~ Mercredi 19 février 2048 ~


La veille avait été une journée difficile, beaucoup de danse pour essayer de faire taire un cerveau beaucoup trop bavard. Mais depuis le réveil, cette journée n'avait pas l'air mieux. Le réveil s'était fait tôt, beaucoup plus tôt que les mercredis habituels. Avec un cerveau déjà bien actif, et des émotions déjà assez fortes. Et pourtant, rien ne s'était passée, elle venait tout juste de se réveiller.

Mais bon, comme décidé quelques jours plus tôt, si son corps voulait danser, elle irait. Elle s'était donc levée assez rapidement. Le plus discrètement possible pour ne pas réveiller ses voisines de chambre qui pour la plupart dormaient encore, et était descendue prendre un petit déjeuner. La grande salle n'était pas trop pleine. Les personnes ayant cours étant déjà parties, et les autres, pas encore arrivées. Lucia pu donc prendre un vrai petit déjeuner, sans avoir peur de croiser qui que ce soit. Dès que les premières personnes qu'elle connaissait un peu plus étaient arrivées, elle se leva et retourna dans son dortoir, à peu près vide à présent. Certaines filles étaient encore en train de se préparer, mais plus aucune ne dormait.

L'envie de danser était encore plus importante qu'elle ne l'avait été avant, mais à cette heure-ci, la salle devait avoir des occupants, et elle n'était clairement pas en état de danser devant d'autres personnes, ou même de se montrer devant d'autres personnes. Le dortoir devenait d'ailleurs un peu trop risqué. Les émotions qui étaient à l'intérieur de Lucia commençaient à la dévorer, et cela devenait de plus en plus compliqué de les garder à l'intérieur, et de ne rien montrer à l'extérieur. Lucia aurait aimé partir se balader un peu dans le parc ou les couloirs, mais ceux-ci devaient être tout de même bien occupé, donc c'est la tour d'astronomie qui gagna son intérêt.

Cela faisait un moment qu'elle n'y était pas allée, mais d'après ses souvenirs, en journée, il n'y avait pas trop de monde, et en effet elle était seule. La jeune irlandaise resta donc pendant un peu plus d'une heure là-haut, seule, à observer le parc, et à penser à la danse, en permanence. Les yeux fermés à s'imaginer danser parfois. L'heure du midi approchait et elle descendit doucement, en se promenant dans le château comme elle appréciait tant le faire habituellement, mais qui aujourd'hui, la stressait énormément. Elle avait peur de croiser quelqu'un qui la connaissait, quelqu'un qui voudrait lui parler, plus qu'un simple bonjour, ou un comment ça va, un peu plus honnête du moins.

Mais le stress ne l'aidait pas à se calmer, au contraire même, ce qui était relativement logique. Les émotions fortes commençaient à augmenter et on pouvait sentir une légère activité de ses jambes et de ses mains qui pouvait retranscrire une partie de son état interne. Heureusement, l'heure du midi approchait, et avant même que les repas soient amenés à table, Lucia était devant la salle de répétition. Son appréhension de début d'année scolaire avait complètement disparue, elle s'était même déplacée à l'extérieur de la salle plutôt que l'intérieur. Elle ouvrit donc la porte sans une hésitation et découvrir la salle vide lui permis de se libérer un petit peu.

Elle posa ses affaires après avoir fermé la porte, et la peur que quelqu'un la voit dans cet état avait disparue. Mais à la place, l'état qui bouillonnait à l'intérieur d'elle depuis maintenant plusieurs heures, voulait absolument sortir. Elle lança donc une musique, ce fut la première qui lui passa en tête qu'elle choisit "Claquer la porte" de Slimane. Elle n'était ni joyeuse, ni triste, ni spécialement parfaite pour déverser sa colère. Mais elle était très bien pour son état actuel qui n'était ni l'un d'eux, mais plutôt un mélange de tout ce qui était possible. Et puis la phrase "Et Rose a laissé Jack coulé au fond de l'eau" pouvait la mettre d'excellente humeur, mais également lui permettre de vider toute sa colère quand celle-ci était présente. Elle était parfaite.

Une fois cette chanson terminée, ses émotions étaient loin d'être retombées, mais elle se sentait un peu plus apaisée. Elle était comme protégée dans cette salle, même si elle surveillait le moindre bruit d'entrée, ou dans le couloir lorsqu'elle pouvait l'entendre. Ces derniers temps, la danse lui permettait de l'apaiser un peu, mais supprimer toutes ses émotions était souvent mission impossible, elles étaient tellement fortes, et toujours plus forte au fur et à mesure des heures. Sortir de la salle les faisaient redémarrer, et danser ne changeait pas toujours quelque chose, mais cela jouait toujours un petit peu, alors il fallait qu'elle essaye, de toute façon, elle ne pouvait, ne savait, rien faire d'autre. Elle lança alors une autre chanson, toujours au hasard, et celles-ci s'enchaînaient, cela faisait un peu plus d'une demi-heure qu'elle était là lorsqu'elle lança la 9ème chanson. "Let me down slowly" fut une évidence. Et pourtant, c'était la première fois qu'elle dansait dessus à Poudlard.

Éli marchait dans les couloirs, ne cherchant rien d'autre qu'une façon de passer le temps. Le mercredi était devenu une des journées qu'elle détestée le plus. Elle n'avait pas envie de voir ses camarades en salle commune, elle voulait fuir Lukas et Constance un maximum, et surtout, il n'y avait aucun cours pour lui éviter de penser à ce qu'elle voulait taire absolument.

Mais cette fois c'était diffèrent, elle avait entendu parler de l'entraînement du mercredi au club de duel, et c'était parfaitement ce qu'elle recherchait : extérioriser et apprendre. La jeune pouffys s'était donc rendu au quatrième étage pour pouvoir s'inscrire, malheureusement sa bonne humeur retomba assez vite. Il n'était que midi et demi, et les entraînements n'avaient lieu qu'à partir de 18h, encore plusieurs heures à attendre donc, avant de vider son esprit par des sorts.

Le pas traînant un peu dépité, la jeune fille fini par se résoudre à rebrousser chemin, un tour dans le parc restait peut-être la seule option qui ne lui déplaisait pas tant que ça, mais avant de tourner l'angle du couloir, un détail attira son attention. Juste là, à deux pas de la salle de répétition, on pouvait entendre les accords d'une musique qu'elle connaissait très bien. Le son était tamisé, calfeutré par les murs de pierres épais, mais la musique, protégée du monde extérieur dans cette salle d'expression artistique, laissait tout de même filtrer quelques notes qui lui donnèrent envie de s'approcher.

Elle cola son oreille sur la porte, fermant les yeux pour profiter, puis ni tenant plus elle y posa les mains et poussa pour entrer.

Lucia profitait de chaque note. Chaque son résonnait en elle, et elle le ressentait dans chacune des parties de son corps. Et pourtant, l'effet n'y était pas, n'y était plus. Avant, chaque note retirait les échardes qu'elle avait en elle, une par une. Maintenant, c'était comme si les notes n'étaient que décoratives. Certes, certaines épines avaient disparues, mais c'était loin d'être le résultat escompté. Chaque articulation de son corps était encore rythmé par la colère, par la tristesse, par la peur et le stress. La colère de ce qu'elle ressentait, la tristesse qui s'était installée au fond d'elle sans qu'elle ne sache en expliquer la raison, la peur de ces nouveautés si connues et pourtant, le stress d'être vue ainsi, que quelqu'un l'apprenne, le sache, de perdre les pédales qu'elle tenait de moins en moins au fil des minutes qui passaient chaque jour. Elle devait garder le contrôle, la perte de celui-ci la terrifiait déjà à l'ordinaire, mais aujourd'hui, c'était encore pire. Si elle perdait le contrôle, que pouvait-il se passer ?

Lucia n'osait pas imaginer les différentes solutions qui pouvaient s'offrir à elle. Les quelques idées qui lui venaient en tête l'effrayaient toutes plus les unes que les autres. Déjà, qu'elle n'avait plus vraiment l'impression d'être elle-même. C'était comme si elle n'était plus qu'un pantin depuis quelques jours. Et pourtant, les autres devaient ne la voir que comme elle. C'était elle qui devait être au contrôle, de tout. D'elle, de sa manière d'être, de ce qu'il se passait, de ce que les autres voyaient ou non. Elle devait, voulait, contrôler tous les nanomètres qu'elle pouvait maîtriser.

La musique était bien avancée et arrivait presque à son terme. Il restait un dernier couplet, et c'était la fin. Ses yeux étaient toujours fermés et elle essayait de vider cette tête qui ne faisait que de se remplir au fur et à mesure des minutes. Mais elle n'eut pas l'occasion de se concentrer plus sur la danse, sur ses sensations, sur ses pas, sur la musique, sur son corps. La porte venait de bouger, et le bruit de la poignet avec. Ce bruit l'arrêta sur le moment, elle n'en avait presque pas conscience, ses yeux ne s'étaient pas encore ouverts. Mais son corps s'était arrêté à l'instant où la porte avait bougé.

Le temps d'ouvrir les yeux, Lucia aperçu la personne qui se trouvait derrière cette porte. Qui pouvait venir sur le temps du midi, un mercredi midi ? Beaucoup de monde, et pourtant, tout le monde n'aurait pas eu le même effet. Enfin, physiquement si, mais à l'intérieur d'elle, c'était différent. Éli. Ses muscles s'étaient contractés à nouveau, comme témoin de son état intérieur, dès que son corps s'était arrêté. Ses articulations continuaient d'être douloureuses, son cerveau n'était pas dans un état qu'on pouvait décrire. Rien n'avait changé, et tout s'était augmenté. Toutes les émotions qu'elle gardait au plus profond d'elle pendant toute la journée, qu'elle avait gardé caché au fond d'elle toute la matinée, pour que personne ne remarque. Toutes ces émotions qui étaient sorties de son corps par la danse, mais qui étaient visibles même en dehors de la danse, par les larmes qui avaient coulées le long de ses joues, par la douleur de son corps, par les fragilités de celui-ci qui n'était plus aussi coopératif qu'il avait été quelques semaines auparavant, par la fatigue sûrement des heures de danse qu'elle enchaînait depuis des jours et des jours, sautant souvent les repas qui les accompagnaient. Lucia savait que l'arrêt de ses pas serait signe de la reprise de tout ce qu'ils avaient parfois réussi à mettre en pause.

Physiquement, rien ne changeait vraiment. Peu importe la personne qui venait d'ouvrir la porte. La musique continuait mais elle ne dansait plus. Elle alla chercher ses affaires, posées au bord de l'entrée, comme toujours, tout en évitant de rentrer dans la personne qui venait d'entrer et s'approchait du centre de la piste de danse, comme toujours également. Et, une fois ses affaires dans ses bras, elle sortait de la pièce. La personne se posait peut-être des questions de pourquoi arrêter, juste par l'entrée de celle-ci, mais ce n'était pas grave, cela s'arrêtait là. La personne en question ne la reverrai pas tout de suite et finirait par oublier ou ne plus y penser.

Mais là, c'était différent. Et même si physiquement, Lucia ne voulait pas montrer la différence qu'il pouvait y avoir entre Éli et n'importe qui d'autre, elle sentait au fond d'elle que chaque petite différence serait observée par sa voisine de dortoir. Mais, elle ne fit pas de différences, autre que son état de stress actuel qui s'était décuplé et qui devenait palpable d'un coup d'oeil. Elle s'était arrêtée, avait posé les yeux sur le sol, évitant le regard de la brune en face d'elle, dès qu'elle avait vu qui venait d'entrer, avançant vers l'entrée de la salle, en évitant de s'approcher trop près d'Éli. Attrapa ses affaires d'une main, et attrapa la porte au vol, sans se retourner.

A peine les portes poussées, elle reconnut la jeune fille au milieu de la scène, la musique continuée sa course mais elle restait immobile. Bien sûr ce ne pouvait être que Lucia ! A cette heure elle aurait dû s'en douter, peu d'élèves traînaient durant les repas dans la salle de répétition, à part Éli... et Lucia, qui visiblement avait choisi de suivre son conseil.

Un léger sourire se dessina sur le visage de la pouffys en voyant sa camarade ici, mais la petite victoire personnelle que représentée sa présence dans cette salle n'eut pas le temps de réjouir Éli.
A peine été elle rentrait que Lucia ramassa ses affaires, et en trois secondes lui passa devant pressée de sortir. Son attitude gênée et mal à l'aise, son absence de mots, tout criés au secours, même son regard avait fuit le sien en passa près d'elle.

Qu'avait-elle fait ? La dernière fois qu'elles s'étaient vues, bien que l'émotion était palpable, Éli avait eu l'impression que les filles partagées quelque chose, que les deux Poufsouffles avaient débuté un lien particulier sous les notes, et que tout aller un peu mieux. Est-ce qu'elle se serait trompée à ce point ? Avait-elle dépassé les limites en la poussant à danser l'autre jour ?

Elle n'avait pas le temps de réfléchir, il était hors de question qu'elle la laisse s'enfuir. Éli d'un pas sauta sur la porte qu'elle était en train de saisir, la claqua d'une main pour la refermer, et d'un demi-tour sur elle-même se positionna devant, comme pour faire barrage à la seule issue entre Lucia et la sortie.

- Hey... pourquoi tu pars comme ça ? Reste. J'voulais pas t'déranger désolé, mais j'adore cette chanson et j'lai entendu du couloir. Elle se doutait bien que sa présence était sûrement la raison du départ précipité de la jeune fille, mais premièrement, elle ne pouvait pas la laisser partir dans cet état, elle connaissait bien assez le sentiment que l'on ressent quand les autres ne perçoivent pas notre douleur, et deuxièmement, elle voulait comprendre ce qui lui avait échappé l'autre jour...elle voulait la comprendre vraiment cette fois.

Ses yeux étaient rougis, son corps montrait tous les signes de faiblesse possible, personne n'aurait pu passer à côté des émotions qu'elle venait de vivre et qui étaient en train de la dévorer. Et pourtant, il le fallait. Il fallait qu'Éli ne voit rien, ne sache rien, laisse tomber. Mais le moindre mot qui sortirait de sa bouche déclencherait une avalanche de larmes, une nouvelle. Les contacts sociaux la stressaient à nouveau énormément, elle fuyait tout et tout le monde depuis tellement de jours maintenant. Les rares fois où elle pouvait entrer en contact avec les personnes qui l'entouraient, c'était les rares jours où tout allait bien. Mais c'était exceptionnel, ce n'était absolument pas le cas aujourd'hui, et c'était des personnes qui ne savaient pas détecter les signes de détresse qu'elle pouvait montrer, comme la très légère perte de poids qui montrait les différents repas qu'elle avait sauté.

Mais aujourd'hui, c'était très différent. Ses émotions étaient visibles physiquement, et ne tarderaient pas à ressortir car mentalement, elle était en train de perdre pied et Lucia sentait les larmes monter, ses jambes lâcher et son corps s'affaiblir au fur et à mesure des secondes qui passaient. Et pourtant, elle restait là, debout. Devant Éli qui venait de fermer la porte qu'elle s'apprêtait à attraper pour passer, bloquant tout échappatoire possible, et semblant attendre des réponses. Des réponses sur quoi ? C'était une autre question. Pourquoi elle partait ? Pour ne pas répondre à ces questions justement, parce qu'elle était incapable de se retrouver devant quelqu'un plus de quelques secondes depuis quelques jours, parce que le regard apaisant et peut-être un petit peu accusateur d'Éli la terrifiait, parce qu'elle ne pouvait pas parler, parce qu'elle voulait garder le cap, le contrôle, que rien ne devait l'atteindre et que tout était en train de le faire. Elle gardait ses yeux posés au sol, sur le plancher de la salle, refusant de lever les yeux vers sa camarade, craignant beaucoup trop son regard.

Reste. Ces mots étaient assassins. Pourquoi faire ? Il fallait qu'elle parte, c'était essentiel. Pour garder le contrôle, pour ne pas se montrer faible, pour garder les larmes à l'intérieur d'elle-même. Et pourtant, elle n'avait pas vraiment le choix. Les mots ne sortaient pas de sa bouche. Il n'y avait rien à faire, rien à dire. Son cerveau était vide, et ses yeux continuaient de rougir. Ils étaient de plus en plus humide et garder les larmes à l'intérieur était une torture. Mais rien ne devait couler. La colère qui se transformer en rage, la peur qui la terrifiait. Tout ça était enfouit au fond d'elle et la danse n'y avait rien changé.

La seule chose que Lucia se sentait capable de faire, c'était de s'asseoir, contre le mur qui se dresser à quelques centimètres d'elle, et de regarder Éli danser sur cette chanson dont les notes avançaient doucement, mais dont les paroles pouvaient expliquer beaucoup. S'asseoir, ça voulait dire se résigner. Mais en réalité, elle n'avait pas vraiment le choix. Ni la force. Elle essaya tout de même de contourner Éli pour ouvrir la porte, mais ses forces lui manquaient. Elle finit donc par s'écrouler contre le mur, derrière sa camarade, il ne lui restait plus beaucoup de distance pour atteindre la poignée, mais ce n'était pas possible.

Elle était donc assise, contre le mur, à côté de la porte, mais à l'opposé de la poignée. Son regard toujours posé sur le sol pour éviter au maximum celui de la pouffy qui était debout à ses côtés. Il ne fallait pas qu'elle parle, c'était le principal. Il ne fallait pas qu'elle craque.

Malgré la proximité de sa camarade, Éli n'arrivait pas à capter son regard. Pourquoi la fuyait-elle comme ça ? Elle ne détournait pas ses yeux d'elle et pourtant, Lucia continuait de fixer le sol, immobile, chancelante, comme si elle aurait préféré être n'importe ou sauf ici.
Est-ce qu'elle devait lâcher prise et la laisser partir ? Éli se posa la question en voyant la gène et le mal-être apparent de sa camarade. Elle avait tendance à vouloir comprendre, et parfois elle pousser un peu trop sa curiosité ce qui n'était pas forcément une bonne chose. Les gens ont le droit de garder leur jardin secret aussi.

La jeune fille essayait généralement de contrôler tout ça mais là, elle sentait que c'était diffèrent. Ce n'était plus une option , c'était devenu un besoin. La comprendre pour l'aider. Elle ne bougea donc pas de la porte, sûre que son option était pour le bien de la rousse cette fois.

Obligée de rester, séquestrée à demi dans cette pièce, Lucia finie par lâcher les armes et elle se laissa tomber sur le sol, assise toute proche d'Éli. Le seul son de la musique terminant les derniers accords résonnait dans l'espace créatif. Ni Lucia, ni Éli n'avait l'intention de briser ce silence oppressant qui commencer à devenir long, trop long.

Elles se trouvaient dans une impasse et aucune solution n'avait l'air d'émerger. Éli finit par se laisser glisser à côté de sa camarade, laissant un espace entre les deux pour ne pas la brusquer, mais pas assez pour lui donner l'impression qu'elle puisse s'enfuir de nouveau sans qu'elle ne réagisse. Fixant droit devant elle pour ne pas gêner encore plus sa camarade par son regard, elle finit par rompre le silence au moment ou la chanson termina.

- tu veux pas m'raconter ? Je sais qu'y un truc qui n'va pas Lucia, et t'as l'droit d'pas m'dire mais... mais rien, elle avait le droit de ne pas lui dire, la jeune fille chercher tant bien que mal une excuse pour la faire parler malgré tout. ...mais j'pense que tu devrais l'faire. J'dirais rien tu sais ! Elle avait bien conscience que ces arguments n'en étaient pas et qu'elle-même n'était pas convaincu de ce qu'elle venait de dire. La jeune fille changea d'un coup de tactique, l'ambiance était bien trop pesante et triste, elle choisit de partir sur l'humour. Elle ne risquait pas grand-chose de toute façon.

Avec un petit sourire au coin des lèvres, toujours le regard au loin vers la scène, elle finit par faire une proposition à sa camarade.
- si tu m'racontes c'qui te met dans cet état, j'te raconte un truc que personne ne sais sur moi, Deal ?

Le silence s'était installé depuis la dernière phrase d'Éli. Il n'était pas gênant, mais il était loin d'être agréable tout de même. Et pourtant, la salle n'était pas silencieuse car les derniers accords de la chanson étaient toujours en train de se jouer. Lucia se concentrait sur ça pour essayer de s'apaiser, mais la musique lui donnait envie de danser, et ses émotions lui donnaient envie de s'en aller.

Son instinct lui disait de retourner sur la piste, terminer la chanson. De toute manière, Éli l'avait déjà vu danser, elle ne craignait pas grand chose, et pourtant, c'était impossible. Elle le sentait au fond d'elle, la solution était inenvisageable. Danser ferait remonter ses émotions, qu'elle réussissait pour le moment à garder, tant bien que mal ou presque, à l'intérieur d'elle. Et, elle n'était même pas sûre d'arriver à danser, mais cette pensée n'était pas celle qui conclue son choix. Il fallait qu'elle garde ses émotions à l'intérieur de son corps, rien ne devait être visible de l'extérieur. Malgré les yeux à présents bien humides, l'une de ses jambes qui commençait à trembler de manière bien trop importante pour ne pas être vue par quelqu'un qui la connaissait un minimum, et même ses doigts commençaient à gratter les uns sur les autres. Rien n'allait plus, et pourtant, tout devait rester au fond d'elle. Heureusement, Éli ne regardait plus en sa direction et finit par s'asseoir à ses côtés, toujours sans la regarder, avant de prendre la parole.

Les premiers furent difficiles, ce n'est pas qu'elle ne voulait pas répondre, c'est que c'était impossible, et tellement difficile. Mais la phrase qui suivit, fut assassine. Elle savait, elle avait vu, Lucia ne pouvait plus fuir. Et pourtant, c'était la seule idée qu'elle avait. A présent qu'Éli s'était assise, la porte était disponible, si elle était assez vive. Tout était bon pour fuir cette discussion qui était impossible à avoir pour Lucia. Et même la tentative de négociation, puis d'une forme de chantage de sa camarade, ne pouvaient rien y changer. Ce n'était pas vraiment un choix. Lucia ne s'en sentait tout bonnement pas capable, si elle ouvrait la bouche, les larmes qu'elle essayait de contenir seraient libérées instantanément. Elle n'y pouvait pas grand chose, et se sentait un peu coupable en même temps. Mais la colère qui était toujours bien présente, et toutes les émotions qui se mélangeaient dans son corps l'empêchaient de réfléchir. Une seule chose restait dans son esprit, s'enfuir.

Ce mot tourna en boucle pendant quelques secondes dans sa tête puis elle prit la décision de l'écouter. Lucia s'appuya sur le sol de toutes ses forces pour pouvoir se lever, mais son corps ne pouvait plus, n'en pouvait plus. Elle réussit à se mettre difficilement à genoux mais plus était impossible, dès qu'elle se levait un peu, ses jambes tremblaient et elle sentait son équilibre instable. Et pourtant, Lucia continuait d'essayer, elle ne pouvait rien faire d'autre. Et sa concentration posée sur essayer de se lever, ses dernières énergies étant utilisées pour ça, les larmes commencèrent à couler toute seule, elle n'y pouvait rien, et ne sentait presque pas ses larmes couler, son esprit était occupé à lutter contre son propre corps qui commençait à lâcher de partout.

Sa camarade ne répondit rien à sa proposition, comme si les mots d'Éli avaient glissé sur elles sans l'atteindre. Elle ne disait rien mais tout dans son visage montrait qu'elle allait mal. Des larmes perlées de ses yeux rougit. Elle l'évitait toujours du regard, et même son corps montrait des signes de faiblesse. Pourquoi refusait-elle à ce point de communiquer avec elle ?

En plein dans ses pensées, imaginant tout et rien au sujet de Lucia, Éli fut surprise de voir que la jeune fille continuée à vouloir la fuir, elle essayait tant bien que mal de se lever sans grand succès.

- Hey ! Arrête tu vois bien que ça va pas là ? t'as plus d'forces ! Ne sachant pas vraiment comment elle pourrait la convaincre de rester, elle se leva pour se placer devant elle, et lui tendit la main pour l'aider à se relever. Allez laisse moi t'aider à t'relever au moins, si tu veux j'te laisse partir après promis. Sa main toujours tendue devant elle.

Elle ne lui mentait pas, elle l'a laisserait partir sans insister plus que cela, mais elle espérait au fond que Lucia choisisse de rester. Éli était plutôt désemparée devant cette situation trop compliquée pour elle, mais avait-elle le choix ? Est-ce que partir maintenant était la bonne solution ? Est-ce que rester était la bonne solution ? Elle ne savait plus vraiment.

@Lucia Varalta

Une fois que le silence s'était installé et que Lucia essayait en vain de se lever pour fuir cette conversation qui la terrifiait tant par son inconnu, Éli finit par le remarquer, et plutôt que de l'en empêcher, ou la brusquer comme Lucia aurait attendu, elle lui proposa son aide, toujours pleine de gentillesse. C'était tellement irréel. Il y a quelques minutes, elle voulait absolument qu'elle parle, et maintenant, elle lui proposait de l'aider à partir ? Comment c'était possible ? Ca n'avait pas vraiment de sens, et pourtant cela avait réussi à perturber Lucia.

Elle ne maitrisait plus ce qu'il se passait, et l'idée de fuir lui paru soudain complètement débile. Mais pourtant, la conversation n'était pas possible. Essayer de se lever était peut-être une solution mais elle retomberait certainement aussitôt. En réponse, la jeune rousse finit par se laisser tomber, et abandonna toute recherche de se lever, de toute manière c'était bien inutile. Son corps n'était plus d'accord pour grand chose ces derniers temps. Sa main avait pris le relais de sa jambe, qui elle ne tremblait plus, à bout de force certainement, mais maintenant ses ongles grattaient sur sa cuisse comme pour éviter de réfléchir.

Le problème était que si ses jambes ne voulaient plus la laisser marcher, comment retournerait elle au dortoir ? Enfin, ce n'était certainement pas le premier problème. Le titre de la chanson qui c'était arrêté quelques secondes avant, définissait parfaitement son état d'esprit, même si cette information était loin d'être claire dans son esprit tout embrumé par la danse. Elle laissa tout de même sortir un premier son de sa voix, depuis qu'Éli était entrée dans la salle, elle comprendrait sûrement que Lucia ne serait pas capable de plus tout de suite, si elle voulait l'aider, c'était de sa présence à la limite dont elle avait besoin, mais les mots étaient très compliqués à sortir, et sa tête était trop embrumée pour qu'elle puisse construire des phrases, tout expliquer, était complètement impossible, puisqu'elle ne savait même pas quoi expliquer. Tout allait bien, et pourtant, plus rien n'allait depuis quelques mois. Mais pourquoi, c'était un autre problème, une autre question, dont elle n'avait pas la réponse.

- Let me down slowly..*

Sa voix était mal assurée, son regard toujours fuyant et les larmes commençant à prendre bien trop le dessus au goût de Lucia. Elle essayait de les essuyer mais cela semblait vain et lui prenait beaucoup plus d'énergie que de les laisser couler. Son corps commençait à être à bout de force, un ras-le-bol de se battre, sans savoir contre quoi elle se battait réellement. Au final, c'était peut-être simplement contre elle-même.

La main d'Éli resta là, droite, et vide de celle de sa camarade. Comme elle s'y attendait un peu, Lucia avait une nouvelle fois refusé son aide, se laissant glisser au sol comme abandonnant tout espoir de se relever. La jeune fille était en train de se bloquer elle-même, enfermée dans une espèce de bulle inatteignable, ou seules les manifestations physiques de son mal-être venaient heurter sa camarade.

Ok, parler ne fonctionner pas, le marchandage non plus, mais elle n'était pas parti pourtant. Ces forces l'avaient sûrement retenues plus que les mots de la jeune fille, mais elle était toujours là et c'était la seule chose importante pour le moment. Imperturbable, rangeant sa main solitaire près de son corps, Éli se décala vers la porte de nouveau. Adossant son dos sur le bois pour créer le verrou entre elles et l'extérieur dont visiblement Lucia avait besoin. Personne ne rentrerait.

Ainsi posée, son corps formant une légère pente vers le mur, les pieds joints et les mains rentrées dans l'unique poche ventrale de son sweat, Éli ferma les yeux un instant, n'écoutant que le silence de la pièce...
...jusqu'à ce que Lucia finisse par le rompre. Les quelques mots, écho criant de la chanson qui venait de se terminer, avaient un goût de lâcher prise, enfin. Ok, ce n'était pas ses propres mots, mais l'émotion qui se lisait dans ses yeux noyés était bien la sienne. Trouvant enfin une brèche dans cette communication impossible, machinalement, la brune enchaîna avec la suite des paroles sur lesquelles elle avaient tant de fois dansé.

- Let me down, down, let me down, down, let me down, If you wanna go....* Arrêtant à cet endroit volontairement, elle se refusait de continuer, bien sûr que cette chanson devait avoir du sens pour sa camarade si elle avait choisi de rompre le silence avec, et la suite n'était pas une chose qu'Éli voulait prononcer à haute voix, pas dans ce contexte. Mais là t'est pas seule Lucia...

*Laisse-moi tomber, laisse-moi tomber, laisse-moi tomber, si tu veux y aller.... ( la suite de la chanson était : ...je serais si seule )