C'est en pestant contre moi-même que je franchis les grandes portes de la bibliothèque. Les vacances sont passées si vite, entre la coupe du monde de Quidditch et toute ma famille qui a décidé de se pointer en même temps à la maison, que je ne savais plus où donner de la tête. À cause de tout ça, je n'ai pas eu le temps de faire une liste de livres à emprunter pour les lire à Poudlard et résultat, me voilà sans lecture dès le début de l'année. Je suis obligée d'attendre Noël pour pouvoir rentrer chez moi en récupérer le plus possible, mais il est hors de question que je ne lise pas avant les vacances - qui me paraissent soudainement terriblement lointaines. Sans me soucier des personnes qui travaillent, je me faufile entre les étagères pour me diriger vers un rayon au hasard. Je ne sais pas quoi choisir précisément, je verrai bien sur le moment. Natanaël m'a certes conseillé plusieurs lectures qui pourraient m'intéresser, je n'ai pas le courage de les chercher parmi la centaine, voire même les milliers de livres présents dans la pièce.

Je parcoure des yeux l'immensité d'ouvrages se dressant devant moi, me demandant si un jour j'arriverai à lire tous ces livres. Mission qui parait impossible au premier abord, mais si je passe toutes mes journées ici... Non, ça m'empêcherait d'aller dans la serre pour arroser mes plantes, et en plus je n'aurai ni le temps de voir Nat, ni le temps d'étudier, ce qui est inconcevable.

Mon regard s'arrête sur une couverture jaune qui déteint avec le reste des livres dont les tons sont plus neutres. Je m'approche et tourne la tête pour lire le titre du livre. La Nuit qui ne finit pas, d'Agatha Christie. J'ai déjà entendu parler de cette vieille autrice moldue qui écrit de nombreux livres policiers. Une enquête ? C'est parfait, je verrai si j'arrive à trouver le coupable avant le personnage principal.

Je tends le bras, prête à m'emparer de ce qui sera ma future lecture, quoiqu'il arrive.

L’estomac d’Olivia émit un énième gargouillis embarrassant, lui faisant amèrement regretter sa décision de sauter le déjeuner. En temps normal, les gargouillis incessants de son estomac, véritable concerto qui résonnait bruyamment dans le silence studieux de la bibliothèque, auraient été une cause de gêne si intense que, le visage en feu, elle aurait quitté les lieux. Cependant, le verso de la feuille de parchemin qu’elle devait remplir pour son devoir d’astronomie et qui restait obstinément vide l’en empêchait. Dire qu’il avait suffi d’une question pour que la joie provoquée par la fin de son cours matinal soit remplacée par l’appréhension d’un devoir amorcée à finir dans l’urgence, pour le soir même.

Ne pas aller manger pour avoir le temps de finir son devoir semblait une bonne idée, quelques heures auparavant. Mais maintenant, la jeune poudlarienne avait faim et les seules étoiles auquel son esprit pouvait penser, étaient les sablés à la noisette de sa grand-mère. Si découvrir que Poudlard ne proposait pas de goûter à ses élèves la semaine dernière avait provoqué un choc dont la fillette n’était pas encore remise - comment la petite gourmande allait-elle tenir sans son encas sucré quotidien ? - la faim qui lui tordait actuellement le ventre lui faisait penser qu’il était raisonnable de demander à son directeur de maison de remédier à cette injustice. Qu’est-ce qu’elle n’aurait pas fait pour une île flottante accompagnée de sa crème anglaise. Ou mieux, un fondant au chocolat. Elle pouvait presque sentir ce dernier lui fondre dans la bouche. Non vraiment, priver les enfants de goûter était tout simplement scandaleux. Après tout, le goûter était un repas …le bruit d’une chaise déplacée ramena la fillette à l’instant présent et à son devoir d’astronomie. Il était temps de prendre une pause.

Aussitôt pensé, aussitôt fait. Déambulant sans but parmi les rayonnages, la première année ne savait où donner de l'oeil. Le Quidditch à travers les âges, Les Contes de Beedle le Barde, Vie et mensonges d'Albus Dumbledore, ...elle aurait pu passer des heures juste à admirer les livres, mais la pression du devoir à terminer commençait de nouveau à se faire sentir. Elle retournait à sa table, lorsque son regard fut attiré par un titre qu’elle était tellement surprise de voir que son bras se tendit automatiquement pour s’en saisir.

Au moment où je pose ma main pour retirer de l'étagère le livre qui sera ma prochaine lecture, quelqu'un essaye de s'en emparer en même temps que moi. Non, même pas en même temps. Après moi. Et je crois bien que c'est encore pire. Sérieusement, de tous les livres de la bibliothèque, il fallait que la personne choisisse celui-ci ? Je me retourne et jette un regard noir à mon adversaire. Car oui, c'est ce que nous sommes désormais. Des rivales, des ennemies, et tous les mots qui existent pour désigner quelqu'un qui s'oppose à nous. Je toise la Serdaigle de haut en bas, notant au passage qu'elle est plus jeune que moi. Et donc que ce livre me revient de droit. Il faut respecter ses aînés, non ? Alors lâche-le ! J'étais là avant, de toute façon.

« Alors non, il est pour moi. »

J'espère que ces six mots prononcés sèchement lui feront comprendre que je ne suis pas d'humeur à me battre pour un ouvrage. Je ne veux pas attirer l'attention sur moi, ni me faire réprimander par le bibliothécaire, et encore moins être virée d'ici pour une durée indéterminée. Ce n'est pas dans mes plans et ne le sera jamais, alors cette fille a bien intérêt à lâcher prise dans les secondes qui suivent. Je fronce les sourcils, essayant de trouver une solution qui pourrait plaire à tout le monde. Je n'en vois pas des milliers, et ce que je dois faire me parait évident.

« J'étais là avant, donc le livre me revient de droit »

Je renforce mon emprise dessus comme pour appuyer sur mes paroles. Il est hors de question de venir le récupérer plus tard, et je compte bien le lui faire comprendre - quitte à utiliser ma baguette pour un petit sort qui nous sortirait bien vite de cette situation désobligeante.

Au moment où sa main se posa sur le livre, la jeune sorcière le sentit bouger légèrement contre sa paume, comme s’il venait à elle. Télékinésie ? Même si le concept de magie accidentelle lui avait été expliqué et que finalement la télékinésie n’était qu'une manifestation incontrôlée de magie - du moins c'était ainsi qu'elle le comprenait - l’idée d’être parvenu à faire bouger un objet par la pensée la réjouissait particulière … jusqu’à ce qu’elle aperçoive la main fine et pale, quelques centimètres au-dessous de la sienne. Il ne s’agissait pas de magie, pas même accidentelle, mais juste d’une coïncidence. Une jolie coïncidence, plus qu’elle lui permettait de rencontrer une personne qui avait le bon goût d’apprécier Agatha Christie. « Dé… »

Le regard furieux de la propriétaire de la main surprit tellement la petite aiglonne, qu’elle en perdit la voix et eu un mouvement de recul, en conséquence de quoi le livre fut un peu tiré vers elle.

« Alors non, il est pour moi. J’étais là avant, donc le livre me revient de droit. »

La sécheresse de la réplique lui fit l’effet d’une claque et en Olivia la surprise s’effaça pour laisser la place à la colère. Peu importait qu'elle ait déjà lu ce livre et qu'elle ait tenté de s'en saisir par réflexe, surprise de le trouver parmi les ouvrages magiques. L'antipathie que lui inspirait la blairotte en face d'elle était une raison suffisante pour avoir désormais très envie de relire le roman. Pour qui elle se prenait l'autre d’abord pour lui parler sur ce ton ?! Et puis non le livre n’était pas pour elle, il était pour la première personne qui l’emprunterait et Olivia venait de décider qu’elle serait cette personne.

Cette résolution prise, la fillette étudia son interlocutrice. Le visage n’était pas familier et l’écossaise avait eu suffisamment de cours avec les premières année de toutes les maisons pour comprendre qu’elle n’avait pas affaire à quelqu’un de son âge. Tant pis ! Être plus âgé n’était pas une excuse pour être méchant et ça ne donnait pas toujours raison. D'ailleurs, Olivia avait décidé que sa première hypothèse était la bonne : elle avait fait de la magie accidentelle et touché le livre la première, avec sa magie. De plus, elle était à la bibliothèque depuis suffisamment longtemps pour pouvoir affirmer, sans mentir, qu’elle était là avant la blairotte …et c’est ce qu’elle fit :

« Non, j’étais là avant, je prends le livre. »

Et, pour marquer son intention, à son tour, elle affermit sa prise sur le livre.

Je ne suis pas d'humeur à me disputer pour un livre, qui plus est un livre dont je suis sûre il existe plein d'autre exemplaire dans la bibliothèque. Je fronce les sourcils, levant la tête pour parcourir du regard les étagères remplies de centaines d'ouvrages attendant impatiemment d'être lus par mes yeux et feuilletés par mes mains. Mais parmi les différentes copies de Sherlock Holmes et d'autres romans policiers, rien ne correspond à celui que je tiens fermement entre mes doigts. Je réprime un soupir, cachant mon agacement que je n'ai tout de même pas réussir à contenir quelques secondes plus tôt.

Et malheureusement pour moi, la Serdaigle semble vouloir me donner du fil à retordre. Elle me tient tête, répliquant assez sèchement pour m'agacer encore plus, et resserrant elle aussi un peu plus fort le livre qui nous sépare. Je crispe la mâchoire, dévisageant la bleue. Depuis quand se croit-elle permis de me tenir tête ainsi ? Normalement, il aurait suffit d'un regard froid et d'un soupir énervé pour que n'importe quel première année parte timidement, bafouillant quelques mots d'excuses et me laissant le livre que je tiens tant à lire.

Mais pour elle, ce n'est pas assez. Non, il faut qu'elle se croit au dessus des autres, plus douée qu'eux. Les valeurs de sa Maison lui montent à la tête et la sagesse ne semble pas être une de ses qualités, sinon elle m'aurait bien vite laissée tranquille.

Je pose mon bras libre sur ma hanche, fronçant un peu plus les sourcils. J'entends ma mère me dire de me détendre pour ne pas finir avec une vilaine ride, mais je repousse sa voix le plus loin possible dans ma tête. Ce n'est pas le moment de me laisser faire, ni par elle ni par la Serdaigle. Je me râcle la gorge, redresse la tête et dit :

« J'te signale que j'ai posé la main dessus avant toi. J'suis aussi arrivée avant. La seule chose que tu peux faire la première, c'est partir et m'laisser le livre. »

Comme pour affirmer mes paroles, je tire légèrement le bouquin vers moi. Pas assez pour créer un réel mouvement, mais suffisamment pour qu'elle le sente.

Toutes mes excuses pour le retard !

« J'te signale que j'ai posé la main dessus avant toi. J'suis aussi arrivée avant. La seule chose que tu peux faire la première, c'est partir et m'laisser le livre. »

Si elle ne lui avait pas été adressée, Olivia aurait sûrement trouvé la réponse cool. Cependant, c’était à elle que la poufsouffle s’adressait et la petite métisse sentit le rouge lui monter aux joues. Elle était d’autant plus gênée que dans le fond, elle savait pertinemment que son interlocutrice avait raison - chose que bien sûr, elle n’admettrait jamais à voix haute. Une fois de plus, sa colère l’avait fait réagir sans réfléchir et elle se retrouvait dans une situation dont elle ne savait pas comment se tirer, sans perdre la face.

*Maman a raison, il va vraiment falloir que j’apprenne à tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler !*

En attendant d’apprendre à mettre en pratique ce conseil bien utile de sa mère, la fillette devait trouver comment se sortir de la situation, sans se couvrir de ridicule. Vraiment, c’était le fait de reconnaître le nom d’un de ses auteurs préférés dans une bibliothèque magique qui lui avait fait tendre le bras, mais elle n’avait nullement l’intention de lire un livre qui ne concernait pas la magie, dans un avenir proche. Non, la quantité de savoir magique à découvrir au sein de l’école de sorcellerie était immense et elle n’avait que sept ans pour en emmagasiner le plus possible, alors les lectures non magiques attendraient. Pire, même si ce n’était pas quelque chose qu’elle aimait faire, car tourner les pages d’un livre précipitamment participait du plaisir qu’elle prenait à la lecture, elle s’était faite à l’idée que ses prochaines lectures de romans moldus se feraient l’été, par le biais de livres audio, en même temps que ses corvées. Et alors qu'elle se disait qu'il lui faudrait ajouter cette ouvrage à sa liste de livres à écouter, une idée pour se sortir de cette situation avec toute sa dignité intacte lui vint.

« Désolé, je voulais relire ce livre, car c’est l’un de mes romans préférés, mais vu l’amabilité avec laquelle tu me le demandes, je suis heureuse d’être celle qui fait preuve de maturité dans cette situation. » Cependant, la maturité étant vraiment quelque chose dont la fillette manquait, elle ne put s’empêcher d’ajouter, en souriant « C'est pas comme si je savais pas que John est le meurtrier ! »

Et, satisfaite, elle lâcha le livre.

Elle ne savait même pas s'il y avait un personnage nommé John dans le roman, peu importait. Le but de la manœuvre était juste de se tirer de la situation la tête haute - après tout, elle avait un devoir d'astronomie qui attendait d'être terminé.

Désolé également pour le délai !