Blanche. Sa moustache était totalement blanche cejourd'hui, tout comme son teint quand il avait réalisé que Moustache - son chat, cette fois - n'avait pas dormi avec lui cette nuit. Il était rare que sa petite créature poilue découche, alors le sorcier avait rapidement paniqué et avait encore moins tardé à remuer ciel et terre pour retrouver le félin.

Ses pas avaient fini par le mener dans la zone de Soin aux créatures magiques. Il avait presque hurlé le prénom de son collègue et à défaut d'avoir une réponse de sa part dans la milliseconde qui avait suivi, l'homme avait entrepris ses propres recherches dans les lieux. Et... et si Jae cachait un dragon dans les parages, et que ces bestioles mangeaient des chats ? Il était entré un peu partout où il pouvait, et avait questionné tous les habitants des lieux. Hélas, ni les Fées, ni les Boursoufs et encore moins les Crapauds harmoniques n'avaient su répondre à ses questions. Pire, il avait presque l'impression que le couple d'Augurey s'était moqué de lui. Il les avait bien travaillés pourtant - ils auraient pu cracher le morceau ! Mais voilà qu'après des interrogatoires assez poussés, le professeur de botanique commençait doucement à abandonner l'idée de communiquer avec les animaux bizarres de Jae.

À la place, le sorcier se résolut à interroger des élèves. Et justement : il venait d'en apercevoir un, tout proche. C'était un marmot de première année, et il était bien connu que ces jeunes créatures n'avaient pas la langue dans leur poche. S'il savait quelque chose, le petit Brynn lui fournirait sans aucun doute l'information. Il était gentil en plus, ce petit. Toujours enthousiaste pendant ses cours de Botanique. Tout reposait désormais sur ses frêles épaules !

« Brynn, mon garçon ! » fit-il en s'approchant rapidement du garçon. Arrivé à son niveau, il le fixa intensément. « Dis-moi petit, as-tu vu mon Moustache aujourd'hui ? » Il se tenait penché vers l'enfant, son visage à une cinquantaine de centimètres du sien. L'œil noisette du professeur brillait avec espoir. Parle, petit !

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À passer aussi souvent entre les enclos de SaCM, Brynn commençait doucement et sûrement à s'attacher aux petites créatures qui les peuplaient. S'il avait dû désigner des préférées, le petit garçon aurait d'ailleurs désigné sans hésiter les deux gros crabes de feu qui scintillaient ensemble sous leur abri de verre et qui dégageaient une chaleur qui se faisait de plus en plus réconfortante, avec le froid de la saison qui s'installait. C'était d'ailleurs vers ces deux créatures qu'il avançait, un sourire sur les lèvres : il avait hâte de pouvoir les saluer.
Si le petit gallois n'avait pas pu obtenir leurs noms, ne parlant pas encore crabe de feu, il avait décidé de les baptiser temporairement Gwyn et Aedd. Les deux créatures n'ayant pas protesté, Brynn avait été jusqu'à s'imaginer lire dans leurs mouvements un assentiment de leur part alors et, depuis, il ne se privait plus d'égrener ces patronymes lorsqu'il venait leur faire la conversation.

Ce jour là cependant, sa conversation devait être remise à plus tard car, alors qu'il avançait vers l'enclos, quelqu'un prononça son prénom. Se retournant vers l'origine du son, le petit Poufsouffle aperçu son professeur de Botanique qui s'approchait de lui et ses lèvres remontèrent en un petit sourire. Il aimait bien son professeur de Botanique. Déjà, il enseignait la Botanique et était gentil, et puis il était peut-être le seul adulte du château qui l'appelait par son prénom au lieu du Monsieur Wathen ou du Wathen habituel que les autres s'entêtaient à utiliser.

Le petit défaut du professeur Charleston, cependant, c'était qu'il était grand. Plutôt très grand. Et ce matin là, il avait visiblement décidé de s'approcher très près, ce qui intimida un peu le petit garçon, la tête levé vers la blanche moustache fournie de son professeur. Que venait-il de lui demander ? Est-ce qu'il avait vu sa moustache ? Un instant, Brynn se demanda si son professeur lui posait cette question parce qu'il la cherchait, ce qu'il trouva drôle à imaginer, puis finit par comprendre qu'il lui demandait probablement s'il la trouvait jolie. C'était vrai qu'elle était originale, comme ça, en blanc. Elle pouvait presque se confondre avec sa peau, mais pas tout à fait, apportant une sorte de traînée de neige à son visage.

« Oui je l'ai vue ! » Il ne pouvait d'ailleurs pas faire autrement que la voir, tandis que son professeur était penché ainsi sur lui pour la lui montrer « Elle est très jolie, en blanc, comme ça. »

Il ne savait pas pourquoi le directeur des Gryffondors lui demandait à lui ce qu'il pensait de sa moustache, mais il prenait ça comme un petit gage de confiance que l'adulte lui faisait, alors il s'était appliqué à lui répondre. Et puis la moustache de Monsieur Charleston l'intriguait tout particulièrement, à changer de couleur en fonction des journées, alors il était content de pouvoir en parler. Même s'ils étaient tout de même un peu proche, penchés sur lui, Monsieur Charleston et sa moustache.

« Ah ! » fit un Sigmund soudainement très soulagé. L'enfant avait vu Moustache. Très bien, il ne restait plus qu'à savoir où, avec qui, comment, pourquoi - ainsi que toutes les interrogations farfelues qui pouvaient lui traverser l'esprit. Sigmund avait face à lui un précieux témoin.

Cependant, il déchanta aussitôt : quelque chose clochait dans la seconde remarque du garçon. Si le professeur se fichait éperdument que son chat soit genré au féminin - c'était après tout un chat, pas une personne que l'on mégenrait, le commentaire sur la couleur le mit dans tous ses états. Blanc ! Moustache était aussi roux d'un gros caramel mou. Le seul poil blanc dans les environs se trouvait dans sa très fournie moustache - et, mais vous le vexeriez si vous l'évoquiez, dans ses cheveux.

« Tu es sûr d'avoir bien vu, Brynn ? Toi et moi, nous parlons du même Moustache ? Bien dodu, le poil souvent un peu sale et parfois avec un peu de terre. Beaucoup de nœuds malheureusement... pas faute d'essayer d'y passer un coup de peigne tous les jours. Bavard, un peu trop bavard. J'en suis désolé, c'est un problème récurrent... Les Gryffondor ont parfois du mal à dormir si Moustache s'invite dans leurs dortoirs. Oh et aux dernières nouvelles, c'est vraiment très gênant mais je pense qu'on peut rajouter une odeur de poisson dans sa description. C'est à force de traîner partout. » Il s'interrompit. Avec une description aussi complète, si l'enfant se trompait de chat, il le saurait tout de suite. « C'est bien Moustache que tu as vu ? » demanda-t-il encore une fois.

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Si Monsieur Charleston avait d'abord eu l'air content de sa réponse, l'avalanche de mots qui s'ensuivit troubla grandement le petit garçon. En effet, son professeur de Botanique semblait douter qu'il ait bien vu sa moustache et vouloir lui expliquer dans le détail à quoi elle ressemblait au cas où il l'aurait confondue avec une autre.

La chose en elle même était déjà totalement incongrue, mais Brynn tiqua d'autant plus sur la drôle de façon dont Monsieur Charleston parlait de sa moustache. À vrai dire, il n'en parlait tout simplement pas comme on parlerait habituellement d'une moustache mais plutôt tout à fait comme s'il s'agissait d'un être vivant. Et chaque détail qu'il ajoutait faisait ouvrir un peu plus grand les yeux du première année. Bien dodue, pourquoi pas, pour qualifier sa belle épaisseur, mais de là où il était il ne la trouvait pas si sale. Cela dit, peut-être que le botaniste se mettait souvent de la terre dessus lorsqu'il travaillait ? Emmêlée, pourquoi pas non plus mais... bavarde ? Ou bavard d'ailleurs ? Se baladant dans les dortoirs pendant la nuit ? Et une odeur de poisson ? Mais qu'est-ce que son professeur racontait ? Clignant des yeux face au flot de précisions saugrenues qu'il recevait, le petit garçon ne put s'empêcher de renifler légèrement devant lui. Il ne sentait pas le poisson, mais il fallait dire que c'était encore le matin : aucun poisson n'avait dû être servi au petit déjeuner.

« Euh... » Les yeux alternant entre ceux de son professeur et sa moustache, le petit Poufsouffle hésitait, un peu perdu. Il y avait quelque chose qu'il ne comprenait pas, mais il n'arrivait pas à mettre le doigt sur l'élément qui lui manquait. Pourquoi son professeur pensait-il qu'il aurait pu ne pas voir la bonne moustache ? Qu'aurait-il pu voir d'autre que sa moustache ? La moustache de l'adulte était-elle réellement une créature, posée simplement sous le nez de celui-ci en guise de décoration vivante ? « Est-ce que votre moustache est vivante ? »

La question était posée de façon hésitante mais, une fois qu'il l'eut prononcée, le petit garçon sentit sa curiosité venir le chatouiller : si vraiment la moustache du professeur était vivante, c'était là une créature qu'il ne connaissait pas du tout ! Était-ce pour cette raison qu'elle changeait de couleur ? S'adaptait-elle à son environnement, comme les caméléons ? Que mangeait-elle ? Du poisson ? Quel était le son qu'elle faisait, lorsqu'elle s'exprimait ? Avait-elle des yeux ? Était-elle en train de dormir ?

Tout à ses questions, le petit gallois en avait oublié que son professeur lui avait demandé de confirmer qu'ils parlaient bien de la même moustache. Les yeux absorbés par la petite touffe de poils posée au dessus des lèvres de l'enseignant, le petit garçon s'attendait presque à voir apparaître des pupilles fatiguées au milieu des poils blancs, ou quelques dents tout aussi blanches. Son professeur voudrait-il bien qu'il la touche ? Elle ne devait pas être méchante, s'il la laissait sous son nez, si ?

« Hein ? » Sigmund venait de reculer d'un pas, interloqué. Brynn était-il réellement en train de sous-entendre que son chat pouvait être... mort ? L'adulte eut l'impression qu'une pierre tombait lourdement sur son cœur. Le souffle court, il s'appuya au tronc d'un arbre derrière eux. Non, ce n'était pas vrai. Hier encore, Moustache ronronnait sur ses genoux, offrant tout le gras de son ventre pour recevoir les caresses de son maître. C'était certes la première fois qu'il découchait, mais il avait juste probablement trouvé le confort d'un autre lit : la fripouille savait de toute façon bien se faufiler dans les dortoirs de ses élèves.

Mais alors, qu'avait vu l'enfant pour penser que son Moustache pouvait être mort ? Pétrifié par la peur de perdre son animal de compagnie, le professeur cacha son visage dans ses mains. Le chat était arrivé dans sa vie quelques mois avant son petit-fils. Il était un membre à part entière de sa famille. Lentement, à mesure que le choc secouait le professeur, ses mains tombèrent de son visage - s'attardant un instant dans l'imposante moustache qui lui fit obstacle, avant de retomber le long de son corps.

« Vivante ? » répéta-t-il d'une voix blanche. « J'espère bien, oui. Son souffle ne doit jamais s'éteindre ! Mon dieu... nous sommes inséparables... je ne peux pas m'imaginer sans Moustache... » Contenir les pensées de son esprit tourmenté devenait impossible. Il avait besoin de parler - de questionner, et tant pis si son interlocuteur n'était qu'un enfant de onze ans. Les enjeux étaient trop grands. Il revint vivement à proximité du garçon et l'attrapa par les épaules. « Moustache t'a semblé inerte quand tu l'as vu ? Tu es sûr qu'il ne faisait pas juste une sieste ? Il... il doit bouger. Sa respiration, tu l'as vue ? Sa poitrine qui s'abaisse et remonte, sous les poils ? Réfléchis, s'il te plaît, Brynn ! »

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Faisant sursauter le petit garçon, qui ne s'attendait pas à un tel mouvement de recul, le professeur de botanique venait de brusquement s'éloigner, comme profondément choqué. Interdit, Brynn le regarda s'appuyer contre un arbre, le visage caché derrière ses mains. Avait-il fait quelque chose de mal ? Un brouillard de questions sans début ni fin tournaient dans la tête du petit Poufsouffle qui n'arrivait pas à saisir ce qu'il voyait. Il lui semblait que son professeur cherchait à soustraire sa moustache à son regard, mais il le faisait comme si quelque chose de terrible venait de se passer. La nature de sa moustache était-elle un secret ?

L'adulte, pourtant, finit par redescendre ses mains, en caressant l'imposante moustache qui était toujours sous son nez, et, soudain, il commença à parler, révélant à Brynn ce qui l'avait choqué. Sa moustache était bien vivante : c'était la perspective qu'elle ne le soit plus, qui l'anéantissait. Mais pourquoi pensait-il qu'elle ne l'était plus, vivante ? Était-ce à cause de lui ? N'avait-il pas simplement posé une question ? Qu'avait-il dit déjà ?

Il n'eut cependant pas le temps de retourner la conversation précédente dans son esprit que deux grandes mains vinrent l'attraper par les épaules avec force. Tout dans les gestes et les mots de son professeur exprimait l'urgence et la peur et une boule d'angoisse s'installa dans le corps du petit garçon qui ne comprenait pas ce qu'il se passait. Inerte. Son professeur avait peur que son Moustache - puisque c'est comme ça qu'il semblait appeler sa créature moustache - soit mort ? Est-ce qu'il pouvait être mort à cause de quelque chose qu'il avait dit ?

« Je sais pas je euh » bredouilla l'enfant, qui ne savait pas comment rassurer son professeur sur la vie de quelque chose qu'il ne savait pas jusque là en vie « Elle est comme d'habitude », ses yeux essayaient de détecter un frémissement de moustache, mais il était trop perturbé pour que son regard n'arrive réellement à se fixer « enfin sauf qu'elle est blanche ».

Réfléchis Brynn, réfléchis Brynn, s'il te plaît, répétait la voix implorante du botaniste dans son esprit. Des images du visage de l'enseignant et sa moustache passaient dans son esprit, tandis que le petit Poufsouffle cherchait à se raccrocher à une image, une impression, quelque chose, n'importe quoi. En désespoir de cause, son regard se reposa sur la moustache de l'adulte et c'est là qu'il le vit, le tout petit mouvement de poils juste en dessous du nez de l'adulte.
Dans d'autres circonstances, il l'aurait probablement attribué à la respiration de son professeur, mais ce petit mouvement prenait désormais une toute autre signification, une signification qu'il espérait salutaire « Si ! Si, il bouge ! Il dort ! ». Sa voix trahissait son propre espoir tremblant, souhaitant de tout son cœur que la moustache de son professeur fut encore en vie.

L'indécision de l'enfant ne fit qu'accroître le sentiment d'urgence du professeur. De la bouche d'un jeune étudiant, « Je ne sais pas » était une réponse acceptable à la question « Hors période hivernale, à quelle fréquence le Mimbulus Mimbletonia doit-il être arrosé ? » , mais l'était nettement moins pour « Mon petit chat d'amour est-il en vie ? » Sigmund était heureusement un enseignant patient, si bien qu'il sut s'abstenir de répéter quarante-deux fois la question et attendit simplement que les engrenages d'une réflexion intense s'accélèrent pour qu'enfin, Brynn Wathen soit capable de lui dire « Professeur, Moustache est bien vivant, il est juste là, sous votre nez. Ne le voyez-vous pas dormir, dans le buisson juste derrière vous ? Brave petit chat ! »

S'il tachait de suivre le regard du garçon, il se retrouvait à loucher sur son propre nez, ce qu'il arrêta de faire bien rapidement parce que ça lui donnait l'air stupide. Le Poufsouffle venait de lui dire que son animal était blanc : si Sigmund n'était pas persuadé qu'ils parlaient bien tous les deux du petit chat, il aurait pu s'étonner de la coïncidence avec la couleur du jour de sa moustache. Mais il n'en était rien, parce qu'il était juste impossible pour lui de détourner ses pensées de son animal disparu. Par blanche, il était évident que l'enfant voulait dire livide, ce qui signifiait que le félin n'était clairement pas en forme. Au moins, les raisons pour lesquelles il ne répondait pas à ses appels étaient assez claires.

Et soudain, la confirmation tant attendue tomba : Moustache dormait ! C'était une merveilleuse nouvelle, et elle fit naître un immense sourire sous la moustache bien fournie du professeur, mais ça n'en demeurait pas moins confusant : où était-il ? Pourquoi l'enfant semblait voir quelque chose qui restait hors de sa portée ? Sigmund relâcha le garçon et fit volte-face, persuadé de retrouver son félin endormi derrière lui. Il n'en était rien. Son regard balaya les horizons avant de se poser à nouveau sur l'enfant.

« Mais... je ne le vois pas. Comment peux-tu dire qu'il dort ? » fit-il, profondément confus. La localisation de son chat semblait parfaitement évidente pour l'enfant, et Sigmund avait bien noté que celui-ci l'observait avec un regard appuyé. C'était presque à en croire que son chat se trouvait juste sous son nez. Mais il n'y avait rien à leurs pieds... « Moustache ? » tenta-t-il malgré tout en commençant à nouveau à fouiller les herbages autour d'eux. Il y avait forcément une explication rationnelle à cette curiosité. Le chat aurait-il mangé une chose curieuse dans les réserves de vivres de Jae ? Quelque chose qui aurait pu... mh, Brynn voyait le chat, mais il n'était pas visible aux yeux de Sigmund... quelque chose qui aurait pu lui donner les mêmes propriétés qu'un Sombral ? « Brynn » fit le professeur d'un ton sinistre en se tournant vers lui, l'air grave. « As-tu déjà vu la mort de tes propres yeux, garçon ? »

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Le soulagement remplit Brynn lorsqu'un très grand sourire naquit sur le visage de son professeur et que ce dernier le lâcha, lui permettant de respirer un peu plus sereinement. Tout allait bien, la moustache de l'enseignant était toujours vivante, l'adulte avait simplement eu peur pour une raison qu'il ne saisissait pas. Peut-être que le blanc n'était pas une couleur normale, pour sa moustache ? Si c'était pour cela, il regrettait un peu de lui avoir dit qu'elle était jolie ainsi. Ça n'était probablement pas très approprié.

La voix encore troublée du professeur à la moustache fit remonter le regard du petit garçon vers le visage du plus âgé. Il n'était pas tout à fait sûr de la question qui venait de lui être posée. Est-ce que son professeur lui demandait de confirmer que sa moustache bougeait toujours ? Après tout, c'était vrai que ça ne devait pas être pratique pour l'adulte, d'examiner la créature qui se tenait sous son nez. Ne pouvait-il pas l'attraper dans sa main, cependant, pour se rassurer ? À moins qu'ils ne soient réellement inséparables, comme il lui avait dit un peu plus tôt ? La créature s'agrippait-elle avec quelque procédé magique ?

Il n'eut cependant pas le temps de se rapprocher pour analyser la dodue moustache que l'adulte se mit à appeler cette dernière en semblant fouiller le sol autour de lui, interloquant un peu le petit garçon. Le professeur de Botanique était-il réellement en train de chercher sa créature moustache ? Pourtant, ne l'avait-il pas caressée un peu plus tôt ? Se pouvait-il que quand la moustache était blanche elle se dissimule également au toucher ?

Sa bouche s'ouvrit pour poser une question mais son prénom le coupa dans son élan. Il n'avait jamais entendu son prénom être dit sur un ton aussi sombre et un petit frisson remonta dans le dos du jeune gallois lorsque son professeur lui demanda d'une voix funeste s'il avait déjà vu la mort.

« Non... » Démuni, l'enfant ne savait plus quoi dire, après ce petit mot tremblant. Il ne savait même pas vraiment ce que signifiait avoir déjà vu la mort. Par ailleurs, l'attitude de son professeur tranchait radicalement avec celle qu'il avait en cours. Que Monsieur Charleston - plus que quiconque - perde ainsi son air enthousiaste pour le regarder si gravement lui donnait l'impression d'avoir mis les pieds dans quelque chose de bien trop grand pour lui.

Se sentant forcé de parler davantage, il se raccrocha à la question qu'il avait voulu poser un peu plus tôt. « Vous ne le sentez pas, Monsieur ? Moustache ? Il est toujours là, comme d'habitude. ». L'adulte lui faisait peur. Il avait peur pour Moustache. Il avait peur d'avoir fait une terrible bêtise qui pour une raison obscure aurait entraîné la disparition progressive de la créature vivant sous le nez du professeur. Il avait presque envie de lever la main pour la passer sur la petite touffe de poil, terrifié à l'idée qu'elle n'y trouve qu'un vide froid. Se pouvait-il que Moustache soit un fantôme ?

« Vous avez déjà vu la mort ? »

La question lui avait échappée sans qu'il ne puisse y réfléchir, franchissant ses lèvres avant celle qu'il avait voulu poser. Il voulait demander à Monsieur Charleston s'il fallait aller chercher de l'aide, c'est cela qu'il avait voulu dire. Mais tandis que la question peinait à s'organiser clairement dans son esprit, c'était une autre qui avait fusé.

Non ? S'il n'avait jamais vu la mort, la théorie de Sigmund tombait à l'eau. Mais quelle autre explication pouvait-il bien avoir, pour justifier l'évidence de l'enfant à laquelle le professeur restait parfaitement imperméable ? Ça n'était pas logique, et Sigmund commençait à avoir la mauvaise impression de perdre son temps. « Il est toujours là, comme d'habitude. ». ajouta l'enfant. Toujours là... non définitivement, le sorcier ne comprenait pas, car il n'y avait bien aucune trace du chat nulle part autour d'eux. Ou alors, cet enfant était-il... un peu perché ? Le botaniste n'aimait pas supposer de ce genre de choses. Lui qui savait être une personne parfaitement normale, il se plaisait à penser tout le monde comme lui, ou visant un idéal similaire au sien.

Mais Merlin, ce gamin le faisait flipper. Brynn lui-même semblait effrayé, si bien que Sigmund se contint du mieux qu'il put pour rester parfaitement impassible, même quand l'enfant lui retourna sa question. C'était lui l'adulte, c'était son rôle de rationnaliser la situation et de rassurer l'élève. Il est toujours là, comme d'habitude. Ses mots lui trottaient dans la tête. Oui, il se souvenait bien lui avoir mentionné que Moustache et lui étaient inséparables. Sigmund se sentait démuni s'il ne passait pas tous les jours la main dans le doux pelage de son Moustache.

Et soudain, il comprit. Tout devenait évident : oui, depuis le début il lui semblait bien que Brynn et lui n'étaient pas sur la même longueur d'onde. Il y avait un décalage inexplicable dans leur conversation qui rendait l'ensemble confusant pour les deux sorciers. L'un comme l'autre tentait de déceler la logique du discours de l'autre et continuellement, ils continuaient à s'enfoncer dans l'absurde.

C'était fini : Sigmund avait réussi à mettre le doigt sur les poils qui lui échappaient.

« Tu avais raison depuis le début, Brynn. Pardonne-moi de ne pas avoir su te comprendre. » dit Sigmund alors qu'un sourire ému se dessinait sous sa moustache. « Moustache a bien toujours été là, à mes côtés. Je le cherchais partout alors que tu ne tenais qu'à me démontrer qu'il ne m'avait jamais quitté. Il était juste là, sous mon nez, depuis tout ce temps ! » C'était absurde, complètement insensé - mais quelque part, le quiproquo avait quelque chose d'attendrissant. Et Brynn était définitivement un petit garçon plein de sagesse.

Sigmund posa une main sur sa propre poitrine, à l'endroit où se trouvait son cœur. « Moustache est bien juste là. » Partout où il allait, l'image de son chat l'accompagnait. La pensée des câlins futurs, de la pâtée et même du choix de son poisson restait à l'esprit de l'heureux sorcier. Et la subtile métaphore lui avait échappé. Oui, Brynn : Moustache était bien toujours un peu là, quelque part dans le cœur de son papa. Il ne le quittait jamais. Il était là, comme d'habitude, et quand le coeur de son père battait à tout rompre, on pouvait presque le voir bouger dans sa poitrine pour répondre à sa détresse. Il était facile d'imaginer sa grosse patte rousse se poser sur le torse de son papa pour apaiser ses tourments. Brynn venait de lui apprendre une belle leçon. « Tu es un petit garçon très intelligent, mon garçon. Et sensible. Ce que tu as vu, Moustache... peu de gens sont capables de le percevoir. »

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Une sorte de lueur d'illumination passa dans le regard de l'enseignant et un sourire apparu sous sa moustache, toujours aussi blanche. Un instant, Brynn eu peur que ce sourire là ne soit aussi passager que le précédent, mais les paroles qui l'accompagnèrent le rassurèrent. L'adulte avait finalement réalisé que sa créature moustache était toujours sous son nez et qu'elle n'avait jamais bougé. Pardonne moi, avait même t-il dit, et un sourire très légèrement tremblant grimpa sur les lèvres du jeune Poufsouffle. Il avait beau avoir eu peur, la situation semblait finalement être résolue.

Monsieur Charleston devait lui aussi être en train de se remettre de ses émotions car, la main sur sa poitrine, il semblait encore sous le choc de la réalisation que son Moustache était toujours sous son nez. Il alla même jusqu'à dire à Brynn qu'il était très intelligent et que voir Moustache comme il l'avait fait était rare. Ne sachant que dire face à ce compliment qui lui semblait assez étrange - mais qui n'en restait pas moins un vrai compliment venu d'un adulte - le petit garçon esquissa un nouveau petit sourire, un peu plus franc que le précédent. Il resta cependant intrigué par les paroles du plus âgé : est-ce que les gens ne voyaient d'habitude pas Moustache ? Moustache n'était pourtant pas du tout invisible, à ses yeux. Est-ce que cela voulait dire que pour ses camarades le professeur de Botanique n'avait pas de moustache ? C'était une pensée tout à fait incongrue : lui n'imaginait pas l'homme sans cette petite touffe de poils sur son visage. Quelle soit blanche, noire ou vert pastel.

« Tout va bien alors ? » demanda-t-il, un peu hésitant. Il devait tout de même en être sûr, après ce qu'il venait de se passer. Il ne savait pas exactement ce qu'il venait de se passer, à vrai dire, mais cela avait été remuant. Il avait besoin d'une activité plus calme, maintenant. « Vous voulez regarder les crabes de feu avec moi ? » ajouta-t-il donc, avec un brin de timidité dans la voix.