Inscription
Connexion

17 mai 2023, 10:32
Une bourrasque de vent chaud  OS 
Mardi 24 mars 2048, quinze minutes avant le début des cours
Bibliothèque — Poudlard
7ème année



L’idée fixe ne me quitte de la nuit. Je me retourne dans mes draps moites, je m’entortille dans ma couverture à force de changer sans cesse de position. L’idée appuie contre mon esprit et soumet ce dernier à d’incessantes visions qui n’ont que peu de sens. Toutes parlent d’elle, évidemment. Les visions mêlent les souvenirs, vrais, et des images provenant de mon imagination. Les paroles prononcées et imaginées se mélangent jusqu’à transformer mon esprit en une chimère : au réveil, je ne sais plus très bien qui je suis, si j’ai réellement vécu son départ ou si je l’ai inventé. Et ses mots relus la veille, ceux qui ont résonné toute la nuit dans ma tête, les « lorsque la nuit ne noie pas les étoiles » et autres « je contemple l’immensité », ont-il seulement déjà existé ? À peine ai-je le temps de repousser ma couette pour libérer mon corps épuisé de son cercueil de chaleur que j’ai la réponse à cette question : la lettre gît au sol. Elle aurait pu être lu par n’importe quelle fille du dortoir, peut-être l’a-t-elle été.

Je la ramasse. Le parchemin, après neuf mois de lecture et de relectures, de larmes de colère ou de peine, est tout froissé mais les mots apposés de son écriture qui m’est si familière sont encore lisibles. Mes yeux tombent directement sur les mots en fin de courrier : « Lorsque la nuit ne noie pas les étoiles, l’Ombre contemple l’immensité ». Je me rappelle que dans mes rêves éveillés cette nuit, je me questionnais à propos de la lune et de sa lumière. La lune et sa lumière. La lune et sa lumière.

« À quoi penses-tu ? » me demande Zikomo qui se réveille à peine, aussi épuisé que moi : mes mouvements nerveux l’ont empêché de se reposer.

Il pointe le bout de son museau hors du lit, le regard tourné vers cette lettre qu’il connaît autant que moi. Je m’étonne qu’il pose la question. La Lettre, les Mots et la Femme ne sont que rarement évoqués à voix haute devant moi — c’est une règle que j’ai moi-même imposée il y a neuf mois et elle a presque-mais-pas-toujours été respectée. Mais ce matin je suis si concentrée sur mon idée fixe que je ne m’offusque pas de son manquement.

« Il faisait pas totalement nuit la dernière fois, murmuré-je d’une voix rauque.
De quoi parles-tu ?
La dernière fois. La lune était là, non ? Non ? Zik, tu te souviens pas ? »

Zik me regarde de cette façon un peu vexante, cette façon dont on regarde les gens quand ils tiennent un discours insensé. Ce n’est pas lui qui me répond, au final. C’est Nyakane qui me fixe de son regard sévère et pensif.

« Le 22 janvier. C’était une demi-lune. »

C’est à ce moment-là que la fièvre s’empare de moi. Un sentiment comme une vague, comme une bourrasque brûlante venant du sud ou un rayon de soleil en plein hiver, qui grimpe dans mon corps et qui fait battre plus rapidement ce cœur qui parfois me paraît mort. L’espoir.

Une demi-lune alors que les Mots exigent que les étoiles ne soient pas noyées par l’astre nocturne. C’est beaucoup trop grand pour être vrai, beaucoup trop gros pour que ça puisse mener quelque part… J’essaie de refréner ce grand sentiment mais mon corps reste figé et mes yeux bloquent sur les mots qu’ils n’arrivent plus à lire. Je ne cesse de rappeler à ma mémoire ma dernière visite près de l’Ombre de la mort : et si ?

Avec des et si ? nous pourrions mettre Godric’s Hollow en bouteille, je sais. Mais…

« Et si…
Peut-être fallait-il une nouvelle lune, propose Nyakane, pragmatique, une nuit entièrement noire.
Ou alors peut-être ne fallait-il rien du tout, » réplique Zikomo, inquiet.

J’ignore leur échange de regards plein de mots tus. L’idée qu’une réponse puisse se dévoiler à moi me parait tout bonnement inimaginable. Vous y croirez, vous : neuf mois après, la grande révélation tombe ; sa directrice ne l’a pas abandonnée sans ne rien laisser derrière elle ! Sauf que si. Si, elle l’a fait, et résoudre le mystère qui se cache derrière sa lettre ne changera jamais ça. Je le sais très bien. Tout comme je sais que maintenant que je me pose une question, je ne peux pas passer la journée sans y répondre.

« C’est quand la prochaine nouvelle lune ? demandé-je à Nyakane de ma voix d’outre-tombe, une voix qui a tout perdu de la vie qui l’a rendait si pressante un instant plus tôt.
Je n’en ai aucune idée.
Ah… »

La peine doit sans doute s’afficher sur mes traits. Ou alors Nyakane est-il doté de super-pouvoirs qui lui permettent de savoir quand est-ce que j’ai le coeur lourd et la gorge nouée car il ajoute :

« La bibliothèque doit avoir un calendrier lunaire. »

Oui, c’est vrai.
C’est vrai.

J’entreprends de me préparer, oscillant entre de longues minutes excitées (le mystère n’est pas encore résolu, je dois creuser, elle m’a peut-être laissé quelqu—) et d’aussi intenses périodes d’une tristesse inouïe qui m’assaille avec une telle force que mes yeux ne peuvent même pas se remplir de larmes. Je suis tétanisée à l’idée de cet espoir qui commence à revenir. Ce questionnement : et si elle voulait me dire quelque chose à travers ces mots débiles et abscons ? C’est ce que j’ai cru la dernière fois. La déception a été cruelle avec moi. Et ce matin, en traversant le dortoir, le souvenir de la peine dans laquelle je gravite depuis que la colère a cessé de sévir me fait tourner la tête. J’aimerais oublier, tout oublier, ne pas espérer, ne pas penser. Mais je ne peux pas résister. Les mots tournent en boucle : quand l’obscurité ne noie pas les étoiles…

La lune et sa lumière. Une demi-lune. Le 22 janvier. Ces pensées ne me quittent pas sur le chemin de la bibliothèque et ne me laissent toujours pas en paix lorsque je pénètre dans ce lieu sacré. Il est tard, les portes sont ouvertes et les premiers cours, dont le mien, vont bientôt commencer. Je dois me hâter, ne surtout pas être en retard, ne surtout pas prendre le risque que Valerion me prenne à part à la fin du cours pour me demander des comptes à propos d'un retard : comment pourrais-je ne serait-ce que supporter son regard dans le mien alors que le souvenir de son odeur et de ses larmes, des miennes aussi, est encore si vivace dans mon esprit ?

Je traverse l’endroit silencieux et longe les longues travées jusqu’à arriver à la partie réservée à l’astronomie. J’ai un Zikomo inquiet sur l’épaule et un Nyakane qui est en vol stationnaire au-dessus de moi.

Évidemment, les calendriers lunaires ne sont pas les choses les plus difficiles à trouver dans une école comme celle de Poudlard. J’en ai déjà consulté pour mes cours à diverses reprises. Je n’avais jamais pensé en avoir un besoin personnel. Les astres ne m’ont jamais attiré. Les astres ne m’ont jamais parlé. Pas plus que les énigmes que j’ai toujours détestées mais que j’exècre encore plus depuis que ma directrice s’amuse avec moi en m’en proposant des insolvables.

Je ne suis qu’un pantin entre ses grandes mains blanches, me dis-je en déposant un lourd ouvrage sur la première table que je croise, un pantin qu’elle manie selon son bon vouloir. Et cette idée que je ne suis pour elle qu’un amusement que l’on peut torturer en ne lui laissant en réponse que des paroles qui sont difficilement déchiffrables me glace sur place : je sais être incapable de résister à l’envie de la laisser jouer avec moi.

Je tourne les pages jusqu’à la toute dernière. L’année 2048 et ses phases lunaires s’offrent à moi. La date du 22 janvier est accompagnée d’une lune coupée de moitié — Nyakane avait raison. Je laisse glisser mon doigt le long des jours qui, ici, ne sont que des chiffres, alors que dans ma vie à moi, ils ont été synonyme de questionnements, de peines et d’un deuil impossilbe à faire. Février, mars. Leur nouvelle lune ne m’intéresse pas ; celle du mois actuel est déjà passée. Je vérifie les prochaines : 13 avril, 12 mai... Mes yeux bloquent sur celle d'avril. Ce sera au retour des vacances.

Je me laisse tomber sur ma chaise en observant cette date qui me nargue de son cercle tout noir. Une nouvelle lune ne saurait noyer les étoiles, n’est-ce pas ?


22 janvier < PRÉCÉDEMMENT | _____________ | À SUIVRE > 13 avril