Les petites réunions de Valerion ont repris, et je n'en fais pas partie. Depuis ce matin, je guette celles et ceux qui s’approchent de sa salle, l’air hautain. Je cherche à connaître le visage des prodiges et je les imagine, la tête bien trop haute, encerclés autour d’une table à recevoir les sourires de Valerion ; des sourires dont je suis privé par manque d’expérience. Je regarde l’heure et je compte déjà trente minutes. Trente minutes de trop.

Tous savent que le Club n’est pas un lieu dans lequel on entre facilement. Le seul moyen que je vois pour connaître l’identité de chaque élève, c’est d’y entrer. Adossé à un mur froid à quelques mètres de la salle, la jambe repliée et le pied collé à la pierre, j’observe et réfléchis à la meilleure technique. Une petite moue pincée aux lèvres, je laisse mon regard balayer le couloir avant qu’il ne s’arrête sur un Poufsouffle. Je reconnais vaguement sa tête, et je suis au moins certain qu’il est en première année. Parfait. Je laisse tomber ma jambe et le rattrape en le hélant, accompagné d’un sourire.

— Hey, toi !, lancé-je en passant mon bras sur son épaule pour le forcer à s’arrêter et à adopter ma direction. C’est quoi ton nom déjà ? Je fronce les sourcils, mimant une fausse tentative de rappel, alors que je n’en ai clairement aucune idée. Ça va, ça te plait Poudlard ? Je me contrôle du mieux que je peux pour lui laisser le temps de répondre, mais perds patience lorsque ses mots me semblent prendre une éternité à sortir. Tu vois qui c’est Valerion ? T’as déjà eu cours de DCFM, non ? Voilà plus un sujet qui m’intéresse. Voilà un sujet où patienter n’est pas un problème.

A mesure que j’envoie mes questions, je l’entraîne doucement vers la salle du Club Prodigium. Je tâte le terrain afin de trouver au mieux la phrase à dire, la requête à lancer pour mieux l’utiliser, et j’épie la moindre de ses réactions. Si je veux l’envoyer là-dedans, il va me falloir une bonne raison.

Ce jour là, cela faisait une semaine tout pile que Brynn était arrivé à Poudlard. Une semaine où il avait essayé de se faire à son dortoir, aux repas bruyants de la Grande Salle et au fait qu'il faille rester assis sagement pendant des heures sur sa chaise pendant les cours. Il avait l'habitude bien sûr, de faire cours, mais il n'avait pas l'habitude de le faire au milieu de tant d'enfants, chacun assis à une place, sans pouvoir prendre la parole comme il le voulait. Non, à l'école, il fallait lever la main et attendre qu'on l'interroge - si tant est qu'on l'interroge. Alors, au bout d'une semaine où le petit garçon avait enfin rencontré tous ses professeurs - qui étaient également tous différents dans leur façon de faire cours - Brynn se sentait un peu dépassé : il y avait beaucoup de changements et beaucoup de choses à comprendre, pour pouvoir évoluer dans ce nouvel environnement.

Il y avait tout de même du positif, dans tout ça. Par exemple, le jeune Poufsouffle aimait beaucoup sa salle commune : remplie de plantes et de chaleur, elle était un peu comme un petit havre de paix, à ses yeux. Lorsqu'il entrait à l'intérieur, par le tonneau qui servait de porte, Brynn en oubliait presque qu'il se trouvait dans un château immense construit de pierres froides et grises où l'on pouvait se perdre si facilement. Et puis Poudlard était un endroit joli : le château était impressionnant, il y avait deux arbres géants majestueusement entrelacés dans le Parc et son professeur de Botanique lui avait appris pas plus tard que la veille qu'il avait le droit d'aller se promener presque comme bon lui semblait dans les serres. Ces serres là étaient d'ailleurs particulièrement impressionnantes et Brynn avait tenu à écrire à sa famille pour leur raconter sa découverte. C'était donc pour ça que ce soir là, à 20h30, le jeune gallois était encore dans les couloirs : il revenait de la volière.

Il marchait doucement, un peu perdu dans ses pensées, triste de ne pouvoir qu'écrire à sa famille au lieu de leur raconter ses histoires de vive voix, en leur faisant un câlin. Brynn était en effet un enfant plutôt tactile, avec les gens qu'il aimait, et cela faisait une semaine qu'il n'avait pas pu faire de câlins à une autre personne que Scroutch. Il adorait Scroutch, mais Scroutch n'était pas un humain, alors c'était tout de même différent.

C'est alors qu'un bras lui sauta dessus, l'enserrant contre un corps qui l'entraîna dans une direction différente de la sienne. Hein, quoi, que, hein ? Qui venait de lui sauter dessus pour lui faire un câlin ? Brynn, qui avait sursauté sous la surprise, perturbé par le contact soudain et la voix qui lui parlait comme s'il était parfaitement normal de s'accrocher aux gens ainsi, resta un instant totalement inanimé, ne faisant que marcher selon le pas qu'on lui imposait. Il cherchait à comprendre la situation, complètement confus.

- Brynn, murmura-t-il en réponse à l'enfant qui lui demandait son nom.

C'était en effet un enfant, qui le tenait ainsi tout en lui parlant, un élève, du moins. Le jeune Poufsouffle n'avait aucune idée de qui il s'agissait ou de quel âge il pouvait bien avoir, il savait juste que le sorcier qui le tenait était plus grand que lui, qu'il avait une bonne poigne et qu'il semblait s'intéresser à sa rentrée, à ce qu'il pensait de Poudlard ou encore à ses cours de Défense contre les Forces du Mal.

- Je... oui je la connais... enfin j'ai eu un cours avec elle.

S'il se demanda vaguement pourquoi est-ce que son kidnappeur lui parlait de sa professeur de Défense contre les Forces du Mal en particulier, Brynn ne posa pas la question. C'était après tout une question qui n'était pas prioritaire, dans la liste de questions qui se bousculaient dans sa tête. Essayant de marquer un arrêt pour observer la personne qui l'entraînait, le petit garçon se tourna autant qu'il pouvait vers ce corps inconnu, levant la tête pour croiser son visage.

- Mais hum... c'est quoi ton nom à toi ?

Le prénom est donné. Je fais l'effort de m'en souvenir, même si actuellement, ce n'est pas ce qui m'importe le plus. Et ce qui m'importe, c'est qu'il a bien eu un cours de Défense, et qu'il voit bien qui est Valerion. J'observe ses traits pour savoir dans quel camp il se place : ceux qui en ont peur ou ceux qui l'admirent. J'ai bien envie de le laisser dans le premier groupe, mais l'effrayer ne m'aiderait pas beaucoup pour ma tâche du jour. Peut-être que je pourrais juste lui raconter le cours où Lavinia s'est fait gonfler la -

Interrompu dans la construction de mon stratagème par sa question, j'en oublie presque que lui aussi peut en poser, et qu'evidemment, il ne me connaît pas.

- Oh, moi, c'est Lukas, lancé-je en secouant légèrement son épaule, à défaut de lui serrer la main.

Je baisse la tête vers ma sacoche, y plonge ma seule main libre et en sors le cadre photo obtenu l'année dernière en salle commune. Je le fais s'arrêter jette un œil vers la salle du club et me place en face de lui.

- T'es un né sorcier, toi ? T'es à l'aise avec les trucs magiques ?, demandé-je en brandissant le cadre doté d'un petit blaireau. J'ai besoin que tu rentres là-dedans, et que tu prennes une photo. C'est pour le journal de l'école. Je plonge mes yeux dans les siens pour m'assurer qu'il me suit, et le regarde avec tout le sérieux et l'assurance possibles. On te verra pas parce que c'est sombre à l'intérieur, mais toi tu les verras. Mais juste, dérange pas Valerion pour ça .. Tu sais, elle fait ses trucs.. Sors juste quand t'as fini.

Je place le cadre sur son torse pour le lui imposer, sans quitter son regard. Ce dernier est sans appel, mais je me prépare à l'éventualité qu'il pose des questions et refuse.

Le garçon lui donne son nom en le secouant un peu avant de chercher quelque chose dans son sac. Bizarrement Brynn n'a pas vraiment peur du dénommé Lukas. Peut-être est-ce parce qu'il vient chasser sa tristesse passagère, ou parce qu'il est plein d'une assurance qui court-circuite sa défiance habituelle, mais le petit garçon ne pense pas même à se dégager. Il cherche simplement à comprendre ce que tente de lui transmettre son drôle d'aîné, le suivant comme dans un demi-songe.

Un cadre où court de la mousse et quelques fleurs sort soudainement du sac du garçon qui l'enserre, tandis qu'il lui explique qu'il a besoin de lui. Besoin de lui. Son vis à vis le regarde d'un air diablement sérieux et Brynn cligne les yeux, les yeux dans deux orbes vertes qui semblent lui assurer que cette histoire est d'une importance capitale. Il essaie d'enregistrer.

Le cadre finit sur son torse et le petit garçon l'attrape de ses deux mains, par réflexe. Ses yeux redescendent sur le petit morceau de bois, sur lequel un petit blaireau le regarde, l'air encourageant. Un blaireau. Lukas est-il un Poufsouffle ? Remontant ses yeux vers l'uniforme de son camarade, Brynn constate que c'est en effet le cas. Quelque part, cela achève de le rassurer, lui rendant la parole :

- Il faut lui demander, pour prendre une photo ? demande le petit Poufsouffle, intrigué parce qu'il tient entre les mains.

Il cherche à croiser le regard de son camarade, hésitant parmi toutes les questions qui se bousculent en lui par rapport à son étrange requête. Son étrange besoin. Pourquoi lui ? Rentrer où ? Pour prendre quelle photo ? Quels trucs de Miss Valerion ?

- C'est qui les ?

Il fait référence à la phrase de Lukas, c'est sombre à l'intérieur, mais toi tu les verras, qui semblait comporter une sorte de tension énigmatique. Le première année se demande pourquoi le journal de l'école aurait besoin d'une photo de ces les de Miss Valerion. Des les qui évoluent sans Miss Valerion, puisqu'il est possible de les photographier sans la déranger, mais qui lui semblent pourtant attachés. Un instant, Brynn se demande si sa professeur a des enfants, avant de se dire que ça n'est que peu probable : des enfants ne se cacheraient pas dans un endroit sombre. Est-ce que Miss Valerion garde près d'elle une petite collection de créatures ténébreuses ? Cette dernière idée, qui semble à Brynn tout à fait probable, anime le petit garçon d'une curiosité nouvelle et il se retient de poser une nouvelle question : s'il veut comprendre, il ne doit pas se précipiter.

Le minuscule Poufsouffle semble fixer un instant mon uniforme, tout en restant muet. Je fronce les sourcils quand ses yeux arrivent à la hauteur de mon écusson et l’imagine se demander si je suis digne de confiance ou non. Voilà peut-être un moment où je suis heureux de ne pas porter celui des Serpentard. Son regard intrigué me toise et sa question me fait en déduire qu’il n’est pas du genre à chercher les réponses par lui-même. Je bloque le soupire qui me vient et lui sourit.

— Non, tu mets juste ton doigt là, expliqué-je en désignant le milieu du cadre. Tu vois ? Tu tapotes et c’est bon.

Je le fixe pour m’assurer qu’il comprenne et reçois sa prochaine question avec un sourcil arqué. Je prends conscience qu’il ne connaît surement pas l’existence du Club Prodigium et des élèves qui s’y trouvent, de la valeur d’un tel club. Mais à quoi est-ce qu’il s’attendait ?

— Bah les élèves ! Quoi d’autre ?, m’étonné-je sans prendre une part de la responsabilité. Après tout, je ne lui ai rien expliqué et je ne compte pas le faire tout de suite. Ses questions sont légitimes, mais il ne faudrait pas qu’il en pose trop non plus. Bon, allez ! Je repasse mon bras derrière lui, place ma main sur sa nuque pour le forcer à avancer au plus proche de la porte et répète le plan pour m’assurer de sa compréhension. Surtout m’assurer qu’il ne va pas faire n’importe quoi. T’as compris ? Tu rentres, tu prends la photo et tu sors sans rien dire, pigé ?

Ne réalisant pas que le plan puisse être bancal, je place tous mes espoirs dans cette petite tête brune. Je sens que le temps file et je ne sais pas combien de temps durent ces réunions ridicules. Impossible de concevoir l’idée que l’on puisse me voir ici. Je me recule pour lui laisser suffisamment d’espace pour ouvrir la porte sans se retrouver serré, et place ma main sur ma poche qui contient ma baguette. Si sa tête se retourne encore avec une question, c’est mon catalyseur qui répondra.

— Je te retrouve en salle commune, lancé-je avec fermeté.

Si Lukas lui explique gentiment comment fonctionne le cadre à photos qu'il tient dans les mains, sa réponse suivante déstabilise le petit garçon. En effet, son aîné s'exprime comme s'il était absolument évident qu'il parlait d'élèves et qu'il est surprenant que Brynn ne le sache pas. Le première année n'est pas loin de se braquer, mais une sorte de honte diffuse surpasse son indignation. Certes, il n'est là que depuis une semaine, mais si son aîné considère que sa question était stupide, c'est probablement qu'elle l'était. Il ne sait pas cependant quand est-ce qu'il aurait dû apprendre cela. Est-ce qu'on leur a dit, pendant le discours de rentrée, qu'il y avait des cours du soir ? Pire, est-ce qu'il a mal écouté sa professeur lors de son tout premier cours et est censé avoir lui même des cours du soir en Défense contre les Forces du Mal ? Et puis pourquoi le journal voudrait-il une photo de ces élèves en cours du soir ?

Il n'a cependant pas le temps de continuer à réfléchir puisque le garçon près de lui semble soudainement s'impatienter et le pousse vers une porte, la main sur sa nuque. Brynn échappe un son aigu, mélange de surprise et de protestation, et fronce les sourcils tandis que Lukas lui répète ses instructions. Il n'aime pas tant le ton que prend le plus âgé, qui, directif et moins amical que précédemment, ne semble pas lui laisser de choix.

Pourtant, lorsqu'il sent le garçon s'éloigner, il en vient à regretter sa présence. La porte devant lui semble bizarrement impressionnante, et la chaleur du corps de son camarade n'est plus là pour le rassurer. Doucement, il prend conscience qu'il est tard, qu'il est fatigué et qu'il veut se cacher sous sa couette avec Scroutch. Au lieu de ça, le voilà embarqué dans une mission qu'il ne comprend pas, sans comprendre non plus pourquoi le plus grand près de lui la lui impose. Pourquoi ne prend t-il pas la photo à sa place ? Est-ce qu'il a peur de le faire ? Le garçon ne lui semble pourtant pas être quelqu'un de particulièrement timide. Est-ce qu'il est trop occupé ? Pourtant la façon dont il en parle laisse entendre que cela ne prendrait que quelques secondes. Est-ce que c'est un agent secret du journal ? Est-ce qu'il y a des agents secrets dans un journal d'école ? Et à quoi servirait un agent secret de journal qui ne pourrait pas prendre de photo tout seul ? Brynn ne comprend pas du tout, mais il n'ose plus poser de questions.

Hésitant et pas franchement emballé, l'enfant tourne la tête vers l'autre garçon, qui vient de lui dire d'un ton sans appel qu'il l'attendrait en salle commune, comme s'il voulait le pousser avec sa voix. Dans le couloir un peu sombre, il observe la silhouette à demi-éclairée, qui semble attendre, intransigeante, qu'il pousse le battant. Embêté, Brynn fronce le nez. Il ne veut pas vraiment rentrer, mais il n'ose pas contredire le Poufsouffle. Ses doigts s'agitent un peu, mal à l'aise, et il pose son regard sur le cadre qu'ils tiennent, croisant le regard du petit blaireau qui le regarde toujours d'un air qui lui semble encourageant. Après tout, c'est vrai que prendre une photo pour le journal de l'école, ça n'est pas quelque chose de si terrible ? Et puis il est curieux, malgré tout, de ces cours du soir, et pouvoir en avoir un aperçu sous le couvert d'une mission journalistique le tente un petit peu. Après tout, c'est probablement quelque chose d'important, le journal de l'école, et quand il verra sa photo entre les pages, il pourra se dire que c'est lui qui l'a prise.

Timidement, l'aura de son aîné toujours dans son dos, le petit garçon relève donc les yeux vers la poignée avant de poser sa main dessus pour la tourner doucement.

Lorsque le première année croise mon regard, mes doigts agrippent instantanément le bout de ma baguette qui dépasse et dont le reste épouse la forme de ma poche. Il me suffirait d'un geste pour la dégainer, mais les yeux bruns du Poufsouffle reviennent sur la poignée de la porte et me font avorter mon plan initial de menace. Lorsque la porte du club se ferme derrière lui, me laissant seul dans ce couloir, c'est un énorme soupire de soulagement qui résonne et mes épaules qui se détendent. Je n'avais pas remarqué la tension installée depuis notre échange. Je n'avais pas remarqué ce masque placé sur mon visage, ces gestes qui ne m'appartiennent pas, ces mots empruntés à d'autres. Je recule de quelques pas, jette un regard à gauche et à droite et me ronge les ongles, d'angoisse. Je n'ai jamais eu cette habitude avant, je ne m'étonne même pas de le faire, tout comme je ne m'étonne pas de ne pas rentrer à la salle commune comme indiqué à Brynn. Je dois rester ici. Je sens que ma place est ici et qu'il faut que je l'attende.

Mes jambes se mettent à s'avancer, à tourner en rond et à revenir, stoïques, sur leur place initiale. L'heure tourne et je ne devrais pas être ici. Je devrais rentrer, sauver ma peau et le laisser retrouver son chemin tout seul, mais je n'y arrive pas. Je repense à mon plan bancal, ma justification qui ne tient pas la route et qu'il a crue, et le fait qu'il pourrait, en fait, tout balancer à Valerion. Pourquoi est-ce que je n'ai pas vérifié avant ? Pourquoi est-ce que je ne l'ai pas menacé de ne rien dire ? Je regarde mon ongle rongé par la nervosité et sors ma baguette de ma poche pour l'occuper à autre chose. Je fixe la porte et commence à penser qu'il faudrait que j'aille le sortir de là. Ce n'était pas à lui d'y aller. Il faudrait que j'aille le chercher avant qu'il ne donne le nom de l'auteur derrière tout cela, mais mes jambes ne bougent plus. Plus qu'à attendre qu'il sorte, avec ou sans photo.

Tandis que sa professeure le pousse gentiment vers la porte, comme en miroir aux gestes de Lukas un peu plus tôt, Brynn se laisse faire, une nouvelle fois perdu. Miss Valerion vient successivement de lui subtiliser un un objet sans son accord, de le remercier, de l'accuser de mentir et de l'informer presque avec bienveillance que l'heure du couvre-feu était dépassée.

La porte se referme dans son dos mais le petit garçon reste sur le pas de la porte : loin de courir comme on vient de lui conseiller, ses yeux observent dans le flou tandis qu'il reste presque immobile, cherchant à donner un sens à ce qu'il vient de se passer. Sa professeure lui a dit qu'elle ne savait pas qu'il y avait un journal de l'école. En fait non. Elle lui a dit qu'elle savait qu'il n'y en avait pas, ce qui est assez différent. Pourtant, Lukas lui a bien dit que la photo était pour le journal. Ce pourrait-il que non content d'être un agent secret de journal, Lukas appartienne en réalité à un journal secret ?
L'esprit embrouillé de fatigue, Brynn ne se sent pas capable de dénouer cette histoire. Alors, secouant la tête, comme émergeant d'un drôle de rêve, le jeune Poufsouffle observe autour de lui, cherchant à se rappeler de quel côté il est venu. Il réalise doucement que, si le couvre feu est passé, son principal soucis est surtout qu'il fait nuit et qu'il n'est plus sûr de savoir retourner dans son lit. Après tout, il n'a pas vraiment fait attention à l'endroit où ses pas le menaient, tandis qu'il suivait le mouvement de la prise de son aîné.

Dans la pénombre relative des couloirs, ses yeux accrochent soudain une silhouette qui l'attendait là : Lukas. Une foule confuse de sentiments envahit alors le petit garçon : le soulagement de ne pas être perdu se mêle à la reconnaissance d'avoir été attendu, à l'embarras d'avoir échoué à la mission qu'on lui avait donné et à la peur de la colère de Lukas quand il apprendra qu'il a perdu son cadre. Ses propres doigts s'accrochant entre eux sous son malaise, Brynn ne bouge toujours pas de sa place, comme ayant peur de faire une bêtise en bougeant, après son petit périple en zone interdite.

- J'ai fait une photo. Mais elle a gardé le cadre, avoue le petit garçon sur un ton embêté, comme pour s'excuser.

Il aurait d'autres choses à dire à son vis à vis, d'autres choses à demander, à commencer par de l'aide pour rentrer, mais là tout de suite il ne peut que lui avouer ce qu'il s'est passé.

Mes allers-retours face à la porte du club s'enchainent. Je sais désormais qu'il me faut faire quatre pas en avant pour arriver au grand pilier en pierre, contre seulement trois et demis si je veux aller devant la porte. Placé à trois mètres de celle-ci quand elle s'ouvre, mon cœur palpite. Je vérifie à gauche et à droite, et toujours aucun préfet ou professeur à l'horizon. La tête du petite brun apparaît et le Poufsouffle reste stoïque, comme le pilier en pierre à quelques centimètres derrière moi. Pourquoi est-ce qu'il reste planté là ? Qu'est-ce qu'il s'est passé là-dedans ? Je fronce les sourcils, baisse immédiatement la tête vers sa main pour chercher le cadre que je lui ai prêté et constate que ses mains sont vides. Pas de cadre et mon cœur s'accélère davantage. Je relève mes yeux qui le scrutent lorsque le son de sa voix se fait enfin entendre.

Il n'y pas quinze mille options pour comprendre ce que ce elle veut dire. Ma bouche s'entrouvre sous la peur, mon cerveau se met à imaginer tout ce qu'il a pu se passer et surtout tout ce qu'il va se passer. Valerion a donc le cadre. Mon cadre. Et je n'ai plus rien. Je sens mon corps se décomposer à l'idée qu'elle puisse faire le lien avec moi. Ou peut-être l'a-t-elle même déjà fait. Je m'approche du Poufsouffle, les poings à nouveau serrés et cherche son regard pour y plonger le mien qu'il verra déterminé.

- Comment ça elle a gardé le cadre ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu lui as pas dit que c'était pour le journal ? Je reprends ma respiration et serre ma main sur son épaule, soudain pris par l'angoisse d'une possibilité qui ne me plait pas. T'as balancé mon nom ?

Je déglutis et tente au mieux de garder un ton qui ne se veut pas trop énervé ou angoissé. Le débit est certes rapide, mais je masque l'agacement d'entendre son ton embêté avec un ton pressé. Je réfléchis à un plan. Il va me falloir y aller moi-même, lorsque tous auront déserté. On l'accusera lui, et je pourrai le replacer une fois que j'aurai identifié tous les élèves concernés. Reste à savoir où ce cadre a pu finir.

Lukas ne tarde pas à se rapprocher de lui en le regardant d'un air aussi intense que la pénombre le permet et Brynn se perd dans son regard tandis qu'il écoute ses questions pressées, auxquelles viennent s'ajouter une main sur son épaule. Son vis à vis l'impressionne un peu, et il n'arrive pas à savoir s'il aime son contact ou s'il lui fait peur.
Dans tous les cas, son aîné est tactile, et entre lui, la grande qui lui a pris le bras et sa professeure, il n'a jamais eu autant de contacts humains depuis qu'il est à Poudlard qu'en cette soirée.

- Si si, je lui ai dit que c'était pour le journal, mais elle a dit que le journal n'existait pas et qu'elle allait garder le cadre et la photo parce qu'ils étaient jolis. Puis il baisse un peu la voix, soudainement incertain, ses yeux se décrochant un peu de ceux de son aîné, J'ai pas dit ton nom. Tu voudras que je lui dise ?

Brynn n'est pas vraiment sûr de ce que signifie la dernière question de Lukas. Est-ce qu'il veut vérifier qu'il n'a pas divulgué son identité secrète ? Ou bien lui reproche-t-il au contraire de ne pas avoir mentionné le fait que le cadre n'était pas le sien, ce qui lui aurait peut-être permis de le récupérer ? Un petit frisson se glisse dans son dos à la pensée que le plus âgé pourrait lui demander de retourner dans la pièce pour récupérer son cadre en son nom. Il ne veut vraiment pas y retourner, certain que sa professeure n'apprécierait pas, mais puisque c'est de sa faute si le cadre est confisqué, peut-être le doit-il. Avec un peu de chance, Lukas acceptera d'attendre son prochain cours de Défense contre les Forces du Mal ?