Le regard d'Alyssa flottait sur le fin relief du lac à l'horizon, perdu dans le vague. Ses mains, elles, toujours à nues sur la pierre froide, peinaient à la maintenir à flot de la réalité. Ses souvenirs étaient à peine plus clairs, alors qu'elle évoquait l'aide hypothétique que l'infirmier avait pu lui apporter à la rentrée. Dans ses cauchemars, la jeune fille avait revécu de trop nombreuses fois les visions, les sensations, les émotions ressenties lors du naufrage en question, des rêves de plus en plus déformés avec le temps qui coulait. Mais la suite des évènements était devenue bien plus vague, troublée sans aucun doute par cet état de choc qu'elle avait ressenti alors, un état sans antécédent pour elle. Il lui semblait donc simplement que Monsieur O'Belt l'avait aidée à ne pas se noyer dans sa panique.

L'homme confirma alors s'en souvenir, nouvelle qui apaisa momentanément la jeune fille. Du coin de l'œil, celle-ci le vit s'avancer, doucement, vers elle. Alyssa se raidit un instant avant de constater que l'infirmier lui laissait un bon mètre de large, assez d'espace pour qu'elle respire. Ce mouvement la rattacha davantage à la réalité, mais une réalité synchrone à sa sensation de vertige grandissante, liée aux confessions qu'elle laissait peu à peu échapper. La Gryffondor prit ainsi quelques instants à comprendre ce que l'adulte proposa, à savoir s'asseoir à même le sol. Elle ne s'infligea pas une nouvelle minute de réflexion et se laissa plus tomber qu'autre chose sur la pierre pavée, s'appuyant contre la base de la rambarde.

Les sensations de vertige, de nausée, diminuèrent drastiquement maintenant qu'Alyssa n'avait plus à fournir l'effort de rester debout dans l'obscurité grandissante. Durant un instant, son corps se relâcha et sa respiration marqua un saut, avant qu'elle ne ramène ses jambes contre sa poitrine, posant ainsi ses mains sur ses genoux. Elle avait tardé à saisir les mots de l'infirmier, à l'évocation du retournement des barques sa respiration s'accéléra à nouveau. La jeune fille sentit en même temps la présence de l'infirmier qui s'était assis à ses côtés, continuant de respecter son espace personnel, et étrangement cette légère proximité l'apaisa un peu. Même, elle pouvait plus facilement regarder devant elle sans devoir affronter un regard, alors que peu à peu ses émotions, ses peurs, étaient révélées sous les étoiles silencieuses.

Une nouvelle question de l'infirmier arriva doucement. Mais ses mots bloquèrent la respiration d'Alyssa. Elle se retrouva à nouveau là, sous la surface de l'eau sombre, à couler, ne pouvant rien faire d'autre que regarder fixement la lueur de la lune s'éteignant peu à peu, complètement paralysée, prisonnière dans son propre corps. D'un hochement de tête à peine perceptible dans la nuit de plus en plus sombre, la jeune fille parvint à chuchoter un simple : - Oui...

Une autre question succéda, une question plus simple à répondre. Les yeux clairs de la Gryffondor, si troublés en cet instant, se posèrent néanmoins quelques secondes sur Monsieur O'Belt, comme pour vérifier que ce dernier ne la jugeait nullement de ce qu'elle venait d'avouer, puis la jeune fille détourna le regard à nouveau avant de tourner doucement la tête de gauche à droite, disant :

- Non, jamais.

Alyssa fronça alors les sourcils, était-elle déjà allée dans un lac, dans une piscine, avant tout cela ? Une drôle de sensation lui serra alors le cœur, sensation qu'elle décida de directement ignorer -se sentant déjà bien assez perdue comme ça. Son esprit, quand à lui, s'était activé de son côté à faire des aller-retours entre ici et deux mois auparavant. Lorsque les feux d'artifice avaient été lancés. Lorsque les flots s'étaient élevés. Le regard d'Alyssa se durcît alors que le portrait d'Éli s'imposait dans sa tête en même temps que leur confrontation vécue l'après-midi même. La sourde colère qu'elle avait ressentie alors quelques heures plus tôt revenait peu à peu, lui enserrant le cœur, se mélangeant aux signes d'anxiété qui s'étaient pourtant calmés. Sans même s'en rendre compte, Alyssa se tordait maintenant les doigts sans état d'âme envers elle-même, et elle souffla alors d'un ton presque accusateur :

- C'est de leur faute. S'ils avaient pas lancés ces feux d'artifice, rien de tout ça serait arrivé.

La Gryffondor fonctionnait par des sortes d'automatismes complètement saccadés et lui guettait à chaque fois le mouvement suivant. Pas pour l'empêcher, simplement pour s'assurer que rien ne mettait à mal la sécurité de la blonde désormais assise à côté de lui. Elle regardait en face d'elle quand Diarmuid la regardait, notant l'accumulation de tous les signes d'anxiété. Ils étaient assez forts et avaient diminué quand ils s'étaient installés. Et là, à évoquer le plongeons forcés des occupants d'une vingtaine de barque, ils refaisaient violemment surface. Le pédiatromage était partagé entre le fait de proposer une potion apaisante à la rouge et or et le fait d'attendre de voir si elle parvenait à reprendre le dessus sur ses émotions. Après tout, il y avait eu une belle amorce.

Sa dernière question, sur le fait d'apprendre à nager. Fit tourner le visage de son interlocutrice vers lui. Il put alors voir à quel point il était marqué par leur discussion mais aussi comme ses yeux reflétaient étrangement la lumière provenant des étoiles. L'irlandais ouvrit la bouche mais n'eut pas le temps de parler. Il fut devancé par la plus jeune qui cette fois semblait plutôt habitée par de la colère. De toute évidence, elle savait qui étaient les responsables de sa baignade forcée et leur en voulait. Elle le pouvait, après tout, depuis elle semblait vivre dans une angoisse permanente.

- "Effectivement, sans ces feux d'artifice le calmar n'aurait probablement pas réagi ainsi." Lui concéda Diarmuid qui ne pouvait que se mettre à sa place. Lui même n'avait appris à nager - et pas très bien - que tardivement. Même maintenant il paniquerait probablement si ce n'était pas lui qui choisissait d'aller dans l'eau. "Et je comprends que vous soyez en colère contre eux. Cela vous a amené à vivre quelque chose de particulièrement stressant. Et ça vous poursuit aujourd'hui." Il ne lui apprenait probablement rien, sauf peut-être un point de vue extérieur à ce qu'elle ressentait. Il fit une pause, rejeta la tête en arrière pour l'appuyer sur le muret et regarder les étoiles. Là, le châtain prit une bonne inspiration et revint vers l'enfant. "Maintenant il faut que vous réussissiez à avancer. Pas après pas, il n'y a pas besoin d'aller plus vite que votre rythme à vous. Est-ce que vous avez réussi à leur dire comme vous avez eu peur en vous retrouvant sous l'eau? Qu'ils comprennent que la baignade n'était pas drôle pour tout le monde." La plupart des élèves étaient passés à autre chose. Mais il savait que pour au moins deux, Ennis et elle, c'était au combien plus compliqué. "Est-ce que vous avez pu parler à d'autres dans le même cas que vous? Ou bien vous avez tout gardé à l'intérieur?" Il n'y avait aucun jugement, de simples questions posées à voix basses qui avait pour but de lui apporter d'autres éléments de compréhension.

Les éclats des feux d'artifice de sa mémoire s'étaient ternis alors qu'une sombre colère envahissait à nouveau Alyssa, semblant lutter contre l'anxiété irrégulière qu'elle démontrait, cherchant comme à en prendre le dessus. Lorsqu'Alyssa avait ouvert la bouche à nouveau, parlant maintenant avec hargne, la présence de Monsieur O'Belt s'était comme effacée, la laissant seule face aux portraits de ceux l'ayant blessée sans vraiment le savoir. L'altercation avec Éli de l'après-midi même n'en était sans doute pas étrangère, si Alyssa était sortie de ses gonds une première fois, rien ne l'empêchait de le refaire. Sans qu'elle n'en ait vraiment conscience, ses poings se serrèrent fort jusqu'à lui en faire mal, à l'instar de sa mâchoire crispée.

La voix de l'infirmier résonna alors dans cet étrange silence tumultueux de haine, ramenant une fois de plus à la réalité la jeune fille. Plus ou moins rapidement. La respiration anormalement saccadée, elle s'était brusquement retournée vers lui, comme si elle se rendait à nouveau compte de sa présence. Une expression presque surprise planait désormais sur son visage, en total contraste avec sa colère qui l'avait assombri quelques instants plus tôt. Il comprenait vraiment sa... Colère ? Entre Lily qui avait essayé de la dissuader de chercher les coupables, Éli qui ne comprenait pas d'où sortait sa haine, et toutes ces personnes qui en général lui reprochait son tempérament colérique, l'infirmier avait réussi à rendre Alyssa perplexe. Cet étonnement freina considérablement sa colère qui reculait déjà dans un soupir déçu, alors que la jeune fille s'était redressée, toujours assise, pour regarder l'homme qui avait maintenant le visage tourné vers les étoiles.

Ses sourcils se froncèrent légèrement aux paroles de Monsieur O'Belt lorsque celui-ci se retourna vers elle. Avancer ? A son rythme ? Prendre son temps, ce n'était pas vraiment quelque chose de naturel pour la Gryffondor, bien au contraire même : elle voulait toujours foncer, aller vite, et ne pas traîner. Et c'était sans doute pour cela que patauger dans ses problèmes sans parvenir à s'en sortir lui était si douloureux.

Il lui posa alors plusieurs questions. Le visage d'Alyssa s'assombrit immédiatement à la première. Sans quitter des yeux l'infirmier, ne se rendant même plus compte qu'elle le fixait, la jeune fille repensait désormais au sentiment de trahison sans borne qu'elle avait ressentit en apprenant le nom des élèves qui avaient participé à ce feu d'artifice. Il y avait ce première année de Gryffondor dont le nom lui était alors inconnu, très bien, elle pouvait en passer outre. Il y avait Gideon et Éli, l'un avec qui Alyssa n'avait jamais trop échangé avant et l'autre qu'elle avait considérée comme une bonne amie, avant. Mais tous les deux s'étaient liés contre sa personne lorsqu'ils s'étaient retrouvés "tous ensemble" avec Peeves, jouant alors à Alyssa les pires tours et l'accusant de fautes qu'elle n'avait même pas commises. Voir son ancienne amie ainsi se liguer avec son nouveau petit copain contre elle, doublé de leur altercation de l'après-midi même où Éli pensait que sa colère était en fait de la jalousie... Non, c'était trop. Mais en fait, Alyssa s'était déjà reçue une belle claque bien avant tout cela ; en apprenant que Lily figurait dans la liste des coupables. L'une de ses meilleures amies, celle qui l'avait vue en détresse au bord du lac, celle à qui elle avait demandé de l'aide, la seule avec qui elle s'était sentie assez en confiance pour parler de cette histoire.

- J'avais dis à mon amie que je voulais trouver les coupables. Mais pas que j'avais eu... Peur..., Alyssa prononça ce dernier mot comme si elle révélait être atteinte de l'une des pires tares au monde. Mais elle le savait comme elle était avec moi ce soir là. Mais après j'ai découvert qu'en fait, elle avait participé à ces feux d'artifice...

La blonde dut fermer les yeux un instant, se fermant à inspirer puis expirer pour chasser cette douleur qui lui serrait maintenant la poitrine. Elle baissa considérablement le ton avant de poursuivre :

- Je lui ai jamais dit que je le savais. Je lui ai pardonné, sinon c'était trop dur. Mais les autres... Non ça je peux pas. Et je pense qu'ils se fichent bien de ce que j'ai pu ressentir.

Sa voix s'était élevée dans ses derniers mots, en concert avec ses poings se serrant à nouveau et son regard devenant aussi froid que de l'acier. A la deuxième question de l'homme cependant, la jeune fille détourna les yeux, semblant soudainement comme se rapetisser sur place. Sa main se porta alors vers son cœur, ses doigts serrant maintenant le tissu de sa robe de sorcière alors qu'elle murmurait en baissant la tête, le ton amer :

- Y'a plus personne qui pense à cet... Incident. Tout le monde pense juste que c'était une super blague... Donc oui, je garde tout à l'intérieur.

Lorsqu'Alyssa pensait que la majorité de ses camarades proches semblaient trouver cette blague très amusante -ou ne lui portait simplement aucun intérêt- et qu'en plus aucune punition n'était tombée sur les coupables, elle en était écœurée... Et se sentait surtout très seule.

Il ne savait pas ce qu'il se passait dans la tête de la jeuen fille et pour tout avouer, il n'avait ni envie ni besoin de le savoir réellement. En revanche, il percevait sans aucun mal ses émotions. L'atmosphère était lourde car elles émanaient de la Gryffondor. C'était ainsi qu'il le percevait comme si la peur et la colère cherchaient à trouver une issue et que cette issue mais que pour le moment, elles ne trouvaient que des impasses.

- "A partir du moment où d'autres personnes en souffrent, je ne pense pas que ça soit une si bonne blague." Glissa-t-il sans vraiment quitter le ciel des yeux. Ce n'était de toute façon pas tout à fait sur ce point là qu'il souhaitait réagir, mais plutôt sur cette histoire de meilleure amie qui avait été instigatrice de la peur, la phobie même, qui touchait la blonde qui se trouvait assise à ses côtés.

Le châtain baissa la tête, s'arrachant à la contemplation des astres lumineux, pour poser un regard dissimulé par la pénombre sur la rouge et or. "Vous lui avez pardonné? Mais le pardon, ça engage les deux personnes. Non?" C'était du moins son raisonnement et il le soumettait à la jeune fille pour qu'elle y réfléchisse. "Pour les autres je ne sais pas, mais moi ça me semble important de tirer ça vraiment a clair avec votre meilleure amie et de tout lui dire, votre peur, votre colère, tout. Sinon ça restera toujours entre vous." Sa voix avait perdu de la puissance au fur et à mesure qu'il parlait. Quelque part, il évoquait une expérience. Un peu différente certes, mais c'était bien son silence qui avait finit par ronger sa relation avec Aurore. Et c'était tout ce qu'il essayait de faire différemment avec Annaëlle.

Aux paroles glissées par l'infirmier, Alyssa haussa les épaules. Elle n'était pas vraiment sûre d'y adhérer, peut-être parce-qu'elle même avait souvent été du côté des gens qui rigolaient... Même s'il ne lui semblait pas avoir déjà fait souffrir quelqu'un comme ce qu'elle vivait actuellement. La blondinette y réfléchit quelques instants avant de secouer la tête comme pour elle-même ; non, définitivement impossible. Ses agissements n'avaient que rarement été porté par un esprit logique, mais jamais elle avait pu mettre la vie d'autrui en danger. Les bombabouses, ça ne tuait personne. Les pétards mouillés du Dr Flibuste non plus, du moins c'était ce qu'elle pensait avant...

La Gryffondor se retourna vers l'infirmier à la question qu'il posa soudain et plissa les yeux, n'étant pas vraiment sûre de comprendre. Cela ne suffisait donc pas qu'elle ait fait l'effort de pardonner à Lily ses actions ? Elle resta silencieuse, songeuse, alors que l'homme poursuivait. Soudainement, tiquant avec quelques secondes de retard, elle intervint, le coupant presque dans sa phrase :

- Ce n'est pas ma meilleure amie.

C'était peut-être une remarque pour la moins immature mais Alyssa n'avait pu s'empêcher d'apporter ce détail qui n'était pas non plus nécessaire à la discussion. Peut-être s'en rendit compte elle-même car elle essaya de se clarifier :

- Enfin ça n'empêche que je tiens beaucoup à elle et que je ne veux pas la perdre.

La jeune fille ramena ses genoux contre son torse et regarda d'un air incertain le mur de pierres se trouvant face à elle, alors qu'elle se répétait les mots de Monsieur O'Belt. Dire les choses... Alyssa avait un naturel très franc, sauf lorsqu'il s'agissait de parler d'émotions. Dans ce dernier cadre, elle devenait aussi muette qu'un focifère pouvait être bavard. Constatant que la voix de l'homme s'était presque comme éteinte, Alyssa le regarda à nouveau, presque interrogative, comme pour vérifier qu'il était toujours bien là. Dans la pénombre de plus en plus obscure, elle ne discernait plus qu'à peine sa silhouette à ses côtés. La jeune fille hésita avant d'ouvrir la bouche à nouveau :

- Je ne sais pas... C'est un peu bizarre car elle le sait sans doute déjà que j'ai mal vécu cet... Evènement. Même si je le lui ai pas dit. Et puis ça commence à dater maintenant.

Des excuses, toujours des excuses. Pourtant, au plus profond de son cœur, Alyssa était sans aucun doute consciente que le dialogue était primordial dans toute relation qu'il soit -et encore plus dans l'amitié. Mais il s'agissait de quelque chose de si peu naturel pour elle, nullement automatique, qu'elle se sentait presque désemparée à cette idée. Ce qui lui venait bien plus naturellement à l'esprit, c'était de faire payer aux autres ce qu'ils lui avaient fait subir, un sentiment décuplé par la soirée d'Halloween et par la dernière confrontation avec Éli. Alyssa se raidit un instant, avant de tâcher de se reconcentrer sur ce qu'avait dit l'adulte, doutant fort que lui parler de ses désirs de vengeance pouvait être une bonne idée. Elle lâcha un soupir avant de fermer les yeux un instant, essayant de faire le vide dans ses pensées.

Remettant le doigt sur ce qui la gênait, Alyssa chercha finalement le regard de l'infirmier avant de souffler avec une grande franchise :

- C'est trop dur, Monsieur, d'avouer ses faiblesses.