

~ Mercredi 22 janvier 2048 ~

Son cerveau l'avait laissé tranquille, pendant presque 2 semaines. Cela sonnait comme une victoire. Et pourtant, ce n'était pas aussi simple. Plusieurs fois durant les semaines qui venaient de s'écouler, la concentration de Lucia lui avait fait défaut. Plusieurs fois, elle avait du recommencer des sortilèges à plusieurs reprises avant de les réussir, même des sortilèges relativement faciles qu'elle maîtrisait de manière assez satisfaisante en général. Dès qu'elle voulait travailler, et que son cerveau était parti sur la danse, rien n'était plus possible. C'était lui qui contrôlait, et rien d'autre. Mais cela n'était pas possible. Elle ne pouvait pas aller danser dès que son cerveau pensait à la danse, elle irait presque tous les jours à force.

Alors elle se posait, réessayait ce qu'elle était en train de faire, se concentrait sur sa respiration pour que celle-ci soit plus calme, et que son cerveau se vide. Si rien de tout ça faisait effet, elle prenait son carnet et essayait de décrire, d'écrire, tout ce qui lui venait en tête, de dessiner les mouvements de danse qu'elle voyait. Et puis, après quelques minutes, parfois dix, ou vingt quand cela était plus lourd. Cela finissait par passer, elle pouvait penser à autre chose, rester concentrée sur quelque chose pendant plusieurs minutes, ou le temps nécessaire, sans que la danse vienne prendre cette place dans sa tête.

Et puis aujourd'hui, elle en avait envie. Ce n'était pas la même sensation que la fois précédente. Ce n'était pas un besoin de son cerveau et ses pensées qui voulaient la voir danser, c'était une envie. Elle avait envie d'entendre, d'écouter la musique. Elle avait envie de sentir le rythme la transpercer et la faire vibrer. Elle avait envie de ne plus penser à rien et de se laisser emporter. Elle avait envie de retrouver cette salle qui était devenue tellement chère à son cœur. Alors, elle reprit sa routine. Sur le temps du soir cette fois-ci. Lucia était partie manger dès l'arrivée des plats, et était repartie avant que la majorité des élèves et professeurs arrivent dans la grande salle pour manger. Elle venait au 4ème étage, elle posait ses affaires dans l'entrée, elle choisissait une chanson, et elle se mettait à danser, les yeux fermés, au milieu de la piste de danse.

Pendant une, deux, quatre, six, dix chansons, elle dansait. Ne s'arrêtant que pour en relancer une nouvelle. Et puis le bruit de la porte qui s'ouvre, laissant entrer quelqu'un l'arrêta. Le temps de remonter au dortoir, elle découvrit que le temps du repas était déjà bien avancé, et que le couvre-feu ne tarderai plus énormément. Mais ce n'était que des détails, elle avait dansé. Elle s'était faite plaisir. Elle s'était amusée, et son cœur était reposé.

~ Jeudi 30 janvier 2048 ~

Rien n'était très précis, mais quelque chose avait changé ces derniers temps. Certes, sa concentration avait un peu diminuée et certains professeurs l'avaient remarqué, mais ce n'était pas vraiment ça. C'était différent. Et pourtant, elle était toujours la même. Toujours à vouloir aider les autres quand elle les voyait en difficulté. Toujours assez observatrice de ce qu'il se passait autour d'elle. Mais quelque chose était différent. Et Lucia ne savait pas expliquer quoi. Depuis quand avait-elle cette sensation de changement ? Et qu'est-ce qui avait changé ?

Rien n'était très clair. La seule chose qui avait changé, c'était la danse. Cela faisait un peu plus d'une semaine qu'elle était venue se libérer dans la salle de répétition, et pourtant, depuis ce matin, son cerveau n'avait qu'une envie, c'était de danser. Pourquoi ? C'était une bonne question. Ce n'était pas une obsession, comme cela avait pu l'être, ce n'était pas non plus quelque chose qui l'empêchait de se concentrer contrairement à d'autres fois. Non, c'était juste une envie, superficielle, mais présente sans discontinuer tout au long de la journée. Les cours de sortilèges et de botanique n'avaient jamais été si long. Lucia qui prenait tant de plaisir à écouter son professeur leur expliquer tous les bienfaits de la nature, comment s'occuper de manière bénéfique des plantes, aujourd'hui, le cours lui semblait long et elle n'avait qu'une envie, c'était de s'en aller.

Une fois la fin des cours arrivée, la jeune irlandaise parti faire un tour pour observer la salle de répétition avec ses carnets et crayons. Celle-ci était occupée, mais ce n'était pas très grave. Et pourtant si, ce n'était pas comme d'habitude. Elle avait beau décrire et dessiner les mouvements que faisait la jeune fille devant elle, rien n'était comme d'habitude. C'était comme si cette fois, la colère, ou la tristesse, peut-être un peu des deux, commençaient à monter, plutôt que de la détendre. Lucia prit alors ses affaires et retourna dans son dortoir. Rangea ses affaires, finit les quelques devoirs qu'elle avait à faire qui ne l'étaient pas encore, mais ceux-ci n'étaient pas de la même qualité que d'ordinaire. Et passa dans la grande salle grignoter quelque chose avant de retourner dans cette fameuse salle de répétition.

Cette fois-ci, elle était vide, et la musique, seule, au milieu de la pièce, apaisa Lucia instantanément. Elle ferma ses yeux et se mit à danser. Les chansons s'enchaînaient et le calme était revenu. C'était si agréable. Mais l'heure avançait et elle devait partir, remonter dans les dortoirs, se préparer à aller se coucher doucement, puisqu'elle avait cours dès 8h30 le lendemain. Mais dès qu'elle arrêta de relancer une musique, dès qu'elle s'arrêta de danser, dès qu'elle reprit ses affaires et sortit de la pièce. C'était comme si cela n'avait pas exister. Ce n'était pas les mêmes émotions qu'en fin d'après midi. Mais le calme avait déjà disparu. La fatigue était plus présente que d'habitude, et elle avait comme un besoin de retourner dans la salle de répétition. A l'intérieur, tout allait bien, et dès qu'elle en était sortie, ce calme avait disparu. Ca n'avait aucun sens, et pourtant, Lucia n'avait pas l'esprit à comprendre.

~ Vendredi 7 février 2048 ~

Lucia avait trouvé. Trouvé où partir, ou s'isoler, quand même son carnet n'arrivait plus à calmer ses pensées, ses démons, son cerveau. Tout ce qui lui parlait en boucle, pour lui dire tout ce qu'elle ne voulait plus entendre. Tout ce qui la mettait dans une rage, encore plus noire que ce qu'elle connaissait, et encore plus forte que ce qu'elle savait contrôler.

Elle venait s'isoler ici. Dans la salle de répétition. Elle mettait une chanson, souvent au hasard, celle qui lui passait par la tête, ou alors la dernière qui avait été jouée, la dernière qu'elle avait entendue, ou n'importe quelle autre raison. La jeune irlandaise ne cherchait pas à apprécier ou non la musique, elle cherchait à vider ce qu'elle ne pouvait pas vider autrement par elle. Alors, lorsqu'elle était seule dans la salle. Elle se mettait au milieu de la pièce, et dansait. Les yeux fermés. Ce n'était pas elle qui dansait, c'était son corps, son cerveau, ses pensées, celles qu'elle voudrait garder, et celles dont elle aimerait se débarrasser. C'était ce qu'elle appelait ses démons qui prenaient le contrôle. Ceux qu'elle voulaient voir disparaître, mais qui restaient là, à chaque instant, dès que le sourire disparaissait. Tant qu'il était là, il n'y avait pas de problème. C'était sa carapace. Autant externe, ce sourire qui cachait l'intérieur, mais aussi interne. Tant que tout allait bien, rien n'allait mal. Et dès que plus rien n'allait bien, tout allait mal. Cela paraissait tellement idiot une fois que c'était écrit dans son carnet. Et pourtant, peu de phrases avaient été un jour si vraies.

Alors elle venait là. Elle venait ici, seule. Lancer la musique et se laisser emporter. Tout son corps pouvait ainsi se libérer. Les larmes coulaient souvent, ses pas faisaient du bruit sur le sol lorsque sa colère était trop forte. Son cœur lui faisait mal en sortant, et ses sinus étaient souvent très sensibles. Mais elle se sentait plus libre, plus forte. Plus rien ne pouvait l'atteindre, plus rien, jusqu'à la prochaine fois.

Si la colère venait pendant la journée, elle essayait tout de même de venir dans la salle. Elle venait voir. Lorsque son émotion était là, mais pas encore douloureuse, elle restait assise dans un coin à regarder les autres danser, ou jouer de la musique. Si la salle était vide, elle se mettait à danser, tout en surveillant l'entrée, et se sauvait dès que quelqu'un entrait. Si une personne, ou plus, était présente, et que sa rage, ou sa tristesse, ou n'importe laquelle de ses émotions était trop forte pour rester cachée au fond d'elle. Alors elle s'en allait. Encore plus enragée, encore plus fatiguée, encore plus vidée et aspirée par son émotion. Elle partait, trouver un endroit où personne ne pouvait la voir. Le parc, les couloirs, sa salle commune, la salle d'étude. Elle faisait toutes les salles, tous les endroits, jusqu'à trouver l'endroit où elle serait seule. La tour d'astronomie était un endroit calme en général, la journée du moins. Elle aimait aussi s'y retrouver seule, mais pour danser c'était compliqué. Alors il fallait du temps, pour que les larmes coulent, pour que les cris sortent sans bruits, pour que son émotion retombe, et que la journée puisse continuer.

Plus l'émotion était forte et intense, et plus elle était longue et fatigante. Elle pensait avoir battu tous ces démons. Toutes ces émotions qui l'avaient poursuivies pendant ses longues années de primaire. Et pourtant non. Certaines restaient là, ou refaisaient surface. Certaines n'avaient certainement jamais disparues. Et elles revenaient. Lorsque le cœur de Lucia était assez fragile pour qu'elles puissent s'y installer. Il n'y avait pas vraiment de raisons précises. De moment où la jeune irlandaise était plus fragile, plus sensible à cette arrivée brusque d'émotions. D'ailleurs, la majorité du temps, elle ne savait pas expliquer pourquoi l'émotion était arrivée, pourquoi l'émotion était si forte. Pourquoi maintenant, pourquoi celle-ci ? Mais c'était comme ça. Un petit rien, un grand tout, tout est prétexte pour faire revenir ce qu'elle appelait démons de couleurs, les émotions qui la brisaient toute entière. Ces émotions qu'elle devait contrôler, qui ne devaient pas ressortir, qui ne devaient pas être vues. Par personne.

Et si par malheur, elle croisait quelqu'un qu'elle connaissait sur son chemin, elle accélérait plus encore. De telle sorte qu'on ne la voit pas, comme si elle pouvait disparaître. Qu'on ne la suive pas, comme si la personne allait oublier cette vision. De telle sorte que personne ne puisse la voir dans cet état de faiblesse, qu'elle pensait avoir appris à contrôler.

Les jours s'étaient poursuivis depuis la semaine précédente, mais le calme qu'elle avait ressenti dans la salle de répétition, n'était plus présent que dans cette salle. Lorsqu'elle en sortait, des émotions, arrivaient. Elle ne pouvait pas dire émotions inconnues, car elle savait les décrire, et elle en avait déjà ressenti des semblables. Mais, elles n'étaient pas connues pour autant. Car elles étaient différentes. Lucia ne savait pas expliquer en quoi elles étaient différentes, mais elles l'étaient. Et seul, le calme de la salle où elle danser suffisait à les calmer. Mais à l'extérieur, rien ne se voyait. Enfin, elle fuyait peut-être un peu plus les autres que d'habitude, mais personne ne semblait l'avoir remarqué plus que ça. Et sa concentration pendant les cours lui faisait un peu plus défaut que d'habitude, mais cela ne changeait pas du mois qui venait de s'écouler. Non, décidément, à l'extérieur, rien n'avait changé.

~ Mardi 11 février 2048 ~

La danse était devenue un besoin. Sans savoir pourquoi, elle devait aller danser. Tous les jours, ou presque. Elle n'était pas venue pendant 5 jours, chose qui habituellement serait plus que normal. Mais ça ne l'était pas, absolument pas. 5 jours, qui avaient été de plus en plus sensibles au fur et à mesure des heures qui avançaient. Elle ne voulait pas retourner à la salle de danse. Ou plutôt si, elle le voulait, puisque c'était la seule chose qui l'apaisait. Mais Lucia voulait réussir autrement. Comment faisait-elle pour calmer ses émotions lorsqu'elle ne dansait pas, lorsqu'elle était plus jeune ? Lorsqu'elle n'était ni au judo, ni à la piscine, que faisait-elle ? Elle écrivait, mais cela ne servait plus à rien et son carnet était rangé dans un sac depuis le week-end qui venait de s'écouler. Elle dessinait, mais cela était pareil, rien ne l'inspirait plus à part dessiner la rage qui la mangeait par moment, la tristesse qui venait de nulle part.

Elle ne parvenait plus à communiquer avec les autres. Enfin, les rares moment où elle y arrivait ne duraient pas pendant des heures et des heures. Elle pouvait être calme pendant une heure tout au plus. Mais le contact avec les autres la rendait tellement sensible. Tout pouvait faire monter des émotions, mais le regard, les mots des autres, étaient les meilleurs déclencheurs. Alors elle ne parlait plus, elle n'allait plus échanger des regards avec toutes les filles des dortoirs autour d'elle, toutes celles qu'elle connaissait. Lorsqu'on lui disait bonjour, elle répondait. Mais cela s'arrêtait là. Pas d'échange supplémentaire, pas de discussions pendant des heures. Ses réponses étaient devenues des réflexes. Un bonjour était répondu à un bonjour, ou un salut parfois lorsque la personne était plus personnelle, ou que la formulation de la salutation était différente. Un "ça va et toi ?" lorsque la personne lui demandait comment elle allait. Et, c'était à peu près tout. Les autres mots étaient trop difficiles, lui prenaient trop d'énergie.

Mais cette habitude lui coûtait une chose. Lucia se sentait seule. A tourner en rond dans le château, incapable de se concentrer, incapable d'écrire ou de dessiner. Et même si peu de choses étaient visibles, la solitude était lourde à peser pour une jeune fille qui avait enfin trouvé l'inverse en arrivant à Poudlard. Et aujourd'hui, ce n'était plus possible. Qu'est-ce qu'il se passait ? Pourquoi est-ce qu'elle n'arrivait plus à retrouver le sourire radieux qu'elle avait habituellement ? Pourquoi est-ce que Poudlard, qui était devenu un refuge, devenait une forme de prison, à l'intérieur d'elle-même. Pourquoi est-ce que grandir ne l'aidait pas, ou ne l'aidait plus ? Le mur de briques solide qu'elle avait réussi à construire, durant cette année et demie qui venait de s'écouler, elle était en train de le détruire à coup de marteau. Et elle était en train de replonger, tête baissée dans le passé. Sans réussir à s'arrêter, et sans comprendre la raison.

~ Jeudi 13 février 2048 ~

Depuis le mardi, une chose avait changé. Elle avait décidé d'arrêter de faire taire son cerveau. Il voulait danser, elle irait danser. Et tant pis pour le reste. De toute manière, elle n'y arrivait plus. La seule chose qu'elle désirait c'était de danser, de se retrouver seule dans cette salle. Alors, elle allait en cours la journée, et dès que la salle avait la possibilité d'être vide, elle y arrivait, courir était peut-être un grand mot, et encore. Alors tous les jours, elle venait, le midi ou le soir, ou parfois les deux. Sur le temps du repas, comme toujours. Mais pour danser plus, elle y allait avant même d'avoir mangé, et y ressortait souvent à la fin du repas quand les premières personnes arrivaient dans la salle. Ce n'était pas tous les jours comme ça, évidemment. Mais, c'était plus facile à faire qu'avant. Son estomac ne lui réclamait pas de nourriture lorsqu'elle dansait, son cerveau ne lui parlait plus, c'était comme si son corps ne voulait plus rien d'autre que la musique et la danse.

Une mauvaise note peut être un déclencheur. Enfin, mauvaise, ça dépend des gens. Chacun a sa propre définition d'une mauvaise et d'une bonne note. Comme chacun a sa propre définition de ses exigences envers lui, ou envers les autres. La difficulté, c'est de trouver le même point de compréhension que les autres. Parce que, si les exigences sont différentes, il y a des choses qu'on ne peut pas dire à l'autre. Enfin bref. Une mauvaise note dans une matière, peut-être un déclencheur d'une émotion forte. La tristesse, la rage, la déception, le stress. Il y a différentes manières de réagir, mais le résultat est le même. Si l'émotion est trop forte, on perds le contrôle. Et quand on perd le contrôle, le retrouver c'est compliqué. Et puis, il ne faut pas faire de choses que l'on pourrait regretter, parce qu'on ne contrôle plus rien.

C'était une nouvelle fois le cas. Un A en sortilèges. Ce n'était peut-être rien pour certains. Mais pour d'autres, comme pour Lucia, parfois, sans raison, et sans que ça ait fait le même effet pour la même note quelques jours ou semaines avant, et bien ça explose. Souvent, c'est qu'il y a autre chose avec. D'autres raisons qui font que l'émotion était en train d'arriver. Et la note, c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

Midi et demi. C'était l'heure parfaite. Le jeudi midi, les personnes normales mangent, et donc, ne sont pas dans la salle de répétition. Et sinon, les autres personnes, sont en train de se balader, ou d'aller en cours, ou bien de revenir de cours, ou de travailler pour certaines. Enfin, le jeudi midi, normalement personne n'est dans la salle de répétition. Alors Lucia était partie. Dès que la professeur avait indiqué que le cours était terminé, et qu'elle l'avait laissé partir, elle s'était précipitée vers la sortie. Elle avait un étage à monter, ce qui était assez rapide. Mais elle allait dans le sens contraire des personnes, puisque toutes les personnes normales se dirigeaient vers la grande salle qui se trouvait au rez-de-chaussée. Enfin, une fois toutes les personnes dépassées dans les escaliers, les portes de la salle de répétition étaient enfin devant elle, et comme elle l'espérait, elle était vide.

La jeune irlandaise demanda une nouvelle musique, cette fois-ci, c'était "je vais bien" de Ridsa. Cette musique était magique pour faire couler ses larmes. Elle n'avait presque pas besoin de danser pour qu'elle se sente libérée. Enfin, c'était tout de même mieux pour obtenir un vrai résultat de libération. Alors, comme toujours, elle ferma ses yeux, s'installa au milieu de la pièce. Enfin dans l'autre sens, pour ne pas risquer de tomber ou de se prendre quelque chose, même si normalement il n'y avait rien à se prendre. Et elle laissa son corps prendre le dessus. Libérer tout ce qui était au fond d'elle, oublier tout ce qui pouvait faire couler ses larmes, au travers des larmes qui coulaient au rythme de ses pas, au rythme de la musique.

Les minutes et les chansons passaient. Lucia avait cours en début d'après-midi et l'heure était en train d'approcher. Mais elle avait encore du temps. Le seul risque actuellement, c'était que des personnes arrivent. Et même si elle les connaissaient, elle ne voulait voir personne. Même quelqu'un qui l'avait déjà vu danser, aujourd'hui ce n'était pas le moment. La déception et la tristesse diminuaient au fur et à mesure des musiques, mais la colère était en train de prendre le relais. Et pourtant, il n'y avait aucune raison qui pouvait expliquer de manière rationnelle, cette brusque arrivée de la colère. Mais il ne fallait pas qu'elle sorte sur quelqu'un. Les risques étaient bien trop importants. Il fallait que tout cela puisse sortir dans la musique. Qu'elle puisse sortir apaisée. Au fur et à mesure des musiques, sa colère diminuait progressivement. Elle n'était pas parfaitement calme, mais c'était mieux, la rage avait laissé place à une colère plus douce, à des battements cardiaques plus réguliers.

Et de toute façon, il faudrait qu'elle se contente de ça, quelqu'un était entré dans la salle, et l'heure du début des cours était à présent dans 5 minutes, juste le temps d'accéder à sa salle de botanique. Au simple moment où elle avait entendu la porte s'ouvrir, ses yeux s'étaient ouverts et son corps arrêté. En quelques secondes, elle avait récupéré toutes ses affaires et était sur le point de sortir.

~ Dimanche 16 février 2048 ~

Aussi étrange que cela puisse paraître, les deux journées qui venaient de s'écouler avaient été normale et calme. Comme si la session de danse du jeudi midi avait réussi à apaiser Lucia pendant 48heures. Enfin, Lucia en avait rêvé, et avait même commencé à y croire. Mais dès le dimanche matin, quelques premières émotions étaient apparues, et au fur et à mesure que la journée avançait sans qu'elle aille danser, celles-ci augmentaient.

Alors, dès le dimanche midi, Lucia était partie rejoindre sa salle habituelle, et le dimanche soir également. Si c'était la seule méthode pour que tout aille bien, elle le ferait. Le soir, elle alla tout de même chercher quelque chose à manger avant, mais son passage fut rapide. Ses émotions étaient fortes et elle ne voulait que personne ne puisse la voir ainsi, ne puisse voir ça. Ce n'était pas envisageable.

A l'extérieur, rien n'était visible. C'était l'élément essentiel. Personne ne devait savoir, personne ne devait en douter. Tout allait bien, et ça s'arrêtait là. Une professeur lui avait demandé de rester lui parler un petit peu à la fin des cours, mais, tout allait bien, et il n'y avait rien d'autre à en dire. Peut-être que cette enseignante en doutait un petit peu, mais tant que rien n'était plus visible qu'une légère baisse de participation et de ses notes, elle ne pouvait rien faire si Lucia ne disait rien. Et Lucia ne dirait rien puisque tout devait aller bien.

~ Mardi 18 février 2048 ~

Et puis des fois, il n'y avait rien. Rien de plus, rien de moins que le reste du temps, que le reste des jours, que les heures qui précèdent et que les heures qui suivront. Parfois, rien ne change dans les faits, et tout change à l'intérieur. Certains pourrait dire que c'est de la folie. Et ils auraient peut-être raison. Et pourtant, rien n'est plus flou, et rien n'est plus clair que dans ces moments-là.

Lucia se dirigeait inlassablement vers le même endroit. C'était devenu sa deuxième maison, son deuxième dortoir, depuis septembre. Et d'autant plus ces dernières semaines. Elle venait s'y réfugier presque tous les jours. Tant et si bien que le chef de cœur, le propriétaire en partie des lieux, devait la reconnaître juste à son odeur, ou à sa façon de marcher. Il ne savait certainement pas son prénom, puisque, dès qu'il entrait dans la salle, c'était le même traitement que toutes les autres personnes. Elle disparaissait.

Souvent, elle venait pour une raison précise. Un mot, une phrase, un évènement, une personne, un endroit, quelque chose l'avait fragilisée, et quelque chose l'avait abattue. Mais souvent, elle venait pour des raisons aussi floues qu'aujourd'hui. Quelque chose n'allait pas et pourtant tout allait bien. Son cerveau était plein à craquer, il fonctionnait encore plus vite qu'il fonctionnait à la normale, et pourtant, elle serait incapable de dire ce qu'il se passait à l'intérieur. Tout tournait vite à l'intérieur, mais cela tournait tout seul, elle n'y avait presque pas accès, ne savait pas expliquer ce qu'il se passait, et ne parvenait pas à se concentrer, encore moins que le reste du temps.

Alors dans ces cas-là, encore plus souvent que lorsque la raison était claire, elle s'enfuyait. Loin de tous. Loin de tous ceux qui pourraient lui poser des questions, lui demander de parler, d'expliquer. Mais comment expliquer quelque chose qu'elle même ne comprenait pas. Comment dire simplement "je ne sais pas", sans que l'autre pense qu'on lui mente, ou qu'on ne veut pas en parler. Et souvent, cherche à en savoir encore plus. Ces situations étaient les plus désagréables. Quelque chose n'allait pas, et pourtant, tout tournait. Quelque chose n'allait pas, et pourtant son cerveau était plein. Quelque chose n'allait pas, et pourtant, son cerveau était vide. Le silence lui faisait peur à force, comme le bruit et le monde l'effrayait. Alors elle marchait, pour ne pas dire courrait afin d'éviter d'attirer les regards, vers cette salle de répétition, cette salle de musique, signe de libération et de détente à ses yeux. Lorsqu'elle était vide, elle lançait sa musique, n'importe laquelle. Il ne fallait pas réfléchir, sinon la torture ne serait que pire, surtout quand son cerveau était déjà vide. Et elle se mettait au milieu de la pièce pour danser. Son échappatoire devenait une drogue, au fur et à mesure du mois de février qui avançait. Mais cette addiction n'était pas dangereuse, alors elle continuait. Sa vie passait à côté, et lorsque la danse se faisait ressentir, elle allait faire quelques pas sur les musiques qui lui donnaient envie. Et puis, la vie reprenait et continuait.