Inscription
Connexion

10 nov. 2023, 02:18
 ⚕️ OS  Une looseuse magnifique.
Reducio
Ce post me sert à introduire un état d'esprit dans Poussons la chansonnette ensuite. C'est donc un OS (++) en date du 23 octobre 2048.



'cause I searched for something I never had...
I guess it’s a good thing that I just know how to lose

- Don't tell me you're a poet de Dési Ducrot


Image


Lorsque finalement le moment pour lequel Carole avait piaffé d'impatience toute la journée arrivait, tout se mettait à tourner autour de la musique comme au premier matin du monde. Et dans cette géante rotation, le parquet devenait la seule et unique terre. Et c'était comme si les mouvements de Carole, dans sa danse, retraçaient les contours de la réalité, qui, toute entière, se trouvait comme absorbée, et métamorphosée.

Carole n'était pas née Moldue, et n'avait même aucun parent ou entourage au sang moldu, nada. Ni de parent ou de proche privilégié économiquement, non : rien de tout cela. Alors non, elle ne pouvait pas et ne pourrait sans doute jamais prétendre, ni à l'école ni chez ses parents, voir tous ces enregistrements d'images défilantes de danses auxquels avaient accès Moldus et Sorciers fortunés des heures durant. Elle ne pouvait, elle, que se nourrir d'images animées de quelques chapitres de livres de la bibliothèque. Parce qu'en plus de n'avoir ni entourage moldu ni héritage financier dodu, Carole était née Anglaise, et Poudlard n'avait pas du tout l'offre en art sorcier qu'on pouvait espérer dans d'autres établissements étrangers. Alors oui, quand Carole dansait, cela venait de cet endroit en elle où elle se sentait instinctivement, indéfectiblement, une looseuse ultime des dés de la destinée, une looseuse née.

Et ce style de danse propre que Carole avait pu développer au fil des années était tout empreint du contraste premier vis-à-vis de ces modèles desquels elle n'avait jamais pu apprendre et s'inspirer. Vif, volant, flamboyant, son style sublimait la fluidité naturelle de sa marche leste de couloir, intégrait la beauté qu'elle aimait dans les rotations des astres sur eux-mêmes comme dans les larges ellipses qu'ils faisaient autour du Soleil, et les gestes souples et élégants de ces gentilhommes de cape et d'épée qui peuplaient les romans d'histoire de la magie sorciers qu'elle dévorait. Son style de danse était isolé, à son image d'exclue de la communauté de la danse, mais en même temps la faisait flamboyer de toute la beauté de cette audacieuse singularité. Voir Carole danser, c'était voir miroiter la nouveauté d'un premier matin du monde. Oui, à n'en pas douter, un style de looseuse des dés originels, mais de looseuse entre toutes magnifique. Le style de Carole était : la lumière dans le tunnel ; la fleur poussée sur le champ de ruines ; l'espoir réapparu là où on ne l'attendait plus.

Et elle continuait, continuait, continuait toujours de danser - dans le silence -, de danser avec cette mémoire auditive exceptionnelle qu'elle avait développée, capable de penser toute la musique dans sa tête, tout en construisant, conduisant, exécutant la chorégraphie, tempo dans les tempes. Alors, assister à une danse de Carole, c'était surtout assister à une démonstration de force. De cette force de mémoriser des dizaines de mélodies et d'imaginer autant de chorégraphies bien sûr, mais surtout de la force de cette lutte désespérée pour s'accrocher à un rêve de futur qui était presque utopie. Et cette chanson (Don't tell me you're a poet de Dési Ducrot, donc) sur laquelle elle répétait et répétait aujourd'hui, y apportant tout le volume de son corps ondulant avec toute l'intensité d'une passion dévorante depuis des années, était poésie de l'étendu, de l'espoir de croire, de l'abandon de soi dans l'espace tentant d'une vocation au moins autant qu'elle était poésie du replié et de la limitation, cette limitation première de ses ambitions qui restait toujours comme épée de Damoclès, en fond. Repousser un bras, une jambe ou un buste en dansant, c'était donner un coup contre les obstacles qui lui étaient faits, c'était affirmer sa valeur, la liberté de ses choix, son droit de rêver. Se replier, c'était céder. C'était, dans ce déploiement du corps, le déploiement d'une irréductible volonté comprimée, et l'injustice et la frustration se trouvaient sublimées.

Alors sortir d'une séance de danse, c'était être encore habitée de la mélodie d'un rêve dans ses tempes mouillées, le coeur encore palpitant comme papillon battant des ailes. Un papillon en cage thoracique, mais qui s'était trouvé. Danser, c'était cet envol nécessaire, l'éclosion, dans une réalité seconde, d'un rêve qui ne pourrait sans doute pas arriver. Alors sur son visage à la sortie, il y avait une expression mi-planante, mi-détendue, de cette apparence de détente qu'a la plénitude jupitérienne d'une looseuse qui sait qu'elle ne lâchera jamais son rêve absolu ; et lors de la descente des escaliers, son corps était un peu collé à cette tenue trempée des heures dansées - la tenue de vol paradoxalement, il n'y avait pas de tenue de danse fournie par l'école - significatif rappel encore, s'il le fallait, du cadre empêché dans lequel elle évoluait. Oui, parfois, Poudlard faisait l'effet d'un filet à papillon.

775

Avatar composé par Ava Meywood, partagé avec Louna Hamilton et Erza McGowan.